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Malgré les progrès globalement considérables accomplis dans d’autres maladies auto-immunes, le traitement de la maladie de Basedow a peu évolué au cours des dernières années. Le traitement de première ligne repose toujours sur le traitement médicamenteux thyréostatique, bien que le taux de récidive soit élevé après l’arrêt du traitement. Une nouvelle approche «personnalisée» fait appel à l’évaluation initiale du risque de récidive. L’administration supplémentaire de médicaments immunomodulateurs doit en outre pouvoir réduire le risque de récidive.
Introduction
L’hyperthyroïdie auto-immune, également appelée «maladie de Graves» (d’après le médecin irlandais Robert James Graves l’ayant décrite pour la première fois en 1835) ou encore maladie de Basedow (d’après le médecin allemand Karl Adolph von Basedow qui a décrit presque au même moment, en 1840, ce tableau clinique), constitue la cause la plus fréquente d’hyperthyroïdie primaire dans les régions où l’apport en iode est suffisant, avec une prévalence d’environ 0,5% [1]. Les femmes jeunes sont le plus souvent touchées (F:M = 4:1). Sur le plan clinique, les symptômes et signes d’un métabolisme de base accru (fringale, perte de poids, nervosité, fatigue, intolérance à la chaleur), les palpitations, l’orbitopathie endocrinienne (OE) et le goitre se trouvent au premier plan (voir tab. 1 pour l’aperçu des symptômes et signes).
Tableau 1: Symptômes et signes de l’hyperthyroïdie (voir aussi le score de Zulewski [8]). | ||
Symptômes | Signes | |
SNC/psychisme | Fatigue, nervosité, troubles du sommeil, troubles de la concentration, irritabilité | Hyperactivité, psychose |
Cheveux | Alopécie | Eclaircissement, alopécie |
Yeux (orbitopathie endocrinienne) | Douleurs, sensation de corps étranger, vision double, troubles de la vision | Regard fixe, rétraction des paupières, œdème péri-orbital, injection conjonctivale |
Thyroïde | Gonflement indolore, dysphagie | Goitre |
Muscles | Faiblesse musculaire | Perte musculaire |
Peau | Intolérance à la chaleur, transpiration accrue | Peau chaude et humide, transpiration accrue |
Cardiovasculaire | Palpitations, dyspnée | Tachycardie, arythmies auriculaires, hypertension systolique, insuffisance cardiaque avec maintien de la fraction d’éjection |
Gastro-intestinal | Fringale, diarrhées | Perte de poids |
SNP | Hyperactivité, tremblement | Hyperréflexie, tremblement fin |
Reproduction | Libido réduite, irrégularité du cycle | Oligoménorrhée, stérilité |
Abréviations: SNC = système nerveux central; SNP = système nerveux périphérique |
Physiopathologie
Sur le plan physiopathologique, une genèse auto-immune est à l’origine de la maladie. Des anticorps stimulants anti-récepteurs de la TSH (TRAK), qui peuvent être mis en évidence chez 90% des patients, entraînent une augmentation de la production et de la sécrétion d’hormones thyroïdiennes périphériques. Ainsi, une scintigraphie est, dans la plupart des cas, inutile pour l’établissement du diagnostic. Un taux de T3 fortement accru associé à un taux de T4 moyennement accru est parfois typique de la maladie de Basedow [2]. Cela s’explique d’une part par la hausse de la sécrétion de T3 directement par la glande thyroïde et, d’autre part, par l’augmentation de la conversion périphérique de T4 en T3 [3]. Il est intéressant de noter que les TRAK peuvent également présenter des propriétés inhibitrices ou neutres, ce qui explique la survenue d’une OE chez les patients sans hyperthyroïdie, puisque les TRAK jouent un rôle physiopathologique décisif dans l’OE. La survenue concomitante fréquente avec d’autres maladies auto-immunes suggère un contexte physiopathologique commun. Environ la moitié des malades présentent une anamnèse familiale positive et des études réalisées auprès de jumeaux ont montré qu’une prédisposition génétique contribuent à la maladie à env. 80% et des facteurs environnementaux à env. 20% [4, 5]. Les infections à Yersinia enterocolitica pourraient éventuellement entrer en jeu dans la pathogenèse de la maladie de Basedow via un mimétisme moléculaire du récepteur de la TSH [6]. Le tabagisme est également un facteur connu, avec un risque considérablement accru de survenue de la maladie de Basedow et surtout aussi une évolution plus sévère (davantage de récidives et OE) [7]. Par ailleurs, les évènements traumatisants (décès de proches, burnout) ont été évoqués comme facteurs de risque. D’autres facteurs environnementaux doivent encore être identifiés.
Diagnostic différentiel
Le diagnostic différentiel de la maladie de Basedow englobe toutes les formes d’hyperthyroïdie. Une anamnèse médicamenteuse approfondie est essentielle pour reconnaître notamment les hyperthyroïdies induites par l’iode dues à l’amiodarone. Chez les patients présentant des douleurs au niveau du cou et une vitesse de sédimentation augmentée, ainsi qu’en cas de survenue suite à une infection des voies respiratoires, il est important d’exclure une thyroïdite car, en présence d’une thyroïdite destructrice, il convient d’adopter une approche thérapeutique anti-inflammatoire (anti-inflammatoires non stéroïdiens ou stéroïdes) et les thyréostatiques sont inefficaces.
Traitement médicamenteux thyréostatique
Le traitement initial consiste généralement en un traitement médicamenteux thyréostatique pour une durée de 12–18 mois [1]. En fonction de la sévérité de l’hyperthyroïdie et du poids du patient, il est possible d’opter pour des doses initiales comprises entre 20 et 40 mg de carbimazole. La dose doit être contrôlée toutes les 4 semaines durant les 3 premiers mois, puis toutes les 8–12 semaines, et réduite si possible. Jusqu’à normalisation du taux de TSH, la dose du thyréostatique est fonction de la fT4, l’expérience ayant montré que des valeurs normales basses de fT4 doivent être visées pour faire remonter la TSH à une valeur normale. Dès que le taux de TSH s’est normalisé, celui-ci peut également être utilisé pour moduler le traitement. En présence d’une TSH durablement supprimée malgré une valeur normale basse de fT4, il vaut la peine de déterminer les valeurs de fT3 afin de démasquer une maladie de Basedow avec sécrétion prédominante de T3. Il est alors éventuellement utile de passer au propylthiouracile, capable d’inhiber la conversion périphérique de T4 en T3, ou encore d’évaluer un traitement définitif. Après l’arrêt du traitement thyréostatique, 40–60% des patients présentent une récidive de l’hyperthyroïdie [9], les schémas de substitution de T4 plus longs ou à plus haute dose (appelés «Block and Replace») n’entraînant aucune réduction du taux de récidive. Chez ces patients, un traitement définitif à l’iode radioactif ou chirurgical est pertinent. Au vu du taux élevé de récidive, la question se pose de savoir si, chez les patients présentant un risque élevé de récidive, un traitement définitif devrait être directement choisi comme traitement primaire. Le tableau 2 fournit un aperçu des options thérapeutiques.
Tableau 2: Aperçu des options thérapeutiques de la maladie de Basedow. | ||||
Indications | Avantages | Inconvénients | Contre-indications | |
Médicaments thyréostatiques (par ex. carbimazole, propylthiouracile) | – Diagnostic initial de la maladie de Basedow – Enfants, femmes enceintes (prise en charge par des spécialistes recommandée) – Préparation avant traitement IRA ou opération | – Non invasifs – Ambuloires – Coûts initiaux faibles – Risque faible d’hypothyroïdie permanente – Effet immunosuppresseur supplémentaire possible – Inhibition de la conversion (T4 en T3) pour le PTU | – Taux de guérison faible (50%) – Agranulocytose comme effet indésirable grave – Possible insuffisance hépatique (PTU) – Contrôles de suivi fréquents – Dépendent de l’observance | Intolérance connue |
Traitement à l’iode radioactif | – Diagnostic initial de la maladie de Basedow – Traitement de deuxième ligne en cas de récidive après arrêt du traitement médicamenteux | – Guérison efficace – Contournement des risques chirurgicaux, aucune cicatrice – Réduction de la taille du goitre | – Atteinte de l’euthyroïdie seulement après 6–12 semaines – Souvent hypothyroïdie avec besoin de substitution à vie – Risque accru de caries | – Grossesse (ou prévue dans les 12 prochains mois) ou allaitement – Orbitopathie (contre-indication relative) – Goitre volumineux |
Thyroïdectomie | – Goitre volumineux – Grossesse (en cas d’intolérance aux thyréostatiques) – Orbitopathie sévère – Effets indésirables graves des thyréostatiques – Malignité concomitante | – Contrôle rapide de l’hyperthyroïdie – Récidives très rares après thyroïdectomie totale – Examen histologique de la thyroïde possible (exclusion d’une tumeur maligne) | – Invasive – Onéreuse – Hypothyroïdie permanente – Complications passagères et persistantes (parésie du nerf récurrent, hypoparathyroïdie) | |
Traitement par bêtabloquants (non sélectifs) | – Patients symptomatiques | – Contrôle des symptômes – Inhibition supplémentaire de la conversion (T4 en T3) | – Aucune signification pronostique pour l’évolution et le risque de récidive | Bloc AV de haut degré |
Selenase | – Orbitopathie endocrinienne avec inflammation aiguë | – Traitement peu onéreux et relativement efficace | – Prise 2× par jour | Aucune |
Abréviations: PTU = propylthiouracile; IRA = iode radioactif; AV = auriculo-ventriculaire. |
Grossesse
La grossesse ou la planification d’une grossesse représentent des situations particulièrement délicates, d’où l’intérêt d’une prise en charge par des spécialistes, aussi bien sur le plan endocrinologique que gynécologique. Le propylthiouracile constitue le thyréostatique de choix en particulier durant le premier trimestre, car le risque d’effets tératogènes est probablement plus faible que sous carbimazole. Des bêtabloquants peuvent être utilisés en complément. En cas d’hyperthyroïdie non contrôlable par des médicaments ou d’intolérance, la thyroïdectomie constitue le dernier recours. Le traitement à l’iode radioactif est contre-indiqué chez les femmes enceintes. Il est également important de savoir que les auto-anticorps (TRAK) traversent le placenta et peuvent ainsi déclencher une hyperthyroïdie chez le fœtus. Cela peut aussi survenir chez les patientes présentant un taux d’auto-anticorps constamment accru, qui reçoivent une dose de substitution à la suite d’un traitement ablatif (avec des concentrations normales d’hormones thyroïdiennes au laboratoire).
Evaluation du risque de récidive
Divers facteurs de risque de récidive après l’arrêt du traitement thyréostatique sont décrits dans la littérature [1]. Une méta-analyse récemment publiée, ayant inclus 54 études avec au total 7595 patients, a révélé que le tabagisme, la taille du goitre, la présence d’une OE ainsi que des taux élevés de fT4, de T3 et de TRAK étaient associés à un risque accru de récidive. Contrairement à ce qu’ont pu indiquer des études antérieures, l’âge et le sexe masculin n’étaient pas associés à un risque de récidive significativement accru [10].
Pour évaluer le risque de récidive après l’arrêt du traitement médicamenteux thyréostatique, un groupe d’étude néerlandais a développé en 2016 le score «Graves’ Recurrent Events After Therapy» (GREAT), ainsi que le score élargi GREAT+. Le score prend en compte l’âge (<40 ans), le taux de fT4 (>40 pmol/l), le titre de TRAK et le degré du goitre avant le début du traitement. Pour le score GREAT+, les paramètres mentionnés sont complétés par deux caractéristiques génétiques (polymorphismes HLA, mutation du gène PTPN22) (tab. 3). Le score permet de classifier les patients en trois catégories de risque. Une validation rétrospective de ce score récemment effectuée dans quatre centres suisses a confirmé la fiabilité du score GREAT dans une population présentant un taux de récidive d’au total 50%: le risque de récidive passait de 33,8% chez les patients de classe GREAT I, à 59,4% chez ceux de classe GREAT II et 73,6% chez ceux de classe GREAT III [11] (fig. 1). Chez les patients de classe GREAT III, il est ainsi pertinent d’envisager un traitement définitif dès le début. Un examen génétique complémentaire pour estimer le risque ne semble pertinent que pour la classe GREAT II [12]. Ce score permet ainsi une estimation individuelle du risque et un conseil personnalisé des patients pour le traitement de première ligne.
Tableau 3: Scores GREAT et GREAT+ (adapté d’après [12]). | ||
Marqueur | GREAT | GREAT+ |
Age [ans] | ||
≥40 | 0 | 0 |
<40 | +1 | +1 |
fT4 sérique [pmol/l] | ||
<40 | 0 | 0 |
≥40 | +1 | +1 |
TRAK sériques [UI/l] | ||
<6 | 0 | 0 |
6–19,9 | +1 | +1 |
≥20 | +2 | +2 |
Degré du goitre | ||
0–I | 0 | 0 |
II–III | +2 | +2 |
Polymorphismes HLA | ||
0 | 0 | |
1–2 | +2 | |
3(LD) | +3 | |
PTPN22 | ||
Type sauvage | 0 | |
C/T | +1 | |
Nombre maximal de points | 6 | 10 |
Classe de risque en fonction du nombre total de points | 0–1 → classe I | 0–1 → classe I+ |
2–3 → classe II | 3–4 → classe II+ | |
4–6 → classe III | 5–6 → classe III+ | |
7–10 → classe IV+ |
Traitement immunomodulateur
Depuis les années 1920, le traitement médicamenteux thyréostatique constitue l’un des principaux piliers du traitement de la maladie de Basedow. Bien qu’une genèse auto-immune soit déjà connue depuis 1956 dans la physiopathologie de la maladie de Basedow et que les traitements d’autres maladies auto-immunes aient déjà réalisé d’énormes progrès dans les années 1960 avec l’introduction des glucocorticoïdes, aucune évolution n’a depuis longtemps été constatée dans le traitement immunomodulateur de la maladie de Basedow. Sur la base de données in vitro, un certain effet immunosuppresseur est attribué aux substances thyréostatiques elles-mêmes. Les lignes directrices actuelles relatives au traitement de la maladie de Basedow n’incluent pas les traitements immunosuppresseurs. Cela est principalement dû à l’absence de données issues d’études prospectives. Une revue systématique réalisée en 2016 avec des données poolées a toutefois montré une réduction considérable du risque de récidive («risk ratio» 0,55, IC à 95% 0,41–0,75) chez les patients ayant reçu en plus un traitement immunosuppresseur [13]. Dans les études examinées, le traitement immunosuppresseur faisait principalement appel aux corticostéroïdes, au rituximab dans deux études, à l’azathioprine dans une étude et à une association de dexaméthasone, cyclophosphamide et octréotide dans une étude. Ces données montrent qu’un traitement immunosuppresseur accompagnant le traitement standard pourrait éventuellement réduire le taux de récidive. Toutefois, ces études sont petites et hétérogènes (en ce qui concerne les schémas thérapeutiques, les collectifs de patients), et les effets indésirables n’ont pas été évalués de façon systémique. Ceux-ci seraient probablement déterminants pour savoir si les schémas correspondants doivent être repris dans les lignes directrices (par ex. ostéoporose en cas d’hyperthyroïdie et stéroïdes). Ainsi, de plus grandes études prospectives sont nécessaires pour une évaluation définitive.
Résumé, perspectives
Le traitement de la maladie de Basedow, avec ses trois piliers principaux (traitement médicamenteux, traitement à l’iode radioactif, thyroïdectomie), n’a guère évolué au cours des 60 dernières années. Actuellement, l’approche thérapeutique repose soit sur l’inhibition de la fonction thyroïdienne, soit sur le traitement chirurgical définitif de la thyroïde. Dans le contexte clinique, le score GREAT peut aider à évaluer le risque de récidive avant le début du traitement et éventuellement à conseiller directement à certains patients un traitement définitif comme traitement de première intention. Le traitement doit toujours être choisi en concertation avec le patient, après évaluation des avantages et des inconvénients.
D’autres travaux de recherche relatifs à la prédisposition génétique semblent pertinents, dans la mesure où une composante génétique a pu être observée. Concernant la genèse auto-immune également, de nouvelles approches thérapeutiques efficaces sont attendues dans un avenir proche. De grandes études randomisées portant sur les traitements immunomodulateurs sont nécessaires afin de déterminer si le taux de rémission des patients atteints de la maladie de Basedow peut ainsi être accru sans augmenter le taux de complications dues au traitement additif.
L’essentiel pour la pratique
• Lors du diagnostic initial de la maladie de Basedow, le traitement médicamenteux thyréostatique pour une durée de 12–18 mois reste l’option thérapeutique la plus souvent choisie en Europe, bien qu’un traitement primaire à l’iode radioactif (IRA) ou une thyroïdectomie seraient également des alternatives valables au vu des données actuelles.
• Après l’arrêt du traitement thyréostatique, 40–60% des patients présentent une récidive de l’hyperthyroïdie et un traitement définitif (IRA ou traitement chirurgical) est alors généralement pertinent.
• Lors du diagnostic initial de la maladie de Basedow, le score GREAT convient pour évaluer le risque de récidive après l’arrêt du traitement thyréostatique et aide ainsi à prendre des décisions thérapeutiques individuelles concernant le traitement de première ligne.
• Chez les patients de classe GREAT III, un traitement définitif peut être envisagé dès le début.
• De petites études suggèrent qu’une administration complémentaire de substances immunomodulatrices peut réduire le risque de récidive. Toutefois, de grandes études de confirmation font actuellement défaut.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
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Prof. Dr méd.
Philipp Schuetz, MPH
Endokrinologie/Diabetes/klinische Ernährung
Medizinische Universitätsklinik der Universität Basel
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