L’hémoptysie est définie comme une expectoration de sang provenant des voies respiratoires inférieures, c.-à-d. des bronches ou du parenchyme pulmonaire. Elle peut aller de traces de sang dans les crachats jusqu’à une hémoptysie potentiellement mortelle avec expectoration de sang pur. Cet article présente le diagnostic différentiel, la procédure diagnostique et le traitement des principales causes hémorragiques.
Introduction
Dans la pratique médicale de premier recours, l’incidence de l’hémoptysie en tant que symptôme dominant est estimée à env. 1 cas pour 1000 patients par an. L’hémoptysie survient avant tout au cours de la seconde partie de la vie et est plus fréquente chez les hommes (âge moyen: 62 ans; rapport hommes/femmes: 2:1).
Il convient de faire la distinction entre l’hémoptysie légère à modérée et l’hémoptysie massive (potentiellement mortelle) avec rejet de grandes quantités de sang supérieures à 100 ml/24 heures, bien que les seuils décrits dans la littérature pour définir l’hémoptysie massive soient variables. L’hémoptysie massive peut rapidement provoquer une asphyxie par obstruction des bronches et requiert une prise en charge médicale intensive en urgence (tab. 1). L’hémoptysie légère à modérée est toutefois beaucoup plus fréquente dans la pratique clinique.
Tableau 1:Mesures d’urgence en cas d’hémoptysie massive.
Premières mesures
Positionnement sur le côté touché, soulagement de la toux par codéine
Dégagement des voies respiratoires
Intubation, éventuellement intubation unilatérale ou blocage de bronche par sonde à ballonnet
Maintien de la fonction cardiovasculaire
Administration de cristalloïdes, éventuellement transfusion érythrocytaire
Correction d’une coagulopathie
Administration de facteurs de coagulation, plasma frais congelé, thrombocytes
Diagnostic et contrôle sanguin ciblé
Bronchoscopie avec coagulation locale ou administration de vasoconstricteurs/antifibrinolytiques; chez les patients stabilisés, angio-TDM, embolisation des artères bronchiques ou chirurgie
L’hémoptysie véritable avec saignement dont l’origine se situe dans les voies respiratoires inférieures doit être distinguée de la pseudo-hémoptysie avec saignement dont l’origine se situe dans les voies respiratoires supérieures (bouche, nez, pharynx) ou le tractus gastro-intestinal supérieur.
Physiopathologie
Le poumon possède une double vascularisation avec un approvisionnement en sang assuré d’une part par les artères pulmonaires (circuit à basse pression) en charge des échanges gazeux et d’autre part par les artères bronchiques (pression artérielle systémique) responsables de l’approvisionnement sanguin des voies respiratoires centrales, des ganglions lymphatiques et d’une partie du médiastin. Bien que la perfusion par les artères pulmonaires représente env. 99% de l’approvisionnement sanguin du poumon, les hémorragies émanant des artères bronchiques sont beaucoup plus fréquentes (90%).
Chaque poumon est typiquement alimenté par une à deux artères bronchiques qui naissent soit de l’aorte thoracique soit des artères intercostales ou vertébrales. Toutefois, les artères bronchiques ectopiques naissant de la crosse aortique, des artères sous-clavières ou d’autres artères centrales sont relativement fréquentes.
Diagnostic différentiel
Le diagnostic différentiel de l’hémoptysie est vaste. Il convient en premier lieu de faire la distinction entre les hémorragies provenant des deux systèmes d’irrigation sanguine, puis de rechercher la cause déclenchante. Dans la pratique médicale de premier recours, les infections bronchiques aiguës représentent la cause hémorragique la plus fréquente. Ces hémorragies muqueuses sont généralement auto-limitantes et ne requièrent pas d’investigations supplémentaires chez les patients de moins de 40 ans sans facteurs de risque. Chez tous les autres patients, il convient d’initier rapidement des examens diagnostiques supplémentaires étant donné que l’hémoptysie est un symptôme dominant fréquent en cas de carcinome bronchique. Néanmoins, aucune étiologie ne parvient à être identifiée dans env. la moitié des cas, avant tout pour l’hémoptysie légère. Les diagnostics différentiels les plus fréquents sont présentés dans le tableau 2.
Tableau 2: Diagnostics différentiels de l’hémoptysie accompagnés de leur fréquence.
Vascularite (maladie de Behçet, maladie de Wegener, syndrome de Goodpasture, lupus érythémateux systémique)
–
P
++ à +++
Causes cardiovasculaires
Embolie artérielle pulmonaire
+
P
+ à ++
Malformations vasculaires
–
B/P
+++
Autres causes
Iatrogène
+
P/(B)
Anticoagulation/ thrombolyse
+ à +++
Biopsie pulmonaire transbronchique
+ à +++
Cathétérisme cardiaque droit
+
Traitement par inhibiteurs de l’angiogenèse (par ex. bévacizumab)
+
Traumatisme
–
P/B
+ à +++
Coagulopathie, thrombopénie
–
P/B
+ à ++
Corps étranger
–
B
+
Hémoptysie cataméniale (endométriose pulmonaire)
–
B
+
Incidence: ++++ = >30%, +++ = >10%, ++ = >5%, + = >1%, – = <1%. * A l’échelle mondiale, la tuberculose représente la cause la plus fréquente d’hémoptysie. Source hémorragique: artères pulmonaires (P), artères bronchiques (B).
Diagnostic
Examen clinique
L’évaluation clinique englobe l’interrogatoire du patient au sujet des quantités de sang rejetées, du fait que le sang soit mêlé aux crachats ou non, de la présence de symptômes généraux (fièvre, sueurs nocturnes, perte de poids) et d’éventuelles autres sources hémorragiques (épistaxis, saignements gingivaux, hémorragie gastro-intestinale). Il convient également d’interroger le patient de façon ciblée quant à la présence de facteurs de risque, tels que tabagisme, anticoagulation, tendance aux hémorragies ou aux thromboses, contact avec la tuberculose, exposition à l’amiante et comorbidités.
Lors de l’examen clinique, le médecin doit se concentrer en premier lieu sur les signes vitaux, particulièrement en cas d’hémoptysie modérée ou massive. Par ailleurs, il convient de rechercher des signes d’épistaxis, des télangiectasies au niveau de la muqueuse buccale (télangiectasie hémorragique héréditaire), des altérations cutanées (vascularite) et des signes de décompensation cardiaque droite.
Analyses de laboratoire
Le bilan initial de l’hémoptysie comprend l’hémogramme, les paramètres de la coagulation et les paramètres inflammatoires. En fonction du diagnostic de suspicion, il est en outre possible de rechercher de manière ciblée des maladies auto-immunes, des vascularites ou des infections spécifiques.
Imagerie
La radiographie thoracique conventionnelle possède une faible sensibilité et une faible spécificité pour identifier la localisation et la cause de l’hémorragie, et elle joue dès lors un rôle mineur dans le diagnostic de l’hémoptysie. En cas d’hémoptysie d’origine indéterminée, l’angio-tomodensitométrie (TDM) multicoupes représente la modalité d’imagerie de choix. Elle a l’avantage d’être associée à une probabilité élevée de localiser correctement la source hémorragique. Dans un grand nombre de cas, elle permet également d’identifier correctement la cause de l’hémorragie, par ex. un carcinome bronchique, une embolie artérielle pulmonaire ou des bronchiectasies.
Bronchoscopie
La fibroscopie bronchique est complémentaire aux procédés d’imagerie et est de préférence réalisée après l’angio-TDM. Elle fournit souvent des informations quant à la localisation de la source hémorragique, mais également des indices diagnostiques supplémentaires quant à la présence d’infections, de corps étrangers, d’affections malignes ou de bronchiectasies.
En cas d’hémorragies dans les bronches centrales (accessibles par bronchoscope), comme c’est par ex. le cas en cas de malformations vasculaires, il est possible de réaliser dans le même temps une intervention thérapeutique, telle qu’une coagulation au laser ou au plasma d’argon (fig. 1).
En cas d’hémoptysie massive, la bronchoscopie en urgence est la première mesure diagnostique à initier. Outre la localisation hémorragique, la bronchoscopie offre également la possibilité de contrôler temporairement l’hémorragie et de dégager les voies respiratoires (cf. chapitre «Traitement» et tab. 1).
Traitement
Dans la grande majorité des cas d’hémoptysie, la prise en charge se concentre sur le traitement de la cause hémorragique. Des mesures visant à traiter l’hémorragie en elle-même ne doivent que rarement être envisagées.
Traitement conservateur
En cas d’hémoptysie légère, le traitement de la cause sous-jacente, par ex. traitement d’une infection ou correction des paramètres de la coagulation, est souvent suffisant. L’hémoptysie dans le cadre de bronchiectasies doit être interprétée comme un signe d’exacerbation, qui doit être traitée par antibiothérapie adaptée à la situation de résistance du patient. Lors du traitement de l’embolie pulmonaire, une légère hémoptysie est fréquente au cours des premiers jours; elle reflète la reperfusion des zones infarcies et ne justifie généralement pas une interruption du traitement anticoagulant.
Bronchoscopie
La bronchoscopie en tant que modalité thérapeutique est avant tout utilisée dans le cadre de la coagulation au laser ou au plasma d’argon en cas d’hémorragies des voies respiratoires centrales, par ex. lors de malformations vasculaires. Par ailleurs, en cas d’hémoptysie massive, le retrait des coagulums dans l’arbre bronchique permet d’assurer le maintien des échanges gazeux. Un contrôle temporaire de l’hémorragie peut être obtenu par application directe de terlipressine, un analogue synthétique de la vasopressine. L’application d’acide tranexamique, un antifibrinolytique synthétique, via le bronchoscope peut entraîner une réduction de l’intensité et de la durée de l’hémorragie, mais les preuves scientifiques à ce sujet sont limitées [5]. Des techniques telles que le blocage au moyen d’une sonde à ballonnet de la bronche menant à la source hémorragique ou l’intubation sélective unilatérale du poumon sain peuvent constituer des mesures salvatrices dans les hémoptysies les plus graves.
Embolisation
L’embolisation ciblée des artères bronchiques représente aujourd’hui le traitement de choix en cas d’hémoptysie massive ou récidivante (fig. 2). Dans cette situation, les sources hémorragiques sont le plus souvent des branches artérielles bronchiques, qui sont dilatées dans le cadre d’un processus inflammatoire chronique ou d’une tumeur et sujettes à une irrigation accrue. Au moyen d’un cathéter angiographique, en partant le plus souvent de l’aine, l’artère bronchique dans la zone hémorragique touchée est visualisée de façon ciblée avec un agent de contraste dans le cadre de l’angiographie par soustraction numérique. En cas de signes d’extravasation de l’agent de contraste, de dilatation de l’artère supérieure à 2 mm, d’anévrismes ou de shunt, une embolisation est réalisée à l’aide de microparticules ou de spirales d’embolisation. Lors de cette procédure, il convient d’être vigilant vis-à-vis des collatérales de l’artère spinale et des shunts touchant les artères ou veines pulmonaires, car des complications graves sont possibles. Le taux de succès primaire de l’embolisation s’élève à 75–98%, mais les récidives sont fréquentes, surtout en cas d’origine maligne du saignement.
Chirurgie
La résection chirurgicale de la source hémorragique constituait autrefois le traitement de référence, mais cette approche était grevée d’une mortalité élevée. Aujourd’hui, elle reste une option avant tout en cas de traumatisme thoracique, de tumeurs nécrosantes ou d’abcès. En cas d’hémorragies récidivantes émanant de bronchiectasies localisées ou d’aspergillomes, une résection avec préservation du parenchyme doit aussi être envisagée.
L’essentiel pour la pratique
• Chez les patients jeunes atteints d’hémoptysie légère dans le cadre d’une infection, qui ne présentent pas de facteurs de risque pulmonaire et ont une radiographie normale, il n’est pas nécessaire d’initier d’emblée des investigations supplémentaires.
• Chez les patients de plus de 40 ans et ceux présentant des facteurs de risque pulmonaire, toute hémoptysie devrait faire l’objet d’un examen par angio-tomodensitométrie multicoupes et bronchoscopie.
• Les patients avec hémoptysie massive doivent être hospitalisés en urgence, subir une bronchoscopie et bénéficier d’une prise en charge médicale intensive.
• Le traitement de l’hémoptysie dépend de la cause et de la sévérité. En cas d’hémoptysie légère, le traitement de l’affection sous-jacente est généralement suffisant. En cas d’hémoptysie plus sévère, l’embolisation des artères bronchiques représente aujourd’hui le traitement de choix de nouvelles possibilités d’optimisation.
Remerciements
Les auteurs remercient les Docteurs Tatjana et Lukas Stettler-Tammann, Ärztepraxis Bärencenter, Birsfelden/BL, pour la relecture critique de l’article.
Disclosure statement
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Correspondance
PD Dr méd. Ladina Joos Zellweger Pneumologie St. Claraspital Kleinriehenstrasse 30 CH-4016 Basel ladina.joos[at]unibas.ch
Références
1 Weinberger SE. Etiology and evaluation of hemoptysis in adults UptoDate 2017.
2 Ittrich H, Bockhorn M, Klose H, Simon M. The diagnosis and treatment of hemoptysis. Dtsch Arztebl Int. 2017;114:371–81.
3 Larici AR, Franchi P, Occhipinti M, Contegiacomo A, del Ciello A, Calandriello L, et al. Diagnosis and management of hemoptysis. Diagn Interv Radiol. 2014;20:299–309.
4 Earwood JS, Thompson TD. Hemoptysis: Evaluation and Management. Am Fam Physician. 2015;91(4):243–9.
5 Prutsky G, Domecq JP, Salazar CA, Accinelli R. Antifibrinolytic therapy to reduce haemoptysis from any cause. Cochrane Database Syst Rev. 2016 Nov 2;11:CD008711.