Prise en charge moderne des tumeurs cutanées
Collaboration essentielle entre les spécialistes installés en cabinet et les centres spécialisés

Prise en charge moderne des tumeurs cutanées

Übersichtsartikel AIM
Édition
2017/33
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.03009
Forum Med Suisse 2017;17(33):678-685

Affiliations
Dermatologische Klinik, UniversitätsSpital Zürich, Zürich

Publié le 16.08.2017

Les cancers cutanés font certes partie des tumeurs malignes les plus fréquentes chez l’être humain, mais ils peuvent en règle générale être facilement détectés à temps et traités de manière curative. Les possibilités thérapeutiques se sont nettement améliorées au cours des dernières années. Un aspect essentiel pour la prise en charge des tumeurs cutanées malignes et la recherche clinique réside dans la constitution d’un réseau bien organisé composé de centres de traitement et de spécialistes installés en cabinet.

Introduction

La peau est l’organe qui est le plus souvent touché par des affections malignes. Les tumeurs épithéliales, telles que les carcinomes basocellulaires (CBC) et les carcinomes épidermoïdes (CE), sont tellement fréquentes qu’elles ne sont même pas répertoriées dans la plupart des registres des cancers. Avec env. 2 500 nouveaux cas par an, le mélanome cutané est le quatrième cancer le plus fréquent en Suisse [1].
Les cancers cutanés peuvent dans la plupart des cas être facilement détectés à temps et ils peuvent généralement être traités de manière curative par le biais de mesures chirurgicales. Le mélanome cutané est au centre des nouveaux développements dermato-oncologiques. Au cours des 5 dernières années, nous avons assisté au développement de nouveaux procédés immunothérapeutiques, inhibiteurs de kinase et traitements oncolytiques, qui ont considérablement amélioré le pronostic à long terme [2].

Tumeurs cutanées épithéliales

Env. 90% de tous les cancers cutanés sont des tumeurs épithéliales, telles que le CBC et le CE, qui peuvent le plus souvent être traitées de manière curative par excision.
Les facteurs de risque de ces deux tumeurs malignes sont: exposition cumulative aux rayons ultraviolets (UV), âge avancé, peau sensible aux rayons UV (peau de type I et II), immunosuppression et contact avec l’arsenic ou des hydrocarbures aromatiques polycycliques (par ex. dans le contexte professionnel). Par ailleurs, des maladies génétiques héréditaires rares, telles que la naevomatose basocellulaire (syndrome de Gorlin-Goltz), le xeroderma pigmentosum et l’albinisme, sont également des facteurs de risque.
En fonction de l’intensité de l’exposition au rayonnement UV, les localisations de prédilection sont les zones chroniquement exposées au soleil, telles que la tête, le cou et le décolleté, la lèvre inférieure étant un site de prédilection du CE. La population, et en particulier les personnes présentant des facteurs de risque, devrait impérativement veiller à adopter une protection solaire conséquente. Ainsi, il convient de dispenser des conseils relatifs aux mesures de protection contre les UV lors de tout examen dermatologique de dépistage du cancer cutané. Ces mesures incluent: éviter de s’exposer au soleil à la mi-journée (entre 11 et 16 heures), porter un chapeau et des vêtements à manches longues et appliquer généreusement de la crème solaire ayant un facteur de protection solaire de 50+ sur les zones exposées aux rayons UV.
Après l’excision des tumeurs cutanées épithéliales, il y a un risque élevé de développement de cancers secondaires; des contrôles dermatologiques réguliers, à intervalles de 6 à 12 mois en fonction de la situation, sont dès lors indiqués [3, 4].

Carcinome basocellulaire

Les CBC se développent à partir des cellules souches des follicules pileux et leur présentation clinique varie en fonction du type. Le CBC nodulaire classique (env. 60% de tous les CBC) se manifeste sous forme de nodule à croissance lente, de couleur chair à rouge, avec une bordure perlée et des télangiectasies. Une ulcération centrale est fréquente. Le CBC superficiel se développe sous forme de lésion maculeuse, rougeâtre-brunâtre, 
légèrement squameuse et plutôt nettement délimitée. Le CBC sclérodermiforme, qui est rare, ressemble sur 
le plan clinique à une cicatrice avec des zones atrophiques infiltrées, des télangiectasies et, dans de rares cas, une ulcération. La délimitation de ce type de CBC à l’examen clinique s’avère difficile [4].

Traitement

Pour les CBC nodulaires et sclérodermiformes, l’exérèse chirurgicale constitue le traitement de choix; il convient alors soit de laisser une marge de sécurité soit de procéder à un contrôle histologique des marges d’exérèse. En particulier en cas de localisation anatomique non problématique, le CBC superficiel peut aujourd’hui aussi très bien être traité par cryothérapie, crème à base d’imiquimod ou photothérapie dynamique. La chirurgie avec contrôle des marges d’exérèse est classiquement réalisée en cas de CBC de localisation délicate (par ex. paupière) ou en cas de certains types de CBC à tendance invasive (micronodulaire, sclérodermiforme et basosquameux).
La radiothérapie superficielle («soft X-ray») constitue une alternative à la chirurgie, qui est particulièrement adaptée pour les patients à partir de l’âge de 60 ans.
Les traitements médicamenteux par inhibiteurs de la voie Hedgehog (vismodégib) sont réservés aux CBC très avancés ou métastatiques. Pratiquement tous les CBC y répondent. Ces traitements doivent toutefois faire l’objet d’une surveillance étroite par des dermato-oncologues expérimentés [4].

Carcinome épidermoïde, kératose actinique, kératoacanthome

Le CE se développe à partir de l’épithélium pavimenteux ou interfolliculaire de la peau. Il se développe typiquement sur un terrain de carcinome in situ (kératose actinique ou maladie de Bowen), mais peut également affecter les peaux sujettes à une inflammation chronique et les peaux normales.
Les kératoses actiniques sont très fréquentes et elles évoluent vers un carcinome invasif dans 0,025–1% des cas par an, dépendant de l’exposition cumulative aux UV et des facteurs de risque individuels. Sur le plan clinique, les kératoses actiniques se présentent sous forme de lésions érythémateuses, qui sont souvent mieux perceptibles au toucher qu’à la vue. La maladie de Bowen est plus impressionnante sur le plan clinique et elle se manifeste par une plaque hyperkératosique, rougeâtre, avec une délimitation relativement nette.
La distinction clinique entre les kératoses actiniques, la maladie de Bowen et le CE invasif s’avère souvent difficile, en particulier en cas de lésions hyperkératosiques. Les tumeurs avancées se présentent sous forme de nodules hyperkératosiques rougeâtres, avec une délimitation plus ou moins nette.
Le kératoacanthome est une forme particulière de tumeurs cutanées épithéliales, qui se caractérise par une croissance rapide et peut régresser spontanément. Toutefois, étant donné qu’il est très difficile sur le plan clinique et histologique de le distinguer d’un CE, il est aussi typiquement traité de façon proactive [3].

Traitement

De nombreuses méthodes thérapeutiques sont disponibles pour le traitement des kératoses actiniques, incluant des mesures physiques, telles que la cryothérapie à l’azote liquide, la radiothérapie et la photothérapie dynamique, et des mesures médicamenteuses, telles que le mébutate d’ingénol, l’imiquimod ou le 5-fluorouracile (5-FU) topique.
Le curetage au moyen d’une cuillère curette ou d’une curette à anneau représente aussi une bonne option thérapeutique, d’autant plus qu’il offre également la possibilité d’une confirmation histologique du diagnostic [5].
Le CE invasif fait principalement l’objet d’une exérèse totale avec une marge de sécurité de 4 mm. De cette manière, 95% de tous les CE à faible risque (diamètre <2 cm) peuvent être traités sans récidives. En cas de CE plus volumineux (diamètre >2 cm), il convient, en fonction des facteurs de risque, d’opter pour une plus grande marge chirurgicale. Dans ce cas de figure, il est également possible de procéder à une exérèse avec de plus petites marges de sécurité, assortie d’un contrôle des marges d’exérèse afin de pouvoir détecter des extensions tumorales microscopiques. Les CE bien différenciés, en particulier lorsqu’ils sont localisés au niveau périorbitaire ou dans la région du nez, peuvent aussi être traités avec succès par radiothérapie superficielle [3].
Les facteurs de risque de métastatisation en cas de CE incluent l’immunosuppression, certaines particularités cliniques (tumeur récidivante, à croissance rapide, mal délimitée, au niveau de zones traitées par radiothérapie/sujettes à une inflammation chronique, au niveau des oreilles/lèvres) et certaines circonstances histologiques (épaisseur de la tumeur >4 mm, tumeur peu différenciée, sous-type adénosquameux/desmoplastique/métaplasique, invasion périneurale/lymphatique/vasculaire).
En fonction du profil de risque, il est recommandé de procéder à une stadification dans un hôpital central afin d’exclure une métastatisation. La chimioprophylaxie après exérèse totale (par acitrétine ou nicotinamide) devrait faire l’objet d’une discussion interdisciplinaire, car le CE métastatique touche souvent des patients polymorbides [3, 5].

Carcinome à cellules de Merkel

Le carcinome à cellules de Merkel (CCM) est tumeur cutanée très rare, maligne et agressive qui, à l’instar du mélanome, revêt une importance croissante en raison de l’augmentation de son incidence. Il touche typiquement des patients d’âge avancé (après 60 ans) et/ou des patients immunodéprimés (patients transplantés, patients avec leucémies/lymphomes).
Le polyomavirus de Merkel (MCPyV) joue un rôle majeur dans la pathogenèse. Il s’agit d’un polyomavirus qui, de pair avec les mutations UV-induites de ce virus, contribue à la pathogenèse (dans env. 80% de tous les CCM). Il convient d’en distinguer le CCM MCPyV-négatif, qui est plus rare, pour lequel la mise en évidence de multiples mutations UV-induites a amené à soupçonner l’exposition chronique aux UV comme principale étiologie.
Sur le plan clinique, le CCM se manifeste sous forme ­de nodule à croissance rapide, rougeâtre et dur.

Traitement

Le traitement chirurgical primaire est habituellement complété par une radiothérapie locale. En fonction du profil de risque, la radiothérapie des ganglions lymphatiques locorégionaux est également envisagée. Pour ce type de tumeur cutanée, une biopsie du ganglion sentinelle (BGS) est également réalisée [6, 7].
En cas de CCM métastatique, seules des mesures chimiothérapeutiques étaient autrefois disponibles, permettant uniquement d’obtenir des régressions à court terme. Au cours des dernières années, des anticorps immunomodulateurs, tels que le pembrolizumab ou l’anticorps anti-PD-L1 avélumab, ont été utilisés avec succès. Cette affection fait ainsi partie des cancers, pour lesquels l’immunothérapie a permis d’atteindre des avancées thérapeutiques considérables [6].

Mélanome

Les mélanomes peuvent tout à fait survenir chez les jeunes adultes. Chez les femmes âgées de 20 à 30 ans, les mélanomes sont les affections malignes les plus fréquentes [8].
L’âge médian de survenue du mélanome s’élève à 53 ans, en sachant que 26% des personnes atteintes sont âgés de moins de 50 ans au moment du diagnostic [1].
Parmi les facteurs de risque de développement d’un mélanome figurent la présence de plus de 100 nævi mélanocytaires, les nævi dysplasiques multiples, les antécédents familiaux ou personnels de mélanome, l’immunosuppression, la peau claire, l’exposition aux UV et les coups de soleil (en particulier durant l’enfance) [8, 9].
Le dépistage précoce des mélanomes est absolument essentiel en raison de leur tendance à la métastatisation. Les patients devraient régulièrement (tous les 3–6 mois) réaliser des auto-examens de la peau afin d’évaluer des altérations de survenue nouvelle. Il convient d’appliquer trois règles pour le diagnostic clinique:
– le signe du «vilain petit canard» ou «ugly duckling sign»;
– les critères ABCD;
– les critères EFG (E = «elevated», F = «firm on palpation», G = «continuous growth») [9].
La dermatoscopie est réservée aux professionnels spécifiquement formés à cet effet [10].

Types de mélanomes

Le mélanome superficiel extensif (MSE) est le type de mélanome le plus fréquemment diagnostiqué (70% de tous les mélanomes cutanés primaires). Il est suivi par le mélanome nodulaire (MN), qui représente 15% des cas, et par le mélanome à lentigo malin (MLM), qui représente 10–15% des cas. Le mélanome acro-lentigineux (MAL) est relativement rare dans la population de peau blanche (1–3%) et il touche plus fréquemment les personnes de peau plus foncée (peau de type IV–VI) [11]. Les caractéristiques cliniques et histologiques sont présentées dans les figures 1 et 2.
Figure 1: Examen clinique. A) Mélanome superficiel extensif au niveau du bas de la jambe, d’un diamètre de 2 cm. Des lésions satellites sont visibles, représentant le mode de croissance horizontale prédominant. Toutefois, en raison de l’aspect nodulaire, une croissance verticale débutante doit être suspectée. B) Mélanome nodulaire situé au niveau du thorax. Il se manifeste sur le plan clinique sous forme de nodule multicolore, nettement délimité, à croissance principalement verticale, d’un diamètre de 5 mm. Outre la composante nodulaire, il présente également une composante maculeuse. C) Ce mélanome à lentigo malin (MLM) est situé sur la joue et mesure 1,5 cm de diamètre. Le MLM est typiquement une lésion plane légèrement pigmentée, avec une délimitation irrégulière. D) Ce mélanome acro-lentigineux aux bords fortement pigmentés est situé au niveau du talon et mesure 3 cm de diamètre. L’ulcération est déjà perceptible à l’œil nu.
Figure 2: Histologie. A) Mélanome superficiel extensif (MSE), grossissement 4×, coloration HE: dans ce MSE, il y a une invasion et une pénétration du derme par des mélanocytes et lymphocytes atypiques. L’épaisseur tumorale selon Breslow s’élève à 0,75 mm, il n’y avait pas d’ulcération, mais le taux de mitose était accru (>1 pro mm2). Stade tumoral pT1b. B) Mélanome nodulaire (MN), grossissement 1,5×, coloration HE: dans ce MN, les cellules polymorphes du mélanome atteignent le tissu adipeux sous-cutané. La croissance exophytique et la stroma-réaction inflammatoire sont caractéristiques (entre autres) d’un MN. Sur la base d’un indice de Breslow de 2,7 mm et de l’ulcération présente, cette tumeur correspond au stade pT3b. C) Mélanome à lentigo malin (MLM), grossissement 10×, coloration immunohistochimique par HMB45: grâce à la coloration immunohistochimique ciblée par HMB45, il est possible de visualiser les cellules cancéreuses (rouge) de ce MLM dans l’épiderme basal, ainsi que la pénétration invasive de ces cellules en profondeur autour des follicules pileux. L’indice de Breslow s’élève à >7 mm. Stade tumoral pT4a. D) Mélanome acro-lentigineux (MAL) grossissement 2×, coloration HE: lors de la section du MAL, l’ulcération est clairement reconnaissable, avec une rupture radicale des structures épidermiques. La profondeur d’invasion est >4 mm, ce qui correspond à un stade tumoral pT4b.
Les types de mélanomes suivants sont très rares (ensemble 5%) et ils sont souvent difficiles à identifier même pour le dermatologue expérimenté: le mélanome amélanotique (le plus souvent de couleur rouge), le mélanome muqueux, le mélanome desmoplastique et le mélanome uvéal [8, 12, 13].
Le mélanome de l’uvée est la tumeur oculaire la plus fréquente et il se développe à partir de mélanocytes dans l’iris, le corps ciliaire ou la choroïde. Sur le plan clinique, il se manifeste le plus souvent par une vision floue, mais certains patients restent asymptomatiques jusqu’à la pose du diagnostic. La moitié des patients développent par la suite des métastases, qui touchent le plus souvent le foie [13].

Mutations les plus fréquentes en cas de mélanome

Les trois mutations génétiques les plus fréquentes (BRAF, NRAS et NF1) contribuent à la prolifération et à la survie des cellules tumorales via l’activation de la voie de signalisation des MAP kinases (MAPK) (fig. 3). Une mutation du gène BRAF est retrouvée dans 50% de tous les mélanomes cutanés. Une mutation du gène NRAS est retrouvée dans env. 20% des mélanomes cutanés et dans 5–10% des mélanomes muqueux. Une mutation du gène suppresseur de tumeur NF1 entraîne également une activation de la voie de signalisation des MAPK en raison de la disparition de la protéine inhibitrice NF1. Cette mutation est retrouvée dans 25–46% de tous les mélanomes avec BRAF de type sauvage et NRAS de type sauvage. Dans les mélanomes «triple sauvages», aucune des trois mutations génétiques susmentionnées n’est retrouvée. Une mutation du gène GNAQ ou CKIT (le plus souvent en cas de MAL ou de mélanome muqueux) est alors recherchée.
Figure 3: Les différents sites d’action des inhibiteurs de kinase et agents immunothérapeutiques.
La «thérapie ciblée» par inhibiteurs BRAF et MEK bloque la prolifération cellulaire par une inhibition ciblée de la voie de signa­lisation des MAPK dans la cellule tumorale. L’objectif de l’immunothérapie est de bloquer les récepteurs immunosuppresseurs PD-1 ou CTLA-4, ce qui entraîne une activation des lymphocytes T et une lutte contre les cellules tumorales. Les protéines NRAS, BRAF, MEK et ERK font partie de la voie de signalisation des MAPK, qui est responsable de la croissance et la survie 
des cellules.
Abréviation: MAPK = mitogen-activated protein kinases, PD-1 = programmed cell death protein-1, PD-L1 = PD-1-ligand, 
CTLA-4 = cytotoxic T-lymphocyte antigen-4, MHC = major histocompatibility complex.
Dans le mélanome uvéal, les deux mutations suivantes ont pour l’instant le plus souvent été mises en évidence: GNAQ et GNA11. Ces gènes codent pour une protéine G et leur mutation entraîne également une activation de la voie de signalisation des MAPK [13, 14].

Diagnostic

En cas de suspicion clinique de mélanome, celui-ci doit immédiatement faire l’objet d’une exérèse totale. Lorsqu’elle n’est pas réalisée personnellement par le médecin ayant posé le diagnostic, l’exérèse devrait être pratiquée en l’espace de 2 semaines. Au niveau des zones critiques sur le plan anatomique, telles que le visage ou la plante des pieds, une biopsie devrait être envisagée avant l’exérèse. Des études rétrospectives ne montrent pas de détérioration du pronostic en cas de réalisation de biopsies avant l’exérèse totale primaire [8].
Les facteurs pronostiques, qui peuvent être identifiés sur la base de l’évaluation histologique, déterminent l’approche thérapeutique (tab. 1). En font partie l’épaisseur tumorale selon Breslow (en millimètres), le taux de mitose et l’ulcération. Bien entendu, les mesures thérapeutiques doivent être adaptées à la situation médicale globale du patient (comorbidités et âge).
Tableau 1: Procédure définie en fonction de l’histologie en ce qui concerne le traitement et le suivi (modifié d’après [8]).
Profondeur d’invasionProcédure thérapeutiqueExamens de suivi
Mélanome in situRé-excision avec marge de sécurité de 0,5 cmClinique: inspection de la peau et des GL tous les 6 mois, après 3 ans tous les 12 mois
Indice de Breslow <1 mm Ré-excision avec marge de sécurité de 1 cmClinique: inspection de la peau et des GL tous les 6 mois, après 3 ans tous les 12 mois
Indice de Breslow ≥1 mm ou
>0,8 mm avec 
ulcération– <2 mm: ré-excision avec marge de sécurité 
de 1 cm
– >2 mm: ré-excision avec marge de sécurité 
de 2 cm
– envisager une BGS comme mesure de stadification (dans un hôpital central)
– Clinique: inspection de la peau et des GL tous les 3 mois, après 3 ans tous les 6 mois, après 5 ans tous les 12 mois
– Imagerie: échographie des GL tous les 12 mois
– Laboratoire: protéine S-100
Indice de Breslow >4 mm ou
antécédents de métastases des GL– Réaliser une TEP-TDM ou TDM du corps entier avant la BGS (stadification)
– En l’absence de métastases à distance: ré-excision avec marge de 2 cm et BGS
– En présence de métastases: réévaluer la suite de la procédure en ce qui concerne le traitement systémique
– Clinique: comme en cas d’indice de Breslow >1mm
– Imagerie: TEP-TDM/TDM du corps entier 
tous les 12 mois pendant 5 ans
– Laboratoire: protéine S-100
GL = ganglions lymphatiques; BGS = biopsie du ganglion sentinelle
La BGS pose des exigences particulièrement élevées en matière d’interaction qualitative entre les disciplines spécialisées impliquées et elle devrait dès lors être réservée aux centres universitaires. Un aspect essentiel de cette procédure réside notamment dans la comparaison directe de l’histologie du ganglion sentinelle et celle de la tumeur primaire.
L’exérèse du ganglion sentinelle et les procédés de médecine nucléaire doivent eux aussi être bien coordonnés. Les anciennes recommandations préconisaient de réaliser systématiquement une lymphadénectomie de la région concernée en cas de mise en évidence de micro-métastases dans le ganglion lymphatique sentinelle. Ces recommandations ne sont plus acceptables au vu des résultats récents d’études. En particulier en cas de petites métastases, ces mesures ne sont pas nécessaires [8].
De nombreuses grandes études cliniques randomisées prospectives évaluent actuellement l’effet de nouveaux médicaments en situation adjuvante. Les résultats sont déjà en partie disponibles [15]. Il est par conséquent indispensable que les patients soient conseillés de manière compétente dans des centres spécialisés.
Le mélanome uvéal primaire peut dans un premier temps faire l’objet d’un traitement par protonthérapie, ce qui permet de conserver le globe oculaire [13].

Traitement systémique en cas de mélanome métastatique

Au cours des 7 dernières années, de nombreux médicaments ont été autorisés pour le traitement du mélanome de stade avancé. En font partie les agents immunothérapeutiques ipilimumab (anticorps anti-CTLA-4), pembrolizumab et nivolumab (anticorps anti-PD-1), ainsi que les inhibiteurs de kinase dabrafénib, vémurafénib, cobimétinib et tramétinib (inhibiteurs de BRAF et MEK).
Les agents immunothérapeutiques (également appelés «inhibiteurs de points de contrôle») bloquent généralement les récepteurs inhibiteurs à la surface des lymphocytes T et déclenchent des réponses immunitaires systémiques, ce qui explique également le profil d’effets indésirables de ces anticorps.
Les inhibiteurs de kinase (également appelés «thérapies ciblées») bloquent le domaine catalytique des tyrosines kinases ayant une action oncogène [8].
Le talimogène laherparepvec, ou T-VEC (IMLYGIC®), qui a récemment été autorisé en Suisse, mérite une attention particulière. Il s’agit d’un virus répliquant oncolytique, qui a été génétiquement modifié et est administré en injection intralésionnelle. Il est actuellement autorisé dans le traitement du mélanome non résécable avec métastases (stade III et IVa). Toutefois, le médicament est également évalué en association avec des agents immunothérapeutiques dans le cadre d’études cliniques [16].
Les agents chimiothérapeutiques sont encore rarement utilisés et ce, lorsque les options thérapeutiques évoquées ci-dessus et la participation à des études cliniques ne sont pas envisageables.
Un grand nombre de nouveaux médicaments sont actuellement en cours de développement pour le traitement de divers mélanomes. Il s’agit d’inhibiteurs de kinase, tels que les inhibiteurs pan-BRAF, les inhibiteurs ERK et d’autres petites molécules qui interfèrent dans les voies de signalisation, ainsi que de nouvelles sub­stances immunomodulatrices, telles que les anti-
LAG-3, les anti-TIM ou les agonistes du GITR [17].
La prise en charge médicale et l’encadrement dans le cadre d’études cliniques sont de très haute qualité par rapport à la prise en charge en dehors d’études cliniques. Par conséquent, il convient de vérifier la possibilité d’inclusion des patients dans des études cliniques avant l’initiation de tout traitement systémique [18].
Le traitement systémique des mélanomes de l’uvée représente un défi particulier. Ces mélanomes répondent très mal aux médicaments jusqu’à présent disponibles. Pour cette raison, les patients devraient principalement être traités dans le cadre d’études cliniques.
Les approches actuelles englobent l’utilisation d’inhibiteurs pan-BRAF ou ERK, de méthodes spécifiques de perfusion locale, mais également de nouveaux médicaments immunomodulateurs, tels que des récepteurs de lymphocytes T solubles recombinants qui reconnaissent l’antigène de différenciation mélanocytaire GP100 (IMCgp100) [13].
Toutefois, peu de recherches sont conduites dans le domaine du mélanome uvéal métastatique, ce qui est également lié à la rareté de ces affections. En 2017, la clinique dermatologique de l’hôpital universitaire de Zurich prendra davantage en charge ces patients et initiera plusieurs études cliniques pour ce collectif de patients.

Perspectives

Au cours des dernières années, les possibilités thérapeutiques se sont nettement améliorées pour les tumeurs cutanées malignes, en particulier pour le mélanome et le CCM. Le mélanome fait aujourd’hui figure de pionnier en vue du développement d’options thérapeutiques ciblées et de l’immunothérapie. Les succès sont impressionnants, mais il y a un potentiel d’amélioration, notamment au niveau de la sélection des patients pour les différentes options thérapeutiques par l’établissement de biomarqueurs appropriées et au niveau de la prévention et du traitement des effets indésirables. De nombreuses nouvelles molécules se trouvent actuellement en développement préclinique ou en phase précoce de développement clinique, et elles doivent le plus rapidement possible être intégrées dans le schéma thérapeutique actuel.
Ainsi, il y a un besoin considérable en recherches cliniques sophistiquées, le processus de recherche devant être soutenu par une vaste partie translationnelle, notamment à l’aide de biobanques.
Dans ce contexte, il est essentiel que des centres de traitement spécialisés, organisés en réseaux, soient établis en Suisse. Les médecins installés en cabinet, oncologues ou dermatologues, sont priés de se rattacher à l’un des centres et, pour les patients avec tumeurs cutanées avancées, de déterminer s’ils ne pourraient pas mieux être traités au sein d’une étude clinique avant d’initier un traitement avec les médicaments déjà autorisés. Pour les traitements en dehors d’études cliniques, la prise en charge dans un centre spécialisé est également judicieuse, car c’est uniquement de cette manière que les échantillons tissulaires et sanguins correspondants peuvent être collectés dans une biobanque.

L’essentiel pour la pratique

• Tout médecin praticien contribue au dépistage précoce du cancer cutané.
• Les facteurs de risque les plus pertinents pour le développement du mélanome sont: types de peau I–II, >100 nævi, immunosuppression, ana­mnèse familiale positive, exposition aux UV.
• En présence d’altérations cutanées suspectes, d’apparition récente ou changeantes qui ne guérissent pas après >4–6 semaines réaliser une biopsie.
• L’évaluation histologique détermine le traitement et le pronostic.
• Les patients avec un mélanome >1 mm ou pT1b >0,75 mm devraient être adressés à un hôpital central pour une ré-excision et une évaluation de la biopsie du ganglion sentinelle.
• Les intenses recherches cliniques et expérimentales sur les cancers cutanés ont, au cours des dernières années, abouti au développement de nouveaux médicaments qui, en plus de permettre une bonne qualité de vie, ont une influence avérée sur la survie globale du collectif de pa­tients.
• Malgré l’autorisation de certains nouveaux médicaments, il convient de poursuivre les études cliniques afin d’évaluer les effets indésirables, d’identifier les non-répondeurs et de permettre un ajustement individuel des traitements.
• Ainsi, la collaboration entre les spécialistes installés en cabinet et les centres spécialisés dans les tumeurs cutanées gagne une importance croissante pour pouvoir proposer aux patients le traitement optimal.
Prof. Dummer has intermittent, project focused consulting and/or advisory relationships with Novartis, Merck Sharp & Dohme (MSD), Bristol-Myers Squibb (BMS), Roche, Amgen, Takeda, Pierre Fabre outside the submitted work. The other authors haven’t reported any financial support or other potential conflict of interest relevant to this article.
Prof. Dr méd.
Reinhard Dummer
Stv. Klinikdirektor
Hautkrebszentrum
UniversitätsSpital Zürich
Dermatologische Klinik
Gloriastrasse 31
CH-8091 Zürich
reinhard.dummer[at]usz.ch
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