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Cette forme d’arthropathie microcristalline, également appelée chondrocalcinose ou pseudo-goutte, est le résultat de dépôts de cristaux de pyrophosphate de calcium au niveau du cartilage articulaire. Ses manifestations cliniques très diverses lui ont également valu le surnom de «caméléon de la rhumatologie».
Introduction
Le dépôt de cristaux de pyrophosphate de calcium («calcium pyrophosphate dihydrate», CPPD), principalement au niveau du cartilage, moins dans le tissu périarticulaire, peut rester asymptomatique ou encore entraîner diverses manifestations cliniques, résumées sous ce titre. Les termes de chondrocalcinose (qui est en réalité un terme morphologique relatif à un résultat radiologique ou échographique, à savoir la mise en évidence de calcifications du cartilage) et de pseudo-goutte (qui correspond à l’une des diverses manifestations cliniques) sont souvent employés comme synonymes [1–3].
Epidémiologie
Le dépôt de cristaux de CPPD augmente avec l’âge, ce sont par conséquent presque toujours des personnes âgées qui sont concernées. La prévalence de calcifications du cartilage à la radiographie est d’environ 15% à l’âge de 70 ans et de 50% chez les personnes de plus de 80 ans. Les deux sexes sont touchés, les femmes un peu plus fréquemment. Lorsque la maladie survient déjà avant 50 ans, il convient d’envisager une forme secondaire [1, 4].
Etiologie et pathogenèse
En 1962, McCarty a décrit pour la première fois les cristaux de CPPD dans le liquide synovial. Ils sont généralement plus petits que les cristaux d’urate, de forme rhomboédrique et faiblement biréfringents au microscope polarisant (fig. 1) [1–3].
Le mécanisme de dépôt des cristaux de CPPD dans la matrice cartilagineuse est complexe et multifactoriel. L’incrustation des cristaux peut entraîner diverses manifestations pathologiques: lorsque les cristaux de CPPD sont libérés du cartilage dans l’articulation (par exfoliation, ce qui peut notamment être favorisé par des traumatismes ou des infections), une arthrite aiguë («pseudogoutte», fig. 2) se développe de manière analogue aux cristaux d’urate, par activation de phagocytes et de neutrophiles qui libèrent des cytokines proinflammatoires comme par exemple l’interleukine 1. Toutefois, il peut également survenir une synovite subaiguë ou à évolution chronique, à l’instar d’une arthrite rhumatoïde. D’autre part, le dépôt de ces cristaux entraîne une destruction du cartilage et ainsi une arthrose secondaire, typiquement aussi au niveau des articulations qui ne sont pas touchées par l’arthrose «primaire» [1–3].
Aucune cause n’est généralement manifeste (caractère idiopathique). Toutefois, il existe également des formes génétiquement déterminées (chondrocalcinose familiale – typiquement, la maladie survient déjà plus tôt) ainsi que quelques affections métaboliques ou endocriniennes associées à la maladie à CPPD, telles que l’hémochromatose, l’hyperparathyroïdie, l’hypomagnésémie ou l’hypophosphatasie.
Manifestations cliniques
Dans de nombreux cas, le dépôt de cristaux de CPPD dans le cartilage articulaire demeure sans symptôme.
Les manifestations cliniques (les articulations périphériques sont généralement touchées, mais la colonne vertébrale peut également être impliquée) couvrent un large spectre (tab. 1) [1–3].
Tableau 1: Manifestations cliniques du dépôt de pyrophosphate de calcium. |
Asymptomatique (calcifications radiologiques) |
Arthrose secondaire |
Arthrose aiguë («pseudogoutte») |
Polyarthrite chronique symétrique («pseudoarthrite rhumatoïde») |
Syndrome polymyalgique |
Atteinte de la colonne vertébrale, par ex. «syndrome de la dent couronnée» avec «pseudomeningite» |
Diagnostic
Laboratoire
La référence universelle est ici aussi (comme pour la goutte) la mise en évidence microscopique de cristaux dans le liquide synovial. Au quotidien clinique, le diagnostic repose toutefois souvent aussi sur les manifestations typiques déjà mentionnées ci-dessus ainsi que la preuve de calcifications cartilagineuses caractéristiques à la radiographie conventionnelle ou à l’échographie haute résolution, qui augmentent considérablement la probabilité d’une arthropathie à CPPD, mais dont l’absence ne l’exclut jamais. Dans le cas d’une monoarthrite percutanée chez une personne âgée, le diagnostic clinique est souvent évident, mais en revanche plus difficile face à une présentation atypique (par exemple «pseudo-polyarthrite rhumatoïde» ou syndrome polymyalgique) [1].
Radiographie
Des calcifications linéaires fines ou punctiformes au niveau du fibrocartilage (par ex. ménisque, symphyse, ligament triangulaire, labrum) ou du cartilage hyalin sont caractéristiques. En principe, toute articulation peut être touchée; les calcifications sont généralement plus faciles à trouver dans les grosses articulations telles que le genou, la hanche ou l’épaule. Ces calcifications typiques se retrouvent souvent au niveau des mains: dans le ligament triangulaire (fig. 3), les articulations intercarpiennes et les 2e et 3e articulations métacarpo-phalangiennes (MCP) [1, 5].
Outre les calcifications du cartilage («chondrocalcinose»), le dépôt de cristaux de CPPD entraîne, comme déjà mentionné, des modifications dégénératives (arthroses secondaires). Cela touche typiquement les articulations qui ne sont pas atteintes par l’arthrose primaire (idiopathique) comme par ex. l’articulation radio-carpienne, l’articulation scapho-trapézo-trapézoïdienne (STT), les articulations MCP, l’articulation de l’épaule et les articulations du métatarse. Au niveau des autres articulations, le tableau clinique se distingue de l’arthrose «normale», il survient notamment une gonarthrose prononcée sur le plan latéral (et rétro-patellaire) au genou ou une coxarthrose concentrique à l’articulation de la hanche.
Echographie
Grâce aux sondes ultrasoniques haute résolution modernes et avec l’expérience nécessaire, il s’avère souvent possible de mettre en évidence les calcifications caractéristiques au niveau du cartilage hyalin (hyperéchogènes linéaires, parallèles à la surface osseuse) ou du fibrocartilage (points hyperéchogènes) (fig. 4) [6–8].
Examens diagnostiques complémentaires (CPPD secondaire)
Tandis qu’aucune cause du dépôt de pyrophosphate de calcium n’est généralement connue, il existe des formes familiales isolées et la présence d’une autre pathologie entraînant une CPPD (dite alors secondaire) est rare. Dans ces cas, la maladie se manifeste souvent déjà précocement, c.-à-d. avant 50 ans. C’est pourquoi il est alors recommandé de rechercher au laboratoire une affection métabolique ou endocrinienne sous-jacente associée (tab. 2) [1, 3].
Tableau 2: Dépôts secondaires de pyrophosphate de calcium. |
Hémochromatose |
Hyperparathyroïdie |
Hypomagnésémie |
Hypophosphatasie |
Diagnostic différentiel
Arthrite aiguë en cas de CPPD
En présence d’une monoarthrite ou d’une oligoarthrite suraiguë avec œdème pertinent, rougeur et éventuellement des symptômes généraux associés ainsi qu’un liquide articulaire présentant un taux très élevé de leucocytes, l’arthrite septique constitue le principal diagnostic différentiel. En principe, il convient de toujours envisager la survenue simultanée d’une arthropathie à CPPD et d’une arthrite septique, et d’établir libéralement l’indication d’une coloration de Gram ou d’une culture. L’arthrite septique peut provoquer une poussée d’arthropathie à CPPD et celle-ci est alors caractérisée par une densité particulièrement élevée de cristaux de pyrophosphate de calcium dans le liquide articulaire.
La goutte représente le deuxième diagnostic différentiel essentiel. En fin de compte, la distinction définitive s’effectue sur la base de l’analyse des microcristaux dans le liquide articulaire prélevé par ponction; selon les cas, le modèle d’atteinte articulaire et les résultats radiographiques ou échographiques peuvent fournir une aide supplémentaire. Ces deux maladies peuvent également survenir simultanément (arthropathie microcristalline mixte).
Traitement
Le traitement dépend de la forme des manifestations cliniques. Il s’agit d’une chondrocalcinose secondaire, il est recommandé de traiter de manière adéquate la maladie sous-jacente (par ex. hémochromatose), même si cela n’entraîne généralement pas la disparition de la CPPD. Les recommandations thérapeutiques reposent principalement sur des avis d’experts – les grandes études randomisées font défaut [1, 2, 9, 10].
Chondrocalcinose asymptomatique
Etant donné qu’il n’existe aucun traitement causal, aucun traitement n’est indiqué chez les patients exempts de symptômes (en règle générale, découverte radiologique fortuite), sauf pour une maladie métabolique sous-jacente éventuellement associée.
Arthropathie aiguë à CPPD
Même si l’inflammation est dans la plupart des cas autolimitante, un traitement médicamenteux est en règle générale indiqué. Pour le traitement aigu, les mêmes recommandations qu’en cas d’arthrite goutteuse sont valables: froid, immobilisation, ponction articulaire et injection intraarticulaire de stéroïdes (triamcinolone 10–40 mg ou bétaméthasone 1,75–7 mg) – en l’absence d’infection. Lorsqu’une infiltration articulaire s’avère impossible ou contre-indiquée: antirhumatismaux non stéroïdiens (ARNS) à dose adaptée par voie orale pendant quelques jours (si indiqué, avec protection gastrique), ou encore stéroïdes par voie orale (par ex. 20 mg de prednisone pendant quelques jours) ou colchicine (3–4 × 0,5 mg/jr le premier jour, puis 1–2 × 0,5 mg/jr) [1, 10].
En cas d’inflammations aiguës récurrentes, un «traitement de base» suppresseur peut être tenté avec la colchicine (1–2×0,5 mg/jr) [11], éventuellement un traitement de longue durée par ARNS faiblement dosés ou un traitement stéroïdien de longue durée faiblement dosé. Etant donné que, dans les rares cas d’hypomagnésémie néphrogène (qui provoque une CPPD secondaire), une substitution de magnésium entraîne une amélioration, il est également recommandé en présence de CPPD idiopathique d’essayer éventuellement une supplémentation en magnésium [12].
Polyarthrite chronique symétrique («pseudo-arthrite rhumatoïde»)
Outre les ARNS, les stéroïdes faiblement dosés et la colchicine (1–2 ×0,5 mg/jr), la tentative d’un traitement de base par hydroxychloroquine ou méthotrexate est recommandée [1, 13–16].
Arthroses secondaires induites par CPPD
Ici s’appliquent en principe les mêmes recommandations thérapeutiques que pour les arthroses idiopathiques. En cas d’activation inflammatoire – qui survient plus fréquemment que pour l’arthrose primaire – une infiltration intraarticulaire de stéroïdes s’avère pertinente. La prudence s’impose lors de l’injection intraarticulaire d’acide hyaluronique, car elle peut s’accompagner d’une réaction inflammatoire [17].
Evolution/pronostic
Généralement, les arthrites aiguës survenant de manière isolée disparaissent complètement avec un traitement symptomatique. Le traitement d’arthrites chroniques récidivantes s’avère souvent plus difficile, et freiner la progression d’une arthrose due à des calcifications de CPPD est généralement impossible puisqu’aucune option thérapeutique causale n’est disponible [1, 10].
L’essentiel pour la pratique
• Le dépôt de cristaux de pyrophosphate de calcium au niveau du cartilage hyalin et du fibrocartilage augmente au cours de la vie. La cause est généralement inconnue. En présence de manifestations avant 50 ans, il convient d’envisager les formes familiales ou des maladies métaboliques sous-jacentes.
• Les calcifications du cartilage peuvent rester asymptomatiques ou entraîner toute une palette de manifestations cliniques («caméléon de la rhumatologie»). Les arthroses secondaires, l’arthrite aiguë («pseudogoutte»), l’oligoarthrite ou la polyarthrite séronégatives ainsi que le syndrome polymyalgique sont fréquents.
• Le diagnostic repose sur le tableau clinique typique, les calcifications du cartilage et la mise en évidence de cristaux de CPPD dans le liquide articulaire prélevé par ponction.
• En matière de diagnostic différentiel, il convient de distinguer l’arthrite aiguë d’autres arthrites microcristallines et d’une arthrite septique.
• Le traitement est symptomatique et dépend de la manifestation clinique.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Andreas Krebs
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