Nous devons nous garder
des généralisations
Monsieur le Professeur assistant en droit des affaires, Monsieur l’Assistant senior en éthique biomédicale et histoire de la médecine, les conclusions de votre article cité en titre me semblent pour le moins discutables.
Ma critique principale réside dans votre volonté d’universaliser le message lorsque vous écrivez «en résumé, notre argumentation mène à la conclusion que le placement à des fins d’assistance de personne capables de discernement est dans tous les cas inadmissibles».
Une telle généralisation me semble bien éloignée de la pratique; nous devons nous garder, je pense, et particulièrement lorsque nous sommes porteurs d’un titre de spécialiste qui leur donne une apparence d’expertise, des affirmations péremptoires, des «toujours» et des «jamais».
En l’occurrence, et dans les situations réelles qui nous occupent, il est bon de nous souvenir que les articles de loi relatifs au placement à des fins d’assistance (PAFA) ont été rédigés pour la protection du patient. Cet acte juridique, certes porteur d’une grande violence, de prononcer une telle mesure doit toujours être assumé dans le but d’un mieux-être du patient qui en est l’objet. (Il contient également, n’en doutez pas, une violence pour le médecin qui le signe.)
La situation du suicide me semble démonstrative. Si les rares suicides décrits comme philosophiques peuvent être respectés comme l’expression d’une ultime liberté ainsi que ceux qui sont dits assistés par les organisations ad hoc, il est cependant reconnu comme une évidence que la menace d’un tel acte survient, dans la plupart des cas, en situation de crise et de souffrance psychique intense. La protection, en urgence, du patient est donc un devoir éthique pour le soignant, même si la capacité de discernement (que vous décrivez parfaitement dans votre article) du suicidant est complète. Il a en effet la capacité de réaliser et de décrire les conséquences de sa rencontre avec l’express de 6 h 43 ou avec le trottoir enjambé par le pont ad hoc de nos cités. La vraie question est ailleurs.
Une mise à l’abri du patient contre lui-même dans cet état d’extrême vulnérabilité, en particulier par des moyens de protection coercitifs (proportionnels à l’importance de la menace, nous dit l’esprit de la loi), est donc un devoir pour le médecin et ce d’autant plus que le patient le lui demande, de façon non formalisée, en le consultant et en lui annonçant son projet. Un respect par trop absolu d’une apparence d’autonomie du patient pourrait bien mener à une démission irresponsable du soignant, démission aux conséquences tragiques pour ne pas dire coupables.
Pour conclure il me semble important que l’éthique du soin se garde des trop grandes généralités et se souvienne qu’elle entre en jeu lorsque les règles universelles montrent leurs limites et se taisent. Dans la vraie vie, l’éthique est affaire le plus souvent d’un patient singulier qui porte un nom et un visage, c’est le domaine du «pourquoi», du doute. La généralité (toujours nécessaire dans notre métier) est affaire de science et de justice.
Vous aurez la bonté d’excuser le ton peut-être un peu leste de ces lignes mais il m’a semblé utile de relativiser et de singulariser le caractère trop universel de vos propos.
Dr méd. et phil. Pierre Corbaz
Spécialiste en médecine générale
et éthnicien
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