Intoxication au lithium: petit cation, grande action – surtout avec l’âge
Actualités des centres régionaux de pharmacovigilance et de Tox Info Suisse

Intoxication au lithium: petit cation, grande action – surtout avec l’âge

Aktuell
Édition
2018/34
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2018.03300
Forum Med Suisses. 2018;18(34):670-671

Affiliations
a Regionales Pharmacovigilance-Zentrum Bern, Klinische Pharmakologie und Toxikologie, Universitätsklinik für Allgemeine Innere Medizin, Inselspital Bern; b Tox Info Suisse, assoziiertes Institut der Universität Zürich

Publié le 22.08.2018

Une casuistique actuelle des centres régionaux de pharmacovigilance et de Tox Info Suisse.

Suites de l’EMI1: Hospitalisation
Evolution: Rémission sans séquelles
Causalité: Probable

Le cas clinique

Une patiente âgée de 85 ans s’est présentée en urgence dans un état de faiblesse généralisée, accompagné de diarrhées aqueuses et d’une inappétence. Ces symptômes perduraient depuis environ 1 semaine. Environ 10 jours auparavant, un tremblement de la main droite ainsi que des troubles de la parole avaient été remarqués. Trois nouveaux médicaments avaient été prescrits à la patiente au cours des semaines précédentes: amiloride/hydrochlorothiazide (Comilorid-Mepha®) pour le traitement des œdèmes des jambes passagers, étoricoxib (Arcoxia®) en tant qu’antalgique dans le cadre d’une gonarthrose et propranolol (Inderal®) pour le traitement des tremblements. Outre ces nouveaux médicaments, la patiente prenait d’autres médicaments sur le long terme: de l’irbésartan (Aprovel®), du dinitrate d’isosorbide (Isoket® ret.), de la phenprocoumone (Marcoumar®) et de la pravastatine (Pravastatin Helvepharm). De plus, elle suivait un traitement par sulfate de lithium (Lithiofor®; 1 × 660 mg/j) depuis environ 10 années dans le cadre d’une dépression.
Sur le plan clinique, la patiente s’est présentée dans un état général légèrement diminué, avec des signes d’exsiccose (muqueuses sèches, lèvres sèches). A l’admission, elle était stable sur le plan cardiopulmonaire et ne présentait pas d’anomalies neurologiques, de tremblements ou de signes de dysarthrie. Les analyses de laboratoire ont démontré une insuffisance rénale modérée (DFGe 35 ml/min), un INR de 3,8 et une concentration de lithium de 2,10 mmol/l. L’ECG n’a pas révélé d’anomalies.
Les symptômes ayant conduit à l’hospitalisation ont été interprétés en tant qu’intoxication au lithium modérée débutante associée à une fonction rénale réduite, et la patiente a fait l’objet d’une prise en charge stationnaire afin de poursuivre la surveillance et le traitement. A l’admission, tous les médicaments ont été momentanément interrompus. Après hydratation et interruption du lithium, une valeur de lithium dans la norme a été mesurée au 2. jour d’hospitalisation. Avec l’interruption du traitement diurétique et des mesures d’hydratation, un rétablissement de la fonction rénale a été observé. Suite à la régression complète des symptômes, le traitement par lithium a été repris au 3. jour d’hospitalisation, et une concentration normale (0,88 mmol/l) a pu être documentée par la suite. La patiente a pu quitter l’hôpital et rentrer chez elle dans un meilleur état général au sixième jour d’hospitalisation.

Evaluation de pharmacologie clinique

Le lithium est employé pour le traitement des phases aiguës de la maladie bipolaire ou la prévention à long terme de cette dernière. En cas de dépression sévère et réfractaire au traitement, des antidépresseurs peuvent être combinés au lithium (traitement d’augmentation, «lithium augmentation»)[1]. Le lithium ne dispose que d’un faible index thérapeutique (0,5–1,2 mmol/l). La plupart du temps, les premiers symptômes d’une intoxication surviennent déjà à des concentrations sériques de >1,5 mmol/l. Les symptômes toxiques incluent notamment des troubles gastro-intestinaux (par ex. diarrhées, vomissements) et neurologiques (par ex. tremblements, troubles de la parole) (tab. 1).
Tableau1: Symptômes d’une intoxication au lithium.
Troubles gastro-intestinaux: par ex. diarrhée, vomissements et déshydratation
Anomalies cardiovasculaires: par ex. arythmies, allongement du QT, aplatissement du segment ST, onde T inversée
Troubles neurologiques: par ex. ataxie, tremblements, hypertonie, contractions musculaires involontaires, hyperréflexie, dysarthrie, confusion, somnolence, faiblesse et nystagmus
Insuffisance rénale aiguë (rare)
Dans les cas sévères, convulsions, coma ou décès
Chez la patiente décrite, différents facteurs ont favorisé l’intoxication chronique au lithium. L’âge est un facteur qui doit impérativement être pris en compte en cas d’emploi du lithium. D’une part, des effets thérapeutiques sont souvent déjà observés à partir de 0,4 mmol/l chez les patients âgés [2], et d’autre part, des concentrations plasmatiques de lithium se situant dans la partie supérieure de l’intervalle thérapeutique peuvent déjà induire des effets toxiques chez les patients âgés. Une neurotoxicité induite par lithium a déjà été observée à des concentrations de 0,4–1,0 mmol/l chez des patients âgés [3]. De plus, à dose identique, les patients âgés atteignent des concentrations plus élevées que les patients plus jeunes [4]. Cela s’explique par un volume de distribution réduit (moins d’eau corporelle) et par une clairance réduite due à la diminution de la fonction rénale liée à l’âge. Ainsi, chez les patients âgés, la dose journalière de lithium devrait être réduite (selon l’âge de 25–50%) [3, 5].
Un autre facteur de risque d’intoxication chronique au lithium est l’emploi de médicaments pouvant diminuer l’élimination du lithium. Chez la patiente, deux nouveaux médicaments ont été introduits dans un court laps de temps: l’inhibiteur de la COX-2 étoricoxib (Arcoxia®) et la préparation combinée d’hydrochlorothiazide/amiloride (Comilorid-Mepha®). Ces deux peuvent réduire l’élimination du lithium. Dans l’information professionnelle suisse de Arcoxia® ainsi que dans la littérature spécialisée, l’interaction des inhibiteurs de la COX-2 avec le lithium est bien documentée [6, 7]. La COX-2 est exprimée dans les reins [8] et joue un rôle essentiel pour le maintien de la fonction rénale. Les inhibiteurs non spécifiques de la COX (anti-inflammatoires non stéroïdiens) et les inhibiteurs de la COX-2 réduisent la perfusion rénale et, par ce biais, l’élimination du lithium. Dans l’information professionnelle suisse de Comilorid-Mepha®, la rubrique des interactions mentionne également que le lithium ne devrait de façon générale pas être pris concomitamment avec des diurétiques, car la clairance du lithium est alors réduite. De plus, lors de l’initiation du traitement par inhibiteur de la COX-2, la patiente présentait déjà une diarrhée avec perte liquidienne, ce qui s’est également répercuté de façon négative sur l’élimination rénale du lithium via la composante prérénale (tab. 2).
Tableau 2: Facteurs pouvant réduire l’élimination du lithium.
Vomissements, diarrhées
Infections concomitantes
Perte liquidienne
Autres médicaments (notamment anti-inflammatoires non stéroïdiens; inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine; diurétiques: épargneurs de potassium, 
diurétiques de l’anse, thiazides, peuvent paradoxalement entraîner une rétention d’eau et une intoxication au lithium)
Compte-tenu de la relation temporelle et de l’interaction connue entre le lithium, les inhibiteurs de la COX-2 et les diurétiques, l’intoxication au lithium résulte selon toute vraisemblance d’une interaction des médicaments impliqués. L’intoxication au lithium et ses symptômes neurologiques (tremblements, troubles de la parole) doivent être considérés comme une conséquence de l’interaction pharmacodynamique. On ne sait pas clairement si les troubles gastro-intestinaux et l’état de faiblesse généralisée avaient d’autres causes ou constituaient déjà des manifestations d’une intoxication évoluant depuis longtemps. Le cas a été signalé de façon anonyme au Centre de pharmacovigilance de l’Institut suisse des produits thérapeutiques Swissmedic.

Mesures préventives et stratégie ­thérapeutique

Particulièrement chez les patients âgés avec de multiples médicaments, l’indication d’un traitement par lithium devrait être vérifiée consciencieusement. Les patients âgés requièrent des doses de lithium plus faibles que les jeunes pour atteindre une concentration sérique et des effets similaires. Les changements pharmacocinétiques liés à l’âge, en particulier le ralentissement de l’élimination rénale, doivent être pris en compte. Afin d’éviter une intoxication, des contrôles réguliers de la fonction rénale et de la concentration de lithium devrait être réalisés. Il convient d’éviter les situations altérant la fonction rénale (déshydratation, médicaments néphrotoxiques, etc.).
Au vu de l’âge de la patiente et de l’intoxication au lithium déjà survenue, il a été conseillé de changer de traitement antidépresseur et de passer à un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine à faible dose. Dans le cadre de ce changement, il convient de noter que le lithium, pendant la phase de transition, renforce la transmission sérotoninergique (via un mécanisme inconnu), de telle façon que ces deux substances peuvent temporairement agir de façon additive ou synergique [9, 10]. Avant l’hospitalisation, des troubles de la parole nouvellement survenus ainsi qu’un tremblement de la main droite avaient été observés chez la patiente; ces deux symptômes peuvent être considérés comme des conséquences de l’intoxication au lithium. Le tremblement a conduit à la prescription d’un médicament supplémentaire (propranolol), ce qui constitue une cascade de prescription classique. Le terme «cascade de prescription» désigne le traitement d’EMI par un autre médicament et, surtout chez les patients âgés, il s’agit d’une cause connue de polypharmacie.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
Irene Scholz,
médecin diplômée
Regionales Pharmaco­vigilance-Zentrum Bern
Klinische Pharmakologie und Toxikologie,
Universitätsklinik für
Allgemeine Innere Medizin,
Inselspital,
Universitäts­spital Bern
Freiburgstrasse 8
CH-3010 Bern
irene.scholz[at]insel.ch
 1 Information professionnelle suisse Lithiofor®. Disponible sur: www.swissmedicinfo.ch, dernier accès le 17/10/2017.
 2 Bauer M, G.M., The essential guide to lithium treatment, Springer, Editor. 2016.
 3 Sproule BA, Hardy BG, Shulman KI. Differential pharmacokinetics of lithium in elderly patients. Drugs Aging. 2000;16(3):165–77.
 4 Rej S, et al. Lithium dosing and serum concentrations across the age spectrum: from early adulthood to the tenth decade of life. Drugs Aging. 2014;31(12):911–6.
 5 Slater V, et al. Influence of age on lithium therapy. South Med J. 1984;77(2):153–4,158.
 6 Phelan K.M, A.D. Mosholder, and S. Lu, Lithium interaction with the cyclooxygenase 2 inhibitors rofecoxib and celecoxib and other nonsteroidal anti-inflammatory drugs. J Clin Psychiatry. 2003;64(11):1328–34.
 7 Ratz Bravo A.E, et al. Lithium intoxication as a result of an interaction with rofecoxib. Ann Pharmacother.
2004;38(7–8):1189–93.
 8 Noroian G. and D. Clive, Cyclo-oxygenase-2 inhibitors and the kidney: a case for caution. Drug Saf. 2002;25(3):165–72.
 9 Ohman R. and O. Spigset, Serotonin syndrome induced by fluvoxamine-lithium interaction. Pharmacopsychiatry. 1993;26(6):263–4.
10 Noveske F.G, K.R. Hahn, and R.J. Flynn, Possible toxicity of combined fluoxetine and lithium. Am J Psychiatry. 1989;146(11):1515.