Hémorragies en cas de déficit en vitamine K sous orlistat
Actualités des centres régionaux de pharmacovigilance et de Tox Info Suisse

Hémorragies en cas de déficit en vitamine K sous orlistat

Aktuell
Édition
2018/23
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03293
Forum Med Suisses. 2018;18(23):479-481

Affiliations
a Regionales Pharmacovigilance-Zentrum Zürich, Klinik für Klinische Pharmakologie & Toxikologie, UniversitätsSpital Zürich und ­Universität Zürich;
b Tox Info ­Suisse, assoziiertes Institut der Universität Zürich
* Les deux auteurs ont contribué à part égale à la réalisation de cet article.

Publié le 06.06.2018

Une casuistique actuelle des centres régionaux de pharmacovigilance et de Tox Info Suisse.

Suites de l’EMI: Hospitalisation
Evolution: Rétablissement sans séquelles
Relation de causalité: Possible

Le cas clinique

La patiente âgée de 55 ans et souffrant d’obésité (poids corporel 98 kg) était sous traitement par orlistat (120 mg) afin de réduire son poids. Deux mois après l’initiation du traitement, un hématome s’est manifesté de façon spontanée au niveau de sa jambe gauche. A l’issue d’une nouvelle période de traitement de 2 mois, une hémorragie génito-urinaire atraumatique est survenue, à la suite de quoi la patiente a été hospitalisée. A l’anamnèse, la patiente a rapporté plusieurs épisodes d’épistaxis. Des problèmes hémorragiques ou complications post-opératoires hémorragiques, notamment à la suite d’une hystérectomie, n’étaient pas survenus auparavant. Le tableau 1 dresse la liste des médicaments à l’admission. La patiente a déclaré ne pas prendre d’antagonistes de la vitamine K ou de nouveaux anticoagulants. L’examen clinique a révélé plusieurs hématomes diffus. Les analyses de laboratoires quant à elles ont révélé une valeur de l’INR de >5,0, un taux de prothrombine de <7% (norme: <70–100%), un temps de céphaline activée de 122 s (norme: 25–335 s), une diminution significative des facteurs de coagulation vitamine K-dépendants FII (26%), FVII (20%), FIX (25%) et FX (21%; norme: 70–120%), contrairement aux facteurs non vitamine K-dépendants qui étaient normaux. Une anémie était manifeste, avec un taux d’hémoglobine à 81 g/l (norme: 120–155 g/l). Les fonctions hépatique et rénale ne présentaient pas d’anomalies, et le taux de créatinine était à 59 μmol/l. En urgence, de la vitamine K, deux concentrés érythrocytaires ainsi que quatre concentrés de plasma frais congelé ont été administrés à la patiente. Après interruption de l’orlisat, la coagulation s’est normalisée et la patiente s’est complétement rétablie.
Tableau 1: Médications de la patiente à l’admission.
MédicamentDose 
journalièreApplicationIndication
Orlistat120 mgp.o.Obésité
Cipralex® (escitalopram)  20 mgp.o.Dépression
Crestor® (rosuvastatine)  10 mgp.o.Hyperlipidémie
Esomep® (ésomeprazole)  80 mgp.o.Pas de renseignement
Meto Zerok® (métoprolol) 100 mgp.o.Hypertension artérielle
Rasilez HCT (aliskiren, hydrochlorothiazide) 300/25 mgp.o.Hypertension artérielle
Lodine® retard (étodolac) 600 mgp.o.Douleurs dorsales
Sirdalud® (tizanidine)   6 mgp.o.Douleurs dorsales
Sur le plan histologique, l’urétéroscopie n’a pas permis de mettre en évidence des cellules malignes.

Evaluation de pharmacologie clinique

L’orlistat est un puissant inhibiteur spécifique de la lipase pancréatique de longue durée d’action qui agit au niveau du tractus gastro-intestinal. Suite à l’inactivation de cette enzyme, l’absorption des lipides au sein de l’intestin grêle s’en trouve réduite, vu que les triglycérides contenus dans les graisses alimentaires ne sont plus hydrolysés en acides gras libres et monoglycérides faciles à absorber. Dans l’information professionnelle suisse de Xenical® (une préparation avec le principe actif orlistat), la rubrique «Mises en garde et précautions» indique que «le traitement par orlistat peut potentiellement limiter l’absorption des vitamines liposolubles (A, D, E, K)». Dans la rubrique «Effets indésirables médicamenteux» (EMI) de cette même information professionnelle, ni carences en vitamine K, ni événements hémorragiques ne sont décrits (à l’exception des hémorragies rectales) [1]. La banque de données américaine Micromedex® rapporte, de façon générale, une malabsorption des vitamines comme EMI [2].
Dans les études cliniques, l’absorption des vitamines liposolubles était jusqu’à un certain degré diminuée suite à l’administration de l’orlistat [3–5]. Des réserves insuffisantes ou certaines conditions spécifiques (par ex. couleur de peau sombre pour la vitamine D [5]) peuvent également jouer un rôle en tant que facteur de risque. Le tableau 2 donne un aperçu des interactions de l’orlistat avec les vitamines liposolubles ainsi que des carences potentielles.
Tableau 2: Fonctions des vitamines liposolubles, influence de l’orlistat et conséquences d’une hypovitaminose [3–5, 9].
Vitamines liposolublesInfluence de l’orlistatConséquences
Vitamine A
(rétinal, rétinol, acide rétinoïque)
Réduction de la vitamine A non exclueCécité nocturne
Xérophthalmie et kératomalacie
Troubles de la croissance
Troubles de la formation osseuse
Anomalies cutanées squameuses (hyperkératoses, ­ichthyose)
Limitation du système immunitaire
Au cours de la grossesse: malformations fœtales possibles
Vitamine D
(cholécalciferol, ­ergocalciférol)
Réduction significative de la vitamine D – possible déjà après 1 moisRachitisme
Ostéomalacie
Ostéoporose
Vitamine E
(tocophérols)
Réduction de la vitamine E de 40–60% possibleAnémie hémolytique
Troubles neuromusculaires comme l’ataxie ou des neuropathies sensorielles ou/et musculaires
Faiblesse musculaire
Accumulation de lipofuchsine au niveau de la peau et tâches séniles
Dégénération de la rétine
Vitamine K
(phylloquinone, ménaquinone, ­ménadione)
Réduction de la vitamine K possibleTroubles de la coagulation, comme par ex. saignements au niveau des muqueuses, épistaxis, méléna et hématurie
Diminution de la densité osseuse et fractures osseuses
Par ailleurs, l’absorption de différents médicaments, en particulier des médicaments lipophiles, peut être influencée par l’orlistat. Citons comme exemple celui de la ciclosporine, un immunosuppresseur à marge thérapeutique étroite nécessitant des contrôles des taux sanguins lorsqu’elle est administrée en association avec l’orlistat [6]. Une action de l’orlistat sur la pharmacocinétique et la pharmacodynamique de l’antagoniste de la vitamine K warfarine n’a pas été démontrée dans le cadre d’une étude à court terme menée chez des sujets sains [7]. Toutefois, chez un patient âgé de 66 ans avec fibrillation auriculaire chronique documentée, une augmentation de l’INR a été rapportée après l’initiation du traitement par l’orlistat, administré concomitamment à un traitement par warfarine jusqu’alors stable [8]. L’absorption réduite de la vitamine K liposoluble dans le cadre d’un traitement par l’orlistat peut nécessiter la réduction de la dose des antagonistes de la vitamine K, ce pourquoi les paramètres de la coagulation devraient faire l’objet d’un contrôle étroit. Cependant, aucune interaction pharmacocinétique avec ces substances en médication concomitante n’est formellement décrite. Dans la partie de l’information professionnelle portant sur la médication concomitante, la survenue d’hémorragies est cependant décrite, notamment dans le contexte d’une thrombocytopénie. Un temps de saignement allongé ainsi que des manifestations hémorragiques ont également été rapportés sous traitement par des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine tels que l’escitalopram. En raison de l’étiologie avec une diminution parallèle et démontrable des facteurs de coagulation vitamine K-dépendants, l’alternative d’autres médicaments concomitants en tant que déclencheur a été jugée peu probable.
Afin de garantir un régime alimentaire adapté, les patients sous traitement par l’orlistat et suivant un régime pour perdre du poids devraient toujours recevoir les consignes de veiller à consommer de grandes quantités de fruits et légumes. La prise d’une préparation multivitaminique en supplémentation peut aussi être envisagée. Dans le cas présent, il s’agit d’une interaction pharmacocinétique se situant au niveau de l’absorption: l’absorption des lipides et aussi celle des substances lipophiles est réduite suite à la prise de l’orlistat. Cette interaction indésirable peut être évitée en séparent temporellement la prise des deux agents impliqués dans l’interaction. En cas de supplémentation en multivitamines, celle-ci devrait être prise au moins 2 heures après la prise de l’orlistat, avant le coucher par exemple [1].
Les inhibiteurs de l’absorption des lipides tels que l’orlistat sont utilisés sur le court terme comme traitement complémentaire visant à réduire le poids chez les patients obèses ou les patients en surpoids présentant des facteurs de risque associés tels que diabète de type 2, hyperlipidémie ou hypertension. Dans le contexte d’une perte de poids saine et sur le long terme, le changement de régime alimentaire devrait toujours s’accompagner d’une activité physique régulière. A noter qu’une alimentation équilibrée comprend elle aussi des lipides, en particulier des acides gras insaturés, qui contribuent au maintien de nombreuses fonctions métaboliques, à la formation et au transport de cellules ainsi qu’à l’assimilation de substances liposolubles et de vitamines.

Conclusion

Il existe une relation temporelle plausible entre l’initiation du traitement et la survenue des symptômes. La normalisation de la coagulation après l’interruption de l’orlistat peut être considérée, jusqu’à un certain degré, comme un déchallenge positif.
En résumé, compte tenu de la relation temporelle, du mécanisme pharmacodynamique avec carence potentielle en vitamine K et de l’absence d’indices suggérant d’autres causes non médicamenteuses à l’origine des symptômes, mais en présence d’un apport (absolu) en vitamine K probablement insuffisant, la causalité entre la prise de l’orlistat et la survenue des complications hémorragiques a été jugée possible sur la base des critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du «Council for International Organizations of Medical Sciences» (CIOMS).
Nous remercions Mme Nicole Rothen, médecin en médecine interne générale à La Chaux-de-Fonds, pour sa révision de la traduction française.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec cet article.
PD Dr méd. Stefan Weiler, PhD, MHBA
Regionales Pharmaco­vigilance-Zentrum Zürich
Klinik für Klinische Pharmakologie & Toxikologie
UniversitätsSpital Zürich und Universität Zürich
Rämistrasse 100
CH-8091 Zürich
Stefan.Weiler[at]usz.ch