Médecine Tropicale et Médecine des Voyages: Moustiques Aedes : «not too small to make a difference»
Highlight de la Société Suisse de Médecine Tropicale et de Médecine des Voyages

Médecine Tropicale et Médecine des Voyages: Moustiques Aedes : «not too small to make a difference»

Schlaglichter
Édition
2019/0304
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.08025
Forum Med Suisse. 2019;19(0304):59-61

Affiliations
a Swiss Tropical und Public Health Institute, Basel und Universität Basel; b Service de médecine tropicale et humanitaire, Hôpitaux Universitaires de Genève; c Service de médecine de premier recours,Hôpitaux Universitaires de Genève; d Eidgenössisches Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport VBS. Schweizer Armee. Armeestab – Sanität; e Institut für Epidemiologie, Biostatistik und Prävention, Zürich; f Universitätsklinik für Infektiologie, Inselspital, Bern

Publié le 16.01.2019

Le moustique peut non seulement transformer nos nuits en enfer, mais il reste également l’un des animaux les plus mortels pour l’homme qui existe sur la planète. Nous consacrons le highlight de cette année à la résilience et à la capacité vectorielle phénoménale des moustiques Aedes(Stegomyia).

Introduction

Sur la base de trois virus qui sont transmis par les moustiques Aedes, nous illustrons la dynamique de la capacité de propagation de ces moustiques; «sans frontière», voilà ce qui la caractérise parfaitement. Nous expliquons pourquoi le premier vaccin contre la dengue a connu des déboires au courant de cette année et comment la Suisse s’y prend pour contrôler les moustiques.

Dengue

Les virus de la dengue (genre Flavivirus) se subdivisent en quatre sérotypes (DENV-1 à DENV-4). Il s’agit de l’arbovirus le plus répandu qui est transmis par les moustiques Aedes (Stegomyia) spp. Il faut savoir que 40% de la population mondiale est exposée au risque d’infection par le virus de la dengue et près d’une personne exposée sur cinq développe une maladie symptomatique. Il est estimé que le nombre annuel d’infections cliniquement manifestes s’élève à 96 millions, dont 500 000 cas d’évolution grave avec choc et hémorragie. Dans de nombreuses régions endémiques, la dengue représente l’un des motifs de consultation médicale les plus fréquents.
Une infection par l’un des sérotypes confère une immunité à vie vis-à-vis de ce sérotype. Une deuxième infection ultérieure par un autre sérotype peut être à l’origine d’une évolution plus grave en raison d’une ­réponse immunitaire excessive («antibody-dependent enhancement» [ADE]) [1]. Dans ce contexte, 2–4% des personnes développent une infection grave par le virus de la dengue, qui peut notamment s’accompagner d’une perméabilité capillaire avec manifestation hémorragique sévère et/ou dysfonction organique.
Le phénomène d’ADE a jusqu’à présent fortement entravé le développement d’un vaccin contre l’ensemble des quatre sérotypes, bien qu’il existe depuis longtemps des vaccins efficaces contre d’autres flavivirus (fièvre jaune, méningo-encéphalite à tiques, encéphalite japonaise). Le premier vaccin tétravalent contre la dengue autorisé, Dengvaxia®, a certes représenté une percée; toutefois, l’euphorie qu’a suscitée ce succès a été tempérée au début de l’année 2018 par les données post-commercialisation, qui ont confirmé la crainte d’un risque accru d’ADE. La vaccination peut agir au sens d’une primo-infection; une première infection clinique par des virus de la dengue au sens d’une deuxième infection peut alors avoir une évolution plus grave. Par conséquent, à l’heure actuelle, la vaccin peut uniquement être utilisé dans les pays endémiques chez les enfants qui ont déjà été infectés par le virus de la dengue: chez ces enfants la protection vaccinale est de 84%. Pour l’instant, ce vaccin contre la dengue a donc avant tout pour objectif de réduire l’énorme quantité d’infections symptomatiques et donc de soulager les systèmes de santé concernés. Une vaccination capable de prévenir complètement une infection ultérieure ne semble donc pas être à l’ordre du jour dans un futur proche. Dans ce contexte, une autorisation systématique du vaccin pour les voyageurs n’est pas prévue pour l’instant.

Zika

Autre arbovirose transmise par les moustiques Aedes(Stegomyia), le virus Zika (ZIKV) peut aussi être occasionnellement transmis par voie sexuelle, verticale (de la mère au fœtus) ou (transfusion) sanguine.
Depuis la première épidémie à l’île de Yap (Pacifique) en 2007, des épidémies ont été déclarées en Polynésie Française en 2013–14, à l’île de Pâques, avant la pandémie en Amérique latine en 2015–17, qui marque le début de l’intérêt de la communauté scientifique à ce virus. La majorité (70–80%) des personnes infectées étant asymptomatiques, l’infection par le ZIKV était jusqu’alors considérée comme bénigne et, par conséquent, peu connue.
Tout a changé en 2015 au Brésil, où une potentielle relation entre l’infection maternelle et la microcéphalie fœtale est reportée. Début 2016, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) déclare l’infection à ZIKV en tant qu’urgence de santé publique de portée internationale [2]. La communauté scientifique s’investit activement. La relation causale est confirmée et pour la première fois il est demontré qu’une arbovirose transmise par voie sexuelle est à l’origine de malformations congénitales sévères. L’épidémie s’étend rapidement en Amérique latine et dans les Caraïbes. Un renforcement des mesures préventives et de la surveillance dans les zones endémiques est mis en place [3].
Après le pic en 2015–16, la transmission en Amérique latine a fortement diminué. La distribution du ZIKV est actuellement mondiale et endémique dans les régions tropicales et subtropicales et suit la distribution du vecteur bien que des flambées dans des régions exemptes du virus restent possibles.

Fièvre jaune

A la fin février 2018, un touriste présentant des signes de défaillance hépatique a été admis dans un hôpital suisse. Diagnostic: fièvre jaune. Le patient a succombé à l’infection peu de temps après. La victime avait séjourné au Brésil pour de courtes vacances et n’était pas vaccinée contre la fièvre jaune. Outre ce touriste suisse, différents cas de fièvre jaune chez des personnes non vaccinées ayant voyagé au Brésil ont été rapportés dans d’autres pays [4]. Que s’est-il passé?
Au début de l’année 2017, l’une des plus grandes épidémies de fièvre jaune depuis des décennies a sévi au Brésil; la fin de l’épidémie a dans un premier temps été déclarée en septembre 2017, après le déclin des cas humains. Toutefois, peu après, des cas ont à nouveau été signalés, avec une nette augmentation à partir de décembre 2017. Ainsi, le nombre de cas de fièvre jaune confirmés entre juillet 2017 et juin 2018 s’élevait à 1261 dont 409 décès (mortalité de 32%); 1301 cas sont encore examinés. Il convient de ­noter que les cas de fièvre jaune à la fois épizootiques et humains recensés au Brésil sont survenus dans des régions qui avaient préalablement été déclarées comme «exemptes de fièvre jaune» (entre autres aussi dans l’Etat de Rio de Janeiro et de São Paolo, à proximité immédiate des grandes villes). L’OMS a élargi en conséquence la carte des zones d’endémie de la fièvre jaune et étendu l’indication de vaccination pour l’Amérique du Sud [5]. Par ailleurs, la fièvre jaune est également endémique en Afrique, avec des épidémies récurrentes (voir fig. 1); l’indication correspondante de la vaccination contre la fièvre jaune peut être consultée sur le lien de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) [6].
Figure 1: Cartes des zones d’endémie de la fièvre jaune (© Tropimed ® . all rights reserved. Reproduction avec l’aimable autorisation).

Contrôle vectoriel avec accent ­
mis sur Aedes spp.

Pour terminer cet highlight, nous présentons un bref aperçu de la situation relative à Aedes spp. en Suisse et de la prévention par contrôle vectoriel. Différents facteurs, tels qu’une activité commerciale élevée, des voyages intensifs, la migration et l’urbanisation, peuvent conduire à la propagation et à l’implantation de nouvelles espèces de moustiques. Aedes albopictus (fig. 2) et Aedes aegypti se sont établis en Europe et survivent également durant la saison hivernale. Dans le Tessin, Aedes albopictus a été considéré pour la première fois en 2003 comme un vecteur compétent de divers arbovirus.
Figure 2: Aedes albopictus (© CDC/ James Gathany, 2000).
La suppression des eaux stagnantes (comme par ex. dans les arrosoirs, les rigoles, les dessous de pots ou les pots) est efficace pour réduire la population de moustiques par élimination des milieux de reproduction [7]. En tant que mesure concomitante, dans les endroits où les eaux stagnantes ne peuvent pas être éliminées, des larvicides sont utilisés. Les pyréthrinoïdes vaporisés dans l’air ou à partir du sol peuvent rapidement ­réduire l’abondance des moustiques Aedes femelles. Cette approche est néanmoins réservée aux situations extrêmes (épidémie ou forte invasion de moustiques), notamment en raison de la toxicité pour les autres insectes et du risque de formation de résistances. Les autres méthodes plus spécifiques influencent la capacité vectorielle (par ex. infection ciblée du moustique par la bactérie Wolbachia) ou réduisent la population de vecteurs (par ex. utilisation d’un gène létal avec mort de la progéniture des moustiques Aedes; fabrication de moustiques mâles stériles). Dans le Tessin, les programmes de contrôle vectoriel reposent avant tout sur l’information de la population, sur l’élimination des milieux de reproduction et sur le placement de larvicides [8]. Une surveillance à long terme de la faune de moustiques est également établie dans d’autres régions de la Suisse.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Cornelia Staehelin
Haus 5
Inselspital
CH-3010 Bern
Cornelia.Staehelin[at]insel.ch
1 Halstead SB. Dengue Antibody-Dependant Enhancement: Knowns and Unknowns. Microbiol Spectr. 2014;2(6).
2 WHO: Kindhauser MK, Allen T, Frank V, Santhana R, Dye C. Zika: the origin and spread of a mosquito-borne virus. Bulletin of the World Health Organization 2016.
3 Baud D, Gubler DJ, Schaub B, Lanteri MC, Musso D. An Update on Zika virus infection. Lancet. 2017;390:2099–109.
4 Gossner CM, Haussig JM, de Bellegarde de Saint Lary C, Kaasik Aaslav, K, Schlagenhauf P, Sudre B. Increased risk of yellow fever infections among unvaccinated European travellers due to ongoing outbreak in Brazil, July 2017 to March 2018. Euro Surveill. 2018 Mar;23(11).
5 World Health Organisation, International Travel of Health: http://www.who.int/ith/en/
7 ECDC. Vector control with a focus on Aedes aegypti and Aedes albopictus mosquitoes. ECDC Technical Report. 2017.
8 Flacio E, Engeler L, Tonolla M, Luthy P, Patocchi N. Strategies of a thirteen year surveillance programme on Aedes albopictus (Stegomyia albopicta) in southern Switzerland. Parasites & vectors. 2015 Apr 9;8:208.