Thrombopénie induite par l’héparine de type II
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Thrombopénie induite par l’héparine de type II

Aktuell
Édition
2017/33
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.03036
Forum Med Suisse 2017;17(33):676-677

Affiliations
Regionales Pharmacovigilance-Zentrum Zürich, Klinik für Klinische Pharmakologie & Toxikologie, UniversitätsSpital Zürich und Universität Zürich
Les deux auteurs ont contribué à part égale à la réalisation de cet article.

Publié le 16.08.2017

Conséquences des effets indésirables: Potentiellement mortelles
Evolution: Rétablissement sans préjudice
Evaluation de la causalité: Sûre

Le cas clinique

Un patient de 66 ans a été hospitalisé en raison d’une dissection aortique et a reçu pendant et après son opération de l’héparine suivie de daltéparine (Fragmin®). Sept heures après l’opération, les analyses de laboratoire ont révélé une thrombopénie de 104 G/l. Par la suite, le taux de plaquettes sanguines a continué à chuter pour atteindre sa valeur minimale au 3e jour suivant l’opération (60 G/l). Au 8e jour suivant l’opération, une thrombose de la veine jugulaire commune gauche a été mise en évidence chez le patient. Une thrombopénie induite par l’héparine (TIH) de type II a été suspectée; la probabilité pré-test clinique du score 4T s’élevait à 6 points sur 8, ce qui indique une forte probabilité de TIH de type II. Le score 4T tient son nom de Thrombopénie (ampleur), Timing (temps de latence), Thrombose et causes alTernatives de thrombopénie (par ex. coagulation intravasculaire disséminée, sepsis, thrombopénie immunomédiée, microangiopathie thrombotique, lupus ou syndrome des anticorps anti-phospholipides) (tab. 1). L’administration de daltéparine a été aussitôt ­interrompue au profit de l’anticoagulant bilavirudine (Angiox®), un inhibiteur direct de la thrombine. Des titres d’anticorps élevés (anti-facteur 4 plaquettaire [PF4]/anticorps anti-héparine) ont confirmé le diagnostic de suspicion d’une TIH de type II. Les taux de thrombocytes se sont rétablis et se trouvaient à nouveau dans la norme dès le 12e jour postopératoire (239 G/l).
Tableau 1:Test4T: Probabilité pré-test d’une thrombopénie induite par l’héparine (TIH) en cas de suspicion de TIH, avant les ­résultats du test d’anticorps. 0–3 points: faible probabilité, 4–5 points: probabilité intermédiaire, 6–8 points: ­probabilité élevée de TIH de type II.
4TPoints
 210
Thrombopénie
(ampleur)
Chute >50% des thrombo­­cytes et nadir ≥20 000/µlChute 30–50% des thrombo­cytes ou nadir 10 000–19 000/µl Chute <30% des thrombo­cytes ou nadir <10 000/µl
Timing (temps de latence) de la chute des thrombocytes– Jour 5–10 après l’admini­stration d’héparine
– Temps de latence ≤1 jour pour une réexposition en l’espace de 30 jours
– Temps de latence >10 jours (ou évolution indistincte)
– Temps de latence ≤1 jour pour une réexposition il y a 31–100 jours
<4 jours sans précédente exposition à l’héparine
ThromboseMise en évidence de thrombose récente, nécrose cutanée, réaction systémique aiguë après bolus d’héparine non fractionnée (HNF)Thrombose progressive ou récidivante, lésions cutanées non nécrosantes (érythémateu­ses), suspicion de thromboseAucune
Causes alTernatives
de thrombopénie
Aucune Possible Sûre
Le patient présentait des antécédents connus d’hyper­tension artérielle avec épisodes hypertensifs intermittents. Les analyses de laboratoire réalisées lors de l’admission ont en outre révélé une insuffisance rénale modérée (DFGe 51 ml/min). Le patient ne prenait aucun traitement au long cours et ne présentait aucune allergie connue; il a déclaré en outre ne pas fumer ni consommer d’alcool. Il n’est pas fait mention d’une administration d’héparine au cours des 3 derniers mois.

Evaluation pharmacologique clinique

L’héparine non fractionnée (HNF) ainsi que les héparines de bas poids moléculaire (HBPM), telles que la daltéparine, sont notamment indiquées pour la prophylaxie des affections thromboemboliques. Des TIH ont été décrites sous HNF et différents principes actifs de la classe des HBPM.
La distinction est faite entre deux types différents: le type I correspond à une chute relativement légère du nombre de thrombocytes au cours des premiers jours suivant l’administration d’héparine (rarement sous 100 G/l) qui disparaît spontanément sans complication ni autre mesure, même en poursuivant l’administration d’héparine; à l’inverse, la TIH de type II est une réaction immunitaire potentiellement mortelle médiée par les anticorps, qui se caractérise dans plus de 90% des cas par une chute rapide du nombre de thrombocytes et affiche une mortalité allant jusqu’à 20%. Le temps de latence après le début du traitement par héparine est généralement de 5 à 10 jours mais peut également être plus court, en particulier chez les patients disposant d’anticorps déjà préformés et ayant reçu de l’héparine au cours des 100 derniers jours.
Sous HNF, une TIH de type II est environ 10 fois plus fréquente que sous HBPM. Du point de vue pathogénique, la TIH de type II est provoquée par des auto-anticorps contre les complexes héparine/PF4. L’héparine forme un complexe avec le PF4 libre, ce qui donne naissance à un néoantigène qui conduit à la formation d’auto-anticorps. Les complexes anticorps anti-TIH/PF4/héparine peuvent se lier aux récepteurs Fc des surfaces thrombocytaires. L’activation entraîne une agrégation plaquettaire qui peut ensuite provoquer des thromboses veineuses et artérielles (et non des hémorragies). Les occlusions artérielles aiguës sont également désignées par le terme «white clot syndrome», car, à l’échelle macroscopique, le thrombus paraît blanc. Le patient décrit a lui aussi développé une thrombose de la veine jugulaire commune gauche. D’autres complications thrombotiques décrites d’une TIH de type II seraient par exemple l’embolie pulmonaire, l’infarctus mésentérique, la nécrose des membres, la gangrène, ainsi que l’infarctus myocardique ou cérébral. Les nécroses cutanées au site d’injection de l’héparine sont facultatives, mais constituent un signal d’alarme typique d’une TIH.
Dans le cas présent, il existe une étroite corrélation temporelle entre la survenue d’une TIH et l’administration d’héparine ou de daltéparine. En outre, le score 4T (TIH) indique dans notre cas une forte probabilité pré-test de TIH de type II. Chez le patient décrit, la détermination du taux d’anticorps anti-TIH s’était également avérée positive. Chez les patients qui, sous héparine, développent des thrombopénies cliniquement pertinentes accompagnées d’une éventuelle tendance paradoxale aux thromboses artérielles, il n’est permis, selon l’information sur le médicament, d’administrer des héparines conventionnelles et de bas poids moléculaire qu’après un test in vitro négatif pour les anticorps anti-thrombotiques. En cas de résultat positif, les héparines sont contre-indiquées. De la même manière, aucun antagoniste de la vitamine K (par ex. phénprocoumone dans Marcoumar®) ne doit être administré lors de la phase aiguë de la TIH, car la chute rapide de la protéine C peut renforcer le risque de thromboembolies.
La normalisation de la numération plaquettaire après l’arrêt des héparines et le passage à la bivalirudine 
peut formellement être considérée comme un «dechallenge» positif.
Compte tenu de la corrélation temporelle, de la documentation dans les informations professionnelles ainsi que de la mise en évidence d’anticorps, la relation de causalité entre la survenue de la thrombopénie et l’administration d’héparines a été considérée comme avérée.
Nous remercions Mme Nicole Rothen, médecin en médecine interne générale à La Chaux-de-Fonds, pour sa révision de la traduction française.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
PD Dr méd. Stefan Weiler
PhD, MHBA
Klinik für Klinische Pharmakologie und Toxikologie
UniversitätsSpital Zürich
CH-8091 Zürich
stefan.weiler[at]usz.ch
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