L’étude SiRENE
Bruit du trafic, mortalité cardiovasculaire, diabète, troubles du sommeil et nuisance

L’étude SiRENE

Übersichtsartikel
Édition
2019/0506
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.03433
Forum Med Suisse. 2019;19(0506):77-82

Affiliations
a Schweizerisches Tropen- und Public Health Institut, Basel; b Universität Basel, Basel; c Empa, Abteilung Akustik / Lärm­minderung, Dübendorf; d ­Bundesamt für Umwelt, Abteilung Lärm & NIS, Bern; e Zentrum für Chronobiologie, Psychiatrisches Universitätsspital Basel, Basel

Publié le 30.01.2019

Le bruit rend-il malade? Les valeurs seuils suisses pour le bruit du trafic sont-elles actuelles? Une étude suisse a évalué le lien entre le bruit du trafic et la nuisance, le sommeil et les maladies cardiométaboliques.

Contexte

Le bruit peut être à l’origine de nuisances et de troubles du sommeil auto-rapportés [1]. Dans les études épidémiologiques, le bruit du trafic est associé à un risque accru de maladies cardiovasculaires, de diabète, de ­dépressions chez l’adulte et de troubles cognitifs chez l’enfant [1]. Il reste pourtant largement indéterminé de quelle manière les répercussions aiguës et à court terme d’une nuisance sonore aboutissent finalement à des problèmes de santé à long terme. Il existe en particulier de grandes incertitudes quant à savoir à partir de quel seuil le bruit est néfaste pour la santé ou s’il existe au juste un tel seuil. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé que le bruit ambiant en Europe de l’Ouest était responsable d’une perte d’années de vie en bonne santé («disability-adjusted life year», DALY) se chiffrant à 903 000 pour cause de troubles du sommeil dus au bruit, à 587 000 pour cause de nuisances sonores, à 61 000 pour cause de cardiopathies ischémiques et à 45 000 pour cause de troubles cognitifs chez les enfants [2]. Les DALY pour cause de diabète ­induit par le bruit n’ont pour l’instant pas encore été calculées. D’après l’OMS, des effets sur la santé surviennent à partir de 40 décibels (dB) la nuit et à partir de 45 dB le jour [3]. En Suisse, la valeur limite d’immission pour le bruit de la circulation est comprise entre 45 dB (degré de sensibilité 1) et 60 dB (degré de sensibilité 4) la nuit. Le jour, les valeurs limites sont à chaque fois plus élevées de 10 dB. Env. 20–25% de la population suisse vit dans des zones où la valeur limite respective est dépassée durant la nuit ou la journée. Le bruit ­génère des coûts externes, qui sont supportés par la communauté et ne sont pas spécifiquement réclamés aux responsables du bruit. Chaque année, en Suisse, les coûts de santé externes causés par le bruit du trafic routier, ferroviaire et aérien sont estimés à env. 2,6 milliards de francs [4].

Etude SiRENE

La Loi sur la protection de l’environnement exige que les valeurs limites d’immissions s’appliquant au bruit soient fixées de manière à ce que, selon l’état de la science et l’expérience, les immissions inférieures à ces valeurs ne gênent pas de manière sensible la population dans son bien-être. Afin d’acquérir des connaissances actualisées sur les effets du bruit, l’étude SiRENE («short and long term effects of transportation noise exposure») a été lancée en 2013 avec le soutien de la Commission fédérale pour la lutte contre le bruit (CFLB); dans le cadre de plusieurs études partielles, cette étude a évalué les répercussions du bruit du trafic routier, ferroviaire et aérien sur la nuisance perçue, le sommeil, le métabolisme (par ex. diabète) et les maladies cardiovasculaires, ainsi que la mortalité [5]. Une priorité particulière a été accordée à l’analyse systématique de la différence d’effet entre par ex. un bruit continu et des évènements sonores variant fortement. Par ailleurs, l’étude a évalué le rôle que jouent la sen­sibilité individuelle au bruit et la nuisance sonore in­dividuelle, les prédispositions génétiques et d’autres caractéristiques personnelles dans les répercussions du bruit du trafic sur la santé.
Dans un échantillon aléatoire représentatif de la population suisse, stratifié selon la source de bruit et le niveau sonore, il a été évalué à quel point les trois sources de bruit du trafic étaient perçues comme une nuisance sonore et dans quelle mesure les troubles du sommeil auto-rapportés étaient imputables au bruit du trafic. Dans deux grandes études épidémiologiques en cours (étude de cohorte et biobanque SAPALDIA, ainsi que Cohorte nationale suisse [CNS]), les répercussions à long terme des nuisances sonores à domicile sur le système cardiovasculaire et le métabolisme ont été évaluées en tenant compte de la pollution atmosphérique et en partie aussi d’autres facteurs, tels que le mode de vie et des biomarqueurs. Enfin, dans une étude expé­rimentale menée en laboratoire du sommeil, des volontaires ont été exposés durant 6 nuits à différentes situations sonores diffusées par haut-parleurs et les effets sur le sommeil enregistré par polysomnographie, sur le système cardiovasculaire (pression artérielle, ­variabilité de la fréquence cardiaque, etc.), sur le métabolisme (tolérance au glucose), sur des paramètres endocrinologiques (mélatonine et cortisol) et sur les performances cognitives (attention et mémoire de travail) ont été analysés le lendemain.
Dans l’étude SiRENE, les nuisances sonores causées par le trafic routier, ferroviaire et aérien ont pour la première fois été modélisées pour l’ensemble de la population suisse pour les années 2001 et 2011 [6]. Outre le niveau d’exposition moyen, d’autres caractéristiques, comme par ex. la répartition au fil de la journée ou l’«événementialité» de la nuisance, ont également été analysées. Afin de cerner ce dernier paramètre, une nouvelle unité de mesure, le rapport d’intermittence («intermittency ­ratio» [IR]), a été développée; cet indicateur exprime la contribution en % des évènements sonores individuels (par ex.  survols d’avions ou passages de trains) à la nuisance sonore totale [7]. Les bruits de trains et d’avions sont par ex. composés d’une juxtaposition d’évènements sonores individuels et présentent donc à priori un IR ­relativement élevé, qui est uniquement réduit dans les situations avec un bruit de fond important (fig. 1). A de courtes distances et en cas de volume de trafic faible, le bruit du trafic routier présente également un IR élevé, tandis que les distances plus grandes et les trafics plus denses (par ex. une autoroute à une distance de 500 m) sont plutôt associés à un bruit sourd et uniforme et donc à un IR plus faible. La figure 1 illustre les différences de ­niveau sonore sur la durée entre une situation sonore avec un IR élevé (bruit du trafic ferroviaire) et une situation sonore avec un IR faible (bruit du trafic routier).
Figure 1: Exemples d’évolution du niveau sonore sur la durée pour A) le bruit ferroviaire (rapport d’intermittence [IR] = 87%) et B) le bruit routier caractérisé par des bruits plutôt uniformes sans évènements sonores nets (IR = 19%), pour un niveau sonore moyen identique. Pour calculer l’IR, le niveau sonore moyen pour chaque heure est tout d’abord modélisé. L’IR est obtenu en divisant l’énergie acoustique des évènements ­sonores qui se situent à >3 dB au-dessus du niveau sonore horaire moyen (bandes grises) par l’énergie acoustique totale de l’heure correspondante (surface sous la courbe).

Exposition au bruit en Suisse

Les calculs du bruit à l’échelle de toute la Suisse ont révélé qu’en 2011, env. 40% de la population était exposée durant la journée à un bruit routier de plus de 55 dB à son domicile. Pour le bruit ferroviaire et aérien, les proportions respectives étaient de 5 et 2% (fig. 2). Durant la nuit, les pourcentages de la population exposés à des bruits >55 dB s’élevaient à 15% pour les bruits routiers, 4% pour les bruits ferroviaires et 0,1% pour les bruits aériens. Les mesures du bruit dans 102 habitations qui ont été réalisées dans le cadre du projet ont montré que le bruit extérieur était en moyenne atténué de 28 dB en cas de fenêtres fermées, de 16 dB en cas de fenêtres en position basculée et de 10 dB en cas de fenêtres ouvertes [8].
Figure 2: Pourcentage de personnes de la population suisse par classes d’exposition pour le bruit routier (rouge), ferroviaire (vert) et aérien (bleu) le jour (en haut) et la nuit (en bas). La modélisation pour le point de façade le plus bruyant de l’habitation est à chaque fois représentée.
Une étude de validation avec des mesures hebdomadaires de l’indicateur classique du bruit (Lden)1 a montré une bonne concordance entre les valeurs modélisées et les valeurs mesurées (déviation moyenne du Lden: 1,6 ± 5,0 dB(A)) [9].

Nuisance sonore et répercussions sur le sommeil

La figure 3 montre la proportion de personnes qui éprouvent une forte gêne ou une forte perturbation du sommeil en raison du bruit en tant que fonction du niveau sonore. Les courbes pour la gêne et les troubles du sommeil sont très similaires pour le bruit routier et le bruit ferroviaire; en revanche, à niveau sonore identique, nettement plus de personnes éprouvent une gêne ou une perturbation du sommeil pour le bruit aérien. Par exemple, pour une valeur Lden de 60 dB, env. 11% des personnes se sont senties fortement gênées par le bruit routier ou ferroviaire, alors qu’elles sont env. trois fois plus (34%) à s’être senties gênées par le bruit aérien. La nuisance occasionnée présente une nette temporalité journalière. La nuisance sonore est la plus faible la journée entre 9 et 16 heures. Elle est la plus élevée le matin et le soir, ainsi que la nuit pour le bruit ferroviaire. Contrairement à l’hypothèse de l’étude formulée à priori, le bruit routier évènementiel avec un IR élevé causait une nuisance moins élevée que le bruit routier continu, par ex. provenant d’une autoroute. Pour le bruit ferroviaire et aérien, une tendance inverse a été observée.
Figure 3: Proportion de personnes très gênées (A) et proportion de personnes avec sommeil très perturbé (B) en fonction de la nuisance causée par le bruit routier, ferroviaire et aérien (y compris intervalles de confiance à 95%).
Des études expérimentales sur les répercussions aiguës de situations de bruit routier et ferroviaire ont été menées en laboratoire du sommeil chez 26 personnes jeunes (19–33 ans) et 18 personnes âgées (51–70 ans) ­durant six nuits. Les participants ont été exposés à un bruit de fond faible de 30 dB au cours de la première et de la dernière nuit au laboratoire du sommeil, et à quatre situations de bruit différentes (bruit routier et ferroviaire), avec des IR variables mais un niveau sonore moyen identique (Leq = 45 dB), durant les quatre nuits intermédiaires. Il s’est avéré que les évènements bruyants durant la nuit avaient une influence négative sur la qualité du sommeil évaluée subjectivement et sur la «fraîcheur» matinale subjective (fig. 4). Au moyen de la polysomnographie, davantage d’éveils corticaux brefs (accélération de la fréquence à l’électroencéphalogramme) ont été mesurés durant les nuits avec du bruit que durant les nuits avec un faible bruit de fond [10]. Cela n’a toutefois pas affecté l’efficience du sommeil sur toute la nuit. Il s’est également avéré que le bruit évè­nementiel était à l’origine d’une plus longue durée d’endormissement (stade de sommeil 2) et de davantage de changements des stades du sommeil. Une analyse des réactions aux bruits ferroviaires a confirmé qu’outre le niveau sonore maximal d’un évènement, la soudaineté jouait également un rôle dans la probabilité de réveil. Cela signifie que plus le niveau sonore augmente rapidement, plus la probabilité de réveil est élevée.
Figure 4: Qualité subjective du sommeil après les nuits avec un rapport d’intermittence (IR) variable par rapport à la première (BL) et à la dernière (RC) nuit avec faible bruit (30 dB) pour les deux groupes d’âge. Les différences statistiquement significatives sont marquées d’une étoile.

Tolérance au glucose et diabète

Après quatre nuits de bruit au laboratoire du sommeil, la tolérance au glucose et la sensibilité à l’insuline étaient réduites chez les volontaires jeunes par rapport à la première nuit sans bruit de trafic [11]. Après les nuits avec un IR élevé, la régulation du glucose restait toujours altérée à l’issue de la nuit de récupération consécutive sans bruit de trafic, alors qu’après les nuits avec un faible IR, la régulation du glucose s’était rétablie une nuit plus tard.
Ces résultats concordent avec ceux de l’étude SAPALDIA [12]. Dans une cohorte de 2631 personnes, après prise en compte d’une multitude de facteurs d’influence, tels que la pollution atmosphérique, les habitudes alimentaires et les habitudes en matière d’activité physique, le risque de développer un diabète a augmenté de 35% (intervalle de confiance à 95% [IC]: 2–78%) entre 2002 et 2011 pour une augmentation de 10 dB du bruit du trafic routier sur le lieu de résidence (fig. 5). Une tendance à une association avec le bruit aérien a aussi été constatée, mais seul un faible nombre de participants habitaient dans des régions très affectées par le bruit aérien. La relation avec le bruit était linéaire et sans valeur seuil identifiable. L’élévation du risque pour le bruit routier était indépendante de la pollution atmosphérique, de l’IR, de la nuisance sonore subjective et de la sensibilité au bruit, mais elle augmentait avec le nom­bre d’évènements bruyants. Une tendance à une plus forte corrélation a été observée chez les personnes qui rapportaient simultanément des troubles du sommeil.
Figure 5: Corrélation entre le bruit du trafic et le risque de survenue d’un diabète. Les tailles d’effet représentées se rapportent à la différence au niveau de la nuisance sonore entre le 1 er et le 4 e quartile de la cohorte SAPALDIA (10 dB pour toutes les mesures du bruit routier, 11 dB pour toutes les mesures du bruit ferroviaire et 12 dB pour toutes les mesures du bruit aérien). Toutes les valeurs sont ajustées pour l’âge, le sexe, le niveau d’éducation, l’indice socio-économique du logement, le statut et l’intensité tabagiques, la consommation de fruits et légumes, l’activité physique, l’indice de masse corporelle au fil du temps et la région d’étude (adapted/ translated with permission from [12]: Eze IC, et al. Long-term exposure to transportation noise and air pollution in relation to incident diabetes in the SAPALDIA study. Int J Epidemiol. 2017;46(4):1115–25. doi:10.1093/ije/dyx020 . © The Author 2017. Published by Oxford University Press on behalf of the International Epidemiological Association. This figure is not covered by the Open-Access licence of this publication. For permissions contact journals.permissions@oup.com).
Des analyses génétiques réalisées chez les participants de l’étude SAPALDIA ont soutenu la causalité de cette ­association observée [13]. La corrélation entre le bruit du trafic et l’hémoglobine glyquée (un indicateur à long terme de la glycémie) était particulièrement marquée chez les personnes génétiquement prédisposées à un ­dérèglement du rythme circadien de la mélatonine. L’augmentation de l’hémoglobine glyquée parallèlement à l’augmentation du bruit du trafic était la plus forte chez les patients souffrant déjà de diabète. L’étude SAPALDIA a aussi montré que le risque de surpoids augmentait avec la nuisance sonore sur le lieu de résidence [14] et que ­l’activité physique diminuait [15]. Cela indique que les troubles du sommeil liés au bruit et une diminution du plaisir de bouger au cours de la journée peuvent également avoir des répercussions négatives à long terme sur le métabolisme et le système cardiovasculaire.

Système cardiovasculaire

Dans l’étude SAPALDIA, l’influence du bruit sur la rigidité artérielle a également été évaluée [16]. Plus la rigidité artérielle est élevée, plus le risque de maladie cardiovasculaire ultérieure est élevé. Toujours en tenant compte d’une multitude de facteurs d’influence, tels que le tabagisme et l’activité physique, il s’est avéré que la rigidité artérielle augmentait parallèlement à l’exposition au bruit ferroviaire sur le lieu de résidence chez les 2775 participants de l’étude. Cette relation était elle aussi indépendante de la pollution atmosphérique sur le lieu de résidence, de la nuisance sonore subjective et de la sensibilité au bruit. L’association était un peu plus prononcée chez les personnes avec une fatigue diurne élevée et un IR élevé durant la nuit.
Dans l’étude CNS, tous les décès cardiovasculaires survenus en Suisse entre 2000 et 2008 ont été analysés en rapport avec l’exposition au bruit sur le lieu de ré­sidence [17]. La plus forte association avec le bruit du trafic a été constatée pour les décès par infarctus du myocarde (fig. 6). Par rapport aux personnes peu exposées, le risque de mortalité était significativement accru à partir d’une valeur Lden de 40–50 dB, en fonction de la source de bruit. Pour toute augmentation de 10 dB, le risque de décéder d’un infarctus du myocarde augmentait de 4,0% (IC à 95% 2,1–5,9%) pour le bruit routier, de 2,0% (IC à 95% 0,7–3,3%) pour le bruit ferroviaire et de 2,7% (IC à 95% 0,6–4,3%) pour le bruit aérien. Indépendamment du niveau sonore, l’IR jouait un rôle. Le risque de mortalité était davantage accru en cas d’IR moyen par rapport à un IR faible ou très élevé. Les décès liés à d’autres causes cardiovasculaires, telles que l’hypertension, l’insuffisance cardiaque ou les accidents vasculaires cérébraux ischémiques, étaient également associés au bruit du trafic, l’association la plus forte ayant été observée avec le bruit routier. Les associations avec le bruit observées étaient indépendantes de la pollution atmosphérique. Des analyses supplémentaires indiquent que le bruit nocturne est tout ­particulièrement problématique pour les affections cardiaques aiguës, tandis que le bruit diurne semble jouer un rôle plus important pour les affections non ­aiguës, telles que l’insuffisance cardiaque [18].
Figure 6: Relation entre le bruit routier, ferroviaire et aérien (L den modélisé au niveau de la façade la plus bruyante) et le risque de mortalité par infarctus du myocarde (y compris IC à 95%) (adapted/translated by permission from [17]: Héritier H, et al. Transportation noise exposure and cardiovascular ­mortality: a nationwide cohort study from Switzerland. Eur J Epidemiol. 2017;32(4):307–15. doi:10.1007/s10654-017-0234-2 . © Springer Science+Business Media Dordrecht 2017).

Discussion

Avec l’étude SiRENE, il a pour la première fois été possible d’évaluer les répercussions sur la santé du bruit routier, ferroviaire et aérien dans un contexte plus vaste en Suisse. Une force de l’étude réside dans la modélisation détaillée et globale de l’exposition aux trois principales sources de bruit du trafic pour les études épidémiologiques et l’enquête auprès de la population, ainsi que dans les simulations du bruit proches de la réalité en laboratoire du sommeil. La nouvelle unité de mesure développée, l’IR, a non seulement permis d’évaluer l’exposition moyenne au bruit, mais aussi l’influence de l’événementialité. La combinaison de méthodes de recherche expérimentales et épidémiologiques contribue à une meilleure compréhension de la causalité des associations observées. Ainsi, les maladies et décès observés dans les deux études épidémiologiques peuvent être expliqués de façon plausible par les effets physiologiques aigus observés dans l’étude expérimentale en laboratoire du sommeil et par les paramètres subcliniques dans l’étude SAPALDIA. Toutefois, il y avait aussi certains résultats qui n’étaient pas totalement cohérents et qui s’expliquent potentiellement par les faiblesses typiques de ces études. Dans les études observationnelles, il s’agit par ex. d’erreurs dans l’estimation de l’exposition à long terme ou de l’influence d’autres facteurs non contrôlables. Dans les études expérimentales, il existe des incertitudes quant à savoir dans quelle mesure les résultats peuvent être généralisés à l’ensemble de la population et aux situations d’exposition réelles habituelles sur le lieu de résidence.
Une hypothèse de départ de SiRENE était qu’à un niveau sonore moyen identique, le bruit évènementiel était plus néfaste et gênant que le bruit continu. Cette hypothèse n’a pas pu être clairement confirmée. Certes, des effets plus nets pour de nombreux paramètres ont été constatés à un IR élevé au laboratoire du sommeil et la rigidité artérielle augmentait parallèlement à l’IR nocturne dans SAPALDIA. Toutefois, c’est avant tout un IR moyen qui était problématique pour les décès cardiovasculaires aigus; qui plus est, pour les décès cardiovasculaires liés à une affection de base chronique et pour la nuisance sonore causée par le bruit routier, les associations les plus fortes ont été observées avec le bruit continu (IR faible). Comme on pourrait donc le soupçonner, la caractéristique du bruit semble certes jouer un rôle, mais avec des différences en fonction de la source du bruit et de la répercussion considérée. Des études supplémentaires doivent déterminer si les tendances observées dans SiRENE se confirment ou si d’autres descripteurs sont nécessaires, comme par ex. la durée des pauses entres les évènements bruyants ou la vitesse de modification du niveau sonore, pour expliquer les effets observés. Une meilleure compréhension des indicateurs de nuisance sonore critiques pour la santé constitue la base pour une lutte contre le bruit et une réglementation du bruit adéquates. Ainsi, il est possible d’étayer scientifiquement les bonus ou malus existant actuellement pour certaines sources de bruit et, le cas échéant, de les appliquer génériquement pour d’autres types de bruits pour lesquels la réalisation d’études empiriques est impossible. Il existe par ex. dans l’Ordonnance sur la protection contre le bruit un «bonus ferroviaire» d’au moins 5 dB. SiRENE fournit à présent des données pour évaluer empiriquement si ce bonus est justifié. Il s’est ainsi avéré qu’à la fois en cas de nuisance et de troubles du sommeil induits par le bruit, le bruit ferroviaire n’est aucunement moins gênant que le bruit routier. Néanmoins, les associations entre le bruit et le diabète/la mortalité par infarctus du myocarde étaient moins prononcées pour le bruit ferroviaire que pour le bruit routier.
L’étude SiRENE fournit différents éléments indiquant que les troubles du sommeil induits par le bruit peuvent avoir des répercussions à long terme sur la santé. Toutefois, SiRENE révèle également que le bruit durant la journée a lui aussi un impact pertinent sur la santé. La nuisance occasionnée par le bruit est particulièrement marquée le matin et le soir. Et pour les décès cardiaques non aigus, l’exposition au bruit diurne jouait un rôle plus pertinent que l’exposition au bruit nocturne. Cela indique que les troubles du sommeil induits par le bruit sont un médiateur majeur pour les affections cardiaques aiguës, tandis que la sécrétion chronique d’hormones du stress pourrait jouer un rôle essentiel dans les maladies cardiaques non aiguës. Une multitude de mécanismes biologiques contribuent donc probablement aux répercussions du bruit sur la santé. Les troubles du sommeil, une motivation réduite à l’activité physique et l’activation du système nerveux sympathique sont trois des processus potentiels, parmi d’autres, qui sont probablement aussi liés entre eux. Il est fondamentalement souhaitable d’acquérir une meilleure compréhension des périodes de temps particulièrement critiques pour pouvoir instaurer une réglementation du bruit du trafic qui soit axée sur les résultats et basée sur l’évidence.
L’étude SiRENE n’a pas permis de répondre définitivement à la question de savoir si la nuisance sonore ou la sensibilité individuelle au bruit ont un effet modificateur supplémentaire sur les paramètres somatiques-médicaux. Les résultats de l’étude SAPALDIA n’indiquent pas que le bruit serait plus néfaste pour les personnes qui se sentent gênées par le bruit. Autrement dit, le bruit est également néfaste pour les personnes qui ne sont pas gênées par le bruit. Afin d’acquérir une meilleure compréhension des effets modificateurs potentiels de la nuisance sonore et de la sensibilité individuelle au bruit, les études de cohorte futures devront dans la mesure du possible utiliser des instruments objectifs et indépendants du contexte, qui mesurent ces aspects.
SiRENE confirme une tendance généralement observée dans la recherche sur le bruit: la meilleure modélisation du bruit permet mieux qu’autrefois de mettre en évidence des effets sur la santé déjà en cas de faible nuisance sonore. Le fait que le bruit du trafic provoque aujourd’hui une plus grande nuisance que ce à quoi il faudrait s’attendre d’après les courbes de l’UE sur 20 ans [19] correspond lui aussi à une tendance générale dans la recherche sur le bruit. Dans SiRENE comme dans de nombreuses autres études récentes, il n’est plus possible d’identifier un éventuel seuil inférieur au-dessous duquel le bruit n’est pas néfaste pour la santé ou n’entraîne pas de nuisance. Ainsi, il semble y avoir une relation exposition-effet linéaire sans valeur seuil pour le bruit, comme cela est par ex. aussi postulé pour les polluants atmosphériques et les rayonnements ionisants. D’une part, cela implique que les valeurs limites de bruit actuellement en vigueur ne confèrent pas une protection complète de la santé et qu’il n’est pas raisonnablement possible de déterminer de telles valeurs ­limites offrant une protection totale. D’autre part, cela signifie que toute mesure contribuant à une réduction de la nuisance sonore, aussi petite ou insignifiante qu’elle puisse paraître, est également susceptible d’améliorer l’état de santé de la population. Il faudrait en tenir compte dans le cadre de la réglementation du bruit.

L’essentiel pour la pratique

• En extrapolant les résultats de SiRENE à l’ensemble de la Suisse, il apparaît que la nuisance causée par le bruit routier, ferroviaire et aérien est responsable chaque année d’env. 2500 cas de diabète et d’env. 500 décès cardiovasculaires.
• Outre les facteurs de risque individuels classiques, tels que le manque d’activité physique, l’alimentation riche en graisses/sucres et le tabagisme, la nuisance sonore sur le lieu de résidence peut également accroître le risque de maladies cardiométaboliques.
• Une réduction de la nuisance sonore peut contribuer à la prévention des maladies cardiométaboliques.
• Dans le cadre du traitement d’un diabète ou d’une maladie cardiovasculaire, il convient de vérifier si une réduction du bruit sur le lieu de résidence peut être mise en œuvre en tant que mesure concomitante et si cela ­génère un bénéfice thérapeutique supplémentaire.
L’étude SiRENE a été financée par le Fonds national suisse (FNS) avec ­l’instrument d’encouragement Sinergia (CRSII3_147635) et par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). L’étude SAPALDIA (IP N. Probst-Hensch) est financée en continu depuis 1991 par le FNS: numéros 33CS30-148470/1&2, 33CSCO-134276/1, 33CSCO-108796, 324730_135673, 3247BO-104283, 3247BO-104288, 3247BO-104284, 3247-065896, 3100-059302, 3200-052720, 3200-042532, 4026-028099, PMPDP3_129021/1, PMPDP3_141671/1. L’étude CNS est également financée par le FNS (numéros 3347CO-108806, 33CS30_134273). Les membres du groupe CNS sont Matthias Egger (co-IP), Milo Puhan (co-IP), Adrian Spoerri, Marcel Zwahlen, Matthias Bopp, Nino Künzli, Michel Oris et Murielle Bochud.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr Martin Röösli
Swiss TPH
Socinstrasse 57
CH-4051 Basel
martin.roosli[at]swisstph.ch
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