Interprétation du dosage des anticorps anti-phospholipides
Quand effectuer un dépistage?

Interprétation du dosage des anticorps anti-phospholipides

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Ausgabe
2020/4546
DOI:
https://doi.org/10.4414/smf.2020.08532
Swiss Med Forum. 2020;20(4546):648-650

Affiliations
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne: a Service de médecine interne, b Service et laboratoire central d’hématologie, c Service d’immunologie et allergie

Publiziert am 03.11.2020

Une femme de 59 ans connue pour une hypertension artérielle traitée et un tabagisme actif est admise pour un épisode de douleurs thoraciques six mois après un triple pontage aorto-coronarien pour une maladie coronarienne sévère.

Description du cas

Une femme de 59 ans connue pour une hypertension artérielle traitée et un tabagisme actif est admise pour un épisode de douleurs thoraciques. Cette patiente a bénéficié 6 mois auparavant d’un triple pontage aorto-coronarien pour une maladie coronarienne sévère d’origine athéro-sclérotique. L’apparition de douleurs thoraciques à 2 mois de l’intervention avaient par la suite motivé une nouvelle coronarographie révélant alors un thrombus dans l’anastomose veno-artérielle sur la coronaire droite, traité par angioplastie du vaisseau native avec implantation d’un stent actif. Actuellement, le bilan angiographique met en évidence à nouveau un thrombus cette fois intra-stent. Compte tenu des lésions coronariennes thrombotiques récidivantes malgré le traitement antiagrégant plaquettaire, un état d’hypercoagulabilité est suspecté. Le bilan de thrombophilie, incluant le dépistage d’anticorps ­anti-phospholipides (aPL), révèle les valeurs rapportées dans le tableau 1.
Tableau 1: Hémostase et recherche d’anticorps anti-phospholipides.
Test ValeurValeur de référence
TP9080–120 (%)
aPTT 2926–37 (s)
Anti-cardiolipine  
IgG560<35 (CU)
IgM620<45 (CU)
Anti-beta-2-glycoprotéine I   
IgG920<18 (CU)
IgM482<10 (CU)
Lupus anticoagulant   
PTTLA3530,3–46,4 (s)
dRVTT40<43 (s)
TP = taux de prothrombine; aPTT = temps de thromboplastine partielle activée; s = seconde; CU = unité de phospholipide; PTTLA = temps de thromboplastine partielle lupus sensible; dRVVT = temps de venin Russel dilué.

Question: Comment interprétez-vous ce résultat?


a) Les résultats suffisent pour poser le diagnostic d’un syndrome des aPL (SAPL)
b) Les tests doivent être répétés dans 12 semaines afin de poser le diagnostic de SAPL
c) Le diagnostic de SAPL ne peut pas être posé si le lupus ­anticoagulant est négatif
d) La présence d’aPL n’a pas de répercussion clinique si les tests de coagulation ne sont pas perturbés 

Réponse:

La réponse correcte est b.

Discussion

Introduction

Le syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) est une maladie auto-immune (A-I) systémique caractérisée par l’association d’événements thrombotiques ou de complications obstétricales à la présence d’aPL plasmatiques [1]. Ce syndrome peut être isolé ou associé à une maladie systémique, classiquement le lupus érythémateux disséminé (SLE).
Les aPL sont un groupe hétérogène d’anticorps dirigés principalement contre la béta-2-glycoprotéine I (ß2GPI). L’association anticorps/ß2GPI forme un complexe liant fortement les phospholipides (PL). Sa liaison à la mem­brane endothéliale induit un état pro-inflammatoire et pro-coagulant pouvant atteindre tout territoire vasculaire [4]. Les mécanismes subjacents aux complications thrombotiques artérielles et veineuses sont complexes et propres au SAPL, étant médiées par les aPL. Les évènements veineux se manifestent le plus souvent par une thrombose des veines profondes des membres ­inférieurs ou par une embolie pulmonaire. Les thromboses artérielles touchent classiquement les artères ­cérébrales. Les complications placentaires peuvent être précoces ou tardives. Rarement, les thrombi se forment de manière disséminée, aboutissant à une défaillance multi-organique dénommée syndrome catastrophique des aPL.

Caractéristiques du test

Trois types d’anticorps sont pertinents en raison de leur implication clinique: le lupus anticoagulant (LA), les anticorps anti-beta-2-glycoprotéine I (anti-β2GPI) et les anticorps anti-cardiolipine (aCL). Il existe d’autres types d’aPL, qui ne sont pas systématiquement recherchés en raison du manque de tests standardisés et de l’incertitude quant à leur signification clinique [1].
Le LA doit son nom au phénomène paradoxal résultant in vitro en un effet anticoagulant, bien qu’il y ait in vivoun effet pro-coagulant. En laboratoire, les aPL se fixent aux PL du réactif, les empêchant d’interagir avec les facteurs de la coagulation et prolongeant alors le temps de coagulation. La recherche de LA nécessite d’effectuer des tests séquentiels d’hémostase, en 3 étapes:
1. Dépistage: 2 tests de dépistage contenant de faibles concentrations de PL sont réalisés: PTT-LA (lupus sensible aPTT) et dRVVT (en englais: «dilute Russel Viper Venom Time»). Si un de ces 2 tests montre un temps de coagulation allongé, le dépistage est considéré comme positif.
2. Mélange: le plasma du patient est mélangé à du plasma sain en rapport 1:1 et les tests ci-dessus sont répétés. L’absence de correction du temps de coagulation suggère la présence de LA.
3. Confirmation: un excès de PL est rajouté dans le test de dépistage afin de saturer l’éventuel aPL. La correction du temps de coagulation confirme que l’inhibition de la coagulation est dépendante des PL et donc de la présence de LA [2]. La sensibilité/spécificité de ces tests est de 86–100/73–79% [3]. Leur principale limitation est l’interférence des médicaments anticoagulants, quel que soit leur mécanisme d’action, qui peuvent amener à un résultat faux positif.
Les aCL et les anti-β2GPI IgG et IgM sont détectés par méthode immuno-enzymatique (ELISA) ou par chémiluminescence (CLIA). Un résultat est considéré positif si au moins un de 2 isotypes IgG ou IgM est détecté. Certains laboratoires proposent le dosage d’isotypes IgA, dont l’utilité clinique reste à déterminer. La sensibilité/spécificité pour les aCL et les anti-ß2GPI (ELISA) est de 56–71/53–86% et 86–89/56–98% respectivement [3]. Contrairement au LA, les tests sérologiques de détection d’aCL et anti-β2GPI ne sont pas influencées par la thérapie anticoagulante concomitante. Les traitements antiagrégants n’ont aucun impact par contre sur les résultats des tests d’hémostase ou des tests sérologiques.
Dans le laboratoire du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), le coût de l’analyse est de 228 CHF pour tous les 3 tests.

Approche clinique

La prévalence réelle du SAPL dans la population générale n’est pas connue. La plupart des données épidémiologiques sont basées sur des études cas-témoins, utilisant des définitions hétérogènes. En fonction d’étude, des aPL sont retrouvés chez environ 1–5% des témoins, ces valeurs augmentant avec l’âge et les maladies chroniques. Entre 20–30% des patients atteints de SLE ont des aPL positifs. En absence de maladie A-I, la prévalence d’aPL est de 6% pour des complications obstétricales, 10% pour des thromboses veineuses, 11% pour des infarctus du myocarde et 17% pour des accidents vasculaires cérébrales avant 50 ans [4, 5].
La pertinence d’effectuer un dépistage pour les aPL repose sur l’évaluation clinique. Afin d’éviter un surdiagnostic, la recherche d’aPL doit être limitée aux patients ayant un niveau de probabilité pré test élevé (thrombose veineuse/artérielle inexpliquée, fausses couches répétées ou tardives, mort in utero tardive, thrombose et/ou complication obstétricale chez une personne souffrant d’une maladie A-I) [2]. Les tests de dépistage sont également recommandés chez les ­patients diagnostiqués pour un SLE et des connectivites apparentées comme la sclérodermie, même en l’absence d’événement thrombotique.
En cas de résultat positif, le test doit être répété à minimum 12 semaines pour confirmer la persistance d’aPL. En effet, une élévation transitoire des aPL n’est pas inhabituelle par exemple en cas d’infection, de thrombose active, d’infarctus aigu ou d’exposition médicamenteuse. En cas de résultat initial négatif, la bonne sensibilité des tests écarte raisonnablement la nécessité d’investigation supplémentaire. La répétition du test peut toutefois être envisagée en cas de suspicion clinique de SAPL particulièrement élevée.
Le diagnostic définitif de SAPL repose sur l’association d’au moins un critère clinique à au moins un test de laboratoire positif (critères de Sapporo modifiés / de Sydney) (tab. 2) [1].
Tableau 2: Critères diagnostiques du syndrome des anticorps anti-phospholipides (SAPL) (modifié d’après [1]).
Critère clinique (au moins 1):
1. Thrombose vasculaire:≥1 épisode de thrombose artérielle, veineuse ou des petits vaisseaux
2. Complication obstétricale:≥1 épisode de mort fœtale inexpliquée, sans malformation, après la 10e semaine de grossesse
ou
 ≥1 épisode de naissance prématurée avant la 34e semaine de grossesse d’un nouveau-né de morphologie normal, due à une éclampsie ou pré-éclampsie sévère, ou insuffisance placentaire sévère
ou
 ≥3 épisodes d’avortement spontanés consécutifs avant la 10e semaine de grossesse, non-expliqués par des anomalies hormonales, anatomiques ou chromosomiques des deux parents
Critère de laboratoire (au moins 1):
1. aCL (IgG et/ou IgM) élevé dans le sérum/plasma, lors de ≥2 mesures, à minimum 12 semaines de distance, déterminés par méthode ELISA.
2. anti-β2GPI (IgG et/ou IgM) élevé dans le sérum/plasma, lors de ≥2 mesures, à minimum 12 semaines de distance, déterminés par méthode ELISA ou CLIA
3. LA dans le plasma, lors de ≥2 mesures, à minimum 12 semaines de distance, détecté en conformité avec les recommandations.1
1 Miyakis S, Lockshin MD, Atsumi T, Branch DW, Brey RL, Cervera R, et al. International consensus statement on an update of the classification criteria for definite antiphospholipid syndrome (APS). J Thromb Haemost. 2006;4:295–306.
aCL: anti-cardiolipine; anti-β2GPI: anticorps anti-beta-2-glycoprotéine; LA: lupus anticoagulant; ELISA: «enzyme-linked immunosorbent assay»; CLIA: Chemiluminescence Immunoassay.
Bien qu’il s’agisse d’une maladie A-I, la prise en charge de SAPL s’est focalisé jusqu’à présent sur le risque vasculaire. Une stratification du risque se fait selon le profil des aPL ainsi que l’histoire médicale (facteurs de risques cardiovasculaires (FRCV), maladie A-I, antécédents thrombotiques/obstétricaux). On considère un profil aPL à risque élevé en cas de LA positif, de double/triple positifs (2 respectivement 3 positifs de LA, aCL et anti-ß2GPI) et en cas de titre d’aCL ou anti-ß2GPI élevés persistants [2].
La base du traitement de SAPL repose sur les anticoagulants anti-vitamine K (AVK). Les anticoagulants oraux directs sont déconseillés, car moins efficaces [2].Dans certains cas, l’association d’Aspirine® est proposée [2, 3]. Chez les femmes enceintes, les AVK étant tératogènes, il est impératif de les remplacer par l’héparine [3]. Dans les cas rares de syndrome catastrophique des aPL, la combinaison d’héparine, de corticostéroïdes, de plasmaphérèses, et d’immunoglobulines intraveineuses est recommandée. L’adjonction d’anticorps monoclonaux (rituximab, éculizumab) ou d’antimalarique de synthèse (hydroxychloroquine) peut être discutée.

Suivi du patient

Notre patiente présente 1 critère clinique (thrombose artérielle) et 2 critères de laboratoire (aCL et anti-ß2GPI positifs) pour le SAPL. Le risque de récidive d’évènement vasculaire est élevé (double positivité des aPL, à titres élevés) et s’additionne aux autres FRCV traditionnels. Les tests de laboratoire sont répétés à 12 semaines et confirment la présence d’aPL. Le diagnostic de SAPL est établi, motivant la poursuite d’une anticoagulation par AVK associé à un traitement antiagrégant plaquettaire, sans récidive d’évènement thrombotique.

Messages principaux

• Le dosage des anticorps anti-phospholipides (aPL) peut être positif dans une population saine. La recherche des aPL doit donc être réservé à une population à probabilité clinique de syndrome des aPL (SAPL) élevée, et un résultats positif doit être confirmé à distance de 12 semaines.
• Le traitement anticoagulant affecte la recherche de lupus anticoagulant (LA), mais pas les tests sérologiques pour les anticorps anti-cardiolipine (aCL) et anticorps anti-beta-2-glycoprotéine (anti-ß2GPI).
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Adnan Nozic
Service de médecine interne
Centre hospitalier univer­sitaire vaudois (CHUV)
Rue du Bugnon 46
CH-1005 Lausanne
adnan.nozic[at]chuv.ch
1 Miyakis S, Lockshin MD, Atsumi T, Branch DW, Brey RL, Cervera R, et al. International consensus statement on an update of the classification criteria for definite antiphospholipid syndrome (APS). J Thromb Haemost. 2006;4:295–306.
2 Tektonidou MG, Andreoli L, Limper M, Amoura Z, Cervera R, Costedoat-Chalumeau N, et al. EULAR recommendations for the management of antiphospholipid syndrome in adults. Ann Rheum Dis. 2019;78(10):1296–1304.
3 Abo SM, DeBari VA. Laboratory evaluation of the antiphospholipid syndrome. Ann Clin Lab Sci. 2007;37(1):3–14.
4 Garcia D, Erkan D. Diagnosis and Management of the Antiphospholipid Syndrome. N Engl J Med. 2018;378:2010–21.
5 Petri M. Epidemiology of the antiphospholipid antibody syndrome. J Autoimmun. 2000;15:145–51.