Allergologie et immunologie: Le soupçon d’«éternité» des tattoos temporaires
Allergologie et immunologie

Allergologie et immunologie: Le soupçon d’«éternité» des tattoos temporaires

Schlaglichter
Édition
2018/03
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03149
Forum Med Suisse 2018;18(03):40-42

Affiliations
Allergologische Poliklinik, Dermatologie, Universitätsspital Basel

Publié le 17.01.2018

«C’est pourquoi ceux qui s’unissent à tout jamais, doivent s’assurer que le cœur répond au cœur. Courte est l’illusion, long est le repentir.» L’extrait «Du chant de la cloche» de Friedrich Schiller trouve un écho dans le domaine de l’allergie de contacte.
© Zoran Mladenovic | Dreamstime.com

Contexte

Les tatouages (tattoos) sont devenus extrêmement ­populaires au cours des dernières années et la prévalence des tatouages permanents a significativement augmenté dans l’ensemble de la population. On observe actuellement un accroissement de l’ordre de 15 à 22% chez les jeunes en particulier. Aux Etats-Unis, en Europe ou en Australie, la prévalence est de 10 à 20% [1]. On peut en déduire qu’environ 100 millions de ­personnes ont un tatouage permanent en Europe. Ces chiffres se rapportent aux tattoos permanents, qui, outre la couleur noire, utilisent un certains nombres de teintures diverses [1]. Les colorants rouges en particulier peuvent, entre autres complications, entraîner une sensibilisation ayant pour conséquence des réactions allergiques de contact persistantes, parfois granulomateuses.
Il n’existe aucune donnée épidémiologique concernant les tatouages éphémères, non permanents, généralement considérés comme inoffensifs puisqu’ils sont censés ne durer que de quelques jours à quelques ­semaines. Les tatouages adhésifs, plébiscités par les enfants et de plus en plus par les adultes, sont les moins problématiques. Les «tatouages temporaires» («temptoos») ou «biotattoos» dits non permanents, qui sont prétendument implantés superficiellement, uniquement dans les couches supérieures de la peau à l’aide de couleurs ou de maquillage permanent, sont plus problématiques car ils peuvent persister très longtemps. Les tatouages temporaires de couleur noire dits «tattoos au henné noir» [2] ou les récents «tattoos au jagua» [3] ne durent généralement que quelques semaines. Ces colorants peuvent toutefois entraîner une sensibilisation pouvant conduire à une hypersensi­bilité persistante à vie et à de nouvelles réactions allergiques en cas de réexposition.

Tatouages au «henné noir»

En dépit des différentes mises en garde contre l’appli­cation de tatouages temporaires au «henné noir», en particulier chez les enfants et les adolescents [2, 4, 5], de nouvelles sensibilisations à la p-phénylénediamine (PPD) s’observent de manière récurrente. Cette substance colorante est notamment présente dans les teintures capillaires (en Europe des concentrations allant jusqu’à 0,5% sont autorisées), mais elle ne doit pas entrer en contact direct avec la peau.
Les tatouages dits au «henné noir» comprennent, outre du «henné rouge» végétal, relativement inoffensif, de fortes concentrations de PPD (jusqu’ à 20%) ajoutée illégalement, ce qui peut conduire à une sensibilisation ­cutanée active et permanente en cas de contact direct avec la peau [2]. On estime qu’environ 1% des personnes exposées à la PPD y sont sensibilisées. Un métabolite de la PPD appelé base de Bandrowski serait responsable de la sensibilisation, autrement dit, les individus présentant un métabolisme correspondant seraient affectés.
Lors de la première exposition, la réaction initiale après la phase de sensibilisation de 7 à 10 jours provoque déjà un eczéma allergique de contact souvent prononcé. ­Celui-ci peut à son tour entraîner des complications telles que l’hypopigmentation et l’hypertrichose, voire la formation de cicatrices [2, 5].
Cependant, de tels événements sont généralement oubliés au bout de quelques années, et les patients ont une nouvelle réaction lors de l’application d’un tatouage au «henné noir» ou d’une teinture capillaire de couleur sombre [2, 5]. Au niveau de la tête, cette allergie de contact peut être à l’origine de manifestions de type angio-œdème pouvant dans de rares cas affecter également les voies respiratoires supérieures et nécessiter une intubation [2]. La PPD est présente dans les textiles, le cuir ou les produits cosmétiques, et les coiffeurs et esthéticiennes notamment sont susceptibles de dé­velopper à leur contact une dermatite de contact professionnelle pouvant aller jusqu’à l’incapacité de travailler.

Exemple d’un homme de 25 ans

Le patient s’est teint les cheveux en noir pour la première fois à l’aide d’un produit colorant inconnu. Le jour suivant, il a observé des rougeurs, des démangeaisons et l’apparition de vésicules humides sur l’ensemble de la tête. Il a été traité par prednisone 50 mg et lévo­cétirizine (Xyzal®) ainsi que propionate de clobétasol topique pendant plusieurs jours. Ses antécédents médicaux indiquaient que quatre ans auparavant il avait eu une réaction allergique marquée sur le flanc droit, environ une semaine après l’application d’un tatouage au «henné noir».
Le test épicutané a révélé de fortes réactions positives à la PPD ainsi que, comme expression d’une réaction croisée, à d’autres substances p-amino telles que p-toluylènediamine, 3-aminophénol et p-aminophénol après 48 et 72 heures.
Diagnostic: eczéma allergique de contact dû à une sensibilisation cutanée à la PPD.Réaction croisée à d’autres p-aminophénols.

Tatouages au jagua

Depuis peu, d’autres types de tattoos temporaires sans PPD, essentiellement commercialisés via Internet, sont apparus sur le marché. Ils utilisent un colorant à base de jagua (Genipa), fruit du genipa (Genipa ame­ricana L.), un arbre d’Amérique du Sud. En dépit de son origine végétale, cette substance colorante est manifestement aussi allergène, comme en témoignent un certain nombre de cas [3].

Exemple d’une femme de 39 ans

Depuis des années, elle se teint les cheveux sans problème à l’aide de colorations capillaires contenant de la PPD. Elle a un tatouage noir permanent sur le dos. Elle se procure un «Premium kit of Earth Jagua® dye» (kit de teinture au jagua) sur Internet. Au cours des six semaines suivantes, elle s’en applique elle-même à quatre reprises sur le dos de la main gauche. Quelques jours après la cinquième application, elle constate l’apparition d’un eczéma sévère accompagné de démangeaisons au site d’application (fig. 1) qui ne guérit qu’après plusieurs semaines de corticothérapie topique.
Figure 1: Eczéma allergique de contact dû à un tattoo temporaire «Premium kit of Earth Jagua ® dye» à appliquer soi-même (la publication a été réalisée avec 
l’accord de la patiente).
Le test épicutané a montré une sensibilisation cutanée isolée à la génipine, la substance colorante bleu noir du jagua. Le test aux autres composants et à la PPD s’est ­révélé négatif. Elle continue à utiliser de la PPD compte tenu de sa bonne tolérance jusqu’à présent [3].
Diagnostic: eczéma allergique de contact dû à une sensibilisation cutanée isolée à la génipine.
La génipine, substance identifiée ici comme un allergène, fait depuis très longtemps partie de l’arsenal ­thérapeutique de la médecine traditionnelle chinoise ainsi que de la naturopathie des peuples indigènes d’Amérique du Sud [3]. Aucune réaction allergique n’a été rapportée à ce jour dans ces populations. Cette substance fait en outre l’objet de recherches intensives pour ses propriétés antioxydantes, antitumorales et antidiabétiques. Il est par conséquent concevable qu’à l’avenir, des patients déjà sensibilisés par l’intermédiaire de tatouages éphémères au jagua seront exposés à ce type de substances à visée thérapeutique et présenteront une réaction allergique dès le premier contact.

Discussion

Ainsi, la citation de Schiller: «C’est pourquoi ceux qui s’unissent à tout jamais, doivent s’assurer que le cœur ­répond au cœur …» s’applique bien aux tatouages non permanents, car une fois sensibilisé, le sujet le reste à vie. Une réexposition via des sources non identifiées peut provoquer des réactions allergiques de contact marquées. «… Courte est l’illusion, long est le repentir.» Il est par conséquent vivement recommandé de renoncer aux tatouages dits non permanents. Votre peau vous en sera reconnaissante.

Points clés

– Les tatouages temporaires au «henné noir» ou à base de couleurs présentées comme hypoallergéniques sont à éviter.
– Une sensibilisation à la p-phénylénediamine (PPD) ou à la génipine issue du jagua persiste à vie.
– En cas de réaction allergique de contact, une corticothérapie intensive topique ou éventuellement systémique est indiquée afin de réduire les complications locales.
– La délivrance d’un passeport d’allergie de contact est recommandée afin d’éviter une réexposition par l’intermédiaire d’autres sources telles que teintures capillaires etc.
L’auteur n’a pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Andreas J. ­Bircher
Allergologische Poliklinik
Dermatologie
Universitätsspital Basel
Petersgraben 4
CH-4031 Basel
andreas.bircher[at]unibas.ch
1 Tattooed Skin and Health, Ed. J Serup. vol. 48. Basel: Karger; 2015.
2 de Groot A. Side-effects of henna and semi-permanent «black henna» tattoos: a full review. Contact Dermatitis. 2013;69(1):1–25.
3 Bircher AJ, Sigg R, Scherer Hofmeier K, Schlegel U, Hauri U. Allergic contact dermatitis caused by a new temporary blue-black tattoo dye – sensitization to genipin from jagua (Genipa americana L.) fruit extract. Contact Dermatitis. 2017;77(6):374–78.
4 Läuchli S, Lautenschlager S. Contact dermatitis after temporary henna tattoos - an increasing phenomenon. Swiss Med Wkly. 2001;131(13-14):199–202.
5 Kind F, Scherer K, Bircher AJ. Contact dermatitis to para-phenylenediamine in hair dye following sensitization to black henna tattoos – an ongoing problem. J Dtsch Dermatol Ges. 2012;10(8):572–8.