Prévention des conséquences légales de l'activité médico-soignante
Rôles respectifs du système et des individus

Prévention des conséquences légales de l'activité médico-soignante

Übersichtsartikel
Édition
2018/1314
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03126
Forum Med Suisse 2018;18(1314):308-311

Affiliations
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne

Publié le 28.03.2018

L’exercice de la médecine peut s’avérer dangereux pour le patient, le soignant et l’environnement. Il existe toutefois des mesures de prévention des risques associés à cette activité.

Introduction

Toute activité humaine comprend un certain nombre de risques pour l’intégrité physique ou les biens de la personne qui la pratique, tout comme celle des personnes et biens alentours. C’est la raison pour laquelle ces activités sont généralement décrites et conditionnées dans des lois, règlements et autres textes juridiques qui en délimitent les conditions d’exercices et de responsabilités.
C’est naturellement aussi le cas en médecine, dont les conséquences légales peuvent être rapportées à l’art. 28 du Code civil suisse qui précise [1]:
1. Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
2. Une atteinte est illicite, à moins qu’elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi.
Il en ressort pour l’activité médicale deux éléments importants:
– Le patient qui supporte le risque d’une atteinte à sa santé doit recevoir une information suffisante, ­notamment sur les bénéfices, les risques et les alternatives d’une prestation diagnostique et/ou thérapeutique, afin d’y consentir valablement. Ce consentement rend l’acte thérapeutique licite, donc justifie l’atteinte portée au patient.
– Le médecin et les auxiliaires commettent un acte ­illicite et en assument la responsabilité si aucun motif justificatif ne le permet. Dans la mesure où les possibilités de la médecine d’identifier rapidement les maladies et de les traiter efficacement sont limitées, le soignant au sens large est tenu de pratiquer la médecine selon les règles de l’art, qui évoluent avec les progrès de la médecine. Il a donc une obligation de moyens et non pas de résultats, de sorte que, malgré une prise en charge soigneuse, il est possible de faire une erreur. Ceci dit, sa responsabilité ne sera pas engagée si des conditions spécifiques ne sont pas réunies, à savoir:
1. La survenue d’un dommage.
2. Un acte illicite, soit
a) une violation du devoir d’information: il appartient au soignant d’apporter la preuve du contraire;
b) une violation du devoir de diligence;
c) un non-respect des règles de l’art, qu’il appartient au patient d’établir.
3. Un lien de causalité naturelle et adéquate entre les deux.
A noter que la faute est présumée dans la mesure où il y a une violation des règles de l’art.
Les soignants sont généralement extrêmement déstabilisés lorsque le patient décide d’intenter une démarche judiciaire, parce que ce domaine ne relève pas de leurs compétences, qu’ils sont confrontés à des règles et un langage qui leur sont étrangers, et qu’ils ressentent une profonde injustice puisqu’ils souhaitaient avant tout le bien du patient [2].
Les conséquences sur le plan juridique peuvent être de trois types:
– Responsabilité civile, qui vise à réparer financièrement le préjudice causé à autrui sans motif légitime.
– Responsabilité pénale, qui vise à infliger une sanction personnelle pour violation d’une disposition pénale. La sanction est une privation de liberté et/ou une amende.
– Responsabilité administrative, mise en œuvre par l’employeur, visant à sanctionner le collaborateur dans sa fonction au sein de l’institution. Cette responsabilité oblige l’institution à mettre sur pied une instance d’examen de l’événement par des personnes compétentes pour juger les faits, leur chronologie et les responsabilités des différents acteurs impliqués, et nécessite la mise en place d’un système garantissant une équité de traitement [3].

La prévention des risques et des erreurs: une affaire de système

La plupart des domaines d’activité humaine ont mis en place un système de prévention des risques et des erreurs, destiné à minimiser la probabilité qu’une erreur ou une faute (définie comme une violation de procédure ou un manque d’effort blâmable) ne survienne. Habituellement, ces systèmes reposent sur cinq piliers allant de l’environnement à l’acteur individuel, ce qui, en médecine, implique aussi le patient [4].
Ces cinq niveaux de prévention sont brièvement décrits à travers quelques exemples, qui permettent d’illustrer où se situe la responsabilité principale d’assurer la maîtrise des risques. Un ouvrage de référence sur le sujet a été récemment publié [5].

Environnement

Il s’agit principalement des locaux et de l’équipement qui permettent de fournir les prestations diagnostiques et/ou thérapeutiques. Leur bon fonctionnement nécessite un système de maintenance, assuré par des architectes et des ingénieurs biomédicaux. Les directives de santé, sécurité au travail [6] imposent des ­inspections régulières des locaux et équipements, pour s’assurer qu’ils se situent dans les limites tolérables sur le plan thermique, acoustique et de sécurité d’utilisation. La responsabilité principale de ces activités incombe à l’institution et aux services qui la composent ou aux autorités qui délivrent l’autorisation d’exploiter. En cas d’effets indésirables ou inattendus liés à des équipements, le signalement à l’autorité de surveillance, à travers le système des vigilances en lien avec la Loi sur les Produits Thérapeutiques (selon le ­dispositif impliqué, il peut s’agir de Swissmedic, de l’Office fédéral de la santé publique [OFSP], etc.), permet une analyse et l’identification de mesures de correction et de prévention, qui peuvent être étendues au ­niveau ­national, s’il est vraisemblable que les manquements relevés dans un cas particulier existent de manière ­généralisée.

Organisation

Dans la plupart des institutions, des directives institutionnelles visent à garantir une pérennité des compétences, et des modes d’organisation des prises en charge permettant des soins de qualité et sûrs. Dans les services cliniques, un descriptif d’organisation et de fonctionnement décline le contenu de ces directives sur un plan local. L’ensemble des éléments peut être suivi par un système d’indicateurs, rapportés dans des tableaux de bord. La responsabilité principale de ces activités incombe à la direction de l’institution d’une part et aux services cliniques ensuite.

Equipe

La prise en charge des patients par l’équipe interdisciplinaire est décrite dans des documents de référence, particulièrement utiles si les procédures diagnostiques ou thérapeutiques sont spécialisées, et nécessitent un respect de délai d’exécution pour les étapes successives qui les composent, si l’on veut assurer le meilleur résultat possible. Parallèlement, les transmissions d’informations entre équipes, ou entre services voire institutions de soins, nécessitent une approche systématisée pour éviter les omissions et donc la perte d’infor­mations au fur et à mesure du parcours du patient. Le dossier patient, si possible informatisé, est le principal vecteur garantissant la continuité de la prise en charge clinique. La responsabilité première des activités à ce niveau incombe aux professionnels et aux services concernés.

Patients

Les patients sont habituellement pris en charge à différents stades de l’histoire de leur maladie, et donc avec des probabilités différentes de tirer un bénéfice d’une prestation diagnostique et/ou thérapeutique. Cette hétérogénéité peut être documentée par des scores de gravité, dont il existe des échelles validées pour à peu près toutes les maladies et affections connues. Ces scores sont extrêmement utiles pour les soignants pour apprécier l’impact attendu d’une prestation de soins.
Parallèlement, les patients chroniques, en tant qu’experts de leur maladie, peuvent exprimer un certain nombre de préférences vis-à-vis des prestations diag­nostiques et/ou thérapeutiques disponibles, à travers des directives anticipées ou la planification anticipée d’un projet thérapeutique, dont il faut tenir compte pour obtenir une adhésion thérapeutique et optimiser les chances de succès du traitement.
Finalement, l’état de conscience du patient pouvant fluctuer, et les prises en charge étant de plus en plus pluridisciplinaires, un système d’identification univoque du patient à l’intérieur d’une grande institution est indispensable. Le niveau de responsabilité principal repose ici sur les professionnels concernés, et dans une moindre mesure sur les services.

Soignants

Le soignant est responsable de gérer les risques qu’il prend dans son activité professionnelle. Il dispose pour cela de différents types d’actions préventives, qui le laissent loin d’être démuni.

Formation personnelle

Tout soignant a suivi une formation spécifique, attestée par un diplôme, qui lui donne le droit d’effectuer un certain catalogue de prestations de soins, qu’il est tenu de respecter. En ce qui concerne les médecins et une partie des soignants, une formation post-graduée leur permet d’atteindre une spécialisation, qui leur donne accès à de nouvelles prestations spécialisées.
Comme les connaissances en médecine évoluent, le soignant est également tenu d’effectuer une formation continue, qui est prescrite par la loi, et vérifiée par les sociétés de spécialités.
Ces formations, très pointues sur le plan technique, manquent quelque peu de profondeur sur la qualité de la communication. Cette dernière joue un rôle de plus en plus primordial que l’état de santé des patients évolue vers de multiples comorbidités nécessitant une pluralité de professionnels pour prendre en charge un même patient. Dans ces circonstances, le défi du ­soignant, outre celui de fournir des soins de qualité, réside dans la capacité de synthétiser les informations essentielles de ses collègues et d’établir un vrai par­tenariat de communication avec le patient et ses proches.

Information au patient

L’obtention du consentement du patient après une information adéquate, et une documentation détaillée de celle-ci, est l’ aspect capital qui permet de diminuer le risque d’être accusé d’avoir commis une atteinte ­illicite. Certaines sociétés de spécialistes ont édité des brochures d’information au patient qui remplissent ce devoir, mais qui doivent encore être adaptées à la situation particulière du patient. En complément à l’information, le consentement éclairé du patient repose sur un entretien durant lequel il doit avoir la possibilité de poser des questions sur l’information qu’il a reçue jusqu’ici, et qui doit être associé d’un délai de réflexion proportionnel à l’importance du risque lié à la pro­cédure diagnostique et/ou thérapeutique envisagée. Le tout doit être consigné par écrit et signé par le patient (ou son représentant légal) et le soignant qui a recueilli ce consentement.

Maîtrise des procédures de prise en charge clinique

Ce point est particulièrement sensible dans les institutions de formation, qui doivent assurer une super­vision adéquate des soignants en formation, y compris pendant les heures de nuit et de week-end. Si le rôle du superviseur est important, il est, par ailleurs, de la responsabilité du soignant en formation de ne pas se laisser entrainer dans des procédures qu’il ne maîtrise pas et de demander de l’aide chaque fois qu’il l’estime nécessaire. Cette autonomie ne s’acquérant pas immédiatement (l’adage américain «see one, do one, teach one» étant un peu réducteur), le stade de maîtrise de chaque procédure diagnostique et/ou thérapeutique doit faire l’objet d’un accord mutuel entre soignant en formation et son formateur.

Documentation des prestations

Toute prise en charge clinique doit être documentée dans le dossier du patient, et doit permettre d’établir, a posteriori, quelles informations étaient disponibles au moment où une décision a été prise. Dans ce domaine, la documentation de l’information donnée au patient et la qualité des transmissions d’informations entre équipes revêt une importance particulière. Souvent considérée comme du travail administratif inutile, cette étape est la meilleure assurance-risque que peut prendre n’importe quel soignant pour se protéger d’une plainte de son patient et/ou de sa famille.

Documentation des effets indésirables

Toute procédure diagnostique et/ou thérapeutique est intrinsèquement associée à des effets indésirables (complications pour une procédure invasive, effets ­secondaires pour un traitement médicamenteux). Ici aussi, une documentation précise de ces événements doit pouvoir permettre de différencier ce qui relève de la réalisation d’un risque lié à la procédure en question de ce qui constitue un événement indésirable résultant d’une violation des règles de l’art. Malheureusement, ce type de documentation est en général encore largement lacunaire, y compris dans les études scientifiques qui établissent le rapport bénéfice-risque des nouvelles procédures diagnostiques et/ou thérapeutiques [7]. L’importance de signaler les effets indésirables permet au système de les analyser et de prévenir, le cas échéant, leur récidive chez le patient qui les a présentés ou chez un autre patient.

Equilibre personnel

Comme pour toute activité humaine, les performances d’un soignant dépendent largement de son équilibre de vie. Certaines circonstances peuvent même compromettre sa capacité d’exercer son métier, au même titre que la capacité de conduire un véhicule à moteur pour tout citoyen. Cet aspect-là est soumis à une large marge d’appréciation personnelle, qui constitue en soi un risque supplémentaire, qu’il convient de gérer soigneusement. Si toutes les institutions y sont exposées, elles ne sont pas toujours bien équipées pour y faire face.

Conclusion

L’exercice de la médecine peut s’avérer dangereux pour le patient, le soignant et l’environnement. Il existe toutefois un certain nombre de mesures de prévention des risques associés à cette activité, qu’il est important de connaître et de gérer.
Il est important que les soignants, et les institutions qui les emploient, comprennent l’importance de pré­venir la survenue des ces risques à travers un ensemble d’actions allant de l’environnement à l’individu. La tâche est particulièrement ardue pour les soignants indépendants, particulièrement ceux qui sont installés en pratique privée individuelle et sont seuls pour assumer l’ensemble de ces tâches. Des structures se mettent d’ailleurs en place pour leur fournir de l’aide, que ce soit à travers des cercles de qualité ou des réseaux spécialisés.
Ces précautions en valent toutefois la peine, dans la mesure où de pouvoir travailler sereinement dans un environnement que l’on sait sécuritaire a également un impact favorable sur la qualité et la sécurité des prestations qui y sont réalisées.

L’essentiel pour la pratique

• La prévention des risques et des erreurs en pratique médicale concerne plusieurs domaines en interaction les uns avec les autres.
• Une approche systémique est nécessaire mais peut s’avérer plus difficile à réaliser en pratique indépendante qu’en institution publique ou privée.
• Une attitude individuelle prudente face à ces risques est essentielle, mais ne garantit pas qu’un patient ou sa famille n’ouvre une procédure judiciaire à l’encontre d’un médecin ou d’un soignant.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Jean-Blaise Wasserfallen
Centre universitaire ­hospitalier vaudois (CHUV)
Bugnon 21
CH-1011 Lausanne
jbw[at]chuv.ch
1 Code civil suisse du 17 décembre 1907. https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19070042/index.html#a28a ­(accédé le 17.06.2016).
2 Kannai R. It finally happened to me. Ann Fam Med. 2014;12:475–7.
3 National Health Service (NHS). National Patient Safety Agency: incident decision tree. http://www.nrls.npsa.nhs.uk/resources/type/toolkits/?q=0%c2%acroot%c2%ac&entryid45=59900 (accédé le 17.06.2016).
4 Reason JT. Human error: models and management. BMJ. 2000;320:768–70.
5 Baume C. Gestion des risques cliniques et responsabilité medico-hospitalière. Institut de droit de la santé, Université de Neuchâtel, 2015 (ISBN 978-2-940400-34-8).
6 Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail CFST. Directive relative à l’appel à des médecins du travail et autres spécialistes de la sécurité au travail (Directive MSST). Directive CFST No 6508.fA4-07.14. http://www.ekas.admin.ch/index-fr.php?frameset=20 (accédé le 17.06.2016).7 Huot L, Decullier E, Maes-Beny K, Chapuis FR. Medical device assessment: scientific evidence examined by the French national agency for health – a descriptive study. BMC Public Health. 2012;12:585.