Allergie au venin d’insectes
Un aperçu

Allergie au venin d’insectes

Übersichtsartikel AIM
Édition
2017/08
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.02901
Forum Med Suisses. 2017;17(08):194-200

Affiliations
Universitätsklinik für Rheumatologie, Immunologie und Allergologie, Inselspital, Bern

Publié le 21.02.2017

En Suisse, ce sont chaque année trois à quatre personnes qui décèdent en raison d’une réaction allergique sévère suite à une piqûre d’insecte. Cet article de revue détaille les principaux insectes, facteurs de risque et manifestations cliniques des réactions allergiques consécutives aux piqûres d’insectes, ainsi que leur traitement aigu. Les derniers procédés diagnostiques ainsi que les traitements – et en particulier l’immunothérapie spécifique au venin d’insectes – y sont également présentés.

Introduction

Avec largement plus d’1 million d’espèces, les insectes sont la classe du règne animal possédant le plus d’espèces. Avec les médicaments et les aliments, les insectes font partie des principales causes de réactions allergiques sévères. En Europe centrale, les symptômes allergiques sont principalement déclenchés par des piqûres d’hyménoptères. Parmi les principaux représentants de cet ordre, on compte les abeilles et les guêpes, mais également les frelons, les bourdons ou les fourmis. Le dard est utilisé aussi bien pour la défense que pour l’attaque et la mise à mort de proies.
Chez l’homme, les piqûres d’hyménoptères entraînent le plus souvent une tuméfaction locale douloureuse. Suite à une sensibilisation, il peut y avoir une formation d’anticorps IgE spécifiques contre les protéines venimeuses qui, en cas de nouvelle piqûre, peuvent entraîner des réactions allergiques généralisées. Les réactions anaphylactiques sévères peuvent avoir une évolution potentiellement mortelle. L’incidence des événements fatals est estimée entre 0,03 et 0,48 par million d’habitant. En Suisse, ce sont en moyenne trois à quatre personnes qui en décèdent par an.
Un taux accru de tryptase sérique s’est révélé être un facteur de risque de réaction généralisée sévère suite aux piqûres d’insectes, raison pour laquelle la détermination de cette sérine protéase fait partie du diagnostic d’une allergie au venin d’insecte. Chez tous les patients présentant une réaction généralisée sévère, un bilan allergologique en vue d’une immunothérapie spécifique par venin d’insecte («venom immunotherapy», VIT) est indiqué. La VIT est considérée comme le seul traitement causal efficace d’une allergie au venin d’hyménoptères. Les développements du diagnostic moléculaire avec identification d’allergènes spécifiques au venin ont entraîné l’amélioration du diagnostic.

Entomologie

En Europe, les insectes des deux familles apidés et vespidés sont centraux pour les événements allergiques. Les principaux représentants de la famille des apidés sont les abeilles (Apis melifera) et les bourdons (Bombus terrestris et B. agrorum, entre autres); pour ce qui est de la famille des vespidés, il s’agit des vespula (par ex. Vespula germanica,V. vulgaris) et des dolichovespula (par ex. Dolichovespula media, D. saxonica) ainsi que des frelons (par ex. Vespa crabro) [1]. Les piqûres de guêpes polistes (par ex. Polistes dominulus, P. gallicus) sont avant tout responsables de réactions allergiques généralisées dans les pays méditerranéens. En Europe centrale et en Europe du Nord, les espèces de polistes sont moins fréquentes, mais les observations indiquent qu’elles se sont répandues en direction du Nord au cours des dernières années. Le frelon asiatique (Vespa velutina) s’est récemment introduit en Europe. Depuis son apparition dans le sud de la France en 2005, il se répand rapidement en direction du Nord [2]. Contrairement à d’autres espèces de guêpes, la vespula, en particulier, affiche une préférence pour la nourriture humaine, raison pour laquelle les piqûres surviennent souvent dans le contexte des repas ou de leur préparation. Les piqûres de frelons et de dolichovespula surviennent à l’inverse presque exclusivement à proximité de nids.
D’un point de vue morphologique, les abeilles se distinguent des vespidés par leur pilosité corporelle nettement plus marquée. L’abdomen est brunâtre et ne porte, contrairement aux vespidés, aucune rayure transversale nette. Etant donné que le dard des abeilles est pourvu de barbillons, il reste généralement ancré dans la peau après la piqûre. Toutefois, il arrive parfois que les guêpes aussi perdent leur dard. Les piqûres d’abeille peuvent survenir dès le printemps; pour les guêpes en revanche, les piqûres surviennent généralement après l’été.
La composition du venin des vespidés est certes semblable, mais pas identique. Le venin des frelons et celui des dolichovespula présente ainsi une réactivité croisée élevée avec celui des vespula. Il existe toutefois des différences avec le venin des polistes. Le venin des abeilles et des bourdons présente lui aussi une certaine réactivité croisée, ce dont il convient de tenir compte lors de la pose de l’indication d’une VIT. La quantité de venin qui parvient dans le corps d’une proie ou d’un homme après une piqûre varie entre les différentes espèces d’insectes. Chez les abeilles, la quantité par piqûre est environ 50 μg; chez les guêpes, elle est comprise entre 2 et 14 μg de venin [3].

Manifestations cliniques

Toute réaction cutanée consécutive à une piqûre d’insecte n’est pas synonyme d’allergie. L’identification correcte d’une réaction facilite une classification correcte des symptômes, ce qui peut aider à la décision d’un éventuel diagnostic et traitement. Les réactions à des piqûres sont classées comme suit: locale normale, locale sévère, systémique toxique, systémique allergique et inhabituelle (voir tab. 1).
Tableau 1: Manifestations cliniques consécutives à des piqûres d’hyménoptères.
Type de réactionSymptômesTraitement aigu Pathogenèse Investigations
Réaction normale– Tuméfaction cutanée <10 cm
– Durée: <24 hMesures anti-inflammatoiresNon allergiqueNon indiquées
Réaction locale sévère– Tuméfaction cutanée >10 cm (parfois de grande ampleur, par ex. tuméfaction du bras entier, des doigts à l’épaule)
– Durée >24 h
– Rarement, co-symptômes: lymphadénopathie, lymphangite, fièvre, malaise, maux de tête
– Mesures anti-inflammatoires (refroidissement du site de ­piqûre, position surélevée)
– Anti-inflammatoires non ­stéroïdiens (application locale et systémique)
Non allergiqueNon indiquées (pas de risque ­accru d’une future réaction ­généralisée)
Réaction toxique– Rhabdomyolyse, hémolyse intravasculaire, troubles de la coagulation, lésions rénales, hépatiques et myocardiques, insuffisance hépatique, œdème cérébral
– Réactions potentiellement mortelles: à partir de 100 piqûres chez l’adulte et 50 chez l’enfant
En fonction des symptômes – Action cytotoxique de la mélittine, des phospholipases et des kinines après de multiples piqûres d’hyménoptères
– Généralement non allergique
Envisager des ­investigations
Réaction allergique ­systémiqueClassés selon les critères de H.L. Mueller (voir tab. 2)– En fonction du degré de sévérité
– Réactions légères (par ex. ­urticaire isolée): antihistaminique et corticoïdes.
– Anaphylaxie: adrénaline intra­musculaire (0,1 mg pour 10 kg de poids corporel), antihistaminique et corticoïdes (voie orale ou intraveineuse), éventuellement substitution volumique et administration d’oxygène (voir également tab. 4)
AllergiqueInvestigations ­indiquées vis-à-vis de la VIT («venom immunotherapy»)
Réaction inhabituelleEntre autres: lymphadénopathie, neuro­pathies périphériques, syndrome ­extrapyramidal, encéphalomyélite aiguë disséminée, arthralgies, vasculites, ­néphrite glomérulaire et interstitielleEn fonction des symptômesNi mécanisme médié par IgE, ni mécanisme toxiqueEnvisager des ­investigations

Réactions allergiques systémiques après piqûre d’hyménoptère

Après chaque piqûre d’insecte, une sensibilisation aux composants du venin peut se former. Cela signifie que l’organisme produit des anticorps IgE spécifiques. En cas de nouvelle piqûre, une réaction allergique peut se développer comme conséquence de cette sensibilisation.
En Suisse, la classification du degré de sévérité d’une allergie au venin d’insecte s’effectue en majeure partie selon les critères de H.L. Mueller (tab. 2). Une deuxième catégorisation est celle de Ring & Messmer, principalement utilisée en Allemagne. Toutefois, les deux systèmes ne sont pas identiques en ce qui concerne les symptômes et la classification.
Tableau 2: Classification des réactions allergiques généralisées d’après H.L. Mueller et indication d’immunothérapie spécifique par venins d’insectes («venom immunotherapy», VIT).
Degré de ­sévérité Manifestation cliniqueIndication de VIT
IUrticaire généralisée, prurit, malaise, anxiété Aucune indication, ni chez l’adulte ni chez l’enfant. Exceptions: personnes à haut risque, par ex. apiculteurs, couvreurs, chauffeurs de bus, etc.
IIToutes manifestations du degré inférieur, plus deux ou plus des manifestations suivantes: 
angio-œdèmes (œdème distal comme unique symptôme = degré II), sentiment de pression dans la poitrine, nausée, vomissements, ­colique abdominale, diarrhée, sensations de vertigeAucune indication générale. A envisager dans des ­situations spécifiques (groupes à risque, forte anxiété).
IIIToutes manifestations du degré inférieur, plus deux ou plus des manifestations suivantes: 
dyspnée, «wheezing», stridor (toute forme de détresse respiratoire = degré III), dysphagie, dysarthrie, ­enrouement, sensation de faiblesse, confusion, peur de mourirIndiquée et recommandée
IVToutes manifestations du degré inférieur, plus deux ou plus des manifestations suivantes: 
chute de la pression artérielle (perte ­générale de force, crise de vertiges massive), collapsus, perte de conscience, incontinence urinaire/fécale, cyanoseIndiquée et recommandée
La prévalence d’une réaction allergique systémique consécutive à une piqûre d’hyménoptère est estimée à 0,3–8,9% [1, 4]. Le risque augmente avec la fréquence des piqûres et il est particulièrement élevé lorsque deux piqûres ont lieu en peu de temps [5]. Les patients atopiques ne présentent pas de risque plus élevé de réaction allergique à une piqûre d’hyménoptère que les patients non atopiques. En revanche, le risque de récidive dépend de différents facteurs tels que l’âge et la réaction index, ou bien la prise de médicaments (tab. 3). Après une réaction généralisée légère, le risque d’une nouvelle réaction systémique après piqûre d’hyménoptère est chez l’adulte d’env. 30%; ce risque est de 50–70% après une réaction généralisée sévère. Les enfants (<12 ans) ont généralement un plus faible risque de récidive que les adultes [6].
Tableau 3: Facteurs de risque d’une nouvelle réaction systémique après une piqûre d’hyménoptère.
Risque d’exposition accru
Professionnel: apiculteur, agriculteur, bûcheron, vendeur de légume ou de pain, ­pompier, jardinier
Hobbys: vélo, moto, jardinage
Maladies de base ou situation
Taux sérique accru de tryptase basale et mastocytose
Maladies cardiovasculaires sévères
BPCO (GOLD III–IV)
Asthme sévère
Age (>70 ans)
Traitement par bêtabloquants ou inhibiteurs de l’enzyme de conversion de ­l’angiotensine (ECA)
Condition préalable
Le risque augmente lorsque deux piqûres sont subies à intervalle rapproché
Degré de sévérité d’une ancienne réaction à une piqûre
Age (les enfants ont un risque de récidive plus faible que les adultes)
Les personnes allergiques au venin d’abeille ont généralement un risque de récidive plus élevé que les personnes allergiques au venin de guêpe
Un risque de récidive clairement accru existe chez les personnes présentant un taux accru de tryptase sérique basale [7, 8]. En cas de valeurs de tryptase basale >20 μg/l, il convient d’envisager la présence d’une mastocytose. En fonction de la manifestation clinique et des conséquences thérapeutiques, d’autres investigations s’avèrent nécessaires [9, 10].

Traitement aigu d’une réaction généralisée après une piqûre d’insecte

Le principe thérapeutique de toute réaction allergique est uniforme, indépendamment de l’âge, du déclencheur ou du stade clinique. Les réactions légères telles que l’urticaire isolée et/ou une légère tuméfaction du visage peuvent être traitées avec un antihistaminique. Il convient de noter qu’après administration orale, un effet thérapeutique ne peut être escompté qu’après une demi-heure au plus tôt. Bien qu’utilisés dans de nombreux autres cas, les corticoïdes ne sont pas des médicaments d’urgence de première ligne en cas d’anaphylaxie. Même en administration par voie intraveineuse, les médicaments de cette classe de substance ne produisent une certaine efficacité qu’après au moins 1 heure. Selon la recommandation de la «World Allergy Organization» (WAO) ainsi que d’après de nombreuses autres directives internationales et nationales, l’adrénaline constitue le médicament de choix en cas d’anaphylaxie et pour toute réaction allergique généralisée [11, 12]. Il n’existe aucune contre-indication absolue de l’utilisation de l’adrénaline en cas de réaction allergique sévère. L’adrénaline doit toujours être administrée par voie intramusculaire, et non par voie sous-
cutanée! La région idéale pour l’administration intramusculaire d’adrénaline est la zone antéro-latérale de la cuisse. Chez l’adulte, la dose initiale doit être d’au moins 0,3–0,5 mg (règle générale: 0,1 mg pour 10 kg de poids corporel [PC]). Si aucun effet thérapeutique n’est visible après 3–5 minutes, l’administration d’adrénaline doit être répétée. Après l’administration d’adrénaline, il convient de mettre en place le plus rapidement possible un accès veineux et une substitution volumique (50–100 ml/10 kg PC au cours des 5–10 premières minutes en cas de réaction sévère). Si cela est possible, il convient également d’administrer de l’oxygène (masque 40–60%, lunettes 8–10 l/min). En cas de stabilisation insuffisante de la circulation, l’adrénaline doit être fortement diluée puis administrée par voie intraveineuse ou via le Perfusor, sous des conditions de surveillance (tab. 4) [13].
Tableau 4: Traitement aigu d’une réaction anaphylactique.
Mesures générales
– Position d’état de choc et sécurisation des voies respiratoires
– Contrôle des paramètres vitaux: pression artérielle, pouls, respiration, oxymétrie de pouls
– Administration d’oxygène par masque/lunettes
– Si nécessaire: réanimation, défibrillation
Mesures médicamenteuses
AdultesEnfants
Adrénaline
– En règle générale 0,1 mg pour 10 kg poids corporel (PC) par voie intramusculaire
– Dose initiale: 0,3–0,5 mg par voie intramusculaire
– En l’absence de réponse, administration répétée toutes les 3–5 min.
Adrénaline
– 0,01 mg/kg PC par voie intramusculaire
– En l’absence de réponse, administration répétée toutes les 3–5 min.
Accès veineux et substitution volumique
(par ex. NaCl 0,9%, solution électrolytique, solution colloïdale)
– 0,5–1 l, le cas échéant jusqu’à 2–3 l, en fonction de la réponse
Accès veineux et substitution volumique
(par ex. NaCl 0,9%, solution électrolytique, solution colloïdale)
– 20 ml/kg PC
Antihistaminiques
– Inhibiteur des récepteurs H1: par ex. clémastine 2 mg par voie intraveineuse (progressivement!)
– Inhibiteur des récepteurs H2: par ex. ranitidine 150 mg ­(facultatif, mais en combinaison avec H1)
Antihistaminiques
– Inhibiteur des récepteurs H1: par ex. clémastine 0,025–0,05 mg/kg PC par voie intraveineuse (progressivement!)
Glucocorticoïdes
– Méthylprednisolone: 125–500 mg par voie intraveineuse
Glucocorticoïdes
– Méthylprednisolone: 2 mg/kg PC par voie intraveineuse
Bêta-2 mimétique inhalé à courte durée d’action
– Salbutamol aérosol doseur: 2–6 inhalations
Bêta-2 mimétique inhalé à courte durée d’action
– Salbutamol aérosol doseur: 2–6 inhalations

Kit d’urgence allergique pour ­l’automédication

Chaque patient ayant fait l’expérience d’une réaction généralisée suite à une piqûre d’insecte doit disposer de médicaments d’urgence pour une éventuelle automédication. Le kit d’urgence se compose d’antihistaminiques (par ex. 2 comprimés de lévocétirizine, cétirizine ou fexofénadine) ainsi que d’une préparation corticostéroïdienne (par ex. 2 comprimés de prednisolone 50 mg). A la place des comprimés, il est possible chez les enfants en bas âge de prescrire des gouttes d’antihistaminiques (par ex. cétirizine-gouttes 0,25 mg/kg PC) avec des comprimés solubles de cortisone (par ex. Betnesol® 0,2–0,5 mg/kg). Après chaque réaction systémique, il convient de toujours prescrire en plus un auto-injecteur d’adrénaline (Epipen®, Jext®) [12]. Chaque patient devrait recevoir un plan thérapeutique et être correctement instruit à la manipulation de l’injecteur d’adrénaline en question. Afin d’optimiser la prise en charge de l’anaphylaxie et l’exercice au maniement des auto-injecteurs d’adrénaline, des formations sont proposées par le Centre d’Allergie Suisse aha! pour les personnes touchées, les parents, les enseignants, etc.

Bilan allergologique

Après une réaction généralisée consécutive à une piqûre d’hyménoptère, chaque patient doit être soumis à une évaluation allergologique, avant tout vis-à-vis de la VIT. Il est certain que le moment idéal pour un examen allergologique n’est pas clairement défini, mais en règle générale, celui-ci a lieu 3 à 4 semaines après un événement aigu.
La base consiste à recueillir l’anamnèse. Il faut alors s’intéresser entre autres à l’insecte responsable ou présumé, à la localisation de la piqûre, à l’intervalle entre la piqûre et l’apparition des premiers symptômes, à l’ampleur et l’évolution des symptômes, au traitement et à la réponse au traitement, ainsi qu’à d’éventuels facteurs de risque (tab. 3). Un diagnostic spécifique par test cutané et/ou détermination des anticorps IgE spécifiques aux allergènes doit avoir lieu s’il contribue à la classification de la réaction indéterminée ou si des conséquences thérapeutiques en résultent. Etant donné qu’environ 40% de la population présentent une sensibilisation asymptomatique aux venins d’insectes, un test prédictif d’allergie au venin d’insecte n’est pas judicieux. Au contraire, un test qui s’avérerait positif entraînerait une grande inquiétude du patient.

Diagnostic de l’allergie au venin ­d’hyménoptères

La méthode de test la mieux validée est le test cutané intradermique avec concentrations croissantes de venin d’abeilles et de guêpes (0,00001–1,0 µg/ml) (fig. 1). Les solutions de prick-test disponibles dans le commerce (concentration 0,01–300 µg/ml) sont à l’inverse beaucoup moins sensibles. Les anticorps IgE spécifiques contre le venin d’abeille et de guêpe peuvent être déterminés au moyen de différents tests. En présence de sensibilisation doublement positive (chez 45–50% des personnes allergiques au venin d’insecte), le diagnostic allergique moléculaire basé sur les composants a entraîné une amélioration de l’interprétation [14-17]. En cas de double positivité, il convient de différencier autant que possible une réactivité croisée d’une réelle double sensibilisation. La réactivité croisée entre les composants du venin d’abeille et de guêpe se base d’une part sur la réactivité IgE contre les chaînes latérales glucidiques («cross-reaktive carbohydrate determinants», CCD) et d’autre part sur des structures comparables de certains allergènes au niveau protéique [15]. Le venin d’hyménoptères contient plus de 100 composants différents, dont des amines biogènes (par ex. histamine), des peptides tels que la mélittine ainsi que des allergènes spécifiques à l’espèce. Dans le venin des abeilles (Apis melifera), 12 allergènes ont pu être identifiés à ce jour (Api m 1–12); chez les guêpes, ce sont six allergènes qui ont pu être identifiés (Ves v 1–6). Une homologie des protéines structurellement semblables a été mise en évidence pour les dipeptidylpeptidases (Api m 5 et Ves v 3), les hyaluronidases (Api m 2 et Ves v 2) et les vitellogénines (Api m 12 et Ves v 6). Grâce à la technique de biologie moléculaire, des allergènes sans CCD ont pu être produits, permettant un classement exact de la sensibilisation et ainsi de l’insecte en cause. Pour ce qui est de l’allergie au venin de guêpe, les allergènes majeurs recombinants Ves v 5 et Ves v 1 sont disponibles. La sensibilité au test lors de la détermination des deux allergènes est de 97%. Pour l’allergie au venin d’abeille, Api m 1, Api m 10 et depuis peu Api m 2, Api m 5 et Api m 3 sont disponibles. Grâce à ces cinq composants du venin d’abeille, un taux de détection de 93% peut être atteint. Auparavant, ce taux était de 86,8% (avec Api m 1 et Api m 10) [17].
Figure 1: Test cutané intradermique avec concentrations croissantes de venin d’abeille et de guêpe dans le diagnostic de l’allergie au venin d’hyménoptère.
Dans de rares cas, le test peut se révéler négatif aux deux venins d’insectes, malgré une anamnèse suggestive. Au cas où l’intervalle temporel entre la réaction allergique et le test est inférieur à 3 semaines, il est nécessaire de le réaliser une nouvelle fois quelques semaines plus tard. En cas d’utilisation de prick-tests, l’application du test intradermique plus sensible est recommandée. En outre, des tests supplémentaires tels que le test d’activation des basophiles (TAB) peuvent être envisagés [18]. Si un second test et des analyses complémentaires ne permettent toujours pas de mettre en évidence une sensibilisation, la réalisation d’une VIT n’est pas indiquée. Ces patients doivent toutefois être tous équipés de médicaments d’urgence, y compris d’auto-injecteurs d’adrénaline. Nous déconseillons les tests diagnostiques de provocation avec des insectes vivants.

Immunothérapie spécifique avec venins d’insectes: indications

L’efficacité de la VIT, le seul traitement causal efficace de l’allergie au venin d’insecte, a été confirmée par plusieurs études prospectives et contrôlées au cours des 35 dernières années [4, 19–21]. Chez chaque patient avec une réaction systémique consécutive à une piqûre d’hyménoptère avec atteinte des voies respiratoires et/ou du système circulatoire (degré de sévérité III et IV d’après H. L. Mueller), une VIT est indiquée. La VIT est également l’option thérapeutique de choix en cas de risque élevé d’exposition aux piqûres (apiculteurs, paysagistes, agriculteurs), de métier spécifique à risque (chauffeurs, pilotes, couvreurs) ou de mise en évidence d’une mastocytose [20, 23]. Bien entendu, d’autres facteurs doivent également être surveillés, tels que les maladies cardiaques ou pulmonaires ou les limitations de la qualité de vie en raison de peurs ou de crises de panique. En revanche, les réactions locales sévères – même lorsque celles-ci concernent un membre entier – ne constituent en principe pas une indication de VIT. En cas de réaction inhabituelle ou toxique (par ex. >100 piqûres de guêpe), la VIT n’est pas non plus indiquée.

Introduction et réalisation de la VIT

L’introduction de la VIT doit être effectuée par l’allergologue. Le traitement peut alors être initié de manière conventionnelle de façon hebdomadaire ou bien par ultra-rush (augmentation rapide jusqu’à la dose d’entretien en l’espace d’une journée) [24]. En règle générale, la dose d’entretien correspond à 100 μg du venin en question, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. Cette dose correspond environ à deux piqûres d’abeille et plusieurs piqûres de guêpe. Chez les patients chez lesquels cette dose d’entretien n’est pas suffisamment protectrice, la dose est doublée. Chez les personnes dont le risque d’exposition est accru, et surtout chez les apiculteurs, une dose d’entretien de 200 μg est visée en premier lieu.
La suite du traitement peut être prise en charge par le médecin de famille. Au cours de la première année du traitement, les injections sont réalisées toutes les 4 semaines. A partir de la seconde année du traitement, l’intervalle des injections peut être allongé à 6 semaines en cas d’évolution sans problème. Contrairement aux immunothérapies en cas d’aéro-allergies, la durée de la VIT est généralement de 5 ans [19]. Selon des études contrôlées et prospectives, l’efficacité de la VIT en cas d’allergie au venin de guêpe est supérieure à 95%; en cas d’allergie au venin d’abeille, elle est de 80–85% [19, 22, 25]. Les patients ayant une réaction index sévère, des comorbidités cardiovasculaires ou pulmonaires marquées, une mastocytose ou un taux sérique accru de tryptase basale sont tous des candidats pour une VIT au long cours, voire même à vie [7, 24].

Effets indésirables et contre-indications

Les réactions locales au niveau du site d’injection surviennent avant tout au début du traitement, et ce chez de nombreux patients. Toutefois, celles-ci disparaissent généralement au fil du traitement et des années. Les réactions allergiques généralisées sont principalement observées lors de la phase d’introduction de la VIT (5–20%). Les événements sévères sont toutefois très rares. Les effets indésirables sont plus fréquents sous VIT par venin d’abeille que par venin de guêpe, et ils sont plus fréquents en cas d’ultra-rush qu’en cas de dosage conventionnel. Les effets indésirables systémiques surviennent plus fréquemment chez les personnes présentant un taux sérique accru de tryptase basale. Pour le confort individuel et afin d’endiguer les réactions locales, l’introduction d’une VIT est généralement réalisée sous la prise prophylactique d’un antihistaminique.
Les contre-indications d’une VIT ne diffèrent pas de celles d’autres immunothérapies, par ex. par pollen [26]. Sur la base des connaissances de ces dernières années, les immunodéficiences (par ex. infections par VIH) ou les maladies auto-immunes ne sont plus considérées dans leur ensemble comme des contre-indications d’une VIT [27, 28]. Au cours d’une grossesse, une VIT ne doit être initiée que dans des cas exceptionnels. En revanche, si la dose d’entretien est bien tolérée, la VIT peut être poursuivie en cas de survenue d’une grossesse. Toutefois, nous recommandons toujours de discuter de la procédure avec la patiente.

Perspective

La VIT est l’immunothérapie spécifique aux allergènes la plus efficace. Grâce au développement en matière de diagnostic allergique moléculaire basé sur les composants, avec un nombre toujours plus important d’allergènes de venin d’hyménoptères caractérisés, l’insecte causal peut être identifié et l’indication d’une VIT peut être posée avec plus de précision.
Quelques études ont évalué des méthodes d’application alternatives de la VIT (par ex. voie intra-lymphatique, sublinguale). Malgré des données en partie pertinentes, ces options thérapeutiques ne sont pas établies en cas d’allergie au venin d’hyménoptères, et elles ne sont pas non plus autorisées pour le quotidien du cabinet médical [29, 30]. Une optimisation du profil de sécurité de la VIT, avant tout avec le venin d’abeilles, serait souhaitable. Des études cliniques ont d’ores et déjà été réalisées avec l’allergène majeur modifié (Api m 1), avec liaison IgE réduite mais avec maintien de l’interaction spécifique des cellules T. Toutefois, les résultats se sont avérés décevants, car seules trois personnes sur cinq ont toléré une provocation par piqûre sans symptômes allergiques généralisés après le traitement [31]. L’utilisation de traitements à base de peptides ainsi que d’un vaccin à ADN est plutôt improbable dans un avenir proche.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts financier ou ­personnel en rapport avec cet article.
Prof. Dr méd. Arthur
Helbling
Universitätsklinik für Rheumatologie, Immunologie und Allergologie
Inselspital
Freiburgstrasse 8
CH-3010 Bern
Arthur.Helbling[at]insel.ch
– Ludman SW, Boyle RJ. Stinging insect allergy: current perspectives on venom immunotherapy. J Asthma Allergy. 2015;8:75–86.
– Bilò MB, Cichocka-Jarosz E, Pumphrey R, Oude-Elberink JN, Lange J, et al. Self-medication of anaphylactic reactions due to Hymenoptera stings-an EAACI Task Force Consensus Statement. Allergy. 2016;71(7):931–43.
– Köhler J, Blank S, Müller S, Bantleon F, Frick M, et al. Component resolution reveals additional major allergens in patients with honeybee venom allergy. J Allergy Clin Immunol. 2014;133(5):1383–9.
– Ruëff F, Przybilla B, Biló MB, Müller U, Scheipl F, Seitz MJ, et al. Clinical effectiveness of hymenoptera venom immunotherapy: a prospective observational multicenter study of the European academy of allergology and clinical immunology interest group on insect venom hypersensitivity. PLoS One. 2013;8(5):e63233.
– Bonadonna P, Gonzalez-de-Olano D, Zanotti R, Riccio A, De Ferrari L, et al. Venom immunotherapy in patients with clonal mast cell disorders: efficacy, safety, and practical considerations. J Allergy Clin Immunol Pract. 2013;1(5):474–8.
1 Bilò MB, Bonifazi F. The natural history and epidemiology of insect venom allergy: clinical implications. Clin Exp Allergy. 2009;39(10):1467–76.
2 de Haro L, Labadie M, Chanseau P, Cabot C, Blanc-Brisset I, et al. Medical consequences of the Asian black hornet (Vespa velutina) invasion in Southwestern France. Toxicon. 2010;55(2–3):650–2.
3 Hoffman DR, Jacobson RS. Allergens in Hymenoptera venom XII: how much protein is in a sting? Ann Allergy. 1984;52:276–8.
4 Ludman SW, Boyle RJ. Stinging insect allergy: current perspectives on venom immunotherapy. J Asthma Allergy. 2015;8:75–86.
5 Biló BM1, Rueff F, Mosbech H, Bonifazi F, Oude-Elberink JN, et al. Diagnosis of Hymenoptera venom allergy. EAACI Interest Group on Insect Venom Hypersensitivity. Allergy. 2005;60(11):1339–49.
6 Ertoy Karagol HI, Bakirtas A, Yilmaz O, Topal E, Arga M, et al. Long-term follow-up of re-sting reactions in children with moderate to severe venom hypersensitivity. Eur J Pediatr. 2015;174(7):891–6.
7 Ruëff F, Przybilla B, Biló MB, Müller U, Scheipl F, et al. Predictors of severe systemic anaphylactic reactions in patients with Hymen­optera venom allergy: importance of baseline serum tryptase – a study of the European Academy of Allergology and Clinical Immunology Interest Group on Insect Venom Hyper­sensitivity. J Allergy Clin Immunol. 2009;124(5):1047–54.
8 Haeberli G, Brönnimann M, Hunziker T, Müller U. Elevated basal serum tryptase and hymenoptera venom allergy: relation to severity of sting reactions and to safety and efficacy of venom immunotherapy. Clin Exp Allergy. 2003;33(9):1216–20.
9 Niedoszytko M, Bonadonna P, Oude Elberink JN, Golden DB. Epidemiology, diagnosis, and treatment of Hymenoptera venom allergy in mastocytosis patients. Immunol Allergy Clin North Am. 2014;34(2):365–81.
10 Brockow K, Jofer C, Behrendt H, Ring J. Anaphylaxis in patients with mastocytosis: a study on history, clinical features and risk factors in 120 patients. Allergy. 2008;63(2):226–32.
11 Simons FE, Ebisawa M, Sanchez-Borges M, Thong BY, Worm M, et al. 2015 update of the evidence base: World Allergy Organization anaphylaxis guidelines. World Allergy Organ J. 2015;8(1):32.
12 Bilò MB, Cichocka-Jarosz E, Pumphrey R, Oude-Elberink JN, Lange J, et al. Self-medication of anaphylactic reactions due to Hymenoptera stings-an EAACI Task Force Consensus Statement. Allergy. 2016;71(7):931–43.
13 Jörg L, Steiner U, Fricker M, Helbling A. Der allergische Notfall: Adrenalin das Mittel der Wahl bei der Anaphylaxie. Z Allg Med. 2013;89(12):516–21.
14 Müller U, Schmid-Grendelmeier P, Hausmann O, Helbling A.
IgE to recombinant allergens Api m 1, Ves v 1, and Ves v 5 distinguish double sensitization from crossreaction in venom allergy. Allergy. 2012;67(8):1069–73.
15 Hemmer W, Focke M, Kolarich D, Wilson IB, Altmann F, et al. Antibody binding to venom carbohydrates is a frequent cause for double positivity to honeybee and yellow jacket venom in patients with stinging-insect allergy. J Allergy Clin Immunol. 2001 Dec;108(6):1045–52.
16 Eberlein B, Krischan L, Darsow U, Ollert M, Ring J. Double positivity to bee and wasp venom: improved diagnostic procedure by recombinant allergen-based IgE testing and basophil activation test including data about cross-reactive carbohydrate determinants. J Allergy Clin Immunol. 2012;130(1):155–61.
17 Köhler J, Blank S, Müller S, Bantleon F, Frick M, et al. Component resolution reveals additional major allergens in patients with honeybee venom allergy. J Allergy Clin Immunol. 2014;133(5):1383–9.
18 Sturm GJ, Böhm E, Trummer M, Weiglhofer I, Heinemann A, et al. The CD63 basophil activation test in Hymenoptera venom allergy: a prospective study. Allergy. 2004;59(10):1110–7.
19 Ruëff F, Przybilla B, Biló MB, Müller U, Scheipl F, Seitz MJ, et al. Clinical effectiveness of hymenoptera venom immunotherapy: a prospective observational multicenter study of the European academy of allergology and clinical immunology interest group on insect venom hypersensitivity. PLoS One. 2013;8(5):e63233.
20 Toletone A, Voltolini S, Passalacqua G, Dini G, Bignardi D, et al. Hymenoptera venom allergy in outdoor workers: occupational exposure, clinical features and effects of allergen immunotherapy. Hum Vaccin Immunother. 2016;7:0. [Epub ahead of print].
21 Kosnik M, Korosec P. Venom immunotherapy: clinical efficacy, safety and contraindications. Expert Rev Clin Immunol. 2015;11(8):877–84.
22 Hafner T, DuBuske L, Kosnik M. Long-term efficacy of venom immunotherapy. Ann Allergy Asthma Immunol. 2008;100(2):162–5.
23 Bonadonna P, Gonzalez-de-Olano D, Zanotti R, Riccio A, De Ferrari L, et al. Venom immunotherapy in patients with clonal mast cell disorders: efficacy, safety, and practical considerations. J Allergy Clin Immunol Pract. 2013;1(5):474–8.
24 Bonifazi F, Jutel M, Biló BM, Birnbaum J, Muller U. EAACI Interest Group on Insect Venom Hypersensitivity. Prevention and treatment of hymenoptera venom allergy: guidelines for clinical practice. Allergy. 2005;60(12):1459–70.
25 Golden DB. Long-term outcome after venom immunotherapy. Curr Opin Allergy Clin Immunol. 2010;10(4):337–41.
26 Pitsios C, Demoly P, Bilò MB, Gerth van Wijk R, Pfaar O, et al. Clinical contraindications to allergen immunotherapy:
an EAACI position paper. Allergy. 2015;70(8):897–909.
27 Stoevesandt J, Hosp C, Kerstan A, Trautmann A. Hymenoptera venom immunotherapy while maintaining cardiovascular medication: safe and effective. Ann Allergy Asthma Immunol. 2015;114(5):411–6
28 Linneberg A, Jacobsen RK, Jespersen L, Abildstrøm SZ. Association of subcutaneous allergen-specific immunotherapy with incidence of autoimmune disease, ischemic heart disease, and mortality. J Allergy Clin Immunol. 2012;129(2):413–9.
29 Patriarca G, Nucera E, Roncallo C, Aruanno A, Lombardo C, et al. Sublingual desensitization in patients with wasp venom allergy: preliminary results. Int J Immunopathol Pharmacol. 2008;21(3):669–77.
30 Martínez-Gómez JM, Johansen P, Erdmann I, Senti G, Crameri R, et al. Intralymphatic injections as a new administration route for allergen-specific immunotherapy. Int Arch Allergy Immunol. 2009;150(1):59–65.
31 Müller U, Akdis CA, Fricker M, Akdis M, Blesken T, et al. Successful immunotherapy with T-cell epitope peptides of bee venom phospholipase A2 induces specific T-cell anergy in patients allergic to bee venom. J Allergy Clin Immunol. 1998;101:747–54.