Récidives hémorragiques dues à des angiodysplasies gastro-intestinales
Un défi diagnostique et thérapeutique

Récidives hémorragiques dues à des angiodysplasies gastro-intestinales

Der besondere Fall
Édition
2020/0304
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08367
Forum Med Suisse. 2020;20(0304):54-56

Affiliations
a Praxis für Allgemeine Innere Medizin, Adetswil; b Departement Klinische Forschung, Universität Basel

Publié le 14.01.2020

Un patient âgé de 73 ans se présente pour une mise au point diagnostique en raison d'une anémie ferriprive chronique, d’une diminution des performances ainsi que de selles sombres malodorantes et de douleurs abdominales.

Contexte

Les angiodysplasies gastro-intestinales (ADGI) ne sont responsables que de 2–8% de l’ensemble des cas d’hémorragies gastro-intestinales [1]. Elles représentent toutefois une cause fréquente d’hémorragies occultes chez les personnes âgées, comptant pour env. 40% de ces dernières [2]. Les manifestations cliniques peuvent prendre plusieurs formes allant des hémorragies aigües pertinentes sur le plan hémodynamique à l’anémie ferriprive chronique s’installant de façon insidieuse. Le traitement des ADGI pose un problème clinique chez les patients souvent âgés et multimorbides. L’approche thérapeutique endoscopique ou chirurgicale à elle seule n’est pas toujours efficace en raison des sources d’hémorragie multifocales souvent difficilement accessibles et du taux élevé de récidives à long terme [1, 3]. Un traitement systémique est en conséquence parfois nécessaire pour traiter les ADGI avec succès [4–6].
Sur la base de la présente description de cas, nous présentons une approche thérapeutique multimodale au cours de laquelle il est également recouru à un tel traitement systémique, soit l’analogue de la somatostatine à longue durée d’action: l’octréotide. Dans la discussion, nous verrons comment les angiodysplasies se manifestent, pourquoi et comment les analogues de la somatostatine agissent dans cette situation et quelles sont les questions qui restent ouvertes dans le cadre du traitement de cette maladie.

Rapport de cas

En 2011, le patient alors âgé de 73 ans et cycliste passionné a développé un angor instable. Dans le cadre de l’intervention coronaire, une anémie ferriprive a été remarquée. De l’acétylsalicylate et du clopidogrel ont été ajoutés au traitement médicamenteux sous lequel l’anémie ferriprive s’est accentuée. Déjà un an avant la manifestation de la coronaropathie, notre patient avait observé une diminution de ses performances de cycliste, ce qui correspondait à la chute du taux d’hémoglobine, initialement insidieuse, ayant été documentée (fig. 1).
Figure 1: Effet de l’octréotide sur la substitution en fer et le taux d’hémoglobine.
La fatigue et l’abattement du patient ont persisté malgré une revascularisation efficace. Il a en outre rapporté au sujet de selles sombres malodorantes et de douleurs abdominales occasionnelles. Le tractus gastro-intestinal a été identifié en tant que source d’hémorragie au moyen d’un test Haemoccult® positif. Une gastroscopie ainsi qu’une coloscopie ont ensuite été ­réalisées pour localiser la source d’hémorragie. Une ­légère inflammation du bulbe duodénal ainsi qu’une gastrite positive à Helicobacter pylori qui auraient pu expliquer l’anémie ont été trouvées. Deux polypes du côlon ont également été observés mais n’entraient pas en ligne de compte en tant que source d’hémorragie. Un traitement par inhibiteur de la pompe à protons a été conduit pendant quatre semaines et l’infection a été éradiquée avec succès. La perte de sang gastro-­intestinale a cependant persisté.
La gastroscopie de suivi conduite deux mois plus tard a pour la première fois révélé une angiodysplasie du duodénum. L’endoscopie par capsule [7] a montré plusieurs petites angiodysplasies siégeant au niveau du duodénum et du jéjunum proximal ainsi qu’une autre lésion dans le jéjunum distal. Chez notre patient, la sténose aortique en tant que cause des angiodysplasies multifocales a été exclue à la fois sur la base de l’examen clinique et l’échocardiographie. Le patient présente une coronaropathie ainsi qu’une hypertension artérielle. Ses valeurs de facteur de von Willebrand (FvW) étaient dans la norme inférieure ou légèrement plus basses; en présence d’un groupe sanguin 0, elles restaient peu concluantes sur le plan diagnostique (tab.  1).
Tableau 1: Résultat du dosage du facteur de von Willebrand.
ParamètreValeurs de ­référence19.7.201119.2.2019
aPTT (temps de thromboplastine partielle activée, [sec.])25–3528,034,2
Facteur VIII (fonctionnel, [%])50–200 61
Facteur von Willebrand (fonctionnel, [%])50–2004942
Facteur von Willebrand (antigène, [%])50–2005148
Outre les ADGI, un hémangiome labial penchait en la faveur d’une maladie de Rendu-Osler-Weber. Le patient ne souffrait toutefois jamais d’hémorragies nasales et l’anamnèse familiale ne présentait pas d’anomalies en lien avec cette maladie.
L’anémie ferriprive sévère n’a pu être traitée qu’au moyen d’une substitution en fer par voie parentérale (fig. 1). Les angiodysplasies du tractus gastro-intestinal supérieur ont été coagulées trois fois par argon-beamer en 2012, sans succès durable en termes de perte de sang. Etant donné ce contexte, nous nous sommes décidés pour un traitement par octréotide sous formulation dépôt injectable. Le traitement a été initié en mars 2014 chez notre patient. Il reçoit jusqu’à présent une injection de 20 mg toutes les quatre à six semaines [4]. Déjà après la première injection, le patient s’est senti considérablement mieux et le taux d’hémoglobine s’est normalisé (fig. 1). Avant le traitement par octréotide, le patient nécessitait 8 g/an de substitution en fer par voie parentérale pour atteindre un taux moyen d’hémoglobine de 10,2 g/dl, contre 2 g/an par an pour un taux moyen d’hémoglobine de 13,6 g/dl sous octréotide.

Discussion

Du fait de la période d’observation de 30 ans, des réflexions étiopathogéniques et du succès du traitement par octréotide, l’historique du patient ici décrit est digne d’attention.
Sur le plan purement descriptif, les ADGI sont définies en tant que petites lésions vasculaires situées en surface et facilement identifiables à l’endoscopie. Soulignons que peu de données sur l’incidence et l’évolution spontanée des angiodysplasies ont été publiées, étant donné que les patients asymptotiques ne sont pas systématiquement examinés pour identifier la source d’hémorragie. Au cours d’une analyse rétrospective de coloscopies de dépistages réalisées chez des patients âgées de plus 50 ans en vue d’identifier des polypes, des angiodysplasies étaient présentes chez 8/964 (0,83%) patients [8]. Lorsque l’accent se porte sur les patients présentant des hémorragies gastro-intestinales occultes, des angiodysplasies sont décelées en tant que source d’hémorragie dans plus de 40% des cas [2]. Notre patient peut être attribué à ce groupe, car des ­angiodysplasies ont été identifiées dans l’estomac, le duodénum et le jéjunum chez lui également.
Les lésions angiodysplasiques surviennent aussi bien dans le contexte d’une cause congénital (par ex. maladie de Rendu-Osler-Weber) que sous forme acquise. On suppose que les formes acquises, dites idiopathiques, se développent dans le cadre de processus dégénératifs et ischémiques [9, 10]: une stase veineuse associée à un stimulus angiogène conduit à une ectasie vasculaire au cours de l’évolution ainsi qu’à l’apparition de véritables communications artérioveineuses [9]. Les troubles de la coagulation peuvent accentuer la perte de sang. Chez notre patient, l’anémie ferriprive a permis de démasquer une coronaropathie et la double inhibition de l’agrégation plaquettaire faisant suite à l’intervention coronaire s’est avéré être le moteur de la perpétuation de la perte de sang. Appartenant au groupe sanguin 0, notre patient présente un facteur de risque supplémentaire d’hémorragies gastro-intestinales [11]. Il pourrait en outre présenter une maladie de Rendu-Osler-Weber ou une maladie de von Willebrand.
Le traitement de première ligne des ADGI se base sur l’ablation endoscopique au moyen de la coagulation au plasma argon (APC) ou de l’électrocautérisation [12, 13]. Le taux d’efficacité lors du contrôle endoscopique de l’hémorragie est compris entre 80–90% mais le taux de récidives hémorragiques de 20–30% est toutefois très élevé [14, 15]. Cette observation s’explique par le fait que l’élimination d’une source d’hémorragie définie ne remédie pas à la cause de l’apparition des angiodysplasies. Etant donné que les angiodysplasies acquises s’inscrivent dans le cadre d’une maladie systémique, une approche thérapeutique pharmacologique médicamenteuse s’avère pertinente. Ainsi, des traitements hormonaux (œstrogènes/analogues de la progestérone ou de la somatostatine) et anti-angiogènes (thalidomide, lénalidomide) sont examinés dans différentes études [12, 16, 17]. La somatostatine est un peptide cyclique qui présente une courte demi-vie et inhibe la sécrétion de l’hormone de croissance, de la thyréostimuline (TSH), de la gastrine, de l’insuline, du glucagon, du peptide intesti­nal vasoactif (PIV) et d’autres hormones ­intestinales [18]. Elle exerce en outre une action anti-­angiogène et vasoconstrictrice via le récepteur 2 de la somatostatine [19, 20]. La thalidomide et son analogue mieux toléré, le lénalidomide, inhibent l’expression du «vascular endothelial growth factor» (VEGF) et exercent ainsi une action anti-angiogène directe [21]. Le lénalidomide a jusqu’à présent été utilisé avec succès pour le traitement des ADGI chez les patients atteints de la maladie de von Willebrand, car chez ces patients, l’action réduite du FvW entraîne non seulement un trouble de la coagulation mais stimule aussi l’angiogenèse [22, 23].
Une revue des données actuelles conclut que les ana­logues de la somatostatine à longue durée d’action constituent à présent la pharmacothérapie la plus sûre et la plus efficace des angiodysplasies hémorragiques [16]. Toutefois, comme cette forme de traitement génère des coûts relativement élevés (1200 CHF par injection) et nécessite en conséquence l’obtention d’une garantie de prise en charge, le traitement par analogues de la somatostatine ne représente pas le traitement de premier choix. Le recours aux analogues de la somatostatine est particulièrement pertinent en cas de récidives hémorragiques dues à des angiodysplasies pour lesquelles l’hémostase endoscopique ne permet pas d’atteindre un succès durable.

Conclusions

Les analogues de la somatostatine conduisent les patients atteints d’ADGI hémorragies à une rémission ­clinique et améliorent considérablement leur qualité de vie. Ils ne guérissent toutefois pas la forme idiopathique de la maladie. Dans cet objectif, il conviendrait de tester des approches thérapeutiques systémiques optimisant la microcirculation du tractus gastro-intestinal de façon durable à un âge avancé. Selon une publication récente, les patients du groupe sanguin 0 présentent un risque d’hémorragies gastro-intestinales [11]. Les taux de FvW plus bas observés chez ces patients pourraient contribuer à ce phénomène aussi bien par l’intermédiaire d’une tendance hémorragique accrue que par l’intermédiaire de l’apparition d’ADGI.

L’essentiel pour la pratique

• Les angiodysplasies gastro-intestinales (ADGI) sont une cause fréquente d’hémorragies occultes chez les personnes âgées.
• Certaines conditions médicales peuvent favoriser le développement d’angiodysplasies: par ex. la maladie de von Willebrand, les télangiectasies héréditaires (maladie de Rendu-Osler-Weber), une sténose aortique, le groupe sanguin 0 et les troubles de la coagulation.
• Les analogues de la somatostatine utilisés en cas de récidives hémorragiques dues à des ADGI ont une action thérapeutique rapide, présentent peu d’effets indésirables et ils sont efficaces et sûrs. Ils diminuent ou stoppent les hémorragies, conduisent à une nette stabilisation du taux d’hémoglobine sérique et réduisent le besoin en transfusions ferriques ou produits du sang.
• Les coûts relativement élevés du traitement par octréotide doivent être évalués par rapport au bénéfice individuel au cas par cas.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd.
Barbara Biedermann
Stapfetenstrasse 18
CH-8345 Adetswil
barbara.biedermann[at]unibas.ch
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