Décompensation acidocétosique ou hyperosmolaire d'un diabète
Gestion pratique

Décompensation acidocétosique ou hyperosmolaire d'un diabète

Übersichtsartikel AIM
Édition
2017/46
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2017.03077
Forum Med Suisse 2017;17(46):1015-1019

Affiliations
Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition, Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), Genève

Publié le 15.11.2017

La décompensation acidocétosique et la décompensation hyperosmolaire représentent des urgences hyperglycémiques rares mais sérieuses dans le diabète sucré. Leur reconnaissance et dépistage initiaux sont importants afin d’orienter correctement le patient et d’offrir une prise en charge optimale rapidement. Cet article revoit les bases du dépistage et de la prise en charge des urgences hyperglycémiques.

Introduction

La décompensation acidocétosique (DAC) et la décompensation hyperosmolaire (DHO) sont les deux complications aiguës les plus sérieuses que peuvent présenter les patients diabétiques et constituent donc des urgences hyperglycémiques. La DAC et la DHO peuvent toutes deux survenir chez les patients diabétiques de type 1 et diabétiques de type 2. Cependant, la DAC est plus fréquente chez les jeunes patients avec diabète de type 1 et la DHO est plus fréquemment rapportée chez des adultes ou patients âgés avec diabète de type 2.  Chez beaucoup de patients, la DAC et la DHO peuvent être intriquées. Le taux d’admissions hospitalières pour la DHO est plus faible que pour la DAC, comptant pour environ 1% de toutes les admissions en lien avec le diabète. La mortalité globale est de moins de 1% pour la DAC, mais est environ dix fois plus élevée pour la DHO. Le pronostic des patients présentant une DAC ou une DHO est essentiellement déterminé par la sévérité de la déshydratation, la présence de comorbidités et un âge de plus de 60 ans.

Manifestations cliniques

Les patients avec DAC et DHO présentent fréquemment une fatigue, associée aux symptômes classiques d’hyperglycémie de type polyurie, polydipsie et perte pondérale. Les symptômes gastro-intestinaux de type nausées et vomissements avec douleurs abdominales sont fréquents. Bien que rares, les troubles de l’état de conscience peuvent survenir. A l’examen clinique, on recherchera essentiellement des signes de déshydratation, mais aussi une respiration de type Kussmaul pour les patients avec DAC. Les manifestations cliniques des urgences hyperglycémiques sont résumées dans le tableau 1.
Tableau 1: Manifestations cliniques des urgences hyperglycémiques (adapté de [5]).
DécompensationSymptômesSignesPrésentation
Décompensation 
acidocétosique 
(DAC)Polydypsie, polyurie, faiblesse, perte pondérale, nausées, vomissements, douleurs abdominalesHypothermie, tachycardie, 
tachypnée, respiration de Kussmaul, iléus, haleine acétonémique, altération de l’état 
de conscience– Début rapide (heures à jours)
– Plus fréquent dans le diabète de type 1 que dans le type 2
Décompensation 
hyperosmolaire
(DHO)Polydypsie, polyurie, faiblesse, perte pondéraleHypothermie, hypotension, 
tachycardie, altération de l’état 
de conscience– Début insidieux 
(jours à semaines)
– Age plus élevé
– Plus fréquent dans le diabète de type 2 que dans le type 1

Bilan biologique

L’évaluation des urgences hyperglycémiques au cabinet est relativement difficile. Comme dépistage, on peut effectuer un dosage des corps cétoniques urinaires et éventuellement capillaires si on dispose d’un appareil. Pour les corps cétoniques capillaires, la valeur normale se situe en dessous de 0,4 à 0,5 mmol/l. Des corps cétoniques capillaires de plus de 1 mmol/l nécessitent des compléments d’investigations, alors que des taux supérieurs à 3 mmol/l nécessitent une intervention médicale immédiate. Au cabinet, on pourra compléter les corps cétoniques urinaires et/ou capillaires par la mesure du glucose (en général capillaire). En fonction des résultats de ces deux derniers pa­ramètres et surtout de l’état clinique du patient, le médecin de premier recours pourra soit gérer la si­tuation en ambulatoire, soit adresser le patient aux urgences d’un hôpital. A l’hôpital, il convient de compléter le bilan mentionné ci-dessus par une gazométrie artérielle ou veineuse, le dosage des électrolytes (sodium et potassium), la créatinine, les bicarbonates, l’osmolarité et l’hémoglobine glyquée. On complètera ces investigations par des dosages ciblés et d’autres examens (radiologie, ECG …) en fonction de la suspicion d’altération clinique ayant mené à la décompensation diabétique (par exemple : infection, infarctus myocardique …).
Les critères diagnostiques de la DAC et de la DHO sont présentés dans le tableau 2.
Tableau 2: Critères diagnostiques pour la décompensation acidocétosique (DAC) et la décompensation hyperosmolaire (DHO) (adapté de [1, 3]).
 Décompensation acidocétosique (DAC)Décompensation 
hyperosmolaire (DHO)
 Légère 
(glucose plasmatique >13,8 mmol/l)Modérée 
(glucose plasmatique >13,8 mmol/l)Sévère 
(glucose plasmatique >13,8 mmol/l)Glucose plasmatique >33 mmol/l
pH artériel7,25–7,307,00–7,24<7,00>7,30
Bicarbonates sanguins (mmol/l)15–1810–15<10>18
Cétones urinairesPositifsPositifsPositifsFaibles
Cétones sériquesPositifsPositifsPositifsFaibles
Osmolalité sériqueVariableVariableVariable>320 mOsm/kg
Trou anionique>10>12>12Variable
Etat mentalAlerteAlerte/somnolentStupeur/comaStupeur/coma

Physiopathologie

La pathogenèse de la DAC et de la DHO ne sera pas discutée dans cette revue, puisqu’elle a été présentée dans un article du Forum Médical Suisse en 2015 [2].

Prise en charge

La prise en charge des urgences hyperglycémiques est résumée dans la figure 1. A noter qu’il ne faut pas suivre les corps cétoniques urinaires dans la résolution de la DAC, car ce sont des produits de dégradation du β-hydroxybutyrate qui sont mesurés et qui peuvent être encore positifs au niveau urinaire alors même que la résolution de la DAC est mesurable au niveau plasmatique. Dès lors, le suivi des corps cétoniques dans la DAC doit se faire idéalement par la mesure directe du β-hydroxybutyrate plasmatique, éventuellement par les corps cétoniques capillaires.
Figure 1: Prise en charge des urgences hyperglycémiques (adapté de [2, 3].
DAC = décompensation acidocétosique, DHO = décompensation hyperosmolaire

Apport liquidien

L’apport de liquide intraveineux est un aspect critique du traitement des urgences hyperglycémiques. Ceci permet d’augmenter le volume intra-vasculaire, de restaurer une perfusion rénale et de réduire la résistance à l’insuline. Il faut tenir compte de l’état initial d’hydratation (choc hypovolémique, légère déshydratation, choc cardiogénique). La solution saline isotonique (NaCl 0,9%) est la solution préférée et est administrée initialement à la vitesse de 500 à 1000 ml/h durant les premières 2 à 4 heures. Si le taux de sodium dépasse 150 mmol/l, la perfusion de NaCl 0,45% est une option possible à condition qu’elle soit administrée aux soins intensifs ou continus. Lorsque le taux de glucose atteint approximativement 11,1 mmol/l (DAC) ou 16,7 mmol/l (DHO), on administrera alors du glucose à 5 ou 10% (initialement au débit de 40 ml/h) conjointement au NaCl (0,45 ou 0,9%).

Insuline

L’administration continue intraveineuse d’insuline par une pompe ou par un pousse-seringue est le traitement de choix, on utilise pour cela de l’insuline «regular» (Actrapid®) ou de l’insuline aspart (Novorapid®). Les recommandations préconisent d’utiliser un bolus initial d’insuline de 0,1 U/kg suivi d’une infusion continue d’insuline à 0,1 U/kg/h jusqu’à ce que le glucose atteigne 11,1 mmol/l (DAC) ou 16,7 mmol/l (DHO). Une réduction de l’insulinothérapie est ensuite à envisager parallèlement à l’administration de glucose. En effet, durant les 24 premières heures de prise en charge, l’objectif glycémique est de stabiliser le patient sans abaisser la glycémie à des valeurs normales. Ceci pour limiter le risque d’œdème cérébral comme proposé dans les recommandations éditées par l’«American Diabetes Association» (ADA) qui sont suivies par de nombreux centres [4]. Ensuite, on peut réduire la perfusion continue d’insuline à des doses de 0,02 à 0,05 U/kg/h. En aucun cas l’insulinothérapie intraveineuse ne devra être suspendue avant la transition en sous-cutané. La glycémie capillaire est en principe mesurée toutes les 1–2 heures. A noter que quelques études on démontré que l’administration de doses d’insuline rapide en sous cutané (lispro et aspart) toutes les 1 à 2 heures représentait une alternative efficace à la perfusion continue intraveineuse d’insuline en terme de résolution de la DAC, surtout dans la forme légère (pH 7,25–7,30).
Finalement, mentionnons que lorsque le patient est sous insulinothérapie intraveineuse et qu’il mange, les bolus prandiaux doivent être effectués par insuline rapide sous cutanée, vu l’action très brève des bolus intraveineux qui ne couvriraient alors pas le repas, avec hyperglycémie de rebond.

Potassium

Lorsque les taux sériques initiaux de potassium sont supérieurs à 5,2 mmol/l, il n’est en principe pas indiqué de supplémenter d’emblée en potassium. Si les taux sont inférieurs à 3,3 mmol/l, il convient d’administrer du potassium à la dose de 10 à 20 mEq/h et l’administration d’insuline devrait être retardée jusqu’à ce que les taux de potassium augmentent jusqu’à 3,3 mmol/l. Si le potassium initial se trouve entre 3,3 et 5,2 mmol/l, l’administration de 20 à 30 mEq de potassium par litre de liquide est en principe suffisante pour la majorité des patients.

Bicarbonate

L’administration de bicarbonate n’est pas recommandée de routine. Si le pH est inférieur à 6,9 considérer l’administration de 50–100 mmol dans 500 ml de NaCl 0,45% sur 1 heure, ou jusqu’à ce que le pH soit supérieur ou égal à 7,0. On ne recommande pas d’ad­ministrer du bicarbonate si le pH est supérieur ou égal à 7,0.

Phosphate

La réplétion en phosphate n’est presque jamais indiquée dans la DAC ou la DHO. On peut cependant considérer l’administration de phosphate chez les patients avec évidence d’atteinte respiratoire ou cardiaque avec un taux sérique de phosphate inférieur à 0,32 mmol/l. Des cas d’hypocalcémie induite par l’administration de phosphate ont été décrits, notamment chez les enfants avec DAC.

Transition insuline intraveineuse 
→ insuline sous-cutanée

Elle se fait en principe après résolution de la DAC ou de la DHO. A noter que même si les critères de résolution sont présents, il convient de juger de l’état clinique du patient. En effet, un patient ayant encore des nausées et ne parvenant pas à s’alimenter ne devrait probablement pas être mis immédiatement sous insulinothérapie sous cutanée. La résolution de la DAC est définie par un glucose <13,8 mmol/l, un pH >7,3, des bicarbonates ≥18 mmol/l et un trou anionique ([Na+] – [(Cl + HCO3)]) ≤12 mmol/l. La résolution de la DHO est atteinte lorsque l’osmolarité sérique est <310 mOsm/kg et le taux de glucose ≤13,8 mmol/l chez un patient qui a un état de conscience normal.
Comme la demi-vie de l’insuline intraveineuse est très courte (moins de 10 minutes), l’arrêt brutal de l’insuline intraveineuse peut résulter en une hyperglycémie de ­rebond, une cétogenèse et la récidive d’une acidose métabolique. Il convient alors d’administrer de l’insuline basale sous cutanée au moins 2 heures avant d’arrêter la perfusion intraveineuse d’insuline. Ceci est valable pour les insulines de type NPH, mais si on considère les insulines de longue durée d’action type glargine, détémir ou degludec, l’injection sous cutanée devrait se faire 3 à 4 heures avant d’arrêter la perfusion intraveineuse d’insuline. Alternativement, on peut arrêter la pompe intraveineuse 1 à 2 heures après l’administration d’insuline rapide prévue pour un bolus prandial. Dans ce cas, il ne faut pas oublier de prévoir une insuline basale pour prendre le relais, surtout chez les patients avec diabète de type 1 ou insulinopéniques.
Pour les patients insulino-naïfs, on administre en principe une dose totale d’insuline de 0,5 à 0,6 U/kg, répartie en 50% basale et 50% bolus (le 50% bolus est divisé en 3 doses égales pour les 3 repas). Les patients déjà connus pour diabète peuvent reprendre leur dose habituelle d’insuline, mais cette dernière doit cependant être ajustée en fonction de l’équilibre glycémique comme reflété par l’hémoglobine glyquée. Notons qu’une étude randomisée et contrôlée chez des patients avec DAC a comparé une transition vers l’insulinothérapie continue pour 2 régimes: NPH/insuline ­regular versus glargine/glulisine et a montré un contrôle glycémique similaire entre les deux groupes. Cependant, les patients sous NPH/insuline regular ont eu deux fois plus d’hypoglycémies comparé au groupe glargine/glulisine [5, 6].

Prévention des urgences hyperglycémiques et de leur récidive

Une approche multidisciplinaire comportant des infirmières spécialistes cliniques, des médecins et des diététiciennes en contact étroit avec le patient permet de diminuer le nombre d’hospitalisations pour urgences hyperglycémiques. Il est utile d’enseigner aux patients diabétiques de type 1 à contrôler les corps cétoniques capillaires durant par exemple une maladie ou en cas d’hyperglycémie persistante, afin de dépister précocement la DAC.

Décompensation acidocétosique atypique 

A noter, bien que rare, qu’il peut arriver que les patients se présentent avec une décompensation acidocétosique euglycémique, c’est-à-dire sans hyperglycémie. Ceci peut se voir chez les patients prenant des inhibiteurs SGLT2. Afin de minimiser ce risque, il convient bien entendu de ne pas administrer ces médicaments à des patients diabétiques de type 1, mais aussi éventuellement de les éviter chez les patients diabétiques de type 2 qui auraient une néoglucogenèse fortement ­altérée (alcooliques chroniques …), une diète particulièrement pauvre en hydrates de carbone, ou chez les ­patients fortement insulinopéniques (longue durée de diabète, diabète pancréatoprive). Il est d’ailleurs recommandé de suspendre les inhibiteurs SGLT2 avant une chirurgie élective.

L’essentiel pour la pratique

• Les urgences hyperglycémiques que sont la décompensation acidocétosique (DAC) et la décompensation hyperosmolaire (DOH) sont des situations d’urgence chez le patient diabétique, associées à une morbi-mortalité élevée.
• ​La DAC se rencontre plus fréquemment chez le patient diabétique de type 1 et la DHO chez le patient diabétique de type 2, mais des tableaux mixtes ou différents peuvent exister.
• En cas d’urgence hyperglycémique, il convient de rechercher la cause sous jacente dans la mesure du possible.
• Le traitement consiste essentiellement en une hydratation intraveineuse et insulinothérapie intraveineuse, avec contrôle des électrolytes et notamment du potassium.
L’auteur n’a pas déclaré des obligations financières ou personnelles 
en rapport avec l’article soumis.
PD Dr méd.
François R. Jornayvaz
Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition
Hôpitaux Universitaires
de Genève (HUG)
Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4
CH-1225 Genève 14
francois.jornayvaz[at]hcuge.ch
1 Jornayvaz FR. Prise en charge initiale d’une suspicion de diabète sucré. Swiss Medical Forum 2015;15(47):1097–103.
2 Sigrist S, Brändle M. Urgences hyperglycémiques chez l’adulte. Swiss Medical Forum 2015;15(33) :723–28.
3 Kitabchi A, et al. Hyperglycemic crisis in adult patients with diabetes. Diabetes Care 2009;32(7):1335–43.
4 Dhatariya KK, Vellanka P, Treatment of Diabetic Ketoacidosis (DKA)/hyperglycemic hyperosmolar State (HHS): Novel Advances in the Management of Hyperglycemic Crisis (UK versus USA).
Curr Diab Rep. 2017;17:33.
5 Fayfman M, et al. Management of hyperglycemic crises: Diabetic ketoacidosis and hyperglycemic hyperosmolar state. Med Clin N Am 2017;101(3):587–606.
6 Umpierrez G, Korytkowski M. Diabetic emergencies – ketoacidosis, hyperglycemic hyperosmolar state and hypoglycemia. Nat Rev Endocrinol 2016;12(4):222–32.