Le sésamoïde «oublié»
Un grave traumatisme du pied avec des conséquences rares

Le sésamoïde «oublié»

Der besondere Fall
Édition
2020/1922
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08423
Forum Med Suisse. 2020;20(1922):323-326

Affiliations
Klinik für Orthopädie, Hand- und Unfallchirurgie, Stadtspital Triemli, Zürich

Publié le 06.05.2020

Après un accident, un homme se plaignait de fortes douleurs dans la région du milieu du pied et des orteils. Plusieurs plaies provoquées par une contusion étaient présentes au niveau de la plante et du dos du pied.

Contexte

Les lésions et affections des os sésamoïdes du gros orteil sont rares et passent facilement inaperçues, ou font l’objet d’une mauvaise appréciation. Les dislocations d’origine traumatique des sésamoïdes du gros ­orteil sont quant à elles rares parmi ce type de lésions, tandis que les fractures des os métatarsiens constituent les principales fractures de l’avant-pied. Elles sont généralement provoquées par un traumatisme ­direct ou par des forces de torsion [1].
Les sésamoïdes se nichent dans les tendons à proximité de nombreuses articulations (genou, carpe, pouce, gros orteil). Ils servent à protéger les tendons et augmentent leur effet mécanique. Les deux plus grands os sésamoïdes du pied humain se trouvent au niveau plantaire dans la région de la première articulation métatarso-phalangienne. Ils se situent dans le tendon du muscle court fléchisseur de l’hallux et sont impliqués dans l’absorption des chocs, la réduction des frottements, et la protection du tendon du muscle long fléchisseur de l’hallux. Les sésamoïdes sont donc d’une grande importance pour la mécanique de l’avant-pied. Toutefois, en raison de leur situation exposée, ils sont particulièrement sujets aux blessures et à la une sollicitation chronique excessive. L’os sésamoïde médial (tibial) est plus souvent blessé que le latéral (fibulaire) car il est plus ­exposé. L’ensemble du complexe hallux-sésamoïde est impliqué dans environ 9% des blessures au pied [2].
Nous rapportons ici le cas d’un patient présentant une lésion rare du sésamoïde dans le cadre d’un grave traumatisme du pied.

Présentation du cas

Anamnèse

Un patient de 28 ans est amené aux urgences en ambulance après s’être coincé le pied gauche entre un chariot élévateur et un mur dans le cadre de son travail de logisticien. Au moment de l’accident, il portait des chaussures de sécurité avec coque en acier comme le prévoit la sécurité au travail.
Malgré cela, il se plaignait aux urgences de fortes ­douleurs dans la région du milieu du pied et de tous les ­orteils. Plusieurs plaies provoquées par la contusion étaient présentes au niveau de la plante et du dos du pied.
Au moment de son admission, le patient ne présentait pas d’antécédents de maladies ou d’opérations.

Résultats

Au niveau local, on observait une plaie contuse au ­niveau de l’articulation métatarso-phalangienne du gros orteil, dans le sens dorsal vers plantaire. Une autre plaie contuse se trouvait au niveau plantaire dans la région des têtes métatarsiennes II à V. Le métatarse était fortement enflé, et la mobilité était fortement réduite en raison de la douleur, mais l’irrigation périphérique et la sensibilité du reste du pied étaient conservées.
Les radiographies conventionnelles du pied à trois niveaux montraient des fractures des diaphyses de l’ensemble des os métatarsiens (fig. 1). La fracture du premier rayon était plurifragmentaire, disloquée en direction latérale et plantaire. La fracture du second rayon était disloquée latéralement sur la largeur corticale en direction médiale, de même que les fractures des troisième et quatrième rayons. La fracture distale de la diaphyse de l’os métatarsien V n’était pratiquement pas disloquée. Il n’y avait pas d’atteinte articulaire des phalanges ou de la ligne de Lisfranc.
Figure 1: Radiographie conventionnelle préopératoire. A) ­cliché strictement latéral, B) cliché oblique, ­C) ­cliché ­dorso-plantaire.

Diagnostic

Traumatisme grave du pied gauche par contusion:
Fracture ouverte de second degré de la diaphyse des os métatarsiens I à V (d’après Gustilo-Anderson).

Traitement et évolution

En raison de l’état propre des plaies et de la couverture suffisante des tissus mous, nous nous sommes décidés pour un procédé en un temps. Comme lors de notre procédé pour les fractures ouvertes, nous avons réalisé un débridement ainsi que l’ostéosynthèse des os métatarsiens I à IV. La fracture de la diaphyse de l’os métatarsien I a reçu une plaque quart de tube, les fractures des os métatarsiens II à IV ont été traitées avec des fils de Kirschner endomédullaires (fig. 2).
Figure 2: Les fils de Kirschner endomédullaires, radiographie conventionnelle postopératoire, A) cliché strictement latéral, B) cliché oblique, C) cliché dorso-plantaire.
En raison de la position dans l’axe de la fracture de l’os métatarsien V et en vue d’éviter d’autres traumatismes des tissus mous, aucune fixation chirurgicale n’a été réalisée. Les accès pour l’ostéosynthèse ont tous été choisi en dorsal. Lors de l’opération, la région plantaire présentait un important décollement des tissus mous. Les plaies ont été refermées de façon primaire, une imperfection superficielle résiduelle est restée au niveau de la plante (fig. 3).
Figure 3: Plaie plantaire après débridement et fermeture ­primaire avec imperfection résiduelle. (La publication se fait avec l’accord du patient.)
Ce traumatisme grave du pied présentait le risque de développement d’un syndrome des loges. Lors de l’opération, les loges apparaissaient molles; la pression ­mesurée dans les loges était normale, avec une valeur maximale absolue de 24 mm Hg.
Conformément aux protocoles internes pour les fractures ouvertes, un traitement antibiotique par amoxicilline et acide clavulanique a été initié pour une durée de cinq jours. Le «second look» a eu lieu après 72 heures, avec un nouveau débridement.
Au 15e jour d’hospitalisation, le patient a pu sortir de l’hôpital. Le traitement ultérieur a consisté en une immobilisation du pied au niveau du mollet à l’aide de «Scotchcast» pendant six semaines, avec autorisation de mise en charge partielle de 10–15 kg et une prophylaxie antithrombotique par héparine de bas poids moléculaire. Initialement, des contrôles étroits de la plaie ont suivi, puis des contrôles radiologiques postopératoires après six semaines, puis trois, six et douze mois.
Lors du contrôle annuel, le patient se plaignait de troubles persistants dans la région distale des os métatarsiens I et II avec une nette douleur à la pression du côté plantaire. Les douleurs s’amélioraient certes dans l’ensemble sous l’analgésie systémique et avec des ­semelles orthopédiques, mais le patient restait fortement limité au quotidien. La tomodensitométrie (TDM) du pied qui s’en est suivie a montré la consolidation ­incomplète de l’os métatarsien I. En raison de la pseud­arthrose symptomatique de l’os métatarsien I, l’extraction de la plaque métallique quart tube a eu lieu 13 mois après la première opération, de même qu’une spongioplastie. Jamais, avant ou pendant l’opération, il n’y a eu de suspicion d’une pseudarthrose infectieuse, et c’est la raison pour laquelle ni un prélèvement d’échantillon ni un traitement antibiotique n’ont été réalisés. Lors du contrôle de suivi clinique et radiologique après six mois de plus, le patient décrivait certes une amélioration des troubles, mais les douleurs étaient encore fortes, en particulier lors de l’effort. D’après le patient, elles étaient localisées dans la région plantaire au niveau des os métatarsiens I et II. La douleur était nettement accentuée par la flexion et l’extension passives et actives des orteils I et II. La nouvelle TDM du pied a fort heureusement révélé une progression de la consolidation des fractures, mais elle laissait désormais apparaître une nette dislocation du sésamoïde fibulaire en direction proximale et latérale (fig. 4). Dans le cadre de l’appréciation globale, les troubles du patient au niveau de la plante du pied s’expliquaient par cette dislocation latérale du sésamoïde, et l’indication d’une résection chirurgicale fut posée. Lors de cette opération, le sésamoïde était représenté à l’aide d’un amplificateur d’image, et il a été réséqué en y accédant via la cicatrice plantaire existante (fig. 4). Le traitement ultérieur comprenait la mobilisation dans une chaussure de soulagement de l’avant-pied pendant deux semaines, avec charge complète autorisée.
Figure 4: A) Reconstruction 3D de la tomodensitométrie 22 mois après le traumatisme; flèche: sésamoïde fibulaire disloqué en direction proximale. B) Préparation intraopératoire du sésamoïde fibulaire après résection.
Lors du contrôle clinique de suivi deux mois après l’opération, le patient n’avait plus de douleurs dans la zone de la plante du pied. Et en particulier, les douleurs initialement décrites comme lancinantes dans la région plantaire avaient complètement disparu, ce qui confirmait le lien de causalité avec le sésamoïde disloqué. ­Actuellement, le patient porte des chaussures normales avec des semelles orthopédiques.

Discussion

En raison de leur rareté, les lésions des os sésamoïdes peuvent facilement passer inaperçues. La dislocation traumatique d’un ou des deux sésamoïdes du pied, en particulier, constitue un événement particulièrement rare.
Les recherches dans la littérature ne révèlent que des exemples de cas isolés qui font état aussi bien du traitement conservateur que du traitement chirurgical [3]. Le traitement conservateur comprend l’immobilisation et l’analgésie, accompagnée de rembourrages, allant jusqu’aux semelles orthopédiques. Le traitement chirurgical consiste en la résection du sésamoïde touché. Des alternatives telles que le repositionnement et la fixation ne sont pas décrites. Dans notre cas, le procédé chirurgical était assurément justifié en raison de la longue anamnèse de douleur et du traitement conservateur sans succès. Cela s’est d’ailleurs vérifié rétrospectivement de manière saisissante par la disparition des douleurs suite à l’opération de résection.
La pose du diagnostic de sésamoïde disloqué a été ­retardée. Rétrospectivement, la lésion était décelable dès les premières radiographies. Toutefois, la pseudarthrose symptomatique clairement reconnaissable se trouvait au premier plan et a été traitée chirurgicalement avec succès. Cependant, cela souligne que la compréhension globale du profil de lésion est indispensable pour un traitement adéquat réalisé à temps.
Les problèmes des sésamoïdes du gros orteil ont un ­caractère critique en ce qui concerne la pleine performance et l’aptitude à marcher car ils sont, comme mentionné en introduction, d’une importance capitale pour la mécanique de l’avant-pied [4]. Ces lésions trompeuses doivent être recherchées délibérément et représentées de façon ciblée lors des examens d’imagerie. C’est le seul moyen pour les traiter à temps et de façon adaptée.
L’indication de résection d’un ou des deux sésamoïdes est occasionnellement posée lors des opérations d’hallux valgus, et plus rarement lors d’inflammations chroniques, de pseudarthroses ou de nécroses avasculaires (NAV). Un accès dorso-latéral est à privilégier par rapport à l’accès plantaire lors de la résection du sésamoïde fibulaire. En cas d’accès plantaire, le faisceau neurovasculaire et le tendon du muscle long fléchisseur de l’hallux doivent être représentés par imagerie. Les cicatrices plantaires douloureuses sont problématiques, c’est pourquoi il convient d’éviter au maximum ces accès [5]. Dans notre cas, nous avons tout de même choisi l’accès plantaire du fait de la cicatrice préexistante. En outre, en raison de la dislocation proximale, le sésamoïde n’aurait pas été atteignable via l’accès dorso-latéral.

L’essentiel pour la pratique

• Les lésions des os sésamoïdes dans le cadre de traumatismes graves du pied sont rares. Si elles ne sont pas décelées correctement et traitées de façon adéquate, elles peuvent toutefois avoir des conséquences invalidantes pour les victimes. Des examens d’imagerie ciblés ainsi que la compréhension globale du profil de lésion sont donc essentiels pour un traitement adapté réalisé à temps.
• Les sésamoïdes jouent un rôle central pour une course du tendon sans frottement lors du mouvement de roulement du pied. Des lésions graves de ces minuscules os peuvent entraîner d’importantes limitations de mouvement et des douleurs chroniques lors de la sollicitation de l’avant-pied.
• Si une relation de causalité avec une pathologie ou lésion du sésamoïde est cliniquement vraisemblable, il est en principe possible d’envisager la résection du sésamoïde (fibulaire). Un accès dorsal doit être privilégié par rapport à un accès plantaire, car les cicatrices au niveau de la plante doivent dans la mesure du possible être évitées.
Nous remercions le Professeur Dominik Weishaupt, médecin-chef en radiologie au sein du Stadtspital Triemli, pour les clichés radio­logiques.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Andreas Platz,
Klinik für Orthopädie, Hand- und Unfallchirurgie
Stadtspital Triemli
Birmensdorferstrasse 497
CH-8063 Zurich
andreas.platz[at]triemli.zuerich.ch
1 Fetzer GB, Wright RW. Metatarsal shaft fractures and fractures of the proximal fifth metatarsal. Clin Sports Med. 2006;25(1):139–50.
2 Dedmond BT, Cory JW, McBryde A, Jr. The hallucal sesamoid complex. J Am Acad Orthop Surg. 2006;14(13):745–53.
3 Cortes ZE, Baumhauer JF. Traumatic lateral dislocation of the great toe fibular sesamoid: case report. Foot Ankle Int. 2004;25(3):164–7.
4 Sims AL, Kurup HV. Painful sesamoid of the great toe. World J Orthop. 2014;5(2):146–50.
5 Richardson EG. Injuries to the hallucal sesamoids in the athlete. Foot Ankle. 1987;7(4):229–44.