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Depuis 2015, l’Europe et la Suisse sont confrontées à une augmentation du nombre de réfugiés. Chez les réfugiés également, les médecins de famille peuvent s’attendre à des infections le plus souvent connues et courantes. Il est essentiel de souligner que la population locale ne court actuellement pas de risque accru d’infections lié aux requérants d’asile et aux réfugiés. En fonction des symptômes ou de l’origine géographique, il est judicieux de rechercher certaines maladies infectieuses graves chez les réfugiés.
Introduction
D’ici le début de l’année 2018, un groupe de travail de la Confédération et des cantons élaborera des recommandations relatives à la prise en charge sanitaire des réfugiés. Avec cet article, nous souhaitons d’ores et déjà mettre à disposition des médecins de famille un premier guide pratique pour la recherche diagnostique des principales infections chez les requérants d’asile et les réfugiés: Quels examens et traitements peuvent être mis en œuvre dans la médecine de premier recours? Quand est-il judicieux d’adresser le patient à un spécialiste?
Le thème «Vaccinations chez les réfugiés» est abordé dans un autre article que nous avons rédigé et qui paraît également dans ce numéro du Forum Médical Suisse (p. 1075). Les lignes directrices canadiennes constituent une excellente référence contenant des recommandations détaillées [1].
Surmonter la barrière de la langue
Avec les réfugiés, l’anamnèse n’est pas toujours facile; autant que la langue le permet, il convient de leur fournir les meilleures explications possibles.
En raison de la barrière linguistique fréquente, l’anamnèse (fig. 1) devrait si possible se dérouler en présence d’un traducteur professionnel. Ce dernier est toutefois rémunéré par le médecin de famille ou par l’hôpital lui-même, raison pour laquelle, dans le quotidien clinique, l’anamnèse est souvent tributaire de l’aide de membres de la famille ou de connaissances du patient, pour la traduction. Cette situation ne va pas sans problèmes et peut être à l’origine d’erreurs médicales [2]. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) préconise de faire appel à un service d’interprétariat téléphonique accessible 24h/24 et 7 jours/7 (3,0 CHF/min, au minimum 30 CHF par mission), voir .
Figure 1: Points essentiels pour l’anamnèse des réfugiés. | |
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• Symptômes actuels • Pays d’origine, itinéraire de migration avec pays traversés, durée de la migration • Antécédents médicaux, opérations, (anciennes) prescriptions médicamenteuses, hospitalisations • Statut vaccinal – la plupart des réfugiés n’ont aucun carnet de vaccination, mais beaucoup ont été vaccinés • Maladies infectieuses dans l’entourage (par ex. gale, VIH, hépatite B ou tuberculose chez des membres de la famille, dans le centre d’accueil) • Durée actuelle du séjour en Suisse – certaines infections tropicales sont a priori improbables en raison de leur courte période d’incubation: | |
Période d’incubation <21 jours | Période d‘incubation >21 jours |
Grippe | Abcès hépatique amibien |
Dengue, chikungunya, fièvre jaune, Zika | Infection aiguë par le VIH |
Infection aiguë par le VIH | Hépatite A, B, C |
Campylobacter, shigellose, salmonellose | Brucellose |
E. coli entérotoxique | Schistosomiase aiguë |
Rickettsiose | Paludisme à Plasmodium vivax, ovale, malariae |
Leptospirose | Syphilis secondaire |
Paludisme | Filariose |
Rougeole | Leishmaniose viscérale |
Typhus/paratyphus | Maladie du sommeil |
Cytomégalovirus | |
Leptospirose | |
Toxoplasmose | |
Ebola |
Par ailleurs, il existe une quantité considérable de supports de communication multilingues, qui peuvent être utilisés lors de l’anamnèse (il est possible de se les procurer via les services médicaux cantonaux ou de les télécharger à partir du site internet de la Croix-Rouge suisse (www.). Les informations relatives aux examens et traitements dans les structures d’asile de la Confédération sont transmises aux médecins assurant la suite de la prise en charge par l’intermédiaire des cantons et communes (le cas échéant, demande auprès de la coordination de l’asile ou du Service du médecin cantonal).
Il est essentiel de signaler que les réfugiés ont les mêmes droits des patients que la population locale, notamment en matière de secret médical, ainsi que de droit à l’information et à la participation aux décisions pour les mesures diagnostiques/thérapeutiques et la participation à la recherche, ainsi que pour les éventuelles mesures de contrainte. Ainsi, la seule attitude éthique acceptable est la suivante: les réfugiés sont informés autant que la langue le permet et ne sont pas traités différemment de la population locale.
Le plus souvent, des diagnostics tout à fait courants
Chez les réfugiés également, les symptômes typiques correspondent plutôt à des diagnostics courants qu’à des diagnostics exotiques; en cas de doute, concertation avec un spécialiste.
La figure 2 fournit un résumé des symptômes majeurs fréquents chez les réfugiés, accompagnés des principaux diagnostics différentiels. Les affections banales, telles que les infections respiratoires virales ou la gastro-entérite, sont également fréquentes chez les réfugiés et les infections graves, telles que la tuberculose, sont relativement rares. Dès lors, chez les réfugiés également, il convient en premier lieu d’envisager des maladies fréquentes (par ex. refroidissement, bronchite virale ou exacerbation de BPCO) en cas de courte durée des symptômes et de les traiter en conséquence. Si le traitement usuel n’entraîne pas d’amélioration (par ex. absence d’amélioration d’une toux en apparence d’origine virale après 2–3 semaines, non-réponse d’une pneumonie à un antibiotique) ou en cas de symptômes inhabituels (par ex. perte de poids, sueurs nocturnes, détérioration progressive de l’état général), il convient de rechercher des maladies graves.
Figure 2: Infections fréquentes chez les réfugiés en fonction des symptômes dominants. | |||
Symptôme dominant | Principales infections + autres symptômes possibles | Examens recommandés | Traitement |
78894 / SMF-02830-fig-Frau mit Bauchweh.jpg | – Parasites intestinaux – (vers, protozoaires) – Abcès hépatique amibien | – Examen microscopique des selles
(2-3 tubes avec milieu SAF) pour recherches d’œufs de vers et parasites – PCR multiplexe à partir des selles – Sérologie des helminthes y compris strongyloïdes – Echographie abdominale et sérologie, surtout en cas d’abcès hépatique amibien | Traitement spécifique selon l’avis de l’infectiologue ou du spécialiste en médecine tropicale |
Douleurs abdominales chroniques Diarrhée persistante | |||
78895 / SMF-02830-fig-Eosinophilie.jpg | – Schistosomiase – Strongyloïdose – Autres parasites en fonction de l’exposition | – Mise en évidence microscopique d’œufs de vers, y compris schistosomes, dans l’urine/les selles – Sérologie des helminthes, y compris schistosomes et strongyloïdes | Traitement spécifique selon l’avis de l’infectiologue ou du spécialiste en médecine tropicale |
Hyperéosinophilie asymptomatique | |||
78896 / SMF-02830-fig-Scabies.jpg | – Gale | – Traitement empirique à bas seuil du patient et de l’ensemble des personnes en contact étroit avec le patient – Eventuellement, diagnostic dermatologique | – Ivermectine*, ** – Alternative: perméthrine 5%*, *** |
Papules prurigineuses, souvent érythémateuses surtout au niveau des mains («palmures»), de l’aine et de la région génitale | |||
78897 / SMF-02830-fig-Haululkus.jpg | – Streptocoques et staphylocoques, y compris SARM – Diphtérie cutanée (souvent pseudomembranes sur plaies, douloureux, surtout les jambes, en partie multiloculaire) – Mycobactérioses – Leishmaniose cutanée | – Traitement empirique par amoxicilline/acide clavulanique pendant quelques jours – Culture bactériologique générale – En l’absence d’amélioration: biopsie à l’emporte-pièce | Concertation avec un infectiologue concernant le diagnostic et le traitement |
Ulcère cutané chronique | |||
78898 / SMF-02830-fig-Mann mit Fieber.jpg | – Tuberculose, autres mycobactérioses – Paludisme**** – Histoplasmose, autres infections fongiques disséminées – Leishmaniose viscérale – Hépatite virale A, B, C, E – VIH, EBV, CMV – Brucellose – Fièvre récurrente à poux (borrelia recurrentis) | – 2x2 hémocultures – Tuberculose: radiographie thoracique, diagnostic microbiologique – Frottis sanguin paludisme (tube EDTA) + test rapide en cas de séjour dans des zones endémiques – Sérologies: hépatite A, B, C et E, VIH, EBV, CMV – Sérologie de la brucellose, hémocultures – Test de la goutte épaisse pour borrelia recurrentis durant la poussée de fièvre | Orientation du patient vers un spécialiste pour diagnostic et traitement |
Fièvre persistante | |||
* Non disponible en Suisse, voir tableau 2. ** (Stromectol®)* p.o. 0,2 mg/kg en dose unique, répéter 2–3 semaines plus tard (contre-indication: grossesse, enfant <15 kg) *** Prise unique topique (étendue, à l’exception du visage et des muqueuses; rincer 8–12 heures plus tard, en cas de grossesse déjà après 2 heures), répéter 1–2 semaines plus tard **** Chez les réfugiés originaires d’Afrique de l’Est et d’Afghanistan, souvent paludisme à Plasmodium vivax. Traitement des formes hépatiques «dormantes» par primaquine (annexe 2); exclure auparavant un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase |
En cas de doute, il est recommandé de ne pas hésiter à prendre contact avec un infectiologue ou un spécialiste en médecine tropicale.
Prévention par une vaccination précoce
Les réfugiés sont souvent susceptibles de contracter la varicelle et certaines maladies à prévention vaccinale.
En 2016, en Allemagne, des cas de grippe et de varicelle ont été signalés nettement plus souvent chez des réfugiés que dans la population locale [3]. L’hépatite A, la rougeole et les oreillons ont aussi été fréquemment signalés. Toutes ces affections sont des infections évitables par la vaccination. En outre, la grippe et la varicelle sont très contagieuses et peuvent donner lieu à des flambées en cas de promiscuité (hébergements collectifs). On ne soulignera donc jamais assez l’importance de la vaccination précoce des réfugiés (idéalement dans les quelques jours suivant l’arrivée).
VIH, syphilis, hépatite B et C
Il ne faut pas hésiter à rechercher des infections chroniques, telles que l’infection par le VIH, la syphilis et l’hépatite B et C.
Ces infections sont en partie plus fréquentes dans les pays d’origine des réfugiés qu’en Suisse. Elles peuvent avoir des conséquences graves pour les patients et peuvent aujourd’hui être traitées efficacement. Par ailleurs, ces infections se caractérisent souvent par une phase de latence asymptomatique de plusieurs années, durant laquelle les personnes infectées sont contagieuses. Un diagnostic précoce permet donc d’initier un traitement et ainsi, de prévenir les principales complications chez la personne infectée (hépatite B et C: cirrhose hépatique; VIH: maladies opportunistes et SIDA; syphilis: atteintes organiques, formes tardives). En outre, un traitement précoce minimise le risque de contamination des partenaires sexuels. Les symptômes potentiels, conséquences tardives et tests de laboratoire recommandés sont résumés dans le tableau 1.
Tableau 1: Infections chroniques graves devant aussi volontiers être recherchées chez les réfugiés visiblement en bonne santé. | |||
Infection | Symptômes fréquents | Dépistage | Traitement, commentaires |
VIH | – Souvent asymptomatique pendant des années – Primo-infection par le VIH (env. 2–3 semaines après contamination): fièvre, grippe, ulcères buccaux, éruption maculo-papuleuse, méningite aseptique, lymphadénopathie – Stade SIDA: maladies opportunistes | Sérologie VIH de
4e génération
En cas de suspicion de primo-infection: PCR (ARN VIH) | – Dépistage chez tous les réfugiés d’Afrique subsaharienne – Si positif: orientation vers un infectiologue |
Syphilis | – Stade primaire: ulcère/nodules génitaux, anaux, oraux (10–90 jours après la contamination) – Stade secondaire: éruption cutanée, lymphadénopathie, fièvre, hépatite, défaillances des nerfs cérébraux – Phase de latence: le plus souvent asymptomatique pendant des années – Stades avancés (tabes dorsalis, aortite, gomme): concertation avec un spécialiste | EIA ou TPPA de la syphilis | – La syphilis primaire et secondaire peuvent également disparaître spontanément sans traitement – Exclusion d’une neurosyphilis au moyen d’une ponction lombaire: en cas de céphalées, de symptômes visuels ou auditifs, orientation du patient vers un infectiologue |
Tuberculose (TB) | – Le plus souvent asymptomatique
pendant des années («TB latente») – Suspicion de TB active: fièvre prolongée, toux, sueurs nocturnes, perte de poids, gonflement persistant des ganglions lymphatiques, douleurs abdominales indéterminées | Asymptomatique: Dépistage non recommandé en Suisse; test sanguin interféron (Quantiferon® ou T.Spot.TB®) | – En cas de suspicion de TB active: radiographie thoracique, microscopie, PCR et culture des biopsies appropriées / fluides corporels |
Hépatite B | – Le plus souvent asymptomatique
pendant des années – Eventuellement ictère, symptômes pseudo-grippaux, signes d’hépatopathie chronique (par ex. varices œsophagiennes, ascite) | Antigène HBs, Anticorps HBc | – Dépistage en cas de prévalence >2% dans le pays d’origine (notamment pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe de l’Est) – Antigène HBs et anticorps HBc négatifs: non infecté → vaccination à 0, 1 et 6 mois – Antigène HBs positif et anticorps HBc positif ou négatif → infection aiguë ou chronique → concertation avec un infectiologue/hépatologue – Antigène HBs négatif et anticorps HBc positif → immunité probable → concertation |
Hépatite C | – Le plus souvent asymptomatique
pendant des années – Ictère, symptômes pseudo-grippaux, signes d’hépatopathie chronique (par ex. varices œsophagiennes, ascite) | Anticorps VHC | – Dépistage en cas de prévalence >3% dans le pays d’origine (notamment pays d’Asie centrale, d’Europe de l’Est, du Proche-Orient, d’Afrique du Nord et d’Afrique
subsaharienne) – Si positif: ARN VHC (méthode PCR) – Si ARN VHC négatif → antécédent d’hépatite C, pas d’infection chronique – Si ARN VHC positif → orientation vers un infectiologue/hépatologue |
Schisto- somiase | – Souvent asymptomatique – Douleurs abdominales chroniques, diarrhée, splénomégalie, anémie, hypoalbuminémie, microhématurie, éosinophilie asymptomatique – Cirrhose hépatique, rétention urinaire/fibrose des voies urinaires, cancer de la vessie | Sérologie | – Dépistage chez tous les réfugiés d’Afrique subsaharienne – Praziquantel* 60 mg/kg en dose unique, éventuellement 2e dose après 3-4 semaines – Praziquantel seulement en cas de sérologie de la neurocysticercose négative |
Strongyloïdose | – Souvent asymptomatique – Douleurs abdominales chroniques, diarrhée | Sérologie | – Dépistage chez tous les réfugiés d’Asie du Sud-Est et d’Afrique – Avant l’administration d’immunosuppresseur, exclusion d’une strongyloïdose au moyen d’une sérologie en raison du risque de syndrome d’hyperinfection |
* Non disponible en Suisse, voir tableau 2. |
Pour ces raisons, l’indication de réalisation de tests sérologiques pour le dépistage de ces infections doit être posée généreusement, y compris chez les personnes asymptomatiques et ayant l’air en bonne santé (un dépistage systématique n’est pas recommandé par l’OFSP). La réalisation d’un test de dépistage du VIH est tout particulièrement recommandée chez les sujets originaires d’Afrique subsaharienne ou en présence de facteurs de risque spécifiques (par ex. hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, suspicions d’abus sexuel; consentement verbal nécessaire pour la réalisation du test). La réalisation d’un test sérologique de dépistage de l’hépatite B est recommandée chez les réfugiés originaires de pays où la prévalence de l’hépatite B est >2%, notamment d’Afrique, d’Asie et d’Europe de l’Est. La réalisation d’un test sérologique de dépistage de l’hépatite C peut être judicieuse chez les réfugiés originaires de pays où la prévalence de l’hépatite C est >3%, comme par ex. du Proche-Orient, d’Asie centrale, d’Europe de l’Est, d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne.
Tuberculose
Le dépistage d’une tuberculose latente n’est pas recommandé en Suisse; en cas de symptômes compatibles avec une tuberculose, ne pas hésiter à rechercher une tuberculose active.
Aujourd’hui, dans les centres d’enregistrement de la Confédération, le personnel soignant interroge systématiquement les réfugiés au sujet de la présence de symptômes typiques de la tuberculose. Pour ce faire, il utilise des questionnaires standardisés en 32 langues et des pictogrammes illustratifs (voir ). En se basant sur les réponses, sur l’origine des réfugiés et sur une évaluation de l’état général, il est décidé si des examens doivent être réalisés pour rechercher une tuberculose pulmonaire active.
Depuis 2006, des radiographies thoraciques systématiques ne sont plus réalisées chez les réfugiés adultes en Suisse dans le cadre des mesures à prendre par le Service sanitaire de frontière. De même, les réfugiés ne font pas l’objet d’un dépistage systématique de la tuberculose latente (au moyen du test cutané de Mantoux ou d’un dosage sanguin de l’interféron), comme le préconise par ex. les recommandations aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, et au Canada [1].
Remarque importante pour les médecins de famille: en cas de suspicion de tuberculose active (perte de poids, sueurs nocturnes, toux prolongée, gonflement des ganglions lymphatiques, etc.), il convient de ne pas réaliser un test de dosage de l’interféron, mais de faire appel à un infectiologue ou pneumologue expérimenté. En effet, un test de dosage de l’interféron négatif ne permet pas d’exclure une tuberculose active (sensibilité d’env. 80% seulement). En outre, un test de dosage de l’interféron positif ne permet pas de faire la distinction entre une tuberculose active et latente. Une tuberculose active est recherchée au moyen de l’examen clinique, d’une radiographie thoracique, ainsi que d’une analyse microscopique, d’une PCR mycobactérienne et d’une mise en culture à partir de fluides corporels adaptés (par ex. crachats, matériel prélevé par biopsie des ganglions lymphatiques).
Il ne faut en aucun cas traiter une tuberculose latente tant qu’une tuberculose active n’a pas été exclue, car cela peut être responsable d’une résistance à la rifampicine et/ou à l’isoniazide si une tuberculose active est malgré tout présente. En outre, le traitement d’une tuberculose latente chez les réfugiés est sujet à controverse.
Parasites intestinals
En cas de douleurs abdominales chroniques ou de diarrhée, il convient de rechercher des parasites intestinaux.
Une parasitose intestinale peut évoluer de manière asymptomatique ou être responsable de symptômes non spécifiques semblables à ceux du côlon irritable, de diarrhées chroniques ou de douleurs abdominales chroniques. L’exploration d’une cause infectieuse se fait par examen microscopique des selles (2–3 échantillons de selles dans un tube contenant du SAF). Environ un cinquième des réfugiés peuvent présenter une parasitose intestinale. Dans l’idéal, le traitement spécifique de la parasitose devrait se faire après concertation avec un infectiologue ou un spécialiste en médecine tropicale. Les douleurs au niveau de la partie supérieure droite de l’abdomen, souvent accompagnées de fièvre, sont évocatrices d’un abcès hépatique amibien, qui peut être diagnostiqué par analyse sérologique et échographie hépatique.
La vermifugation empirique par albendazole (dose unique, sans examen des selles) est pratiquée chez les réfugiés aux Etats-Unis et elle est recommandée comme alternative chez les enfants réfugiés par la «Pediatric Infectious Disease Society of Switzerland» (PIGS) [4]; chez les adultes, nous recommandons de réaliser un examen des selles et d’initier un traitement antiparasitaire spécifique.
Schistosomiase
Une schistosomiase doit être recherchée chez tous les réfugiés originaires d’Afrique subsaharienne, ainsi qu’en cas d’hyperéosinophilie asymptomatique, de symptômes intestinaux chroniques ou d’hématurie.
La schistosomiase (bilharziose) est une affection répandue dans de nombreux pays d’origine des réfugiés et elle peut donner lieu à des complications graves (fibrose hépatique, hypertension portale, rétention urinaire/fibrose des voies urinaires, cancer de la vessie). Elle est transmise lors de la baignade en eau douce dans les zones endémiques (Afrique subsaharienne, Egypte, péninsule arabique, Philippines, Laos, côte brésilienne, etc.). Chez les réfugiés, la schistosomiase est souvent asymptomatique ou elle provoque une hyperéosinophilie, des signes d’hypertension portale, une anémie, des diarrhées, des selles sanglantes, ainsi qu’une hématurie ou une dysurie. Env. 70% des réfugiés érythréens en Suisse sont séropositifs.
Chez tous les réfugiés asymptomatiques originaires des zones endémiques mentionnées, ainsi qu’en cas de risque d’exposition dans les pays de transit, il est recommandé de réaliser un dépistage sérologique de la schistosomiase (par ex. par immunoblot à l’Institut tropical et de santé publique suisse [Swiss TPH]). En cas de résultat positif, il est recommandé de se concerter avec un spécialiste. Le traitement de choix reste toujours le praziquantel (dose unique de 60 mg/kg; répétition après 4 semaines – voir tab. 2).
Tableau 2: Commande de médicaments non autorisés en Suisse (par ex. praziquantel, ivermectine, perméthrine 5%). |
Pour un patient défini, une petite quantité d’un médicament peut être introduite par chaque officine ou pharmacie de cabinet suisse. |
Fax au Swiss TPH (anciennement Institut tropical suisse) à Bâle, qui délivre le médicament nécessaire pour un patient défini (le patient est alors officiellement traité par Swiss TPH). Numéro de fax: +41 61 284 81 83. |
Acquisition et traitement via les infectiologues et spécialistes en médecine tropicale |
Dans certains cantons, il existe des solutions spécifiques via les pharmaciens cantonaux. |
Face à une hyperéosinophilie asymptomatique, il faut songer non seulement à d’autres parasites, mais également à la strongyloïdose (anguillulose). En particulier avant l’initiation d’un traitement par stéroïdes systémiques ou autres immunosuppresseurs, il convient de rechercher une strongyloïdose par analyse sérologique et éventuellement examen des selles spécifique (sinon, risque de syndrome d’hyperinfection potentiellement fatal).
Gale
En cas d’éruptions cutanées prurigineuses, avant tout au niveau des mains et dans la région génitale, il convient impérativement de songer à la gale et d’initier un traitement le plus rapidement possible, afin d’éviter les flambées dans les foyers d’hébergement.
La gale (scabiose) est une affection cutanée très contagieuse provoquée par des acariens. Malheureusement, ce diagnostic n’est pas toujours envisagé et les flambées de gale ne sont pas rares dans les centres d’hébergement pour requérants d’asile. En cas de suspicion de gale chez un réfugié, il ne faut dès lors pas hésiter à initier un traitement coordonné du patient et de ses cohabitants. Le diagnostic de la gale repose typiquement sur une inspection visuelle, avec des papules prurigineuses, souvent érythémateuses et égratignées par les grattages au niveau des mains (avant tout espaces interdigitaux), des poignets, de l’aine, de la région glutéale et de la région génitale.
En cas de suspicion clinique, l’idéal est d’initier un traitement empirique immédiat; en cas de tableau clinique douteux ou de flambée potentielle dans le centre d’hébergement, il convient d’adresser le patient à un dermatologue pour un diagnostic spécialisé (NB: Plusieurs semaines s’écoulent entre la contamination et l’apparition du prurit!). Deux options thérapeutiques sont disponibles: d’une part, traitement systémique par ivermectine 0,2 mg/kg par voie orale (sans dose maximale; contre-indiqué durant la grossesse; tab. 2) sous forme de dose unique, avec répétition après 2 semaines; d’autre part, traitement topique étendu (sauf dans le visage et sur les muqueuses) par crème de perméthrine 5% (autorisé durant la grossesse; tab. 2). De nombreux infectiologues privilégient le traitement oral, car il permet d’éviter les erreurs lors de l’application topique et garantit l’observance thérapeutique (prise directement devant le médecin).
Remarque importante: Même en cas de succès thérapeutique, le prurit peut encore persister durant 2 à 4 semaines.
Ulcères cutanés chroniques
Face à un ulcère cutané ne guérissant pas malgré un traitement par amoxicilline/acide clavulanique, des agents pathogènes spécifiques doivent être envisagés.
Lorsqu’un réfugié se présente avec un ulcère cutané ne guérissant pas, le diagnostic le plus fréquent est une infection par streptocoques ou staphylocoques (y compris SARM). Par conséquent, la première étape consiste à prélever un échantillon pour culture bactériologique générale et à initier un traitement par amoxicilline/acide clavulanique, par ex. pour quelques jours. En l’absence d’amélioration, il convient d’envisager des mycobactérioses cutanées, une gale surinfectée, une leishmaniose cutanée (en fonction du pays d’origine, fréquente chez les réfugiés de Syrie) ou une diphtérie cutanée. Pour le diagnostic, il convient de réaliser une biopsie à l’emporte-pièce au niveau du bord de la lésion (pour PCR/culture des mycobactéries, PCR/examen microscopique de la leishmaniose).
Dans l’idéal, les médecins de famille se concerte déjà avec un infectiologue avant la réalisation de la biopsie; le matériel biopsié doit être transporté dans du NaCl et non dans du formol (le formol détruit tous les germes et réduit la sensibilité de la PCR).
Fièvre
En cas de fièvre, une infection virale en est le plus souvent la cause; ne pas hésiter à exclure des infections graves.
Les réfugiés qui se présentent au cabinet avec de la fièvre souffrent eux aussi le plus souvent d’une infection virale non spécifique ou, en fonction de la saison, d’une grippe. En cas de fièvre et de séjour dans une zone endémique au cours des 12 derniers mois, il convient de rechercher le paludisme. Il n’est pas recommandé de réaliser un dépistage du paludisme chez les réfugiés asymptomatiques.
En cas de symptômes grippaux prolongés plus élévation des transaminases et éventuellement ictère (pas obligatoire) ou douleurs au niveau de la partie supérieure de l’abdomen, il convient de réaliser des analyses sérologiques pour rechercher une hépatite A, B, C et E. En effet, les cas d’hépatite virale étaient fréquents chez les réfugiés en Allemagne en 2015/2016 [3]. Dans le cadre du diagnostic différentiel, il convient d’envisager des infections courantes, telles que l’infection par cytomégalovirus (CMV), par virus d’Epstein-Barr (EBV), par VIH, ou par la syphilis, ainsi que, en fonction du pays d’origine, la leishmaniose viscérale ou le paludisme.
En cas de fièvre avec détérioration prolongée de l’état général, perte de poids et éventuellement cytopénies ou hépatosplénomégalie, il est recommandé d’adresser le patient à un infectiologue/spécialiste en médecine tropicale. En effet, le diagnostic peut s’avérer fastidieux et le diagnostic différentiel est vaste (tuberculose, leishmaniose viscérale, brucellose, infections fongiques telles qu’histoplasmose, néoplasies telles que leucémie ou lymphome).
Chez les patients avec fièvre élevée ne parvenant pas à être abaissée, état général détérioré, tachycardie, tachypnée et/ou mauvaise saturation en oxygène, une hospitalisation rapide pour investigations complémentaires et un traitement s’imposent.
L’essentiel pour la pratique
• La population locale ne court actuellement pas de risque accru d’infections lié aux réfugiés.
• Chez les réfugiés également, il convient en premier lieu de songer à des infections courantes; des diagnostics graves doivent être recherchés en cas d’évolution inhabituelle ou de détérioration de l’état général.
• Les réfugiés présentent une fréquence accrue de certaines maladies à prévention vaccinale (par ex. varicelle, rougeole, grippe) et de tuberculose.
• Un dépistage systématique du VIH, de l’hépatite B et de l’hépatite C n’est pas recommandé; en fonction de la prévalence dans le pays d’origine ou des facteurs de risque, il ne faut pas hésiter à rechercher ces infections chroniques.
• En cas de symptômes compatibles avec la tuberculose (sueurs nocturnes, perte de poids, gonflement prolongé des ganglions lymphatiques, symptômes indistincts), le patient doit être adressé à un spécialiste pour des examens radiologiques et microbiologiques. Les tests sanguins de dosage de l’interféron ne sont pas recommandés pour la recherche d’une tuberculose active.
• Chez les réfugiés avec douleurs abdominales chroniques ou diarrhée: examen microscopique des selles pour recherche d’œufs de vers/de parasites (2–3 échantillons) et analyse sérologique pour recherche d’helminthes, y compris strongyloïdose (par ex. immunoblot au Swiss TPH).
• Chez les réfugiés originaires d’Egypte et d’Afrique subsaharienne: dépistage sérologique de la schistosomiase.
• Le prurit au niveau des mains et de la région génitale est évocateur de la gale, qu’il ne faut pas hésiter à traiter, le plus souvent sans examens diagnostiques préalables.
• En cas d’ulcères cutanés ne guérissant pas, il convient d’envisager des agents pathogènes bactériens résistants, des infections mycobactériennes, une leishmaniose ou une diphtérie cutanée; une concertation avec un spécialiste s’impose.
• En cas d’incertitudes, il ne faut pas hésiter à prendre contact avec un infectiologue/spécialiste en médecine tropicale.
Prise en charge diagnostique et thérapeutique des requérants d’asile en Suisse
L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) prévoit une répartition claire des responsabilités en ce qui concerne la prise en charge diagnostique et thérapeutique des requérants d’asile en Suisse [5]:
Dans les centres d’enregistrement et de procédure (CEP) de la Confédération (à Altstätten, Bâle, Chiasso, Kreuzlingen, Vallorbe et Zurich), les directives relatives aux mesures à prendre par le service sanitaire de frontière de 2008 s’appliquent. Ces mesures sont en premier lieu exécutées par du personnel soignant:
– Informations en plusieurs langues (souvent sur une base vidéo) concernant le système de santé suisse, l’accès aux vaccinations et la prévention du VIH/sida.
– Distribution de préservatifs (prévention de la transmission du VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles).
– Dépistage de la tuberculose pulmonaire et évaluation de l’état général au moyen de questions standardisées en 32 langues avec pictogrammes illustratifs (voir texte et ).
– Le traitement des affections nécessitant un traitement immédiat, y compris des maladies infectieuses, est encore initié durant la procédure fédérale et il est mené à terme soit en Suisse soit dans un pays de renvoi.
– L’administration de vaccins et la poursuite éventuelle d’un traitement antituberculeux débuté sont explicitement déléguées par la Confédération aux cantons.
– Les traitements au long cours doivent être mis en adéquation avec la perspective temporelle d’un séjour en Suisse. Au plus tard après le transfert dans les communes, la prise en charge médicale des requérants d’asile est identique à celle du reste de la population.
Recommandations pour les enfants et les adolescents
Des recommandations relatives aux enfants requérants d’asile ont récemment été publiées par la «Pediatric Infectious Disease Society of Switzerland» (PIGS) (librement accessibles sur ) [4]. Ils sont résumées ci-dessous.
Tests recommandés chez tous les enfants et adolescents requérants d’asile
– antigène HBs, anticorps anti-HBc;
– anticorps anti-VIH;
– examen microscopique des selles (3x) pour la recherche d’œufs de vers/de parasites (ou alternativement, vermifugation empirique par une dose unique de 400 mg d’albendazole);
– test cutané à la tuberculine chez les enfants âgés de <5 ans.
Tests recommandés en fonction de l’âge, des facteurs de risque et de l’épidémiologie
– Test cutané à la tuberculine chez les enfants âgés de >5 ans (ou test sanguin de dosage de l’interféron, si indisponible) en cas de toux persistante, de fièvre persistante d’origine indéterminée, de perte de poids, de troubles de la croissance, de léthargie d’origine indéterminée, etc;
– Sérologie de la schistosomiase chez les enfants originaires d’Afrique, du Proche-Orient, du Brésil, du Venezuela, des Caraïbes, du Surinam, de Chine, d’Indonésie, des Philippines, du Laos et du Cambodge;
– Sérologie de la strongyloïdose chez les enfants originaires d’Asie du Sud-Est et d’Afrique et chez tous les enfants immunodéprimés;
– Recherche du paludisme en cas de fièvre et de séjour dans une zone endémique;
– Sérologie de la maladie de Chagas chez les enfants originaires d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud;
– Dépistage de la syphilis par Treponema pallidum Particule Agglutination (TPPA) ou Treponema enzyme immunoassay (EIA) chez les enfants âgés de <2 ans ou de >12 ans, ainsi qu’en cas d’anamnèse d’abus sexuel.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Image d'en-tête: Randy DuBurke, randyduburke.com
PD Dr méd. Philip Tarr
Medizinische
Universitätsklinik
Kantonsspital Baselland
CH-4101 Bruderholz
philip.tarr[at]unibas.ch
PD Dr méd. Philip Tarr
Medizinische
Universitätsklinik
Kantonsspital Baselland
CH-4101 Bruderholz
philip.tarr[at]unibas.ch
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