Pièges de la médecine fondée sur les preuves
L’expérience individuelle et le souhait du patient risquent de se perdre

Pièges de la médecine fondée sur les preuves

Aktuell
Édition
2019/1516
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.08056
Forum Med Suisse. 2019;19(1516):254-258

Affiliations
a Universitätsklinik für Kardiologie, Inselspital, Bern; b Kardiologie, Universitäres Herzzentrum, UniversitätsSpital Zürich

Publié le 10.04.2019

La médecine fondée sur les preuves est le Saint Graal de la pratique médicale. Elle est censée optimiser l’accompagnement des patients et garantir l’intégrité scientifique. Cela fonctionne jusqu’à un certain point.

Introduction

Le terme de médecine fondée sur les preuves («evidence-based medicine») apparaît pour la première fois dans la littérature anglaise au début des années 1990 et est aujourd’hui incontournable [1, 2]. Le groupe de recherche de l’époque a défini la médecine fondée sur les preuves de la manière suivante: «Utilisation consciencieuse, précise et prudente des meilleures preuves actuellement disponibles pour les décisions relatives à la prise en charge d’un patient individuel». Cela impliquait dès le début d’intégrer dans la prise de décision à la fois les preuves issues de la recherche systématique, les résultats individuels de la recherche clinique et la préférence du patient. Ce dernier élément en particulier risque de se perdre. De nos jours, la médecine fondée sur les preuves est assimilée à la classification d’Oxford (http://www.cebm.net/index.aspx?o=5653) (tab. 1) [3, 4].
Tableau 1: Représentation simplifiée des classes de recommandation et niveaux de preuve de la Société européenne de cardiologie, modifié d’après [3].
Classe de recommandation
IPreuves ou consensus général qu’un traitement ou un procédé est utile, bénéfique et efficace.
Le traitement ou le procédé est recommandé et indiqué.
IIPreuves contradictoires ou avis divergents quant à l’utilité ou à l’efficacité d’un ­traitement ou procédé.
 IIaLes preuves et les avis sont globalement positifs concernant l’utilité et l’efficacité.
 Le traitement ou le procédé devrait être envisagé.
 IIbL’utilité et l’efficacité ne sont pas véritablement bien établies par les preuves ou l’opinion générale.
 Le traitement ou le procédé peut être envisagé.
IIIPreuves ou avis général que le traitement ou le procédé n’est pas utile ou efficace et peut même être dommageable dans certains cas.
Le traitement ou le procédé n’est pas recommandé.
Niveau de preuve
ADonnées provenant de plusieurs études cliniques randomisées ou méta-analyses.
BDonnées provenant d’une étude randomisée ou de grandes études non randomisées.
CConsensus d’experts ou petites études rétrospectives ou registres.

Médecine fondée sur les preuves et point de vue de l’industrie médicale

L’industrie médicale présente un intérêt scientifique à créer des preuves sur la base de nombres les plus élevés possibles de patients avec peu de critères de sélection. Lorsque, dans une telle étude, les preuves en faveur de leur produit s’avèrent positives (les lecteurs hâtifs ­négligent souvent le fait que le bénéfice absolu soit éventuellement moindre), la clientèle est abondante. Mais des personnes (pratiquement) saines ne profitant guère ou pas du tout du traitement sont pareillement transformées en patients et dès lors traitées. Ce qui suit sert d’exemples théoriques:
Un fabricant de lunettes de lecture réalise une étude randomisée et inclut l’ensemble de la population mondiale. La moitié du collectif est équipée de lunettes de lecture, l’autre moitié de lunettes en verre à vitre. Le test de lecture indique un avantage hautement significatif de la moitié porteuse de lunettes de lecture. Il en résulte la conclusion logique que, sur la base de cette grande étude en double aveugle (l’expression est quelque peu malheureuse dans ce contexte), bien contrôlée et dont le résultat est positif, l’ensemble de la population mondiale devrait être équipé de lunettes de lecture. Cette recommandation serait ici de catégorie I avec niveau de preuve B (tab. 1). Cela vaut effectivement pour les personnes âgées dans le monde. Elles sont à l’origine du résultat positif de l’étude. Pour les jeunes individus, cela n’a aucun sens.
Si des patients sont inclus dans une étude portant sur un antihypertenseur à partir d’une pression artérielle systolique de 130 mm Hg, le médicament peut bel et bien exercer un effet positif sur les critères d’évaluation clinique en présence d’une population d’étude ­suffisamment importante. Les patients présentant une pression artérielle systolique élevée (par exemple supérieure à 150 mm Hg) sont néanmoins déterminants en vue du résultat positif. Si seuls ces patients avaient été inclus, il aurait été possible d’obtenir une étude ­positive présentant en outre un bénéfice absolu supérieur avec moins de patients inclus, mais le médicament n’aurait ensuite été indiqué que pour un groupe de patients considérablement restreint [5].

Médecine fondée sur les preuves et ­rigueur de publication

Afin d’éviter des publications embellies ou manipulées, un code strict s’est établi, que respectent toutes les revues médicales avec d’autant plus de rigueur qu’elles sont reconnues. Sur le plan théologique, ceci est pertinent et incontestable. Toutefois, cela a parfois pour conséquence de priver les patients pendant des années de progrès mûrs pour le marché.
L’élaboration du protocole de recherche nécessite par exemple un enregistrement ou une publication correspondante avant que l’étude elle-même ne débute. Ensuite, il est en principe impossible de modifier ce ­protocole. Des changements indispensables sont éventuellement réalisables, mais uniquement à grands frais, correspondant pratiquement au coût d’élaboration. Si l’étude fournit des résultats qui ne sont pas mentionnés comme objets d’examen dans le protocole, ceux-ci n’ont pas le droit d’être publiés. Il peut s’agir de résultats émanant de sous-groupes non prédéfinis, de résultats qui ne se sont concrétisés qu’après la période de déroulement définie ou de résultats simplement inattendus. Par ailleurs, il est presque toujours exigé que les résultats soient analysés selon le principe «intention to treat». Cela signifie que les patients sont évalués dans le groupe d’étude auquel ils ont initialement été assignés, même s’ils ont reçu le traitement (ou justement aucun traitement) d’un autre groupe quelle qu’en soit la raison.
Un exemple exagéré est illustré par une étude ouverte et randomisée destinée à examiner si sauter d’un avion est plus sûr avec ou sans parachute. Le parachute est la nouvelle méthode qui doit s’avérer supérieure. Il s’agit donc d’une étude de supériorité et non pas d’une étude de non-infériorité. La durée d’observation a été fixée à 3 minutes. Lors de l’exécution de l’étude, l’altitude de vol était si élevée que personne n’a atteint le sol en 3 minutes. En outre, quelques personnes dans l’avion ont été assignées au mauvais groupe ou ont oublié de mettre le parachute qui leur avait été attribué. En raison du critère de durée du déroulement, l’étude doit être publiée de sorte que le parachute n’a apporté ­aucun avantage, puisqu’au bout des 3 minutes prédéfinies pour l’observation de l’évolution, tous les sujets étaient en vie. Le groupe avec parachute a subi quelques égratignures et foulures des doigts pendant la fixation du parachute. Il convient donc de mentionner également que des effets indésirables sont survenus uniquement dans le groupe avec parachute. Le parachute n’a pas été en mesure de prouver la supériorité postulée et il est par conséquent déconseillé. En principe, il est interdit de mentionner dans la première publication des résultats qu’après la durée de déroulement pré-­définie de 3 minutes, tous les sujets sans parachute sont décédés et tous ceux avec parachute ont survécu lorsqu’ils ont atteint le sol. Même pour une durée ­d’observation suffisante, la signification statistique de la supériorité du parachute n’est éventuellement pas obtenue en raison de l’exigence d’analyser les résultats selon le principe «intention to treat». Les sujets assignés au ­parachute qui ont sauté sans parachute sont évalués comme cas de décès dans le groupe avec parachute. Dans ce cas, il conviendrait également de conclure que le parachute n’est pas indiqué puisqu’il n’entraîne ­aucune réduction significative de la mortalité, mais s’accompagne d’effets indésirables.
Dans le cas de la fermeture du foramen ovale perméable (FOP), ces mécanismes ont eu pour conséquence que, pendant des années, cette intervention a été déconseillée bien que les données étaient clairement en sa faveur. Les premières études randomisées avaient prévu des périodes de déroulement trop courtes [6, 7]. Dans l’une des études, la durée avait été prédéfinie à 5 ans [6]. En raison d’un recrutement lent, quelques ­patients avaient été inclus dans l’étude pendant 10 ans et plus. Toutefois, seuls les huit événements cérébraux récidivants des 5 premières années ont pu être évalués. Selon la définition actuelle classique des accidents cérébraux ischémiques, il en est survenu sept dans le groupe témoin et un seul dans le groupe de fermeture du FOP. Cela n’était pas significatif sur le plan statistique. Si les événements ultérieurs avaient également pu être évalués, la pertinence statistique aurait été atteinte. L’autre étude présentant un nombre quelque peu supérieur de patients a été évaluée conformément au protocole après 25 accidents vasculaires cérébraux (AVC) récidivants [7]. Selon le principe «intention to treat» prévu dans le protocole, 16 AVC sont survenus dans le groupe témoin et neuf dans le groupe avec fermeture du FOP. Cela a donné une valeur p de 0,08, mais le critère de pertinence statistique exigeait p ≤0,05. Quatre des AVC survenus dans le groupe avec fermeture du FOP concernaient toutefois des patients dont le FOP n’avait pas été fermé. Selon l’analyse «intention to treat», leurs résultats ont été évalués comme AVC à la suite d’une fermeture de FOP. S’ils avaient été exclus, la différence se ­serait révélée significativement en faveur de la fermeture du FOP (16 contre 5 AVC, p = 0,007). Si l’analyse avait été évaluée conformément à la procédure thérapeutique effective, le rapport aurait même été de 20 AVC récidivants avec traitement médicamenteux contre cinq à la suite d’une fermeture de FOP, une ­réduction des AVC de 75% présentant une pertinence statistique encore plus élevée. Les deux études ont été publiées en tant qu’études négatives avec la conclusion que le FOP ne doit pas être fermé chez de tels patients. Etant donné qu’il s’agissait d’études de su­pério­rité, il était interdit de mentionner que la non-infériorité de la fermeture du FOP était pour le moins prouvée. Si les études avaient été prédéfinies comme des études de non-infériorité, il aurait été possible d’évoquer que les deux méthodes thérapeutiques pouvaient être envisagées: anticoagulants à vie ou ­fermeture du FOP. Ainsi, l’anticoagulation à vie a dû continuer d’être recommandée. Il n’était pas permis de mentionner que, au vu de réflexions pratiques, financières et médicales, la ­fermeture brève, simple et indolore du FOP, déjà ­qualifiée également de «vaccination mécanique» [8], doit être considérée comme supérieure à l’anticoagulation à vie accompagnée d’un risque hémorragique non négligeable et même croissant avec l’âge ainsi que de coûts ne cessant d’augmenter. Dans le cadre de la médecine fondée sur les preuves, ceci équivaut à «générer simplement des hypothèses», mais sans apporter ­aucune preuve. Seules des études randomisées ­ultérieures [9, 10], conçues un peu plus judicieusement, ainsi qu’une réévaluation prévue après une période prolongée dans le protocole primaire de l’une des études précédentes [11] ont enfin prouvé l’avantage de la fermeture du FOP par rapport au traitement conservateur comme significatif sur le plan statistique. La première publication de cette étude analysée à deux reprises estimait une valeur p de 0,08 qui a baissé à 0,046 après un suivi prolongé. La valeur p représente la probabilité – c’est-à-dire le risque d’erreur – que ­l’hypothèse nulle examinée soit correcte. Cette probabilité s’élevait initialement à 8% et a baissée à 4,6% sous observation plus poussée. Ce n’est que la réduction de la probabilité d’erreur de 3,4% (en dessous du seuil classique de pertinence de 5%) qui a eu pour conséquence la considération et l’acceptation de la fermeture du FOP comme étant fondée sur les preuves. Pendant des années, des patients ont donc été traités de manière non optimale du fait de la médecine fondée sur les preuves et de la rigueur de publication, et personne ne semble avoir mauvaise conscience en ce qui concerne les AVC évitables qui se sont produits ­durant cette période.
Similairement, les chiffres obtenus dans trois études randomisées relatives à la fermeture du FOP ont montré un effet sur l’amélioration des migraines, mais ­aucune d’entre elles n’a révélé une amélioration significative de son critère primaire d’évaluation prédéfini [12–14]. C’est pourquoi la fermeture du FOP est jusqu’à présent déconseillée chez les patients migraineux, bien que la non-infériorité par rapport à un traitement médicamenteux intensif soit au moins prouvée. Cela ne peut pas être évoqué car les études étaient conçues comme des études de supériorité. Il suffit par ailleurs d’échanger les critères primaires d’évaluation des deux études principales [12, 13], arbitrairement définis près de 10 ans avant la publication, pour obtenir deux études significativement positives [8]. Il serait également essentiel de mentionner qu’après la fermeture du FOP en raison de migraines apparaît l’avantage collatéral à vie de ne plus avoir d’éventuelles embolies paradoxales et d’éviter ainsi des AVC et des infarctus du myocarde. La rigueur de publication ne le permet pas.

Médecine fondée sur les preuves et bon sens

Des études randomisées, contrôlées, correctement conçues et exécutées produisent parfois des preuves incompatibles avec le bon sens, et ce d’autant plus lorsque seule la conclusion est prise en considération. Pendant des années, traverser la rue impliquait de regarder d’abord à gauche, puis à droite à partir du milieu de la rue. Il paraît désormais une étude qui prouve qu’il est plus sûr de traverser la rue en regardant d’abord à droite, puis à gauche à partir du milieu de la rue. Un tel résultat peut par exemple se produire lorsque l’étude est réalisée dans un pays où la conduite s’effectue à gauche ou lorsque des rues à sens unique avec circu­lation venant de la droite sont utilisées. Cela est mentionné dans la méthode d’étude. En revanche, la conclusion de l’étude indique simplement qu’il est plus sûr de regarder d’abord à droite. La plupart des gens ne liront que la conclusion. Néanmoins, la réaction normale sera de maintenir ses habitudes éprouvées et de ne pas s’adapter à l’étude. Fort heureusement!
Une étude récemment publiée a montré, dans une conception d’étude en soi irréprochable, qu’il n’existe aucune différence, chez les patients présentant une seule sténose coronaire pertinente, entre l’élimination de cette sténose à l’aide d’un stent et la poursuite du simple traitement médicamenteux lorsqu’il est laissé croire aux patients que le rétrécissement a éventuellement été éliminé [15]. Cette procédure dite «placebo» informe au préalable les patients de l’étude qu’aucun traitement n’est réalisé chez la moitié des patients, mais que cela ne sera pas communiqué aux patients avant la fin de l’étude. Par l’intermédiaire de sons produits par un casque ainsi qu’en bloquant la vue et le flux d’informations, le patient ignore si un stent est mis en place ou s’il s’écoule uniquement le temps néces­saire à la pose du stent. Cela a pour conséquence que les patients sans stent s’imaginent aussi parfois une amélioration, puisqu’ils supposent avoir reçu un stent (effet placebo). En revanche, certains patients chez lesquels un stent a effectivement été mis en place partent du principe qu’ils appartiennent au groupe ­témoin et n’attendent par conséquent aucune amélioration de leurs symptômes. Cette constellation n’inverse certes pas l’effet réel, mais réduit une éventuelle différence en faveur du groupe avec stent. Les résultats de l’étude en question n’ont tout simplement pas de sens [16]. Le groupe avec stent a certes montré une ­prolongation non significative de la tolérance à l’effort sur le tapis roulant ainsi qu’une ischémie significa­tivement moindre à l’échocardiographie de stress. Toute­fois, la consommation maximale d’oxygène était ­légèrement réduite. Le fait est que l’implantation d’un stent, en cas de sténose coronaire marquée mais unique et en présence de symptômes typiques, élimine régulièrement et avec fiabilité l’angine de poitrine. Presque comme si un interrupteur avait été ­actionné. Un test d’effort réalisé quelques minutes avant l’intervention provoque les symptômes typiques ainsi que des baisses du segment ST à l’ECG. Le test d’effort peut être répété immédiatement après l’intervention et s’avère alors normalisé dans pratiquement tous les cas sans exception. Le fait que cela ne soit apparemment que rarement le cas parmi les 100 patients de cette étude est inexplicable. Seule la moitié des patients avec stent ont ­déclaré être exempts de symptômes à la fin des 6 semaines d’étude. Il s’agit de plus de 90% dans l’expérience pratique. Etant donné que, dans le groupe n’ayant reçu ­aucun stent (groupe placebo), des complications significatives sont survenues chez 6% des patients lors de l’examen par cathéter en vue de la mesure de la réserve coronaire, les patients randomisés dans le bras conservateur, ayant été cathétérisés sans la possibilité d’un béné­fice thérapeutique, ont été non seulement désavantagés, mais aussi mis en péril de manière juridiquement préoccupante. La pose d’un stent dans une sténose simple ne dure actuellement que 5 minutes en plus de l’angiographie diagnostique et comporte un risque global durant le suivi – y compris pendant l’intervention – inférieur à 2%, dont 1% est éventuellement imputable au stent. Cela doit être considéré relativement au risque que représente le non-traitement de la sténose par stent. Celui-ci est constitué du risque d’une rupture de la plaque avec infarctus myocardique aigu (environ 0,5% par an sous bonne prévention médicamenteuse) ainsi que d’une progression de la sténose exigeant ultérieurement la pose d’un stent (plus de 50%). Par ailleurs, l’implantation d’un stent permet d’interrompre notamment la prise de bêtabloquants présentant des effets indési­rables connus pour réduire la qualité de vie. Le lecteur de l’étude doit poursuivre sa lecture jusqu’à ­l’appendice pour apprendre que, durant les 6 semaines d’étude, huit événements graves sont au total survenus dans le groupe placebo (dont un infarctus du myocarde, un œdème pulmonaire et une hospitalisation en raison de douleurs ­pectorales) par rapport à aucun événement dans le groupe avec stent. Il n’est pas nécessaire d’être clairvoyant pour prévoir que la même étude avec une durée d’observation plus longue démonterait un avantage signi­ficatif en faveur des stents. Les 6 semaines d’observation correspondent aux 3 minutes d’observation de l’exemple du parachute mentionné ci-dessus. Il est intéressant de constater que les auteurs de l’étude déclarent eux-mêmes que leur résultat d’étude ne devrait pas ­empêcher la mise en place d’un stent en cas d’angine de poitrine stable [15]. Un éditorial accompagnant se voit enfoncer toutefois le dernier clou dans le cercueil de la pose de stent pour la maladie coronarienne stable [17]. Les auteurs de l’éditorial ignoraient, puisque cela n’était pas mentionné dans le travail, que 85% des ­patients du groupe placebo avaient reçu un stent à la fin de la période prédéfinie d’observation de 6 semaines. Les auteurs de l’étude reviennent eux-mêmes sur l’utilisation initiale de la médecine fondée sur les preuves, qui ­accorde une place importante à l’appréciation médicale et au souhait du patient, tandis que les auteurs de l’éditorial réagissent de manière purement basée sur les données, à l’instar d’un robot. Le bon sens aurait exigé de se demander, à juste titre mais au-delà du protocole d’étude, combien de patients ont eu besoin ou ont souhaité un traitement par stent après achèvement de l’étude. Par expérience, une telle étude n’influence guère le comportement mondial en termes d’utilisation de stent, ce qui est une bonne chose. De précédentes études avaient déjà dénié le potentiel du stent coronaire à prolonger la vie [18]. Certains avaient interprété cette observation dans ce sens que le stent ne ­devrait pas être utilisé. Si seuls les traitements médicaux ayant démontré une prolongation de la vie dans des études randomisées étaient considérés comme ­indiqués, cela justifierait à peine 10% de l’activité médicale thérapeutique actuelle. Des disciplines médicales entières, telles que la dermatologie, l’ophtalmologie, la psychiatrie et la médecine dentaire, disparaîtraient très probablement. Dans le cas du stent coronaire, la ­demande de prolongation de la vie est éventuellement compréhensible, car il s’agit d’un traitement cardiaque. La figure 1 montre que les chirurgiens cardiaques prolongent de manière significative la vie avec le pontage coronarien, puisqu’ils traitent généralement des patients atteints de maladies coronariennes graves [19]. La simple dilatation par ballonnet s’est rapprochée d’une prolongation significative de la vie. Les premiers stents ont globalement aggravé le pronostic par rapport à la simple dilatation par ballonnet, car ils ont provoqué des thromboses en cours de suivi dans une proportion de quelques pour cent, ce qui a entraîné des décès. Contrairement à l’opinion courante, les premiers stents actifs (à élution médicamenteuse) étaient certes déjà un peu mieux que les stents passifs métalliques, mais les nouvelles générations de stents actifs ont en grande partie mis fin au défaut que représente le risque de thrombose due à un stent et prouvé un effet bénéfique significatif quant à la longévité.
Figure 1: Réduction relative de la mortalité en pourcents obtenue avec différentes ­méthodes de revascularisation coronaire par rapport au traitement médicamenteux [19]. 
A la fois la chirurgie de pontage coronarien et les dernières versions de stents revêtus réduisent significativement la mortalité. Pour la dilatation par ballonnet initiale, il y avait une tendance à une réduction de la mortalité, qui a pratiquement disparu avec l’introduction des stents passifs et n’était quasiment plus présente pour la première génération (légèrement meilleure) de stents revêtus. 
* Significatif dans les études randomisées.

Conclusion

Sans vouloir réprouver de manière excessive la médecine fondée sur les preuves, il convient de ne l’intégrer que relativement dans les décisions selon les principes éprouvés de l’épistémologie. Les jeunes médecins inexpérimentés tendent particulièrement à se conformer sans réserve à la médecine fondée sur les preuves et à toujours placer les nouvelles preuves au-dessus des ­anciennes. Il leur est recommandé de demander conseil auprès de collègues plus expérimentés et de l’intégrer. Ils le font de manière instinctive lorsqu’ils sont eux-mêmes leurs propres patients ou qu’il s’agit de proches. Tout patient a le droit d’être traité comme le médecin traiterait de proches parents. Le patient doit être informé de manière individuelle et adaptée de la totalité des faits, et non pas uniquement de ce qui est exposé dans la conclusion des dernières publications. Le verdict sur les options thérapeutiques de la maladie coronarienne ne peut par exemple pas être prononcé au vu d’une étude bizarre et déconnectée de la réalité d’une durée totale de 6 semaines. La maladie évolue et le patient doit le ­savoir car il s’apprête à le vivre. La symbiose entre des preuves correctement interprétées, la propre expérience du médecin, l’expérience de collègues plus anciens et le souhait du patient informé en détail l’emporte forcément.
Prof. em. Dr. B. Meier and Dr. F. Nietlispach report speaker and proctor fees from Abbott.
Prof. em. Dr méd.
Bernhard Meier
Universitätsklinik
für Kardiologie
Departement Herz
und Gefässe
Inselspital
CH-3010 Bern
bernhard.meier[at]insel.ch
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