Le canal rachidien étroit
Aperçu de la sténose rachidienne lombaire et cervicale

Le canal rachidien étroit

Übersichtsartikel AIM
Édition
2018/17
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03265
Forum Med Suisse 2018;18(17):368-376

Affiliations
Klinik Sonnenhof, Bern

Publié le 24.04.2018

Avec l’augmentation de l’espérance de vie, de plus en plus de personnes atteignent un âge auquel la sténose rachidienne devient symptomatique. En outre, les gens souhaitent rester actifs et mobiles jusqu’à un âge avancé.

Introduction

«It’s the economy, stupid!», tel était le slogan avec lequel Bill Clinton remporta les élections présidentielles de 1992. Transposé à la thématique du présent article, nous pourrions dire: «It’s the demography, stupid!».
L’évolution démographique sera le grand défi que la société devra relever au cours des décennies à venir. Elle est flagrante dans le domaine de la santé et concerne l’ensemble du spectre des spécialités médicales. Les altérations dégénératives du rachis font figure d’exemple à cet égard. Les sténoses du canal rachidien deviennent généralement symptomatiques plus tardivement qu’une arthrose de la hanche et du genou, par exemple. Toutefois, elles sont dans la plupart des cas associées à un handicap plus lourd.
Il convient de faire la distinction entre la sténose rachidienne primaire due à une prédisposition et la sténose rachidienne secondaire (acquise), qui est plus fréquente. Les altérations dégénératives représentent les causes les plus fréquentes de cette dernière. Dans cet article, seule la sténose rachidienne secondaire sera abordée, sachant que les mêmes critères s’appliquent en fin de compte aussi pour le diagnostic et le traitement des sténoses primaires. Nous nous concentrerons essentiellement sur le rachis lombaire, mais nous pencherons brièvement sur le rachis cervical à la fin de l’article.

La sténose rachidienne lombaire

Définition

La sténose rachidienne lombaire est un syndrome ­clinique se manifestant par des douleurs au niveau de la région fessière ou dans les jambes, avec ou sans maux de dos, qui est dû à un rétrécissement du canal rachidien [1].

Epidémiologie

La sténose rachidienne lombaire est la maladie typique du rachis vieillissant. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, de plus en plus de personnes atteignent un âge auquel la sténose rachidienne devient symptomatique. Par ailleurs, les patients âgés souhaitent eux aussi rester actifs et mobiles jusqu’à un âge avancé.
Dans l’étude de Framingham, la prévalence de la sténose lombaire acquise objectivée par tomodensitométrie s’élevait à 20% chez les sujets de <40 ans et à 53% chez ceux de >60 ans [2]. Ces chiffres montrent clairement l’augmentation de cette affection avec l’âge.
La prévalence de la sténose symptomatique s’élève à env. 5% dans la tranche d’âge 40–50 ans et elle est comprise entre 15 et 30% dans la tranche d’âge 70–80 ans. Ainsi, une personne sur deux atteinte de sténose rachidienne diagnostiquée radiologiquement est symptomatique. [3].
En extrapolant ces résultats à la situation en Suisse, cela signifie que sur 1,5 million de personnes âgées de plus 65 ans, jusqu’à 400 000 souffrent d’une sténose rachidienne symptomatique. Il est impossible de déterminer le nombre de patients opérés, mais la sténose rachidienne constitue l’indication la plus fréquente d’une opération de la colonne vertébrale [4].

Cause/physiopathologie

La sténose rachidienne lombaire résulte d’altérations dégénératives du segment mobile (disque intervertébral, facettes articulaires, ligaments). Une hypertrophie des facettes articulaires, un épaississement des ligaments jaunes et des capsules articulaires, et éventuellement des kystes articulaires, ainsi que la diminution de la hauteur et la protrusion du disque intervertébral aboutissent à un rétrécissement du canal rachidien (fig. 1 et 2).
Figure 1: A) Myélo-tomodensitométrie chez un patient de 82 ans: coupe axiale montrant une sténose rachidienne de haut grade. B) Préparation anatomique révélant des anomalies correspondantes (© Wolfgang Rauschning, réproduction avec l’aimable ­autorisation de W. Rauschning).
Figure 2: A) Imagerie par résonance magnétique chez une patiente de 78 ans, coupe sagittale pondérée en T2. Une sténose est visible au niveau de L3–L4 et L4–L5 (*). Il s’agit d’un rétrécissement spondylogène mixte (lié aux facettes articulaires, aux ligaments jaunes et aux disques). Fracture ancienne de la vertèbre lombaire (L)3. B) Préparation anatomique montrant les anomalies correspondantes (© Wolfgang Rauschning, réproduction avec l’aimable autorisation de W. Rauschning).
Ce rétrécissement peut être circonférentiel (sténose centrale), latéral (sténose du récessus latéral) ou foraminal (sténose foraminale), ou bien survenir sous forme combinée. Cette sténose survenant dans le cadre de la cascade dégénérative progresse généralement très lentement et peut aboutir à une oblitération complète (sténose absolue) du canal rachidien, sans que les patients ne deviennent symptomatiques. Outre la sténose au sens strict, une composante dynamique est également impliquée dans le développement de la douleur, d’où le caractère positionnel et lié aux activités des symptômes (fig. 3) [5].
Figure 3: Myélographie lombaire: représentation typique d’une sténose fonctionnelle. En position inclinée vers l’avant (A), le canal rachidien rehaussé par produit de contraste a un calibre homogène (><); lors du redressement (B), il se produit un étranglement en «sablier» à trois niveaux, de L2 à L5 (*).
Le segment L4–L5, qui est le plus mobile, est le plus fréquemment touché. Les altérations des facettes articulaires donnent souvent lieu à un glissement vertébral (spondylolisthésis dégénératif). En cas d’intensité plus prononcée, tous les segments mobiles peuvent être affectés, aboutissant alors à une scoliose dégénérative (fig. 4).
Figure 4: Scoliose dégénérative sévère avec perte de la lordose et sténose de haut grade du canal rachidien (homme, 67 ans). La radiographie conventionnelle (A , position debout; incidence antéro-postérieure et latérale) fournit un aperçu clair de la situation statique et osseuse. A l’imagerie par résonance magnétique (B), le rétrécissement sévère du canal rachidien se présente comme une «pelote» de fibres de la queue-de-cheval (*) et des sténoses foraminales de haut grade (>). La reconstruction 3D de la tomodensitométrie (C) illustre l’ampleur des altérations segmentaires. D) Traitement chirurgical mini-invasif moderne avec redressement segmentaire par le côté, combiné à une stabilisation percutanée par abord dorsal (radiographie conventionnelle, position debout; incidence antéro-postérieure et latérale). La restauration de l’anatomie «normale» entraîne une décongestion indirecte du canal rachidien, sans décompression formelle.
Le mécanisme physiopathologique responsable des douleurs dans les jambes (et le dos) n’est pas totalement élucidé; le rétrécissement peut compromettre la microcirculation dans les structures nerveuses ou alors, des métabolites qui stagnent en raison d’une congestion veineuse provoquent une dysfonction des nerfs [6, 7]. En cas de compression mécanique directe, les douleurs, qui ont un caractère positionnel, sont généralement présentes immédiatement.

Diagnostic

Anamnèse et examen clinique

La palette des symptômes occasionnés par la sténose rachidienne est vaste. La plupart des patients atteints de sténose rachidienne souffrent de maux de dos. Parmi les autres troubles figurent l’engourdissement, la faiblesse dans les jambes, une sensation de pression dans le bas du dos et une irradiation vers la région fessière. Des crampes ou des sensations de brûlure sont décrites. Des symptômes radiculaires peuvent également survenir lorsqu’une racine nerveuse est comprimée par un foramen étroit ou une sténose unilatérale. La claudication neurogène est caractéristique, se traduisant par une intensification progressive des symptômes lors de la marche, avec une amélioration rapide au repos et lorsque le patient se penche vers l’avant. Le tableau 1 résume les principaux paramètres cliniques, qui ont été compilés par une équipe d’experts au moyen de la méthode Delphi [8].
Tableau 1: Consensus des principaux symptômes, compilés par un groupe d’experts composé de 64 leaders d’opinion dans le cadre d’une analyse Delphi (méthode d’enquête par questionnaires en plusieurs étapes), d’après [8].
Paramètres anamnestiques/cliniques 
(par ordre décroissant de pertinence)
Douleurs dans les jambes ou la région fessière lors de la ­marche?
Amélioration des symptômes lors de l’inclinaison du buste vers l’avant?
Amélioration des symptômes lors de la pratique du vélo, en cas d’appui sur un chariot de supermarché?
Survenue de troubles moteurs et sensoriels lors de la marche?
Pouls pédieux présents, symétriques?
Jambes «molles» / faibles?
Maux de dos présents?
L’évolution naturelle de la sténose rachidienne non traitée est lentement progressive chez les ⅔ des patients; chez ⅓ des patients, les symptômes restent stables. Une détérioration aiguë avec des déficits neurologiques est extrêmement rare, mais peut par ex. survenir lorsqu’en cas de sténose rachidienne préexistante, une fracture vertébrale ostéoporotique provoque un rétrécissement supplémentaire aigu (même léger) [1].
Comme mentionné, la sténose rachidienne lombaire est un syndrome clinique. La pose du diagnostic ­repose d’une part sur l’anamnèse et d’autre part sur la confirmation par examen d’imagerie.
L’examen clinique est généralement sans particularités / non spécifique (le patient ne sent rien et le médecin ne voit rien). La lordose lombaire est souvent aplatie, le patient se tient en position légèrement courbée et la mobilité du rachis lombaire est limitée; le redressement est le plus souvent désagréable. L’examen neurologique ne révèle pas d’anomalies spécifiques. Il convient de procéder à un examen des réflexes, de la force et de la sensibilité. Une coxarthrose peut également être associée à des douleurs fémorales/glutéales; un examen sommaire des hanches permet le plus souvent de clarifier la situation [9, 10]. Le contrôle du pouls pédieux ou la détermination de l’indice tibio-brachial (ITB) permet dans une large mesure d’exclure la probabilité d’une affection vasculaire.
Les examens électrophysiologiques ne sont pas très utiles pour le diagnostic et ne sont pas réalisés de façon routinière. Ils peuvent néanmoins s’avérer pertinents en cas d’origine indéterminée de la douleur, pour distinguer par ex. une polyneuropathie ou une myopathie [11].

Examens d’imagerie

En cas d’anamnèse concordante, un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) est ensuite indiqué. Il permet l’évaluation la plus exacte de l’anatomie rachidienne [10].
Si le patient présente une contre-indication à l’IRM, la tomodensitométrie (TDM) est utile, le cas échéant associée à une myélographie en tant qu’examen supplémentaire invasif (fig. 2 et 3). Cette dernière peut tout particulièrement être utile chez les patients préalablement opérés, notamment lorsque des implants de stabilisation ayant une influence négative sur la qualité de l’image IRM ont été utilisés.
Il existe certes des critères radiologiques clairs définissant la sténose rachidienne (diamètre du canal ­rachidien <10 mm, surface transversale <70 mm2), que les radiologues décrivent et graduent en conséquence comme légère, modérée, sévère ou absolue. Toutefois, comme mentionné, ces critères sont mal corrélés aux symptômes cliniques et, en particulier lorsqu’ils sont considérés isolément, ils ne sont pas déterminants pour un éventuel traitement chirurgical [12, 13].
La radiographie conventionnelle en position debout ne doit pas être oubliée dans le diagnostic. L’IRM fournit certes de nombreuses informations détaillées, mais la colonne vertébrale a un tout autre aspect en position debout; la radiographie offre dès lors une vue d’ensemble, permet d’apprécier la statique et sert à évaluer la situation osseuse (fig. 4).

Diagnostic différentiel

Claudication vasculaire

Il est possible de distinguer une cause vasculaire en examinant le pouls et éventuellement en calculant l’ITB. En cas de claudication vasculaire, la posture du dos en position debout n’a typiquement pas d’influence sur les symptômes dans les jambes; par ailleurs, la pratique du vélo occasionne des douleurs. Chez les patients polymorbides, des tableaux mixtes se rencontrent néanmoins souvent, et seul un examen angiologique complémentaire permet de clarifier la situation.

Polyneuropathie

La polyneuropathie se manifeste par des troubles de la sensibilité (chaud/froid) au niveau des pieds/bas des jambes et est avant tout dérangeante au repos. Les patients se plaignent souvent d’une sensation étrange au niveau de la plante des pieds (comme s’il y avait une couche entre le sol et le pied), ainsi que d’une démarche mal assurée. Une abolition du réflexe achilléen, une altération de la sensibilité vibratoire et finalement un examen électrophysiologique permettent de poser le diagnostic. Néanmoins, les tableaux mixtes en lien avec une sténose rachidienne sont fréquents, et une sténose cervicale peut également être en cause (voir ci-dessous).

Décompensation de la statique rachidienne

L’effacement de la lordose lombaire entraîne un décalage de l’axe du rachis vers l’avant, obligeant le patient à fournir un travail musculaire accru pour compenser. Il en résulte des douleurs locales, qui se manifestent avant tout au niveau de la zone d’insertion des muscles dans la crête iliaque, mais également dans la région glutéale. Comme en cas de sténose, être debout et marcher est fatigant pour les patients («mon dos ne me porte plus»). Là aussi, les symptômes peuvent être soulagés lorsque le patient se penche vers l’avant et en particulier lorsqu’il prend appui sur ses bras (vélo, déambulateur ou chariot de supermarché). Il n’y a généralement pas de sténose rachidienne, mais des formes mixtes sont toutefois possibles, particulièrement en cas d’altérations étendues, comme lors de la scoliose dégénérative par ex. (fig. 4).

Carence en vitamine B12

Dans le cadre d’une carence prononcée en vitamine B12, des troubles neuropathiques avec douleurs, engourdissement, paresthésies et faiblesse musculaire peuvent survenir. L’anamnèse est souvent suggestive quant à une possible carence en vitamineB12 (abus d’alcool, alimentation végétarienne ou végétalienne, maladies inflammatoires de l’intestin) et d’autres symptômes sont présents sur le plan clinique. La détermination du taux de vitamine B12 permet d’exclure ce diagnostic différentiel.

Traitement de la sténose rachidienne lombaire

Hormis en cas de problématique neurologique aiguë, telle que des symptômes de la queue de cheval ou une parésie motrice significative, il n’y a pas d’indication opératoire absolue et urgente en cas de sténose rachidienne. L’évolution naturelle de la maladie est très variable.
La stratégie thérapeutique est fonction de la sévérité des symptômes. Un algorithme thérapeutique est présenté dans la figure 5 et les options thérapeutiques conservatrices courantes sont résumées dans le tableau 2.
Figure 5: Algorithme thérapeutique chez les patients avec syndrome de sténose rachidienne: pose du diagnostic sur la base de l’anamnèse, de l’examen clinique et de l’imagerie. Le patient doit bénéficier d’informations quant à l’affection. Tous les patients ne requièrent pas une opération. Dans de nombreux cas, l’évolution est stable, et le traitement conservateur est pertinent et possible. En cas de symptômes très intenses et avant tout en cas d’atteinte neurologique, le traitement chirurgical est clairement indiqué (modifié d’après [30]).
Tableau 2: Options thérapeutiques conservatrices.
Traitement médicamenteuxPreuves certes faibles, mais «good clinical practice»
Paracétamol / AINS / gabapentine
myorelaxants
Le traitement par antalgiques de palier I et de palier II de l’OMS est pertinent en cas de bonne réponse. Toutefois, un traitement prolongé par antalgiques opioïdes forts est uniquement justifié chez les patients non opérables
Corticoïdes (dose décroissante sur 5 jours, de 80 à 20 mg)Sous forme de traitement d’attaque en cas d’exacerbation de la douleur
Physiothérapie, mesures de délordose, exercices de posture, orthèsesFaibles preuves, en complément/entraînement de base, accroissement de la force utile (démarche mieux assurée, coordination)
Infiltrations épidurales, foraminales, sacréesRésultats contradictoires.
Effet à court terme. Dans la pratique clinique, (trop) souvent utilisées  – nécessité d’une pose minutieuse de l’indication sur la base de l’examen clinique et de l’imagerie
++ En cas d’exacerbation aiguë de la douleur
AINS = anti-inflammatoires non stéroïdiens, OMS = Organisation Mondiale de la Santé
Le tableau 3 fournit un aperçu des options thérapeutiques chirurgicales. Les patients ayant des symptômes persistant pendant très longtemps (>12 mois) ont un devenir plus défavorable que les patients opérés plus précocement [14], mais ce sont finalement les symptômes qui déterminent la décision d’opérer [15]. Les sténoses très sévères sont techniquement plus difficiles à aborder, car des adhérences de la dure-mère sont plus souvent présentes.
Tableau 3: Options thérapeutiques chirurgicales: le spectre du traitement chirurgical est vaste. Le choix de la technique opératoire dépendant du problème clinique dominant et des anomalies radiologiques. Le traitement chirurgical peut comprendre une simple décompression et une décharge d’un nerf spinal, mais également une intervention reconstructrice complexe. La stabilisation/fusion en cas de spondylolisthésis dégénératif n’est plus recommandée de façon routinière sur la base des résultats d’une étude contrôlée et randomisée [20].
Décompression
– procédé microchirurgical vs. procédé ouvert
– laminotomie vs. laminectomie
La décompression microchirurgicale s’est aujourd’hui établie comme approche de référence. Il n’y a pas de preuve de 
la ­supériorité d’une technique par rapport à l’autre [28].
Décompression et interventions de stabilisation
Sont nécessaires en cas d’instabilités et de déformations
Les techniques mini-invasives permettent un traitement efficace et non agressif. En cas spondylolisthésis dégénératif, l’indication ­d’une fusion est controversée [20–22].
Dispositif de soutien interépineux (+/– décompression)Possible en tant qu’option moins invasive en cas de sténose ­légère ou modérée, taux élevés de ré-intervention [29].
L’indication d’une intervention chirurgicale devrait être posée par une équipe interdisciplinaire. L’évaluation de l’état général du patient fournie par le médecin de famille mais également les conditions de vie du patient sont des paramètres tout aussi pertinents que la pathologie locale. Le chirurgien du rachis est responsable de l’évaluation minutieuse du problème local (examen clinique/imagerie) et doit trouver la meilleure solution technique individuelle pour chaque patient. Il va de soi qu’il doit pouvoir réaliser l’intervention correctement.
Le pronostic du traitement chirurgical de la sténose rachidienne est excellent. Les résultats de grandes études ont montré que le traitement chirurgical était utile dans 80% des cas et présentait un bon rapport coût-efficacité [16–18]. L’amélioration de la qualité de vie est comparable à celle observée chez les patients ayant fait l’objet d’une implantation de prothèse de genou [19]. L’étude «Lumbar Spinal Outcome Study» (LSOS) réalisée à la clinique Balgrist et à la clinique Schulthess a aussi clairement confirmé ces aspects sous nos latitudes [12, 13].
Les risques du traitement chirurgical sont minimes en cas de simple décompression, mais augmentent parallèlement à la complexité de l’intervention (spondylodèse) et aux comorbidités des patients [17]. Toutefois, la peur du «fauteuil roulant», que les patients ont souvent en tête, n’est pas fondée. Les procédures chirurgicales sont standardisées et des techniques mini-invasives s’établissent de plus en plus. Sur la base d’une étude randomisée suédoise récemment publiée, la nécessité d’une spondylodèse supplémentaire pour le traitement du spondylolisthésis dégénératif est remise en question et uniquement recommandée dans des cas exceptionnels; cette question est sujette à des discussions controversées et n’est pas encore définitivement clarifiée (fig. 6) [20–22].
Figure 6: A) Présentation classique du spondylolisthésis dégénératif L4–L5 (patiente, 78 ans). Sténose de haut grade du canal rachidien due à une arthrose sévère des facettes articulaires avec kyste synovial. Sténose foraminale avec compression de la racine L4 (>). Clichés de radiographie conventionnelle et d’imagerie par résonance magnétique. B) Le traitement consiste ici en la décompression et stabilisation/fusion du segment L4–L5. En raison des altérations articulaires sévères et de la sténose foraminale, une spondylodèse supplémentaire est indiquée. Sur le plan technique, une décompression microchirurgicale est réalisée et le disque intervertébral est retiré; l’espace intervertébral est comblé par une cage* remplie de l’os prélevé pour la décompression. Les vis pédiculaires sont introduites par voie percutanée en évitant les muscles. La radiographie conventionnelle (position debout; incidence antéro-postérieure et latérale) montre la spondylodèse consolidée 1 an après l’intervention.

La sténose rachidienne cervicale

Les altérations dégénératives du rachis cervical sont tout aussi fréquentes que celles du rachis lombaire. La situation du rachis cervical est néanmoins particulière. La moelle épinière, qui fait partie du système nerveux central, transite par le rachis cervical. La compression persistante et progressive de la moelle épinière entraîne un endommagement de cette dernière, appelé myélopathie spondylotique cervicale. Il s’agit de la cause la plus fréquente de trouble fonctionnel de la moelle épinière. Toutefois, par rapport à la sténose rachidienne lombaire, les altérations dégénératives du rachis cervical sont beaucoup plus rarement (4–10× plus rarement) responsables d’une compression pertinente. Le cas échéant, les conséquences sont néanmoins plus graves, puisque des altérations et handicaps irréversibles peuvent survenir. Sur la base d’une étude réalisée aux Pays-Bas, il est estimé qu’1,6 opération sont nécessaires pour 100 000 habitants, ce qui correspond à l’échelle de la Suisse à env. 120 cas par an. Toutefois, ce nombre devrait massivement augmenter au cours des années à venir en raison de l’évolution démographique [23, 24]. Fait intéressant, 20% des patients victimes d’une fracture à proximité de la hanche présentent une myélopathie cervicale en tant que cause possible de chute [25].
Outre les altérations dégénératives, le rachis cervical est sujet à des phénomènes particuliers, qui sont associés à un rétrécissement du canal rachidien. Une ossification du ligament longitudinal postérieur peut être à l’origine d’une compression longitudinale. Ces altérations s’observent fréquemment au Japon et dans d’autres pays asiatiques, et sont plutôt rares dans nos pays. La polyarthrite rhumatoïde donne lieu à des altérations spécifiques du rachis cervical, qui peuvent être associées à une compression médullaire (fig. 7).
Figure 7: Synopsis des altérations dégénératives du rachis cervical. En principe, toutes les structures sont impliquées dans 
le processus dégénératif: les disques intervertébraux, les ligaments, mais également les vertèbres à proprement parler et les facettes articulaires (non représentées). Reproduction from: Nouri A, Tetreault L, Singh A, Karadimas SK, Fehlings MG. Degenerative Cervical Myelopathy: Epidemiology, Genetics, and Pathogenesis. Spine (Phila Pa 1976). 2015;40(12):E675–93. Copyright © 2015, with permission of Wolters Kluwer Health, Inc. https://journals.lww.com/spinejournal/Abstract/2015/06150/Degenerative_Cervical_Myelopathy__Epidemiology ,.8.aspx. Promotional and commercial use of the material in print, digital or mobile device format is prohibited without the permission from the publisher Wolters Kluwer. Please contact permissions@lww.com for further information.).

Manifestations cliniques

Les symptômes cliniques de la sténose cervicale sont totalement différents de ceux occasionnés par la sténose rachidienne lombaire. Il s’agit des signes de la myélopathie: ataxie à la marche, troubles de la sensibilité dans les mains et les pieds, et troubles de la motricité fine. L’examen neurologique révèle des réflexes augmentés, un signe de Babinski positif et un signe de Lhermitte (sensation de décharge électrique lors de l’inclinaison de la tête). Ainsi, les symptômes prédominants ne sont pas les douleurs ou les claudications comme en cas de sténose lombaire. Notamment dans les formes légères, les symptômes sont parfois difficiles à distinguer des symptômes non spécifiques pouvant survenir avec l’âge, par ex. en rapport avec des arthroses des doigts ou des pieds. Une polyneuropathie peut parfois provoquer des symptômes similaires (voir ci-dessus).

Traitement

Le traitement de la sténose rachidienne cervicale symptomatique est chirurgical. En présence d’une atteinte neurologique, il faut procéder à une décompression de la moelle épinière, l’urgence de l’intervention dépendant de la sévérité des déficits neurologiques [26]. ­Le procédé chirurgical est fonction des altérations morphologiques spécifiques et de la situation individuelle de chaque patient. En principe, il est possible d’opérer par abord ventral ou par abord dorsal (rarement combinés); en règle générale, une décompression au niveau du rachis cervical est assortie d’une stabilisation. ­Des techniques spécifiques, comme l’ouverture des arcs vertébraux (laminoplastie), sont utilisées pour les sténoses longitudinales. Le traitement chirurgical est bien établi scientifiquement, à la fois en ce qui concerne le devenir et le rapport coût-efficacité [27]. L’opération a pour objectif premier d’éviter une lésion supplémentaire de la moelle épinière; les chances de récupération sont plus mauvaises en cas de lésions préalables sévères (fig. 8).
Figure 8: Imagerie par résonance magnétique (A) et tomodensitométrie (B) du rachis cervical d’une patiente de 82 ans avec douleurs cervicales, signe de Lhermitte et légère ataxie à la marche. Modification du signal dans la moelle épinière (> <) et spondylolisthésis C3–C4 en tant que reflet d’une «instabilité». Dans cette situation, un traitement chirurgical est indiqué: décompression du canal rachidien par abord dorsal et stabilisation des segments instables (C , radiographie conventionnelle).
Les sténoses au niveau du rachis dorsal sont extrêmement rares et résultent généralement d’une hernie discale, qui est souvent présente depuis plusieurs années, est généralement calcifiée et peut aboutir à une compression médullaire en raison d’altérations dégénératives supplémentaires, en particulier des facettes articulaires.

L’essentiel pour la pratique

Rachis lombaire
• Le symptôme cardinal de la sténose rachidienne est la claudication neurogène. Les symptômes diminuent lorsque le patient se penche vers l’avant. Des douleurs radiculaires/unilatérales sont également possibles. La pratique du vélo ne pose généralement pas de problème.
• La sténose rachidienne est un syndrome; les symptômes cliniques sont plus pertinents pour la pose du diagnostic que les anomalies radiologiques. «La sténose absolue à l’imagerie par résonance magnétique ne constitue pas une indication opératoire absolue».
• Les complications / déficits neurologiques sont extrêmement rares chez les patients avec sténose lombaire. Le cas échéant, ils constituent une indication opératoire absolue.
• Les patients avec symptômes légers et modérés peuvent généralement faire l’objet d’un traitement conservateur. Les antalgiques de palier I et II, la physiothérapie et les infiltrations sont souvent très efficaces au cours de la phase précoce.
• En cas d’échec des mesures conservatrices, l’intervention chirurgicale s’avère pertinente et prometteuse.
• Le procédé chirurgical doit être adapté individuellement en fonction de la pathologie sous-jacente, mais également des comorbidités et de la situation personnelle du patient. Une évaluation interdisciplinaire (médecin de famille – spécialiste du rachis) est primordiale.
Rachis cervical
• La sténose cervicale se manifeste beaucoup plus rarement que la sténose lombaire. Toutefois, le rétrécissement du canal rachidien engendre une compression médullaire. Les troubles fonctionnels de la moelle épinière (myélopathie) prédominent par rapport aux douleurs.
• Les symptômes neurologiques débutants (ataxie à la marche, troubles de la motricité fine, signe de Lhermitte) constituent une indication opératoire claire.
L’auteur n’a pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Paul Heini
Facharzt für Orthopädische Chirurgie und Traumatologie des Bewegungsapparates
Klinik Sonnenhof
Buchserstrasse 30
CH-3006 Bern
paulheini[at]sonnenhof.ch
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