Translating and implementing ­research – from bench to bed … to real world!
Compte-rendu du 4ème symposium annuel (2017) de recherche de la PMU de Lausanne

Translating and implementing ­research – from bench to bed … to real world!

Aktuell
Ausgabe
2018/15
DOI:
https://doi.org/10.4414/smf.2018.03096
Schweiz Med Forum 2018;18(15):321-324

Affiliations
a Policlinique Médicale Universitaire (PMU), Lausanne, Suisse; b Swiss Tropical and Public Health Institute, Basel, and University of Basel, Basel, Switzerland; c Health ­Services Research Unit, University of Aberdeen, United Kingdom; d Scientific Affairs & Public Health, GlaxoSmithKline Vaccines, Wavre, Belgique; e Service de psychiatrie communautaire, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne, Suisse

Publiziert am 11.04.2018

Tout projet de recherche complet devrait comporter une phase d’implémentation. Cette étape est déterminante pour l’application et la dissémination d’une intervention efficace générant un impact au niveau communautaire.

Si le passage entre recherche fondamentale et essais cliniques («from bench to bed») est évident, les étapes de recherche translationnelle ou d’implémentation pour évaluer les bénéfices d’une découverte scientifique à l’ensemble de la population cible («to real world») sont encore trop souvent négligées en regard de leur importance en termes de santé publique. Les situations de la vie réelle ne peuvent être contrôlées, ainsi l’impact d’un traitement ou d’une intervention peut s’avérer bien différent de celui attendu sur la base de l’efficacité initialement prouvée dans les conditions optimales des essais cliniques. En effet, que se passe-t-il en cas de mauvaise adhésion thérapeutique, de couverture vaccinale insuffisante, de multimorbidité ou encore de résistance des soignants à une nouvelle approche? Malgré tout, sous l’impulsion de cliniciens-chercheurs visionnaires, certains domaines cliniques ont déjà intégrés depuis longtemps ce troisième volet du processus de recherche. Dans le cadre de son symposium de recherche annuel de 2017, la Policlinique médicale universitaire (PMU) de Lausanne a voulu faire profiter l’ensemble de la communauté de chercheurs de l’expertise de certains d’entre eux: le Prof. Christian Lengeler dont la riche expérience concernant des interventions de prévention des maladies transmissibles telles que les moustiquaires imprégnées contre la malaria, permet d’ illustrer les concepts de base des sciences de l’implémentation; le Prof. Shawn Treweek, membre du groupe qui a développé un outil de soutien à l’implémentation appelé PRECIS-2; le Dr François Meurice, médecin en charge du développement de vaccins, invité à apporter le point du vue de l’industrie face aux enjeux de santé publique en lien avec la prévention des maladies infectieuses, et finalement, le Prof. Charles Bonsack, en tant que clinicien-chercheur ayant implémenté avec succès un service de type «case management» en psychiatrie communautaire assorti d’un important volet de recherche (tab. 1).
Tableau 1: Biographies brèves des intervenants.
Prof. Christian Lengeler – Institut tropical et de santé publique suisse, Université de Bâle
Professeur en épidémiologie, Christian Lengeler travaille depuis une trentaine d’années sur le contrôle des maladies tropicales. Pionnier de nombreux développements dans la lutte antivectorielle à grande échelle en Afrique subsaharienne, il a entre autres été impliqué dans le développement et l’implémentation de moustiquaires imprégnées d’insecticide contre la propagation de la malaria.
Prof. Dr méd. Shaun Treweek – Unité de recherche en système de santé, Université d’Aberdeen, UK
Shaun Treewek travaille sur des initiatives visant à améliorer l’efficacité des essais cliniques, le recrutement des sujets d’étude et le design des études pragmatiques, notamment celles sur des interventions complexes.
Dr méd. François Meurice – Affaires scientifiques et médicales, GlaxoSmithKline GSK Vaccins, Wavre, Belgique.
Au bénéfice d’une longue expérience dans le développement de vaccins, autant d’un point de vue scientifique que conceptuel, ­François ­Meurice s’occupe maintenant de problématiques plus larges telles que le renforcement de la confiance dans la vaccination. Il représente son entreprise au sein du Groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE) sur la vaccination de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Prof. Dr méd. Charles Bonsack – médecin-chef, responsable de la section de psychiatrie sociale du service de psychiatrie communautaire du département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)
Depuis de nombreuses années, Charles Bonsack  mêle activités cliniques, d’enseignement et de recherche afin de développer la psychiatrie communautaire dans le canton de Vaud.  Ses activités scientifiques sont ainsi très souvent liées à des actions de santé publique.

La recherche en santé publique – un longue processus

Tester dans la pratique médicale une intervention validée par un essai clinique puis la disséminer au niveau communautaire est donc un long processus. Pour le Prof. Lengeler, la recherche en santé publique suit ce continuum et peut même être considéré comme un processus cyclique [1]. Une idée, sous forme d’hypothèse de recherche, émerge de l’observation du terrain. Eventuellement confirmée par une étude de cohorte, cette hypothèse se mue en une intervention dont l’efficacité est testée dans le cadre d’essais contrôlés randomisés. La population incluse est alors sélectionnée et restreinte, pour satisfaire à des considérations à la fois rationnelles, méthodologiques et éthiques. L’intervention, si elle s’avère efficace et sûre, est ensuite implémentée à plus large échelle dans les conditions réelles, parfois très éloignées des conditions idéales des essais précédents. Un plan d’implémentation appuyé par les pouvoirs publics est alors primordial.
Idéalement, l’impact d’une intervention en conditions réelles («effectiveness») devrait être proche de l’effet de l’intervention en conditions idéales («efficacy»). Souvent, les chercheurs et les sponsors se concentrent sur l’amélioration de l’efficacité d’une intervention, alors qu’au final, il vaudrait mieux investir dans les mesures d’implémentation pour augmenter son impact au niveau communautaire (fig. 1). «A magic bullet needs a magic gun» selon le Prof. Lengeler.
Figure 1: «Improving the intervention versus improving the delivery»; schéma adapté de P. Tugwell, D. de Savigny, M. Tanner (non-publié).
Evaluer l’impact de l’intervention déployée dans le cadre d’un programme de santé publique est difficile car l’inclusion d’un groupe contrôle n’est souvent pas possible, que ce soit pour des raisons organisationnelles ou des considérations éthiques. L’inférence entre l’intervention et son impact est alors évaluée par une approche systémique impliquant l’évaluation de:
1. l’adéquation: «Les objectifs clés sont-ils atteints? Le changement prévu a-t-il eu lieu?»;
2. la plausibilité: «Peut-on exclure d’autres explications du changement observé? Existe-t-il une relation causale?»;
3. la probabilité lorsqu’un groupe témoin adéquat est disponible.
Ceci est réalisé via par exemple une étude longitudinale avec une comparaison avant-après telle que dans une étude avec un «interrupted time series design», par une étude comparant les utilisateurs avec les non-utilisateurs ou encore par une étude avec un «step-wedge design». Les études d’implémentation permettent également de définir quelques indicateurs importants pour le soutien et l’opérationnalisation d’un programme de santé publique. Mesurer l’impact du programme est souvent un défi mais comprendre vraiment comment fonctionne une intervention est important, notamment pour sa dissémination et sa pérennisation.

PRECIS-2 – éviter le continuum 
«from bench to bookshelves»

L’outil PRECIS («PRagmatic Explanatory Continuum Indicator Summary») a été développé dans le but d’éviter le continuum «from bench to bookshelves» [2]! En effet, nous avons besoin d’études explicatives pour évaluer une nouvelle intervention à son stade initiale mais également d’études pragmatiques pour évaluer sa validité externe dans les soins de routine. Sous forme de roue visuelle, cet outil permet de situer les conditions de réalisation d’une étude clinique par rapport aux conditions réelles, via l’évaluation de neuf domaines-types du design d’étude (fig. 2 ou www.precis-2.org) [3].
Figure 2: Les 9 domaines d’évaluation de l’outil PRECIS-2 («PRagmatic-Explanatory Continuum Indicator Summary 2» wheel). Reproduced from [3]: Loudon K, Treweek S, Sullivan F, Donnan P, Thorpe KE, Zwarenstein M. The PRECIS-2 tool: designing trials that are fit for purpose. BMJ. 2015;350:h2147. Copyright © 2015, with permission from BMJ Publishing Group Ltd.
L’outil PRECIS-2, dont la validité inter utilisateurs a été tester sur un large spectre d’études différentes notamment en termes d’interventions (essais cliniques, thérapies comportementales ou programmes éducatifs), peut également servir à la communication entre les membres d’une équipe de recherche [4]. Chacun effectue une évaluation de son côté, puis les résultats sont comparés et discutés.
Des clarifications importantes sur la mise en œuvre de l’étude peuvent alors être apportées et permettre d’élever la qualité de la réalisation de celle-ci. Cet outil pourrait également s’avérer utile dans le cadre d’une revue systématique et même comme aide à la décision pour allouer des financements de recherche. Mais pour le Prof. Treweek, l’intérêt principal de cet outil est l’excellente occasion offerte aux chercheurs de mieux réfléchir à leur choix de design d’étude et à l’implémentation de l’intervention avant de commencer. Il recommande d’ailleurs vivement aux chercheurs de répondre à ces deux questions dès le départ: «A qui les résultats de l’étude vont servir au final? Et qu’ont-ils réellement besoin?» afin d’éviter de faire une étude sans utilité avant même d’avoir commencé. Il recommande également le site www.trialforge.org qui fait la promotion des designs d’étude basés sur des preuves.

Developper un vaccin

Comme nous l’a ensuite expliqué le Dr Meurice, la prise de décision de développer un vaccin est basée sur un besoin médical, la faisabilité technique et une viabilité économique [5]. Au fil de l’ensemble du processus allant de la mise au point à la commercialisation, des études d’envergure de plus en plus large sont réalisées pour évaluer la sécurité, l’efficacité et l’impact d’un vaccin. Celles-ci doivent répondre aux exigences légales parfois très différentes entre les pays, ce qui peut même parfois causer certaines difficultés afin de respecter tous les aspects des bonnes pratiques cliniques. L’enregistrement du vaccin doit évidemment lui aussi répondre aux réglementations en vigueur. Finalement, son implémentation dans les différents plans de vaccination est hautement dépendante des priorités de santé publique, en fonction du poids de la maladie visée, des ressources disponibles et de l’opinion publique, très variables d’un pays à l’autre.

Implémentation à l’exemple 
de la psychiatrie

Le Prof. Bonsack nous a présenté, via le développement de son projet de «case management» de transition entre l’hôpital psychiatrique et le retour à domicile, ses réflexions sur le fait de mener un projet mêlant parallèlement recherche et implémentation d’intervention en santé publique [6, 7].
Selon lui, pour réaliser un tel projet, une conjonction complexe d’éléments est nécessaire. Celle-ci implique une vision en phase avec des opportunités de changement, le soutien des partenaires impliqués et des financements pour la recherche et l’implémentation. Le projet réalisé, il conviendra encore, selon les résultats et les décisions politiques consécutives, d’entreprendre une phase de dissémination et pérennisation.
La vision doit non seulement répondre à une attente du terrain mais également à une attente des décideurs en santé publique. Le rôle de la recherche est de valider cette vision. Elle est donc nécessaire pour accompagner la prise de décision sur le développement futur d’un projet. Il faut cependant noter que les résultats d’intérêt ne sont pas les mêmes selon si on se situe au niveau du patients, des institutions de soin ou encore des décideurs politiques (tab. 2). En effet, les premiers seront globalement intéressés par leur qualité de vie, les soignants par l’effet clinique et finalement les décideurs par l’allocation des ressources. Ainsi le clinicien-chercheur est amené à faire des analyses permettant de mettre en évidence l’impact de son projet à chacun de ces niveaux. L’implémentation clinique et la dissémination sont donc partiellement indépendantes des résultats de recherche, mais le processus et les résultats de recherche donnent une force incomparable à la dissémination.
Tableau 2: Les attentes du réseau pour les troubles psychiatriques à domicile (méthode qualitative – 25 entretiens et 5 focus groupes, 52 thèmes, 1479 propositions; adapté de Bonsack et al. 2003 [8]).
 ValeursProcessusInteractions
PopulationLoiDistribution des ressourcesOpinion publique
InstitutionSavoirsTraitementCollaboration réseau
IndividuAutonomieVivre une vie pleineDans la communauté

Comment transformer une bonne question issue du monde réel en bonne question de recherche?

Les cliniciens menant un projet de recherche intégré dans la pratique de soins ont une tâche complexe car ils doivent concilier les réalités du terrain avec les exigences méthodologiques, éthiques et politiques. Ceci nécessite des multiples talents et sans doute de s’entourer d’une équipe de recherche professionnelle pouvant notamment assurer le suivi et la coordination du projet, la méthodologie utilisée, le suivi des publications, etc. L’«amateurisme» clinique (masters, thèses et autres travaux initiés par des cliniciens) est utile mais doit être canalisé dans un axe de recherche pour préparer les recherches interventionnelles structurées. Les personnes cibles de l’intervention devraient également être impliquées dans le design des études.

Conclusion

En conclusion, tout projet de recherche complet devrait comporter une phase d’implémentation. Cette étape est déterminante pour l’application et la dissémination d’une intervention efficace générant un impact au niveau communautaire. Les chercheurs et les promoteurs doivent intégrer ce fait et le traduire en incluant un plan d’implémentation le plus tôt possible dans la phase de développement. Ce plan doit intégrer les personnes qui la dispenseront et/ou en profiteront au final tout comme ceux qui en supporteront les coûts. Les mesures d’implémentation envisagées doivent être adaptées au type et à la complexité de l’intervention car implémenter un dispositif médical est très différent d’implémenter un programme de santé par exemple. Les chercheurs et les promoteurs doivent également se familiariser avec les nombreux outils et les différentes méthodologies de recherche en implémentation, relativement éloignée de la recherche plus fondamentale dont ils ont l’habitude. Cette recherche nous renseigne en outre sur deux niveaux complémentaires: l’impact de l’intervention testée et ses améliorations possibles afin de mieux satisfaire aux réalités du terrain ainsi que sur la façon de conduire une étude basée sur les preuves. Reste la question du financement d’une telle recherche, qui reste, à l’heure actuelle, un écueil majeur à l’essor de ces nouvelles approches.

Résumé

• Les sciences de l’implémentation regroupent deux éléments situés à des niveaux distincts:
1. le plan d’implémentation, établissant les mesures de soutien à la réalisation de l’intervention pour directement augmenter son impact au niveau communautaire,
2. l’étude d’implémentation, permettant de comprendre comment l’intervention a réellement été mise en œuvre, et ainsi mieux préparer sa dissémination et assurer sa pérennisation à large échelle en s’adaptant aux réalités du terrain.
• La méthodologie de recherche en implémentation est relativement éloignée de la recherche plus fondamentale.
• Les chercheurs cliniciens doivent concilier les réalités du terrain avec les exigences méthodologiques, éthiques et politiques.
• L’outil PRECIS-2 permet de situer visuellement les conditions de réalisation d’une étude clinique par rapport aux conditions réelles.
• Afin de répondre à toutes les attentes liées à une intervention, il convient de solliciter les personnes qui la dispenseront et/ou en profiteront, tout comme ceux qui en supporteront les coûts pour établir la stratégie d’implémentation.
B. Burnand, L. Kerboas, M. Schneider, R. Cardinaux, C. Clair, J. Cornuz.
FM est actuellement un employé de GSK Vaccins. L’opinion présentée dans cet article est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement la position de GSK. Cela ne modifie en rien l’adhésion de l’auteur aux directives de la revue. Les autres auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Nicolas Senn Directeur,
Institut Universitaire de Médecine de Famille (IUMF)
Policlinique médicale universitaire PMU
Rue du Bugnon 44
CH-1011 Lausanne
nicolas.senn[at]hospvd.ch
1 Lengeler C. Implémenter et évaluer des programmes de santé publique: de la théorie à la pratique, 4ème symposium de recherche, Policlinique Médicale Universitaire, Lausanne, 2017.
Disponible sur www.pmu-lausanne.ch.
2 Treweek S. Making trials matter: using PRECIS-2 to match trial design to trial intent, 4 ème symposium de recherche, Policlinique Médicale Universitaire, Lausanne, 2017.
Disponible sur www.pmu-lausanne.ch.
3 Loudon K, Treweek S, Sullivan F, Donnan P, Thorpe KE, Zwarenstein M. The PRECIS-2 tool: designing trials that are fit for purpose. BMJ. 2015;350:h2147.
4 Loudon K, Zwarenstein M, Sullivan FM, Donnan PT, Gágyor I, Hobbelen HJSM, et al. The PRECIS-2 tool has good interrater reliability and modest discriminant validity. J Clin Epidemiol. 2017;88:113–121.
5 Meurice F. Développement d’un vaccin, 4ème symposium de recherche, Policlinique Médicale Universitaire, Lausanne, 2017.
6 Bonsack C. Implémentation d’interventions en psychiatrie ambulatoire, 4ème symposium de recherche, Policlinique Médicale Universitaire, Lausanne, 2017. Disponible sur www.pmu-lausanne.ch.
7 Bonsack C. et al. Linking Primary and Secondary Care after Psychiatric Hospitalization: Comparison between Transitional Case Management Setting and Routine Care for Common Mental Disorders. Front Psychiatry. 2016;7:96.
8 Bonsack C. et al. Troubles psychiatriques, maintien à domicile et coopération: le point de vue des acteurs d’un réseau de soins, ARCOS, Lausanne, 2003.