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De nombreuses infections virales peuvent provoquer des arthralgies. La distinction clinique entre des arthralgies dans le cadre d’une réaction systémique à une infection virale et une arthrite virale à proprement parler est difficile.
Introduction
L’arthrite virale aiguë est souvent postulée lors du diagnostic de la primo-infection virale. Pourtant, l’arthrite constitue généralement un diagnostic concomitant et non le diagnostic principal, tandis que l’arthrite virale à proprement parler est une entité clinique rare sous nos latitudes. Le tableau clinique ressemble souvent à celui de maladies rhumatismales inflammatoires. Contrairement à celles-ci, les symptômes de l’arthrite virale sont toutefois généralement temporaires. Par conséquent, il est difficile de recueillir des chiffres épidémiologiques concernant l’arthrite virale. Ce travail fournit un aperçu des agents pathogènes souvent associés à une arthrite virale et des arthralgies.
Pathogenèse
De nombreux mécanismes pathologiques de l’arthrite virale sont encore incompris et reposent sur des hypothèses et des examens individuels. Les deux mécanismes les plus souvent décrits sont (a) l’invasion virale directe au niveau de l’articulation et (b) le dépôt de complexes immuns. Une autre pathogenèse postulée est (c) une réaction inflammatoire activée relative à un dérèglement immunitaire qui peut être déclenché par des antigènes viraux. Ces mécanismes ne s’excluent pas mutuellement et peuvent aussi survenir de manière parallèle ou séquentielle.
Virus au niveau de l’articulation
La mise en évidence directe du virus dans le liquide synovial a été apportée notamment dans le cas du parvovirus B19 (PB19) [1], de sorte qu’une pathogenèse hématogène soit postulée. En même temps, ces résultats relatifs à la pathogenèse doivent être interprétés avec précaution puisque la mise en évidence dans le liquide synovial au moyen d’une réaction en chaîne par polymérase (PCR) réussit également en présence du virus Herpes simplex (VHS), du virus d’Epstein-Barr (VEB) ou du cytomégalovirus (CMV) [2]. Ces virus sont rarement associés à une arthrite et les résultats PCR reflètent plutôt une migration de lymphocytes (qui renferment l’ADN viral au niveau intracellulaire) vers l’articulation.
Dépôt de complexes immunset maladies auto-immunes
Les virus ou les antigènes viraux peuvent former des complexes par interaction avec des anticorps et des facteurs du complément. Ces complexes immuns peuvent notamment se déposer dans les articulations et entraîner ainsi des arthralgies et une arthrite. Ce mécanisme est par exemple décrit dans le cas d’une infection aiguë par le virus de l’hépatite B (VHB) [3]. Une association entre le virus de l’hépatite C (VHC) et des cryoglobulines (cryoglobulinémie mixte) – comme cela est connu en cas de purpura ou de glomérulonéphrite – est également observée lors de la survenue d’une arthrite associée au VHC [4].
Tableau clinique et diagnostic d’une arthrite virale en général
Anamnèse
L’anamnèse (y compris l’anamnèse sexuelle) et les résultats cliniques peuvent mener au diagnostic de la maladie (systémique) virale (tab. 1). Ainsi, un exanthème survient également en présence de nombreuses infections virales. Pour les virus non endémiques à la Suisse, l’anamnèse de voyage, l’épidémiologie dans le pays de destination et la période d’incubation jouent un rôle important (tab. 2).
Tableau 1: Infections virales associées à des arthralgies et une arthrite.1 | |||
Virus / maladie | Tableau clinique typique / épidémiologie | Arthralgies / arthrite | Diagnostic de la maladie2 |
Parvovirus B19(mégalérythème épidémique, 5e maladie) | Symptômes/résultats:– Fièvre– Erythème infectieux– Aspect dit en «paire de claques»– Anémie aplasique transitoire | – Peut survenir avec ou sans érythème ou après que l’érythème s’est estompé.– Parfois l’unique symptôme chez l’adulte.– Enfants: chez env. 10% de tous les malades; oligoarthrite asymétrique; genou le plus souvent touché.– Adultes [18]: chez env. 60% de tous les malades. Femmes plus souvent touchées que les hommes; polyarthrite symétrique, articulations interphalangiennes proximales et métacarpophalangiennes les plus souvent touchées. | – IgM et IgG dans le sérum– PCR sur sang EDTA |
Epidémiologie en Europe:La séroprévalence augmente avec l’âge [37, 38]:– 10 ans: 35–58%– 20 ans: 51–75%– 30 ans: 57–73%– ≥40 ans: ≥70% | |||
Rubéole(virus de la rubéole, Rubella)Arthrite décrite en cas d’infection et de vaccination (virus atténué). | Symptômes/résultats:– Exanthème maculo-papuleux – Lymphadénopathie (occipitale, cervicale, rétro-auriculaire)– Splénomégalie | – Souvent arthralgies sans œdème articulaire, survenue simultanée avec exanthème (+/– 1 semaine)– En cas d’infection: dans des études antérieures à 1990, jusqu’à 30% [22]; actuellement inconnu en raison du faible nombre de cas.– En cas de vaccination: enfants 0–3%, adultes 12–20% [40]; femmes plus souvent touchées que les hommes; peut survenir 1–3 semaines après la vaccination.– Polyarthrite symétrique; articulations des doigts, mains et genoux les plus souvent touchées. | – IgM et IgG dans le sérum– PCR sur salive (prélèvement pharyngé) |
Epidémiologie en Suisse:– Maladie infectieuse soumise à une obligation de déclaration– 2010–2015: 2–6 cas par an (hors materno-fœtal) [39] | |||
Hépatite B(v. aussi: Swiss Med Wkly. 2017 [8]) | Symptômes/résultats:– Phase prodromique (1–6 mois)– Symptômes généraux non spécifiques: fièvre, nausées, perte de poids, douleurs abdominales– Ictère | – Deux formes: en phase prodromique ou en cas d’hépatite B chronique.– Chez les adultes 10–25% de tous les malades [41]; femmes plus souvent touchées que les hommes; polyarthrite symétrique; articulations des mains et genoux les plus souvent touchées. | – Initialement: HBsAg et HBc-IgG dans le sérum; autres examens sérologiques selon le résultat– PCR sur sang EDTA: ADN VHB quantitatif après consultation avec le spécialiste |
Epidémiologie en Suisse:– ≤100 personnes contractent chaque année une hépatite B aiguë – 75% hommes– 60% sont âgés de 25–50 ans. | |||
Hépatite C(v. aussi:Forum Med Suisse. 2010 [9] et 2015 [10, 11]) | Symptômes/résultats:– Généralement oligosymptomatique ou asymptomatique– Symptômes généraux non spécifiques: fièvre, fatigue, douleurs dans la partie supérieure de l’abdomen, nausées– Ictère (5–10%) | – Arthralgies et myalgies. Deux formes: (a) synovite des petites articulations, tableau clinique similaire à celui d’une arthrite rhumatoïde (mais de courte durée, à évolution bénigne), ou (b) associée à une cryoglobulinémie, typiquement en cas d’infection chronique par VHC.– Chez les adultes 2–20% de tous les malades [43].– Autre signe d’une cryoglobulinémie associée au VHC: lésions cutanées/vascularite, glomérulonéphrite, hypothyroïdie. | – IgG (détéctables au plus tôt 4–6 semaines, généralement 2–6 mois après infection) ou HCV-Ag (1–2 semaines après infection) dans le sérum– PCR sur sang EDTA (génotype du VHC ou ARN quantitative) après consultation avec le spécialiste– Cryoglobulines issues du sérum ou du plasma EDTA (préchauffer les tubes; consultation avec le laboratoire vivement recommandée avant le prélèvement) |
Epidémiologie en Suisse:– 50 000–70 000 personnes– 0,7% de la population [42] | |||
Virus de l’immunodéficience humaine (VIH)(v. aussi: Forum Med Suisse. 2015 [12] et 2015 [13]) | Symptômes/résultats:– Anamnèse– Maladies sexuellement transmissibles– Syndrome (viral) aigu–Maladies opportunistes–Maladies définies par le SIDA | – Plus souvent arthralgies qu’arthrite. Survenue typiquement en phase primaire: 22% de tous les malades [34].– La distinction avec les maladies sous-jacentes rhumatismales inflammatoires est essentielle (arthrite réactive ou arthrite psoriasique). Entités discutées: «painful articular syndrome», arthrite associée au VIH. Large fourchette de chiffres rapportés, dépend de l’entité [33]. | – Dépistage du VIH 1/2 dans le sérum– PCR sur sang EDTA après consultation avec le spécialiste |
Epidémiologie en Suisse:– 13 000–20 000 personnes– Env. 600 nouvelles infections par an | |||
1La liste des agents pathogènes viraux associés à une arthrite ou des arthralgies présentée ici n’est pas exhaustive.2 La PCR sur liquide synovial ou la biopsie synoviale sont uniquement réalisées dans des cas particuliers.PCR: réaction en chaîne par polymérase; HBsAg: antigène de surface du virus de l’hépatite B; HBc-IgG: anticorps dirigés contre l’antigène de core du virus de l’hépatite B; VHC: hépatite C. |
Tableau 2: Infections virales non endémiques à la Suisse, qui sont associées à des arthralgies et une arthrite.1,2 | |||
Virus/maladie | Tableau clinique typique / épidémiologie | Arthralgies / arthrite | Diagnostic de la maladie3 |
Virus du chikungunyaDénomination:«maladie de l’homme courbé», en langue makondé(sud-est de la Tanzanie)(v. aussi: Forum Med Suisse. 2009 [44]) | Symptômes/résultats:– Fièvre– Céphalées– Eruption cutanée (40–75%) | – Arthralgies/arthrite (>85%) et myalgies (>65%) sont les principaux symptômes.– Les petites, moyennes et grandes articulations peuvent être touchées; polyarthrite symétrique (jusqu’à 10 articulations ou plus peuvent être touchées) avec œdème articulaire; articulations des mains et des doigts (fig. 1) ainsi qu’articulations des genoux et des pieds les plus souvent touchées. – Les symptômes peuvent être invalidants; durée des symptômes en phase aiguë env. 1 semaine; les arthralgies/l’arthrite peuvent/peut persister plusieurs mois. | – Phase initiale (<1 semaine): PCR sur sang EDTA; indiquer le début des symptômes lors de la demande auprès du laboratoire. – A partir de la 2e semaine de maladie: IgM et IgG dans le sérum– En cas d’évolutions chroniques, une cryoglobulinémie peut survenir [45]; cryoglobulines dans le sérum ou plasma EDTA (préchauffer les tubes; consultation avec le laboratoire vivement recommandée avant le prélèvement). |
Epidémiologie:Afrique, Asie, Amérique centrale/Amérique latine, Proche-Orient, Asie du Sud, Chine, Asie du Sud-Est, Caraïbes, Océanie | |||
Virus de la dengueDénomination incertaine: du swahili «Ka-dinga pepo» («crise de crampes causée par un démon») ou de l’espagnol (Colombie) «contoneo» («démarche fanfaronne» | Symptômes/résultats:– Fièvre– Céphalées (principalement rétro-orbitales)– Eruption cutanée (50%); attention: évolution à 2 pics avec «fuite» de plasma, thrombopénie, éventuelles complications hémorragiques à partir de la 2e semaine. | – Arthralgies moins fréquentes (10–50%) [46] et moins prééminentes que dans le cas du chikungunya et du Zika. – Lorsque les articulations sont touchées, le tableau clinique ressemble à celui du chikungunya. | – Phase initiale (<1 semaine): NS1-Ag dans le sérum ou PCR sur sang EDTA; indiquer le début des symptômes lors de la demande auprès du laboratoire. – A partir de la 2e semaine de maladie: IgM et IgG dans le sérum |
Epidémiologie:– Asie, Amérique centrale/Amérique latine, Caraïbes, Afrique, Proche-Orient, Océanie– Quelques cas autochtones ont été rapportés en Europe (Espagne, France, Croatie). | |||
Virus ZikaDénomination: «Ziika Forest» en Ouganda(v. aussi:Forum Med Suisse. 2016 [47]) | Symptômes/résultats:– Fièvre– Céphalées– Eruption cutanée– Conjonctivite | – Arthralgies (65%) et myalgies (48%) dans [48] (apparition dans les îles Yap, Etats fédérés de Micronésie)– Les arthralgies touchent typiquement les petites articulations des mains et des pieds, aucune synovite, aucun œdème articulaire; brève durée des symptômes. | – Phase initiale: PCR sur sang EDTA – Analyse de l’urine ou du liquide séminal également possible puisque élimination prolongée– A partir de la 2e semaine de maladie: IgM et IgG dans le sérum; attention: réactions croisées avec d’autres flavivirus (vaccin contre la fièvre jaune, dengue) |
Epidémiologie:Amérique centrale et latine, Caraïbes, Pacifique/Océanie, Asie (Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande), Afrique (Cap-Vert, Guinée-Bissau), Etats-Unis (Floride) | |||
Virus de la Ross River4(RRV)Dénomination:«Ross River», Queensland, Australie, maladie autrefois appelée «polyarthrite épidémique» | Symptômes/résultats– Fièvre– Fatigue– Eruption cutanée | – Arthralgies/arthrite (83–98% dans [49]) et myalgies (env. 50%)– Atteinte articulaire symétrique aiguë avec œdème articulaire; les articulations des mains, des doigts ainsi que des genoux et typiquement les chevilles sont touchées.– Les arthralgies/l’arthrite peuvent/peut persister plusieurs mois | – IgM et IgG dans le sérum, titrage en cours d’évolution important (données laboratoires de référence)– Attention: réactions croisées, résultats faussement positifs– PCR sur biopsies synoviales possible [50] |
Epidémiologie:Australie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Îles Fidji | |||
Virus de la Barmah Forest4Dénomination:«Barmah Forest», Victoria, Australie | Symptômes/résultats:– Eruption cutanée (plus prononcée qu’en cas de RRV)– Fatigue, faible– Symptômes semblables à ceux de la grippe, fièvre– Céphalées | Manifestations semblables à celles du RRV, la durée des symptômes aigus a tendance à être plus courte; les arthrite/arthralgies ont tendance à être moins fréquentes et moins prééminentes que dans le cas du RRV; les symptômes peuvent persister plusieurs mois. | – IgM et IgG dans le sérum, titrage en cours d’évolution important (données laboratoires de référence)– Attention: réactions croisées, résultats faussement positifs– PCR sur sérum possible en phase précoce de la maladie [51] |
Epidémiologie:– Australie– Les wallabies et les kangourous sont les principaux hôtes | |||
Virus Sindbis4Dénomination:Sindbis, village à 30 km au nord du Caire en Egypte | Symptômes/résultats:– Eruption cutanée (maculo-papuleuse, avec démangeaisons)– Fièvre (températures subfébriles)– Malaise | – L’arthrite est le symptôme cardinal («rash arthritis syndrome»). – Oligoarthrite et polyarthrite; moyennes et grandes articulations typiquement touchées (articulations des mains, hanches, genoux et pieds).– Brève phase aiguë (1–2 semaines); les douleurs articulaires peuvent persister pendant plusieurs mois. | – Signes inflammatoires souvent normaux lors de l’analyse biochimique– A partir de la 2e semaine de maladie: IgG et IgM dans le sérum (laboratoires spécialisés, méthodologie «in-house») |
Epidémiologie:– Largement répandu en Europe, Afrique, Asie, Australie. – Appellations locales des maladies: maladie d’Ogosta (Finlande), maladie d’Ockelbo (Suède), fièvre de Carélie (Russie).– Les oiseaux sont les principaux hôtes. | |||
Virus O’nyong-nyong4Dénomination:«briseur d’articulations», en langue Acholi (à l’est du Nil blanc au nord de l’Ouganda) | Symptômes/résultats:– Fièvre– Céphalées– Eruption cutanée (maculo-papuleuse, avec démangeaisons)– Lymphadénopathie cervicale– Conjonctivite | – Des douleurs articulaires sans œdème articulaire constituent le symptôme typique de la maladie.– Typiquement, polyarthralgie des grandes articulations.– Symptômes de brève durée mais très douloureux; persistance des douleurs articulaires sur plusieurs mois chez une minorité des patients. | – Phase initiale: PCR sur sang EDTA possible– A partir de la 2e semaine de maladie: IgG et IgM; attention: réactions croisées avec d’autres flavivirus, en particulier avec le chikungunya |
Epidémiologie:Afrique de l’Est (Uganda, Kenya, Tanzanie, Malawi Mozambique), Afrique de l’Ouest (Congo, Cameroun, Sénégal), voir également la répartition géographique [52] | |||
Virus Mayaro4Dénomination:Mayaro-Rio Claro, Sud-est de Trinidad, Trinidad et Tobago.(v. aussi:Rapport de cas Swiss TPH 2016 [53]) | Symptômes/résultats:– Fièvre– Céphalées, douleurs oculaires– Eruption cutanée (maculo-papuleuse, parfois avec desquamation)– Nausées, vomissements, diarrhées | – Arthralgies et myalgies– Douleurs articulaires prononcées, oligoarthrite symétrique, rarement polyarthrite. – Durée des symptômes en phase aiguë env. 1 semaine. Les arthralgies/l’arthrite peuvent/peut persister plusieurs mois. | – Phase initiale: PCR sur sang EDTA possible– A partir de la 2e semaine de maladie: IgM et IgG dans le sérum |
Epidémiologie:– Partie nord de l’Amérique du Sud (Brésil, Colombie, Bolivie) et Caraïbes (Trinidad et Tobago, Surinam)– Les singes sont les principaux hôtes. | |||
1 La liste des agents pathogènes viraux (arbovirus) associés à une arthrite ou des arthralgies présentée ici n’est pas exhaustive. 2 Les arbovirus présentés ici sont transmis par des moustiques.3 La PCR sur liquide synovial ou la biopsie synoviale sont uniquement réalisées dans des cas particuliers.4 Le diagnostic pour ces virus a lieu dans des laboratoires de référence ou spécialisés et nécessite la consultation des spécialistes concernés.PCR: réaction en chaîne par polymérase; Swiss TPH: Institut Tropical et de Santé Publique Suisse |
Manifestations cliniques
La plupart des infections virales se manifestent sous forme de polyarthrite ou d’oligoarthrite. Les petites et moyennes articulations de la main (fig. 1) sont les plus souvent concernées chez les adultes. Lors de l’examen clinique, il est essentiel de faire la distinction entre myalgies, tendinopathies et arthralgies, ainsi que de tenir compte des symptômes de l’arthrite (rougeur, œdème, raideur, douleur à la pression). La différenciation entre l’arthrite et les arthralgies nécessite une certaine expérience clinique et est parfois impossible. La mise en évidence d’une inflammation de la membrane synoviale (synovite) peut également s’effectuer par échographie (fig. 2). Le tableau clinique de l’arthrite virale (par ex. en cas d’infection par le parvovirus B19) peut ressembler à celui de l’arthrite rhumatoïde (chez les adultes) ou de l’arthrite juvénile idiopathique (chez les enfants). Contrairement à ces maladies rhumatismales inflammatoires, l’arthrite virale n’est toutefois que temporaire dans de nombreux cas et dure plusieurs jours à semaines. Une évolution chronique ou une récidive sont possibles, mais rarement observées.

Figure 1: Œdème de l’articulation interphalangienne chez une patiente âgée de 72 ans atteinte d’une infection par le virus du chikungunya (reproduction avec l’aimable autorisation des auteurs, issue de: Tschudin S, Khanlari B, Schaub S, Laifer G, Flückiger U, Bassetti S. Arthritis und Fieber aus Mauritius. Forum Med Suisse. 2006;6(6):1036–8).

Figure 2: Arthrosonographie des articulations métacarpo-phalangiennes (MCP): coupe longitudinale palmaire avec synovite de degrés 1 et 2 (flèches enA etB ); coupe longitudinale dorsale avec activité Power-Doppler (PD) de degré 1 (pointe de la flèche enC etD ).
Examens biochimiques
La détermination de facteurs rhumatoïdes ou d’auto-anticorps dans le sérum ne permet pas, durant la phase aiguë d’une infection virale, de pouvoir distinguer une arthrite virale d’une arthrite rhumatismale inflammatoire au vu des résultats biochimiques. Dans le cadre de la stimulation immunitaire, ces résultats sont souvent provisoirement accrus de manière non spécifique et peuvent par conséquent être trompeurs.
Examens sérologiques
Il n’est pas recommandé d’effectuer un dépistage général des anticorps de tous les virus entrant en question en matière de diagnostic différentiel sans diagnostic suspecté spécifique. En règle générale, un examen sérologique partant du postulat d’un diagnostic clinique cible suspecté est utile comme première étape diagnostique, quoique souvent sans conséquences thérapeutiques. Les caractéristiques de l’anamnèse et de la manifestation clinique présentées dans les tableaux 1 et 2 aident à postuler un diagnostic suspecté. Toutefois, l’exclusion d’une infection par VHB, VHC et virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est souvent recommandée et obligatoire lorsqu’un traitement immunosuppresseur est prévu. Ainsi, une infection par VHB sous contrôle immunologique peut être réactivée sous traitement par facteur de nécrose tumorale (TNF) alpha et nécessite donc soit une surveillance de l’ADN du VHB dans le sérum, soit un traitement antiviral prophylactique [5].
Ponction articulaire
La ponction articulaire destinée au prélèvement de liquide synovial est typiquement réalisée en cas de soupçon d’une infection bactérienne, mais peut dans certains cas également apporter d’autres conclusions en présence d’arthrite virale. Toutefois, lorsque le diagnostic différentiel place fortement le diagnostic suspecté d’une arthrite virale au premier plan, une ponction articulaire n’est généralement pas nécessaire. Etant donné que l’arthrite virale touche souvent les petites et moyennes articulations, la quantité de liquide synovial prélevé peut être trop faible pour déterminer le nombre de cellules et effectuer une différenciation. Si la ponction articulaire est réalisée avec suffisamment de liquide synovial, une augmentation des cellules mononucléaires, typiquement les lymphocytes, peut être mise en évidence [6]. Ces derniers sont d’autant plus dominants que les symptômes persistent [7].
Diagnostic différentiel
Comme cela a déjà été mentionné dans l’introduction, l’arthrite virale aiguë constitue souvent un diagnostic concomitant et l’arthrite virale à proprement parler est une entité clinique rare sous nos latitudes. Le diagnostic différentiel en présence d’une polyarthrite ou de polyarthralgies est vaste. Au premier plan se trouvent des maladies rhumatismales inflammatoires comme par exemple l’arthrite rhumatoïde ou le lupus érythémateux systémique. Les arthropathies dégénératives, les douleurs neuropathiques et l’hypothyroïdie constituent d’autres diagnostics différentiels.
Traitement et pronostic
En présence de maladies virales traitables (VHB, VHC, VIH), un traitement antiviral conforme aux recommandations correspondantes doit être évalué et discuté avec un spécialiste (infectiologie, hépatologie). Il est à ce sujet fait référence à d’autres revues systématiques [8–13]. Dans le cas de nombreuses maladies virales, le traitement est toutefois symptomatique (par ex. à l’aide d’anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS]). Le pronostic est favorable. Contrairement à l’arthrite bactérienne, l’arthrite virale entraîne rarement une destruction des articulations. Par conséquent, un lavage articulaire n’est nécessaire que dans des cas exceptionnels.
L’arthrite virale en particulier
En principe, presque tous les virus peuvent provoquer une arthrite. Le tableau 1 présente un aperçu des agents pathogènes typiquement associés à une arthrite ou à des arthralgies. Le tableau 2 sert d’outil de consultation pour les personnes de retour de voyage (voir également [14]), car il fournit un aperçu des arthrites virales non endémiques à la Suisse. La figure 3 apporte une aide en cas de diagnostic suspecté d’une arthrite virale.

Figure 3: Algorithme d’évaluation en présence d’un soupçon d’arthrite virale. Une anamnèse de voyage positive n’exclut pas les diagnostics différentiels du tableau 1.
Pour certains virus, l’association ou encore le «déclenchement» de maladies rhumatismales inflammatoires sont postulés et mentionnés par la suite. Il convient de préciser que de telles associations sont difficiles à étayer puisque de nombreux facteurs exercent une influence sur la survenue de maladies auto-immunes, comme par exemple la prédisposition génétique et des facteurs environnementaux.
Virus d’Epstein-Barr
Le VEB provoque souvent des arthralgies comme symptôme concomitant de la maladie systémique. Les patients se plaignent souvent de douleurs au niveau des petites et moyennes articulations. Le traitement est symptomatique et la maladie autolimitante. Les infections par VEB ont notamment été postulées comme le déclencheur de maladies auto-immunes, par exemple en cas d’arthrite rhumatoïde [15] ou de lupus érythémateux [16]. Lors des premières manifestations de cette maladie, il peut par conséquent être utile, dans certains cas, de s’enquérir d’un syndrome viral précédent et de recueillir des informations relatives à la dynamique et au stade de l’infection par VEB antérieure à l’aide d’un examen sérologique [17].
Parvovirus B19
De nombreuses infections par PB19 se déroulent de manière asymptomatique. Chez les patients symptomatiques, l’éventail des manifestations cliniques est vaste. L’arthrite peut également survenir comme unique manifestation. Une arthrite de type PB19 est plus souvent observée chez les adultes (50–80%) que chez les enfants (5–10%) et plus fréquemment chez les femmes que chez les hommes [18, 19]. Dans de rares cas, en particulier chez des patients présentant une immunodéficience ou sous traitement immunosuppresseur, une infection chronique par PB19 avec anémie aplasique peut survenir. Dans ces cas, il convient d’évaluer l’administration d’immunoglobulines intraveineuses (IVIG) [20]. Quelques études font état d’une réponse des symptômes arthritiques à l’administration d’IVIG [20, 21]. Toutefois, cette approche thérapeutique n’a jusqu’à présent pas été examinée de manière systématique.
Rubéole
Les rapports concernant l’arthrite associée à la rubéole proviennent principalement d’études ayant été publiées avant 1990 [22]. Actuellement, la fréquence de l’arthrite associée à la rubéole est difficile à estimer en raison du faible nombre d’infections par la rubéole en Suisse. Mais la survenue d’une arthrite a également été décrite en rapport avec le virus atténué du vaccin. En cas de vaccination initiale à l’âge adulte, les symptômes apparaissent typiquement 1–3 semaines après la vaccination; les symptômes disparaissent en l’espace de quelques jours à semaines. Dans de très rares cas, une arthrite chronique peut se développer. Entre 1991 et 1999, huit cas (6 femmes, 2 hommes) d’arthrite chronique ont été rapportés à la banque de données «Vaccine Adverse Events Reporting System» («Centers for Disease Control and Prevention» [CDC], Etats-Unis). Cela correspondait à une incidence de 2,9 par million de vaccinations [23].
Virus de l’hépatite
Tandis que l’arthrite et les arthralgies peuvent survenir en présence d’infections par tous les virus de l’hépatite (A–E), les symptômes sont typiquement associés à des infections par VHB et VHC. Lors du diagnostic d’une infection par un virus de l’hépatite, tous les paramètres virologiques, immunologiques et hépatiques doivent être déterminés en conséquence afin de définir le stade de la maladie.
Hépatite B
Généralement, une infection aiguë par VHB guérit complètement de manière spontanée chez l’adulte. Dans 5–10% des cas se développe toutefois une hépatite B chronique. Parallèlement à cette évolution, deux formes différentes de symptômes articulaires sont observées. La première forme est une arthralgie ou une arthrite qui surviennent typiquement durant la phase prodromique de l’hépatite aiguë. Elles peuvent constituer l’unique symptôme dont le patient se plaint à la première consultation [24]. Les symptômes peuvent persister pendant des jours à semaines, mais disparaissent généralement avec la survenue de l’ictère. Parallèlement à cette évolution a lieu une élimination de l’antigène de surface du VHB (HBsAg). La deuxième forme de l’arthrite évolue de manière chronique et est associée à une infection chronique par VHB et une persistance de HBsAg. Sur le plan pathogénique, la présence de dépôts de complexes immuns (cryoprécipités constitués d’immunoglobulines et de facteurs du complément) sur la membrane synoviale est postulée pour la deuxième forme.
Hépatite C
L’arthralgie associée au VHC est une manifestation extrahépatique connue de la maladie [26, 27]. Comme dans le cas de l’infection par VHB, l’arthrite due au VHC peut se manifester sous deux formes différentes. Une forme plutôt bénigne touche plusieurs petites articulations (par ex. les articulations des doigts). Le tableau clinique ressemble à celui d’une arthrite rhumatoïde. Contrairement à celui-ci, en cas d’arthralgies associées au VHC, les patients rapportent rarement une raideur matinale des articulations, les arthrites ne présentent aucune évolution érosive à la radiographie et aucun anticorps anti-peptide cyclique citrulliné (anti-CCP) n’est mis en évidence dans le sérum [26]. Dans des cas particuliers, la détermination des anti-CCP dans le sérum peut aider à diagnostiquer la coexistence d’une arthrite rhumatoïde et d’une arthralgie associée au VHC [26, 28]. La détermination des facteurs rhumatoïdes n’est pas utile, car ceux-ci peuvent être positifs en cas d’arthrite rhumatoïde et d’arthralgies associées au VHC.
La deuxième forme d’arthralgie associée au VHC est liée à l’hépatite chronique et à une cryoglobulinémie mixte ou une vascularite cryoglobulinémique. Elle touche les petites et moyennes articulations (par ex. les articulations des pieds). Outre l’arthrite, d’autres manifestations d’une cryoglobulinémie mixte, comme par exemple des lésions cutanées typiques / une vascularite, une hypothyroïdie ou une glomérulonéphrite, peuvent indiquer une infection chronique par VHC [27].
VIH
L’éventail des symptômes articulaires des patients VIH positifs est large. Il comprend notamment le syndrome douloureux articulaire («painful articular syndrome») ou une arthrite associée au VIH. Il convient de noter que des tableaux cliniques rhumatismaux inflammatoires comme la spondylarthrite, l’arthrite psoriasique ou l’arthrite rhumatoïde peuvent survenir avec une infection par VIH [29, 30], celles-ci pouvant toutefois être interprétées comme des entités propres indépendamment du statut sérologique VIH.
Le syndrome douloureux articulaire chez les patients VIH positifs a été principalement décrit à la fin des années 1980 et au début des années 1990 [31, 32]. Comme son nom l’indique, les patients se plaignent de douleurs articulaires et osseuses de brève durée (généralement <24 heures), exceptionnellement fortes et parfois immobilisantes, typiquement des grandes articulations, sans autre signe clinique d’inflammation (aucune synovite). Les symptômes peuvent également survenir en cas d’infection par VIH supprimée et sous traitement antirétroviral [33]. Les descriptions de cas relatives à ce syndrome ont diminué au cours des 20 dernières années.
L’entité de l’arthropathie ou de l’arthrite associées au VIH fait l’objet d’une discussion critique, car la distinction avec une arthrite réactive est difficile [29]. La manifestation clinique se présente typiquement lors de la primo-infection [34] sous forme d’oligoarthrite ou de polyarthrite asymétrique des moyennes et grandes articulations. Lors de l’analyse en laboratoire, HLA-B27 est négatif et la radiographie ne révèle aucune anomalie (destructive). Par rapport au «painful articular syndrome», les symptômes sont plutôt bénins et souvent autolimitants.
Virus non endémiques à la Suisse
Le «Human T-cell lymphotropic virus type-1» (HTLV-1) est typiquement associé à la leucémie à cellules T et n’est pas endémique à l’Europe. Le virus est principalement transmis de la mère à l’enfant, rarement par les relations sexuelles et les produits sanguins. Parmi les zones endémiques se trouvent notamment le Japon, les îles des Caraïbes et certaines régions d’Amérique latine et d’Afrique. Dans les cas décrits d’arthrite associée au HTLV-1, les douleurs articulaires surviennent de manière concomitante avec une fièvre, des myalgies et des efflorescences cutanées. En cours d’évolution, il peut se développer une oligoarthrite chronique touchant les épaules, les articulations de la main et du genou [35].
Parmi les arbovirus, qui sont transmis par les moustiques et peuvent provoquer des douleurs articulaires, se trouvent les virus du chikungunya, de la dengue, Zika, de la Ross River, de la Barmah Forest, Sindbis, O’nyong-nyong et Mayaro (tab. 2) [36]. La liste n’est pas exhaustive puisque beaucoup d’autres virus peuvent également causer des arthralgies. Etant donné que les virus mentionnés sont endémiques dans différents pays, l’anamnèse de voyage est essentielle. A ce sujet, il est également fait référence à l’article récemment paru dansSwiss Medical Forumconcernant la fièvre chez les personnes de retour de voyage [14].
En termes de médecine de voyage, les principaux virus significatifs sont ceux de la dengue et du chikungunya, dont la propagation géographique a augmenté au cours des dernières années [14]. En effectuant une comparaison transversale entre les virus du chikungunya, Zika et de la dengue, les arthralgies sont les plus fréquentes pour le virus du chikungunya et les moins prééminentes pour le virus de la dengue. En règle générale, la période d’incubation des virus mentionnés est ≤2(–3) semaines. Les douleurs articulaires qui surviennent au-delà de ce délai – après un retour d’une région endémique – ne sont ainsi pas dues à un arbovirus.
L’importance des virus Sindbis est incertaine en Suisse. L’épidémiologie géographique des cas décrits (tab. 2) et l’hôte principal du virus (oiseaux, y comprit oiseaux migrateurs) indiquent que les virus pourraient être également présents en Suisse. De même, il existe en Suisse des moustiques susceptibles de transmettre les virus. Les chiffres épidémiologiques cliniques concernant les maladies provoquées par des virus Sindbis ne sont pas disponibles en Suisse.
Bon nombre de ces maladies associées à des virus se manifestent par la triade typique incluant fièvre, éruption cutanée caractéristique et douleurs musculosquelettiques. Sur le plan clinique, la distinction entre arthralgies et arthrite n’est plus évidente, les myalgies sont presque toujours présentes. Typiquement, plusieurs articulations sont touchées (polyarthralgies, polyarthrite). Les maladies sont souvent autolimitantes. Dans certains cas, les symptômes peuvent être immobilisants et persister pendant plusieurs semaines à mois. Cela est par exemple observé en cas d’infection par le chikungunya. En règle générale, le pronostic est toutefois favorable. Le diagnostic est souvent établi au vu de l’anamnèse et de l’examen clinique, et peut être confirmé par la sérologie et la PCR. Comme pour d’autres arthrites virales, le traitement de choix est symptomatique (antalgiques, AINS). En cas de fièvre associée à la dengue, aucun AINS ne doit pas être utilisé en raison d’éventuelles complications hémorragiques.
L’essentiel pour la pratique
• L’arthrite virale est généralement un diagnostic concomitant pouvant indiquer une primo-infection virale ou, rarement, une infection chronique.
• Certains virus peuvent entraîner un tableau clinique ressemblant à celui d’une arthrite rhumatoïde. Par conséquent, la distinction entre ces deux entités s’avère essentielle.
• Chez les adultes, le parvovirus B19 est un agent pathogène fréquent de l’arthrite virale.
• En cas de soupçon d’une arthrite virale, un diagnostic relatif au VIH, à l’hépatite B et à l’hépatite C est recommandé et obligatoire lorsqu’un traitement immunosuppresseur est prévu.
• Une anamnèse de voyage détaillée peut fournir des indications sur les agents pathogènes d’une arthrite virale qui ne sont pas endémiques à la Suisse. La période d’incubation de ces agents pathogènes est en général inférieure à deux (jusqu’à trois) semaines.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Correspondance:
Prof. Dr méd. Parham Sendi
Klinik für Infektiologie & Spitalhygiene
Universitätsspital Basel
CH-4031 Basel
parham.sendi[at]usb.ch
sowie
Institut für Infektionskrankheiten
Universität Bern
CH-3010 Bern
parham.sendi[at]
ifik.unibe.ch
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