L’hypertension pulmonaire thromboembolique chronique représente un diagnostic différentiel majeur de la dyspnée persistante après embolie pulmonaire. Comment le diagnostic est-il posé et quels traitements peuvent être utilisés? Le travail d’équipe s’avère décisif.
Contexte
L’hypertension pulmonaire (HTP) englobe une multitude d’affections de base différentes et elle est subdivisée en cinq groupes. Les formes les plus fréquentes sont l’HTP post-capillaire dans le cadre d’une cardiopathie gauche, suivie de l’HTP en cas de pneumopathies, comme par ex. en cas de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Pour les deux formes, le traitement de l’affection de base occupe l’avant-plan. Des traitements spécifiques sont disponibles pour l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) et l’hypertension pulmonaire thromboembolique chronique (HTPTEC).
Toutes les formes d’HTP sont définies par une pression artérielle pulmonaire moyenne ≥25 mm Hg. Le cathétérisme cardiaque droit est déterminant pour le diagnostic et la classification. Sur le plan clinique, l’HTP se manifeste par une dyspnée progressive et des signes de surcharge cardiaque droite pouvant aller jusqu’aux vertiges, aux syncopes et à l’insuffisance cardiaque terminale. En raison des symptômes non spécifiques, le diagnostic est souvent posé après un délai de >1 an. Dans le registre suisse de l’HTP, la survie moyenne à 5 ans après le diagnostic s’élève à 50%, l’HTPTEC et l’HTAP idiopathique étant associées au pronostic le plus favorable [1]. L’insuffisance cardiaque droite est déterminante pour le pronostic, et différents marqueurs non invasifs, tels que le NT-proBNP et le test de marche de 6 minutes, peuvent être utilisés pour la stratification du risque. Le traitement vise en premier lieu à abaisser la précharge du cœur droit. Dans le cadre de l’HTAP, différentes classes de vasodilatateurs pulmonaires sont utilisées afin d’atteindre cet objectif. Contrairement au traitement de l’hypertension systémique, il n’est que rarement possible d’obtenir une normalisation de l’hypertension en cas d’HTAP, même au moyen de traitements combinés. Il est uniquement possible de parvenir à une normalisation de la pression pulmonaire chez des patients sélectionnés en cas d’HTPTEC. A cet effet, un travail d’équipe s’avère indispensable.
Interdisciplinarité du traitement
L’interdisciplinarité est prônée depuis longtemps dans le domaine de l’oncologie. La même approche devrait être poursuivie en cas d’HTP, qui est une affection rare et hétérogène. La physiopathologie des interactions cardiopulmonaires est complexe, et l’évaluation de la contribution des affections pulmonaires ou cardiaques préexistantes à l’HTP, les répercussions de la maladie de base sur l’évolution, la polymorbidité croissante des patients, ainsi que les traitements complexes (médicamenteux ou allant jusqu’à la transplantation pulmonaire) représentent des défis de taille, qui peuvent le mieux être surmontés grâce à une collaboration de différents spécialistes. Dès lors, des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) de l’HTP allant jusqu’à des consultations interdisciplinaires, lors desquelles les spécialistes travaillent main dans la main, se sont établies au cours de ces dernières années. C’est dans l’HTPTEC que l’interdisciplinarité (et ses avantages) trouve la meilleure application.
La cause de l’HTPTEC réside probablement dans la dissolution incomplète des thromboembolies pulmonaires, qui se transforment en thrombi fibrotiques organisés limitant le flux sanguin, souvent accompagnés d’une artériopathie des petits vaisseaux pulmonaires en aval. Dans le registre suisse de l’HTP, les HTPTEC représentent 25% de tous les cas d’HTP et la survie à 4 ans s’élève à 75%, pour un âge moyen de 60–65 ans au moment du diagnostic [1]. L’HTPTEC est la seule forme potentiellement curable d’HTP pré-capillaire, elle touche les deux sexes à part égale et elle est diagnostiquée chez 3 patients survivant à une embolie pulmonaire sur 100 après 6–12 mois [2]. Les facteurs de risque de développement d’une HTPTEC sont les embolies pulmonaires récidivantes ou non provoquées, les défauts de perfusion étendus, la présence d’une HTP déjà au moment du diagnostic de l’embolie pulmonaire, les anomalies de l’hémostase (par ex. facteur VII accru ou anticorps antiphospholipides), ainsi que la présence d’affections concomitantes (par ex. cancer, antécédents de splénectomie, infections chroniques) [3]. En cas d’embolie pulmonaire aiguë, les thrombi se dissolvent typiquement après 3–6 mois sous anticoagulation orale. En cas d’intolérance à l’effort ou de dyspnée persistante à l’issue de cette période, il convient de songer à une HTPTEC. La scintigraphie de ventilation et perfusion joue un rôle essentiel dans le diagnostic (fig. 1). Aujourd’hui encore, elle reste plus sensible que l’angio-tomodensitométrie pour détecter des occlusions vasculaires distales (sensibilité 97% vs. 86%).
En cas de scintigraphie positive, un cathétérisme cardiaque droit est nécessaire, comme c’est également le cas dans le diagnostic général de l’HTAP, et il doit être complété par une angiographie pulmonaire. Outre la confirmation du diagnostic, l’objectif est ici de déterminer l’opérabilité et d’évaluer le risque. L’élément décisif est de savoir si les thrombi ont une localisation tellement distale qu’ils ne sont plus accessibles par chirurgie. En cas de thrombi accessibles par chirurgie, le traitement de choix est la thromboendartériectomie pulmonaire bilatérale complète en hypothermie profonde avec arrêt circulatoire. Au cours des dernières années, la mortalité associée à l’intervention est passée de >20% à <2% dans les centres de premier plan. En cas de HTPTEC non opérable, des vasodilatateurs pulmonaires sont utilisés; dans des cas sélectionnés, il est aussi de plus en plus fait appel à l’angioplastie percutanée des vaisseaux pulmonaires rétrécis. Les différentes approches thérapeutiques en cas d’HTPTEC sont présentées dans la figure 2. Le choix du parcours thérapeutique optimal requiert des concertations interdisciplinaires entre spécialistes de l’HTP, chirurgiens thoraciques ou cardiaques, radiologues et radiologues/cardiologues interventionnels, en tenant compte des souhaits du patient. Depuis peu, il est également possible de présenter les patients atteints d’HTPTEC au SWISS CTEPH Board de la Société Suisse sur l’Hypertension pulmonaire (SSHP).
Angioplastie pulmonaire par ballonnet en cas d’HTPTEC
Dans la pratique clinique quotidienne, jusqu’à 50% des patients atteints d’HTPTEC ne font pas l’objet d’un traitement chirurgical en raison de préoccupations concernant l’opérabilité ou d’une anatomie non adaptée [4]. Pour les patients concernés, il est possible de recourir non seulement au traitement médicamenteux mais également à l’angioplastie pulmonaire par ballonnet (APB). L’APB consiste en une dilatation par ballonnet (introduit via une veine de l’aine) des sténoses artérielles pulmonaires segmentaires ou sous-segmentaires, des «réseaux» intraluminaux ou des occlusions (fig. 3).
L’intervention a pour objectif de réduire les symptômes et d’améliorer le pronostic via une réduction de la pression pulmonaire moyenne. Contrairement aux interventions coronaires, la devise «the bigger the better» ne s’applique pas ici. L’intervention est en effet réalisée au moyen de ballonnets de petite taille avec de faibles pressions d’inflation, sans utilisation de stents. Les premières séries d’APB ont été réalisées avec des techniques plus agressives et étaient associées à une mortalité accrue (5–10%) [5]. Des ajustements ont depuis lors permis d’accroître considérablement la sécurité thérapeutique. Les hémoptysies et les œdèmes de reperfusion sont des complications redoutées, mais dont la fréquence a également diminué dans les registres les plus récents (<5%). En moyenne, l’APB entraîne une diminution de la résistance pulmonaire d’env. 50% et de la pression artérielle pulmonaire moyenne d’env. 25%. Afin d’atteindre de tels résultats, entre 3 et 10 séances de traitement sont toutefois nécessaires. Des études randomisées comparant l’APB et le traitement médicamenteux ne sont pour l’instant pas disponibles et devront confirmer ces effets positifs.
Disclosure statement
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Correspondance
Dr méd. Jacqueline Pichler Hefti Interdisziplinäres Zentrum für Pulmonale Hypertonie Universitätsklinik für Pneumologie, Inselspital CH-3010 Bern Jacqueline.Pichler[at]insel.ch