Analyse mutationnelle de BRCA1/2 et inhibiteurs de PARP chez les ­patientes atteintes de cancer de l’ovaire
Recommandations d’un groupe d’experts suisses composé de représentants de la SSPM et de la SSGM*

Analyse mutationnelle de BRCA1/2 et inhibiteurs de PARP chez les ­patientes atteintes de cancer de l’ovaire

Richtlinien
Édition
2017/38
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.03056
Forum Med Suisse 2017;17(38):816-818

Affiliations
a Kantonsspital Baselland, Institut für Pathologie, Liestal; b CHUV, Institut Universitaire de Pathologie, Lausanne; c Universität Zürich, Institut für Medizinische Genetik, Schlieren; d Kantonsspital Aarau, Institut für Labormedizin, Abteilung für Medizinische Genetik, Aarau; e Universitätsspital Basel, Institut für Medizinische Genetik und Pathologie, Basel; f Kantonsspital St. Gallen, Institut für Pathologie,St. Gallen; g Universität Bern, Institut für Pathologie, Bern; h Universitätsspital Zürich, Institut für Pathologie und Molekularpathologie, Zürich

Publié le 20.09.2017

Introduction

Si le conseil génétique et l’évaluation des patientes et patients souffrant d’affections tumorales familiales constituent une mission de la génétique médicale, l’analyse standardisée de biomarqueurs prédictifs à partir de tissus cancéreux et de dérivés relève de la patho­logie moléculaire. Les deux disciplines poursuivent le même objectif d’une médecine personnalisée de précision [1, 2]. Les inhibiteurs de poly(ADP-ribose) polymérase (PARP) montrent de l’efficacité dans le traitement de carcinomes caractérisés par un défaut de réparation des cassures double-brin de l’ADN par recombinaison homologue. En janvier 2016, l’inhibiteur de PARP olaparib (Lynparza®), actif par voie orale, a été autorisé en Suisse pour le traitement du cancer de l’ovaire avancé avec une mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2 («BReast CAncer 1/2, early onset»). Pour l’instauration d’un traitement par olaparib, tous les critères suivants doivent être rencontrés:
– carcinome de l’ovaire (indépendamment du type histologique) [3];
– tumeur avancée récidivante;
– tumeur sensible au platine (c.-à-d. en présence d’une rémission complète ou partielle suite à une chimiothérapie à base de platine);
– mise en évidence d’une mutation délétère, germinale et/ou somatique, des gènes BRCA1 ou BRCA2.
L’olaparib a été autorisé sur la base d’une étude randomisée de phase II dans laquelle les patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire avec mutation délétère de BRCA1/2 traitées par olaparib ont présenté une survie sans progression significativement plus longue que les patientes sous placebo (11,2 mois vs. 4,3 mois) [4]. L’olaparib a montré de l’efficacité en présence d’une mu­tation de BRCA1/2 constitutionnelle (présente dans la lignée germinale) ou somatique (acquise au niveau des cellules tumorales). Ainsi, la mise en évidence d’une mutation germinale ou somatique de BRCA1/2 constitue un biomarqueur prédictif vis-à-vis d’un traitement par l’inhibiteur de PARP olaparib.

Analyse mutationnelle de BRCA1/2

Les gènes BRCA1 et BRCA2 sont classifiés parmi les gènes suppresseurs de tumeur ou plus précisément les gènes «caretaker». La perte de fonction des protéines codées par BRCA1/2 provoque entre autres un défaut de la recombinaison homologue (un mécanisme majeur de réparation de l’ADN). Les mutations de BRCA1/2 correspondent principalement à la substitution de bases individuelles (mutations faux sens et non-sens), ou à de petites insertions et délétions responsables d’un décalage du cadre de lecture. Environ 8% des mutations connues de BRCA1 et <2% des mutations connues de BRCA2 consistent en de grandes délétions, qui se traduisent par une absence d’expression des protéines BRCA1/2 ou par la synthèse de protéines BRCA1/2 défectueuses.
L’analyse de BRCA1/2 implique plusieurs défis techniques: les gènes BRCA1/2 sont de grande taille (5592 et 10 257 paires de bases, respec­tivement) et contiennent de nombreux variants non pathogènes (polymorphismes), de même que des variants de signification indéterminée («variant of uncertain significance» [VUS]). Les mutations de BRCA1/2 sont réparties sur toute la longueur des gènes, de sorte que les parties codantes et les séquences introniques avoisinantes doivent être entièrement séquencées.
Sur le plan technique, l’analyse de BRCA1/2 est aujourd’hui principalement réalisée par séquençage à haut débit (séquençage de nouvelle génération ou «next generation sequencing» [NGS]). Cette technique permet d’analyser de l’ADN extrait de différents types d’échantillons (par ex. cellules du sang et tissus tumoraux). L’analyse d’une tumeur peut être réalisée sur des échantillons tissulaires fixés au formol et inclus en paraffine ou sur du matériel cytologique (par ex. sur du liquide d’ascite). En fonction du matériel analysé, des adaptations de la technique de base s’avèrent nécessaires. Le point faible du diagnostic basé sur le NGS réside dans la détection de grands réarrangements génomiques, tels que les délétions et les du­plications [5]. Pour cette raison, une analyse supplémentaire du nombre de copies (par ex. par technique MLPA [«multiplex ligation-dependent probe amplification»]) est obligatoirement réalisée dans le cadre de l’analyse germinale. Par ailleurs, certaines techniques de NGS s’avèrent inadéquates pour la mise en évidence de mutations dans les régions homopolymériques (par ex. TTTTT). Un aperçu des difficultés liées à l’analyse mutationnelle de BRCA1/2 du point de vue d’un laboratoire de diagnostic est donné dans un article de Andrew Wallace [6].

Algorithme diagnostique pour l’évaluation du statut mutationnel de BRCA1/2

Environ 15% de tous les carcinomes de l’ovaire surviennent dans le cadre d’un syndrome héréditaire de prédispo­sition au cancer du sein et de l’ovaire, qui est lié chez la plupart des patientes (env. 70%) à une mutation germinale de BRCA1 ou BRCA2. Approximativement 3–5% de tous les carcinomes de l’ovaire (env. 25–30% des carcinomes de l’ovaire avec mutation de BRCA1/2) présentent une mutation de BRCA1/2 limitée aux cellules tumorales (mutation somatique), acquise au cours de la tumorigenèse et pouvant dès lors uniquement être détectée par une analyse génétique des cellules tumorales elles-mêmes. La fréquence des grandes délétions de BRCA1/2 survenant dans ce contexte somatique n’est pas connue. Différentes approches sont possibles pour identifier tous les cancers de l’ovaire avec mutation de BRCA1/2 (fig. 1). Dans l’idéal, l’analyse mutationnelle de BRCA1/2 devrait être réalisée à la fois sur du tissu tumoral et sur un échantillon sanguin car, d’une part, les mosaïques somatiques ne sont pas détectables dans le sang et, d’autre part, les grandes délétions sont difficiles à détecter dans le tissu tumoral avec les techniques actuellement disponibles. En outre, les mutations germinales peuvent disparaître dans le tissu tumoral. En fonction de l’anamnèse familiale, il est possible de rechercher en premier lieu une mutation délétère dans le sang ou au contraire dans le tissu tumoral et, en l’absence de mutation délétère identifiée, de procéder ensuite à l’analyse de l’autre matériel. Toutefois, cette approche globale ne peut souvent pas être mise en œuvre en raison de l’absence de prise en charge des coûts par les assurances-maladie.
Figure 1: Algorithme diagnostique pour la recherche de mutations de BRCA1/2 chez des patientes atteintes de cancer de l’ovaire.

Conseil

La mise en évidence d’une mutation de BRCA1/2 dans les cellules d’un cancer de l’ovaire peut indiquer la présence d’un syndrome héréditaire de prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire (dans env. 75% des cas). Les patientes chez lesquelles une analyse mutationnelle de BRCA1/2 au niveau de la tumeur est planifiée en vue d’un traitement par olaparib devraient dès lors béné­ficier d’explications détaillées quant à la signification de l’examen planifié et en particulier quant à la portée de la détection d’une possible mutation. La mise en évidence d’une mutation germinale délétère n’implique pas seulement un risque accru de développer différentes tumeurs pour la patiente elle-même. Il est très probable que d’autres membres de sa famille (enfants, fratrie, parents, etc.) soient également porteurs (asymptomatiques) de la mutation, avec un risque de cancer nettement accru (transmission autosomique dominante). Dans le cadre de l’entretien d’information préalable à la réalisation d’une analyse mutationnelle de BRCA1/2 sur du tissu tumoral, les médecins traitants doivent recueillir une anamnèse familiale détaillée. Si d’autres cancers (en particulier de l’ovaire, du sein, du pancréas et de la prostate) sont connus au sein de la famille, il convient de proposer d’emblée à la patiente une consultation génétique et une recherche de mutations germinales. Si aucune mutation n’est retrouvée dans le sang, une analyse mutationnelle de BRCA1/2 sur du tissu tumoral devrait par la suite être réalisée (fig. 1). En cas de cancer de l’ovaire sporadique, une analyse mutationnelle du tissu tumoral devrait être réalisée en premier lieu. Si aucune mutation n’est retrouvée dans la tumeur, une analyse mutationnelle de BRCA1/2 dans le sang devrait par la suite être réalisée. Au préalable, la patiente doit impérativement fournir son consentement éclairé, après avoir été suffisamment informée.

Aspects réglementaires

Contrairement aux mutations somatiques des gènes EGFR («epidermal growth factor receptor») et KRAS («Kirsten rat sarcoma»), les mutations de BRCA1/2 détectées dans un tissu tumoral sont susceptibles de correspondre à des mutations germinales (héréditaires). La recherche de mutations somatiques n’entre actuellement pas dans le domaine de validité de la Loi fédérale sur l’analyse génétique ­humaine (LAGH), car cette analyse n’a pas pour objectif direct de détecter une mutation germinale. D’après l’avant-projet de la révision totale de la LAGH, le domaine de validité devrait être étendu aux analyses des caractéristiques du patrimoine génétique qui ne sont pas transmises à la descendance. En particulier, les dispositions légales relatives à l’information et au consentement et le droit de ne pas savoir devraient être appliquées également à l’évaluation des propriétés somatiques.

Assurance qualité

La participation annuelle des laboratoires suisses de génétique médicale certifiés ou accrédités à des contrôles de qualité externes (organisés notamment par le «European Molecular Genetics Quality Network» [EMQN]) est obligatoire pour l’ensemble des analyses germinales à visée diagnostique (Commission suisse pour l’assurance de qualité dans le laboratoire médical [QUALAB]). L’année dernière, six instituts de pathologie suisses ont par­ticipé avec succès au premier essai inter-laboratoires de l’initiative allemande «Qualitätssicherungs-Initiative Pathologie» (QuIP) concernant la recherche de mutations de BRCA1/2 sur des cellules tumorales [7]. Ainsi, le diagnostic moléculaire des mutations de BRCA1/2 est disponible sur l’ensemble du territoire suisse et ce, sur la base d’une qualité contrôlée.

Développements futurs

Les résultats d’études cliniques indiquent que l’olaparib et d’autres inhibiteurs de PARP pourraient montrer de l’efficacité, au-delà des carcinomes de l’ovaire, également dans d’autres entités tumorales (carcinomes de la prostate, du pancréas, du sein) [8–10]. La valeur prédictive des mutations de BRCA1/2 dans ces types de tumeurs sort du cadre de cet article.
Dre B. Bisig a déclaré avoir participé en tant qu’experte à deux réunions régionales d’experts organisées par AstraZeneca en 2016 et 2017 (Olaparib Regional Expert Boards). Dr B. Röthlisberger a déclaré un contrat de consultant avec AstraZeneca SA. Prof. H. Moch a déclaré des subventions de recherche et/ou des honoraires pour des consul­tations, des conférences ou la participation à des «Advisory Boards» de la part de Roche, Myriad Genetics et AstraZeneca/Definiens. Les autres auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
PD Dr méd. Kirsten D. Mertz
Kantonsspital Baselland
Institut für Pathologie
Mühlemattstrasse 11
CH-4410 Liestal
kirsten.mertz[at]ksbl.ch
 1 Hood L, Friend SH. Predictive, personalized, preventive, participatory (P4) cancer medicine. Nat Rev Clin Oncol. 2011;8:184–7.
 2 Eckhardt A, Navarini AA, Recher A, et al. Personalisierte Medizin. vdf Hochschulverlag AG an der ETH Zürich (Publikation von TA Swiss, Zentrum für Technologiefolgenabschätzung) 2014.
 3 Alsop K, Fereday S, Meldrum C, et al. BRCA mutation frequency and patterns of treatment response in BRCA mutation-positive women with ovarian cancer: a report from the Australian Ovarian Cancer Study Group. J Clin Oncol. 2012;30:2654–63.
 4 Ledermann J, Harter P, Gourley C, et al. Olaparib maintenance therapy in patients with platinum-sensitive relapsed serous ovarian cancer: a preplanned retrospective analysis of outcomes by BRCA status in a randomised phase 2 trial. Lancet Oncol. 2014;15:852–61.
 5 Judkins T, Rosenthal E, Arnell C, et al. Clinical significance of large rearrangements in BRCA1 and BRCA2. Cancer. 2012;118:5210–6.
 6 Wallace AJ. New challenges for BRCA testing: a view from the diagnostic laboratory. Eur J Hum Genet. 2016;24Suppl1:S10–8.
 7 Endris V, Stenzinger A, Pfarr N, et al. NGS-based BRCA1/2 mutation testing of high-grade serous ovarian cancer tissue: results and conclusions of the first international round robin trial. Virchows Arch 2016;468:697-705.
 8 Mateo J, Carreira S, Sandhu S, et al. DNA-Repair Defects and Olaparib in Metastatic Prostate Cancer. N Engl J Med. 2015;373:1697–708.
 9 Konstantinopoulos PA, Ceccaldi R, Shapiro GI, D’Andrea AD. Homologous Recombination Deficiency: Exploiting the Fundamental Vulnerability of Ovarian Cancer. Cancer Discov. 2015;5:1137–54.
10 Kaufman B, Shapira-Frommer R, Schmutzler RK, et al. Olaparib monotherapy in patients with advanced cancer and a germline BRCA1/2 mutation. J Clin Oncol. 2015;33:244–50.