Varices ectopiques hémorragiques aiguës de l’anastomose cholédoco-jéjunale
Un traitement par ligature élastique endoscopique assistée chirurgicalement

Varices ectopiques hémorragiques aiguës de l’anastomose cholédoco-jéjunale

Der besondere Fall
Édition
2020/1314
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08407
Forum Med Suisse. 2020;20(1314):234-237

Affiliations
a Universitätsklinik für Viszerale Chirurgie und Medizin, Inselspital Bern; b Gastroenterologie, Kantonsspital Baden; c Gastroenterologie, Regionalspital Emmental

Publié le 24.03.2020

Un patient âgé de 63 ans, atteint d’hypertension portale, a été admis en raison de l’hémorragie gastro-intestinale perturbant la circulation et accompagnée de méléna, hématochézie et hématémèse depuis plusieurs jours.

Contexte

Les hémorragies gastro-intestinales par rupture de varices constituent l’une des complications les plus fréquentes associées à une mortalité élevée chez les patients atteints d’hypertension portale. Une hausse de la pression veineuse portale survient dans la plupart des cas en raison d’une résistance intra-hépatique accrue (notamment en cas de cirrhose hépatique, schistosomiase, fibrose hépatique congénitale, sarcoïdose ou syndrome de Budd-Chiari). La raison est plus rarement une résistance extra-hépatique accrue due à une thrombose de la veine splénique ou de la veine porte. La hausse de la pression splanchnique entraîne la production de monoxyde d’azote (NO), «vascular endothelial growth factor» et «platelet-derived growth factor». Ces éléments provoquent une vasodilatation splanchnique et systémique avec écoulement sanguin portal accru et, ainsi, une plus forte augmentation de la pression et une néoangiogenèse avec formation de collatérales [1].
Dans plus de 95% des cas, les varices saignent au niveau de la jonction gastro-œsophagienne et de l’estomac, une varice ectopique saigne dans 1–5%. Les varices ectopiques sont définies comme des veines collatérales porto-systémiques dilatées qui se trouvent en dehors de la jonction gastro-œsophagienne ou de l’estomac. Elles peuvent survenir à divers endroits dans l’ensemble du tractus gastro-intestinal. Environ 17% se situent dans le duodénum, 18% dans le jéjunum ou l’iléon, 14% dans le côlon, 8% dans le rectum et 9% dans le péritoine [2, 3]. Etant donné le faible nombre de cas, il n’existe aucune directive globalement valable portant sur le diagnostic et le traitement des varices ectopiques.
Nous décrivons un patient atteint d’hypertension portale, qui s’est présenté avec une hémorragie variqueuse gastro-intestinale perturbant la circulation à un endroit inhabituel. Ce n’est qu’après avoir épuisé toutes les options diagnostiques disponibles que l’hémorragie a pu être localisée et stoppée avec des mesures thérapeutiques interdisciplinaires.

Présentation du cas

Anamnèse

Nous décrivons le cas d’un homme âgé de 63 ans et atteint d’hypertension portale. Huit ans auparavant, une transplantation orthotopique du foie avait été réalisée en raison d’une cirrhose hépatique en présence d’une hépatite C chronique de génotype 1B. Un an après la transplantation une récidive de l’hépatite C est survenue, ce qui a entraîné une cirrhose du foie transplanté avec hypertension portale, splénomégalie et bicytopénie ainsi qu’une thrombose chronique de la veine porte. Les autres comorbidités significatives étaient une insuffisance rénale et une allergie aux produits de contraste iodés.
En raison de l’hémorragie gastro-intestinale perturbant la circulation et accompagnée de méléna, hématochézie et hématémèse depuis plusieurs jours, le patient a été conduit par le service de secours dans un hôpital cantonal. Le taux initial d’hémoglobine s’élevait à 8,7 g/dl, le nombre de plaquettes était de 89 G/l et l’INR de 1,6. Une gastroscopie effectuée en urgence a révélé de petites varices œsophagiennes sans stigmates d’hémorragie. Au moment de l’examen, aucune source d’hémorragie n’a été détectée dans la partie supérieure du tractus gastro-intestinal. En présence d’une hémorragie persistante altérant la circulation, la gastroscopie a été répétée le lendemain et, toujours en l’absence de mise en évidence d’une source hémorragique, la mise au point diagnostique a été élargie. Une iléo-coloscopie a révélé une grande quantité de sang plus ancien. L’endoscopie par capsule effectuée ensuite a permis de détecter du sang frais dans la partie supérieure de l’intestin grêle et du sang ancien dans l’iléon, toujours sans identification de la source hémorragique.
Après administration intraveineuse prophylactique d’un antihistaminique et de stéroïdes en raison de l’allergie connue aux produits de contraste, une angiographie par tomodensitométrie (TDM) a été effectuée et a montré la thrombose complète chronique connue de la veine porte avec dilatation de la veine splénique ­ouverte ainsi qu’une circulation collatérale étendue. Ici encore, aucune source de l’hémorragie n’a toutefois pu être déterminée. En présence d’une hémorragie gastro-intestinale persistante altérant la circulation, le patient a été transféré à la clinique de chirurgie et médecine viscérale de l’Inselspital pour la poursuite du diagnostic et le traitement.

Statut et résultats

Lors de l’admission à l’Inselspital, nous avons trouvé un patient éveillé, légèrement tachycardique mais sinon stable au niveau circulatoire, avec présence de sang foncé à partir de l’anus. Il était légèrement confus et son élocution était incompréhensible, indiquant une encéphalopathie hépatique de stade II. Nous avons poursuivi les mesures de stabilisation circulatoire ainsi que l’optimisation de la coagulation, répété l’iléo-coloscopie et réalisé une entéroscopie poussée (endoscopie supérieure à l’aide d’un colonoscope ou entéroscope pédiatrique), au cours de laquelle l’anastomose au pied de l’anse (connexion de l’anse de Roux provenant de l’hépato-jéjunostomie et de l’anse afférente de l’intestin grêle) a pu être atteinte. Du sang rouge clair a été mis en évidence au niveau distal de l’anastomose au pied de l’anse, l’accès via l’anse de Roux jusqu’à l’anastomose cholédoco-jéjunale n’a pas réussi. Toutefois, les deux examens n’ont toujours pas permis de déterminer une source active de l’hémorragie. Au vu de la détérioration aiguë de la fonction rénale ainsi que de l’allergie connue aux produits de contraste iodés, nous avons réalisé une scintigraphie gastro-intestinale de l’hémorragie avec 3 ml de sang du patient marqué au technétium 99 m (Tc-99m). Au bout de 90 minutes sans mise en évidence d’une hémorragie, le patient s’est énervé en raison de la longue durée d’examen dans une position inconfortable. Il s’est redressé et une hausse de la pression systolique de 20 mm Hg a été mesurée. L’image suivante a montré une anse de Roux remplie de sang au niveau distal de l’hépato-jéjunostomie (fig. 1).
Figure 1: Scintigraphie de l’hémorragie gastro-intestinale avec 3 ml de sang du patient marqué au technétium 99m (flèches: anse de Roux remplie de sang).

Traitement

Dans le cadre d’une discussion interdisciplinaire du cas, nous avons opté pour un traitement combiné chirurgical et endoscopique. La pose d’un shunt porto-systémique intrahépatique par voie transjugulaire (TIPS) était contre-indiquée en raison de l’encéphalopathie hépatique et impossible au vu de l’étendue de la thrombose chronique de la veine porte, tout comme une dilatation angiologique et la pose d’un stent de  veine porte. L’accès chirurgical a eu lieu par une laparotomie médiane avec élargissement latéral vers la droite. D’importantes adhérences des anses de l’intestin grêle et du gros intestin avec le renfort Parietene mis en place lors de la transplantation hépatique ainsi qu’une tendance hémorragique diffuse en présence d’une hypertension portale ont rendu l’intervention difficile. Après adhésiolyse progressive, l’anse menant au hile hépatique a pu être identifiée. Du fait d’une circulation veineuse collatérale prononcée, la préparation de l’anse jéjunale n’a pas été entièrement effectuée jusqu’au hile hépatique. Un gastroscope classique a été introduit via une gaine stérile cousue à l’intestin par entérotomie longitudinale sous-mésocolique à 30 cm en distal de l’hépatico-jéjunostomie. L’introduction depuis l’extérieur de l’endoscope jusqu’à l’anastomose hépato-jéjunale a réussi sans problème. La présence d’une varice jéjunale avec signe «white nipple» a été détectée. Au cours de l’intervention est survenue une forte hémorragie qui a pu être stoppée par la pose de trois ligatures élastiques (fig. 2).
Figure 2: A) Hémorragie variqueuse active (flèche); B) Varice jéjunale avec signe «white nipple» (flèche: bouchon de fibrine blanche, coloré en rouge par le sang); C) Pose de la ligature élastique; D) Hémorragie stoppée par les ligatures.
Quatre jours se sont écoulés depuis le début de l’hémorragie jusqu’à son arrêt réussi à l’aide de la ligature élastique endoscopique assistée chirurgicalement. Afin de maintenir et optimiser l’homéostasie, 14 concentrés d’érythrocytes, six concentrés de plaquettes, deux doses de plasma frais (FFP), 6 g de fibrinogène, 2 g d’acide tranexamique, 1500 unités de facteur XIII, 1000 unités de Beriplex (facteurs IX, II, VII, et X) ainsi que 24 µg de desmopressine ont été administrés durant ce laps de temps.

Evolution

Pendant la suite de l’hospitalisation, aucune autre complication ne s’est manifestée, le patient a pu être renvoyé chez lui. Par la suite, aucune nouvelle hémorragie variqueuse n’est survenue. Au bout de six mois, un shunt méso-cave a été posé chirurgicalement pour le traitement d’une hémorragie diffuse provenant d’une gastropathie hypertensive portale.

Discussion

Une hémorragie aiguë due à la rupture de varices ectopiques au niveau d’une cholédoco-jéjunostomie avec anse en Y selon Roux est une complication rare. En raison des symptômes souvent atypiques et de la localisation difficilement accessible aussi bien par voie endoscopique que chirurgicale, l’équipe thérapeutique fait face à d’importants défis. Les instruments disponibles destinés au diagnostic d’une hémorragie gastro-intestinale indéterminée sont l’endoscopie (gastroscopie, iléo-coloscopie, entéroscopie poussée, entéroscopie double ballon), l’endoscopie par capsule, les procédés radiologiques (angiographie TDM ou angiographie conventionnelle) ou les procédés de médecine nucléaire (scintigraphie gastro-intestinale de l’hémorragie).
Dans notre cas, la source de l’hémorragie n’a pu être atteinte par endoscopie ni via un accès oral, ni via un accès anal. L’anse de Roux n’est pas examinée lors de l’endoscopie par capsule. En cas de débit de saignement supérieur à 0,25 ml/min, l’angiographie TDM présente une sensibilité élevée de jusqu’à 100% et une spécificité de 96% [4]; en outre, la localisation de l’hémorragie peut être décrite avec exactitude. Chez notre patient, la source hémorragique n’a pas pu être représentée en raison de l’hémorragie de type «on-off» durant la brève période d’examen. Depuis plus de 20 ans, la scintigraphie aux hématies est une procédure diagnostique établie qui n’est plus que rarement utilisée en raison de temps et d’effort investis relativement élevés et de la faible disponibilité. Du fait de la sensibilité élevée même en cas de faible débit de saignement (à partir de 0,05 jusqu’à 0,1 ml/min) [4] et de la durée d’examen pouvant être prolongée jusqu’à 24 heures après administration des hématies marquées au technétium, un avantage diagnostique se rencontre chez les patients présentant un faible débit de saignement ou, comme dans notre cas, chez les patients dont l’hémorragie est forte mais intermittente. L’exposition aux radiations pendant la scintigraphie est, avec 8,5 mSV comme dose équivalente efficace, comparable à celle d’une TDM.
Pour stopper l’hémorragie due à la rupture de varices, diverses techniques endoscopiques sont disponibles, telles que la ligature élastique, l’injection de la résine synthétique liquide cyanoacrylate de n-butyle (Histoacryl®) ou la compression locale avec stent ou sonde de compression. L’implantation d’un TIPS, la résection chirurgicale du segment intestinal atteint en présence de varices ectopiques ou l’embolisation angiographique supersélective non invasive sont également possibles [5–10]. Le traitement de première intention recommandé est la ligature élastique en cas de varices œsophagiennes, l’injection de cyanoacrylate de n-butyle en cas de varices gastriques et l’implantation d’un TIPS en cas d’échec du traitement [1]. En raison du faible nombre de cas, il n’existe aucune directive relative aux varices ectopiques. Le traitement dépend de la localisation de l’hémorragie, de la disponibilité des formes thérapeutiques ainsi que de la dynamique du saignement et de l’état général du patient.
La littérature de langue anglaise compte moins de 20 descriptions de cas d’hémorragies variqueuses en provenance d’une hépato-jéjunostomie traités avec succès [9, 10]. Dans cinq cas, la veine porte a été dilatée en présence d’une occlusion et munie d’un stent, une intervention chirurgicale a été effectuée dans cinq cas – généralement avec résection du segment atteint de l’intestin grêle – une embolisation a été réalisée dans trois cas et une intervention endoscopique dans cinq cas (entéroscopie double ballon ou entéroscopie poussée à l’aide d’endoscopes spéciaux avec sclérose ou pose de clips métalliques).
La procédure combinée chirurgicale et endoscopique que nous avons choisie a permis de réduire considérablement le risque chirurgical et la durée d’intervention par rapport à une résection de l’anastomose hépato-jéjunale. Le hile hépatique et la région d’anastomose n’ont pas dû être complètement dégagés et, au lieu d’une résection segmentaire, une entérotomie longitudinale a suffi. Par ailleurs, la procédure offrait la possibilité d’une intervention chirurgicale directe en cas de complication endoscopique. L’accès endoscopique avec un gastroscope classique par le biais d’une entérostomie chirurgicale s’est avéré nettement plus simple qu’un accès alternatif par entéroscopie poussée. Avec un gastroscope et un accès court, un traitement par ligature élastique a pu être réalisé avec un risque inférieur de complication et de récidive par rapport à la sclérothérapie ou aux clips hémostatiques.

L’essentiel pour la pratique

• Chez les patients présentant une hémorragie gastro-intestinale et une hypertension portale, il convient également d’envisager une hémorragie variqueuse due à la rupture de varices ectopiques en présence de symptômes d’une hémorragie du tractus gastro-intestinal inférieur.
• Après une endoscopie supérieure/inférieure et une angiographie TDM sans résultat, une scintigraphie aux hématies marquées au technétium 99m peut fournir des informations supplémentaires essentielles pour la localisation d’une source hémorragique gastro-intestinale, non seulement en cas d’hémorragies à faible débit de saignement, mais également en cas d’hémorragies intermittentes.
• En présence d’hémorragies du tractus gastro-intestinal moyen, qui ne sont pas accessibles par endoscopie conventionnelle, une entéroscopie chirurgicalement assistée constitue une alternative simple et pauvre en complications à l’entéroscopie double ballon ou à la maîtrise de l’hémorragie uniquement par voie chirurgicale.
Les auteurs remercient le patient pour son accord, Prof. Thomas Krause de la clinique de médecine nucléaire de l’Inselspital de Berne pour l’image de la scintigraphie aux hématies marquées au Tc-99m, Dr Henrik Horvath du département de gastroentérologie du centre hospitalier Biel-Bienne pour les images endoscopiques et Prof. ­Andrew Macpherson de la clinique universitaire de chirurgie et ­médecine viscérale de l’Inselspital de Berne pour son soutien.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Bernhard Friedli,
médecin diplômé
Klinik für Innere Medizin
Spital Emmental AG
Oberburgastrasse 54
CH-3400 Burgdorf
bernhard.friedli[at]spital-emmental.ch
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