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Aujourd’hui, l’accent n’est plus porté sur l’accouchement à terme suite au diagnostic de prééclampsie, mais sur le dépistage et la prévention de cette dernière. Les résultats de l’étude ASPRE («aspirin for evidence-based preeclampsia prevention») nous permettent de repenser la prévention obstétrique.

Contexte
La prééclampsie (PE) concerne 2–3% de toutes les grossesses. Elle est associée à une mortalité périnatale et maternelle élevée à travers le monde, et elle constitue aujourd’hui également un facteur de risque cardiovasculaire connu pour la mère ainsi que pour l’enfant plus tard dans la vie [1–3]. Il n’existe aucun traitement en dehors de l’accouchement. Toutefois, des méta-analyses ont montré que l’administration d’Aspirine® à faible dose («low dose aspirin» [LDA]) de ≥100 mg initiée avant la 16e semaine de grossesse (SG) réduisait significativement le risque de survenue d’une PE avant la 37e SG («preterm PE» [pPE]) [4, 5]. L’approche traditionnelle du dépistage de la PE repose sur l’évaluation des facteurs de risque anamnestiques et des caractéristiques maternelles. L’«American College of Obstetrics and Gynecology» (ACOG) et le «National Institute for Health and Care Execellence» (NICE) britannique recommandent un tel dépistage ainsi que la prescription de LDA lorsqu’un facteur de risque élevé ou au moins deux facteurs de risque modéré sont présents [6, 7].
L’hypertension chronique, les affections rénales chroniques, le diabète sucré préexistant, le lupus érythémateux systémique (LES), le syndrome des antiphospholipides, les antécédents de PE ou d’hypertension au cours d’une grossesse, ainsi que (d’après l’ACOG uniquement) certains facteurs sociodémographiques et les antécédents de SGA, sont aujourd’hui considérés comme des facteurs de risque élevé dans les grossesses uniques par les deux sociétés de discipline, tandis que la nulliparité ou un intervalle de plus de 10 ans depuis la dernière grossesse, l’obésité, l’âge maternel avancé et l’anamnèse familiale positive pour la PE ou l’hypertension au cours d’une grossesse sont considérés comme des facteurs de risque modéré selon l’ACOG d’après les facteurs sociodémographiques et le statut selon la SGA. Au lieu du dépistage réalisé sur la seule base des facteurs de risque, différents groupes, et avant tout la «Fetal Medicine Foundation» (FMF) de Londres, ont développé des algorithmes de dépistage combinés pour le premier trimestre de grossesse. Ces derniers se basent sur la combinaison des facteurs de risque a priori nommés ci-dessus avec le facteur de croissance placentaire (PIGF), la pression artérielle moyenne (PAM) et l’index de pulsatilité des artères utérines (UtAPI). Cet algorithme permet de calculer le risque individuel de pPE entre la 11e et la 14e SG avec un taux de détection de bien 75% et un taux de faux positifs (TFP) de 10% [8, 9]. Il convenait alors de démontrer que la LDA est également utile pour les femmes ayant un risque accru de PE déterminé au moyen de l’algorithme de la FMF. L’étude ASPRE (ASpirin for evidence-based PREeclampsia prevention) a été lancée dans ce but [10].
Résultats de l’étude ASPRE et des analyses secondaires
Avant de débuter l’étude ASPRE, l’algorithme de dépistage a été validé par les 13 centres participant à l’étude, et des études de validation ont parallèlement été conduites dans d’autres cliniques au sein de différents pays; elles ont toutes montré des résultats bons et comparables, le taux de détection des pPE étant situé entre 75 et 81% [11–18]. L’étude SPREE («screening programm for preeclampsia»), une étude multicentrique britannique, a en outre révélé une performance considérablement meilleure du dépistage combiné du premier trimestre par rapport au dépistage basé sur les facteurs de risque a priori selon les recommandations du NICE [16].
L’étude ASPRE, une étude multicentrique internationale randomisée et contrôlée contre placebo, devait montrer que les pPE pouvaient être réduites de 50% chez les femmes présentant un risque accru de pPE [4, 10]. Au total, 1 620 femmes ont été randomisées soit dans le groupe LDA 150 mg soit dans le groupe placebo. Par rapport au placebo, 62% de pPE en moins sont survenues sous LDA [19]. Aucune différence n’a été observée entre les deux groupes concernant le nombre de décès périnataux ou d’enfants présentant une restriction de croissance.
Depuis la publication de l’étude ASPRE, différentes analyses secondaires ont suivi. Dans un premier temps, il s’est posé la question de savoir ce qu’il fallait recommander aux femmes avec un facteur de risque anamnestique mais un faible risque selon le dépistage de la FMF. Alors que 11% des participantes de l’étude présentaient un risque accru selon le NICE, plus de la moitié d’entre elles présentaient un faible risque selon la FMF et n’ont en conséquence pas reçu de LDA. L’incidence de la pPE dans ce groupe était plus faible que dans la population totale [20]. Une analyse en sous-groupes a en outre évalué si la LDA réduisait le risque de PE chez toutes les femmes. Il s’est avéré que ce n’était pas le cas, puisque seules les femmes atteintes d’hypertension chronique ne profitaient pas de la LDA [21].
Une autre analyse secondaire s’est intéressée à l’observance des participantes, qui avait été évaluée de manière très précise dans l’étude ASPRE en contrôlant régulièrement les blisters délivrés et en notant les comprimés qui avaient été oubliés. Plus de 70% des femmes présentaient une observance d’au moins 90% et chez ces femmes, une réduction du risque de 76% a même pu être démontrée; en revanche, les 30% restants ont uniquement bénéficié d’une réduction du risque de 41% [22]. Parmi les 1 571 enfants nés vivants, 6,5% ont dû être hospitalisés en unité de soins intensifs néonatals. Même si un nombre comparable d’enfants du groupe placebo et du groupe LDA ont été hospitalisés, la durée d’hospitalisation des enfants du groupe LDA était en moyenne plus courte de 20 jours ou de près de 70%. Ces résultats s’expliquent notamment par le taux réduit de naissances prématurées avant la 32e SG [23].
Discussion
L’étude ASPRE signe-t-elle la fin de la PE? Pas encore! Elle représente toutefois assurément un grand pas dans la bonne direction. Le dépistage combiné au cours du premier trimestre présente une performance considérablement plus élevée que la seule évaluation des facteurs de risque anamnestiques, et la LDA est efficace dans la prévention, y compris chez ce collectif de patientes. De la même façon que pour le dépistage de la trisomie 21, le dépistage combiné de la PE devrait déterminer la suite de la prise en charge de la grossesse; même si des facteurs de risque anamnestiques sont présents, il peut être renoncé à l’administration de LDA en cas de résultat de dépistage négatif. Fondamentalement, il convient de ne pas simplement prescrire de la LDA à toutes les femmes enceintes, même si l’idée est assurément attrayante. L’obtention d’une observance élevée d’au moins 90% est essentielle, ce qui ne peut pas être attendu dans la population générale, mais bien plutôt chez les femmes conscientes du risque élevé qu’elles présentent.
L’algorithme de dépistage doit continuer à être optimisé. Néanmoins, tant que les mesures préventives seront associées à une réduction du risque de seulement 50–60%, même un taux de détection de quasiment 100% n’entrainerait pas la fin de la PE. Il convient donc de poursuivre les travaux de recherche dans le domaine de la prévention de la PE. Etant donné que la PE constitue un facteur de risque cardiovasculaire, il est sans aucun doute bien plus tentant de rechercher une prévention de la PE que de rechercher un traitement [2]. Il faudra également encore montrer que les femmes avec un risque accru de PE, mais sans PE, présentent réellement un risque cardiovasculaire plus faible que celles ayant développé une PE manifeste.
L’étude montre également que de nombreux aspects de la physiopathologie des PE restent non élucidés. Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore en mesure d’expliquer de façon concluante pourquoi justement les femmes atteintes d’hypertension chronique ne semblent pas profiter de la LDA.
Pour résumer, l’étude ASPRE constitue un jalon dans la recherche menée depuis des décennies sur les causes, la prévention et le traitement de la PE, avec comme objectif de réduire la mortalité et la morbidité périnatales et maternelles à travers le monde.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
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Correspondance:
PD Dr méd. Beatrice Mosimann
Universitätsklinik für Frauenheilkunde
Theodor-Kocher-Haus
Friedbühlstrasse 19
CH-3010 Bern
beatrice.mosimann[at]
insel.ch
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