Urologie: Evolution démographique: le passage de la pyramide au champignon et sa signification pour l’urologie
Highlight de la Société Suisse d’Urologie

Urologie: Evolution démographique: le passage de la pyramide au champignon et sa signification pour l’urologie

Schlaglichter
Édition
2019/0304
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.08037
Forum Med Suisse. 2019;19(0304):62-64

Affiliations
a Klinik für Urologie, Stadtspital Triemli Zürich; b Universitäre Klinik für Akutgeriatrie, Stadtspital Waid Zürich

Publié le 16.01.2019

La mutation démographique de la population concerne aussi tout particulièrement l’urologie: la planification thérapeutique doit être repensée afin de pouvoir assurer le besoin accru en prestations médicales.

Contexte

L’évolution démographique en Suisse et dans les autres pays industrialisés, avec un vieillissement croissant de la population, est un phénomène connu et souvent décrit au cours des dernières années. La classe d’âge des 75 ans et plus est le groupe de population qui enregistre la croissance de loin la plus rapide [1], avec pour effet que la traditionnelle pyramide des âges deviendra à l’avenir un véritable «champignon des âges» (fig. 1) [2].
Figure 1: Evolution démographique de la population en Suisse entre 1910 et 2050 (prévision). Axe horizontal: nombre de personnes; axe vertical: âge des personnes. La figure montre une évolution qui s’observe d’une manière générale dans la plupart des pays industrialisés: la pyramide des âges devenant un «champignon des âges» (matériel graphique: © Office fédéral de la statistique [OFS] 2017. Les scénarios de l’évolution de la population de la Suisse. https://www.media-stat.admin.ch/animated/chart/01pyramid/ga-q-01.03.02-dashboard.html, reproduction avec l’aimable autorisation de l’OFS).
Sur la base de cette évolution démographique, Dall TM et al. [3] ont décrit un besoin considérablement accru en prestations médicales dans certaines disciplines spécialisées, l’urologie se plaçant dans le peloton de tête.
Ce ne seront pas uniquement des domaines isolés de l’urologie qui seront concernés, mais pour ainsi dire l’intégralité du spectre de l’urologie, car la corrélation entre l’âge et l’incidence (et la prévalence) s’applique largement à l’uro-oncologie [4], à l’urologie fonctionnelle [5, 6], ainsi qu’à l’andrologie [7, 8]. Ainsi, au tournant du millénaire, la proportion des prestations urologiques globales en fonction des différentes classes d’âge s’élevait déjà à bien plus de 60% dans le groupe d’âge des plus de 65 ans [9].

Un traitement gériatrique-urologique interdisciplinaire est requis

Afin de pouvoir couvrir ce besoin accru en prestations médicales pour cette classe d’âge dans le domaine de l’urologie, une extension et une réorientation des offres seront incontournables. Ce faisant, les structures de soins devront répondre aux besoins médicaux spécifiques de cette population. A côté du problème urologique «unidimensionnel», le contexte global, tenant compte de toutes les dimensions de la santé (physique, psychique, cognitive, fonctionnelle et sociale), joue un rôle beaucoup plus central que dans une population plus jeune. Il n’est donc pas uniquement question de la problématique de la multimorbidité, mais aussi en substance de ses répercussions sur les dimensions de la santé qui sont pertinentes pour les personnes âgées et leur permettent de mener une vie indépendante et autodéterminée.
Les besoins particuliers des personnes âgées dans le domaine de l’urologie concernent l’ensemble de la chaîne de traitement. Ainsi, la pose correcte de l’indication pour une intervention et la planification thérapeutique ne peuvent par ex. pas uniquement s’appuyer sur une stratification du risque classique. Il est impé­ratif d’intégrer des syndromes gériatriques supplémentaires, tels que la cognition, la fragilité et l’alimentation, qui constituent tous des facteurs de risque indépendants d’issue défavorable après des interventions [10–13]. Les instruments d’évaluation gériatrique et l’expertise gériatrique peuvent apporter une aide judicieuse aux urologues pour le «case finding» et, outre les aspects techniques de l’intervention, ils forment une base essentielle pour la discussion et la réflexion, souvent longues, avec le patient et ses proches autour des objectifs et souhaits thérapeutiques réalistes [14].
La nécessité d’un traitement gériatrique-urologique ­interdisciplinaire de cette population est donc évidente. Contrairement à d’autres pays [15], cette nécessité a pourtant uniquement été reconnue au cours des dernières années en Suisse [16, 17], et seules quelques structures de soins correspondantes ont été mises en place [18]. La coopération gériatrique-urologique a pour objectif la détermination optimale et individualisée d’un concept de traitement global, en partant de l’évaluation préopératoire, de la pose de l’indication et de la planification d’un concept de traitement et de suivi, tout en évitant le sur-traitement mais aussi le sous-traitement.
Mais comment cela peut-il concrètement fonctionner? Le triage débute à la consultation urologique et est assuré par les urologues eux-mêmes, dès lors qu’une mesure interventionnelle est envisagée chez des patients âgés. Dans la littérature, il n’existe malheureusement aucun instrument de triage simple à utiliser dans l’urologie gériatrique, qui puisse permettre de déterminer avec fiabilité quel patient individuel se prête le mieux à une consultation uro-gériatrique préopé­ratoire ou à un parcours thérapeutique commun. Néanmoins, certains facteurs, tels que la complexité ou le risque de l’intervention, l’évaluation globale de l’état général et de la fonctionnalité, l’autonomie au quotidien, les comorbidités, la polypharmacie, l’état nutritionnel, la présence de troubles cognitifs, le nombre d’hospitalisations au cours des 12 derniers mois et les antécédents de troubles confusionnels, fournissent des renseignements essentiels pour un triage adéquat en vue d’une évaluation gériatrique approfondie [15]. Cette évaluation préopératoire permet d’identifier les facteurs de risque de complications au cours du traitement, mais aussi d’apprécier les ressources. Elle peut permettre de détecter des problèmes de santé qui doivent être corrigés avant l’intervention. Ces informations complémentaires ainsi obtenues sont en outre prises en compte dans la pose de l’indication basée sur des considérations techniques, et elles la remettent en question ou, au contraire, la soutiennent. Il est possible d’élaborer un plan de traitement commun, incluant éventuellement aussi l’option que l’intervention urologique envisagée ne soit finalement pas réalisée en raison d’un risque démesuré et que des alternatives conservatrices soient établies. Dans le cas d’une intervention, outre l’hospitalisation à proprement parler, il convient aussi d’emblée d’inclure la phase postopératoire et d’en discuter en amont avec toutes les personnes concernées (par ex. retour au domicile planifié ou encore réadaptation gériatrique précoce). Au moyen des examens gériatriques préliminaires, il est également possible de diviser la population en groupes de performance ou de risque (sain et alerte; limité et vulnérable; fragile et faible) [12]. Pour toutes les activités périopératoires gériatriques, l’objectif principal est non seulement d’obtenir un résultat urologique parfait, mais également d’éviter la mortalité cardiovas­culaire, les états confusionnels, les infections et la détérioration fonctionnelle. Au cours de l’hospitalisation, la prise en charge déterminée en préopératoire est vérifiée en incluant le gériatre et, si nécessaire, adaptée. Ainsi, le modèle de soins gériatrique-urologique inclut pour l’essentiel des patients électifs, mais au demeurant, sa logique et son mode d’action sont très semblables à ceux des modèles de soins établis en traumatologie gériatrique. Ces modèles de soins, eux aussi basés sur la coopération, ont montré leurs effets positifs sur différents paramètres relatifs au devenir des patients, ainsi qu’un bon rapport coût-efficacité [19]. D’après notre propre expérience, la collaboration très intensive établie depuis 2014 entre l’urologie et la ­gériatrie dans les hôpitaux municipaux zurichois Triemli et Waid (incluant entre autres une consultation gériatrique-urologique interdisciplinaire préopératoire, la présence d’un spécialiste en gériatrie lors des visites durant l’hospitalisation et le transfert postopératoire précoce des patients vers une réadaptation gériatrique précoce) pour le traitement des patients âgés s’est avérée extrêmement utile.

Discussion

Comme dans d’autres disciplines interventionnelles, la mutation démographique est également une réalité dans le domaine de l’urologie et elle la concerne tout particulièrement. Il y a un besoin non seulement d’un plus quantitatif, mais également d’une optimisation qualitative. Il faut tenir compte des besoins spécifiques des patients âgés. Cela oblige les urologues à repenser la planification thérapeutique, qui doit à la fois inclure la pose de l’indication, la prise en charge périopératoire et le suivi. Comme cela a déjà été montré dans la traumatologie gériatrique, la médecine gériatrique représente un partenaire essentiel pour atteindre l’objectif d’un plan thérapeutique individualisé et interdisciplinaire. En ­parallèle, il sera tout aussi important dans les années à venir de mener des recherches pour acquérir des preuves solides concernant cette population de patients.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Correspondance:
Dr méd. Martin H. Umbehr
Klinik für Urologie
Stadtspital Triemli Zürich
Birmensdorferstrasse 497
CH-8063 Zürich
martin.umbehr[at]triemli.zuerich.ch
 2 Office fédéral de la statistique. Les scénarios de l’évolution de la population de la Suisse. https://www.media-stat.admin.ch/animated/chart/01pyramid/ga-q-01.03.02-dashboard.html.
 3 Dall TM, Gallo PD, Chakrabarti R, West T, Semilla AP, Storm MV. An aging population and growing disease burden will require a large and specialized health care workforce by 2025. Health Aff (Millwood). 2013 Nov;32(11):2013–20.
 5 Milsom I, Abrams P, Cardozo L, Roberts RG, Thüroff J, Wein AJ. How widespread are the symptoms of an overactive bladder and how are they managed? A population-based prevalence study. BJU Int. 2001 Jun;87(9):760–6.
 6 Irwin DE, Milsom I, Hunskaar S, Reilly K, Kopp Z, Herschorn S, et al. Population-based survey of urinary incontinence, overactive bladder, and other lower urinary tract symptoms in five countries: results of the EPIC study. Eur Urol. 2006 Dec;50(6):1306–14.
 7 Travison TG, Shabsigh R, Araujo AB, Kupelian V, O’Donnell AB, McKinlay JB. The natural progression and remission of erectile dysfunction: results from the Massachusetts Male Aging Study. J Urol. 2007 Jan;177(1):241–6.
 8 Araujo AB, Esche GR, Kupelian V, O’Donnell AB, Travison TG, Williams RE, Clark RV, McKinlay JB. Prevalence of symptomatic androgen deficiency in men. J Clin Endocrinol Metab. 2007 Nov;92(11):4241–7.
 9 Etzioni DA, Liu JH, Maggard MA, Ko CY. The aging population and its impact on the surgery workforce. Ann Surg. 2003 Aug;238(2):170–7.
10 Cohen HJ, Smith D, Sun CL, Tew W, Mohile SG, Owusu C, et al. Cancer and Aging Research Group. Frailty as determined by a comprehensive geriatric assessment-derived deficit-accumulation index in older patients with cancer who receive chemotherapy. Cancer. 2016 Dec 15;122(24):3865–72.
11 Rodin MB, Mohile SG. A practical approach to geriatric assessment in oncology. J Clin Oncol. 2007 May 10;25(14):1936–44.
12 Mohile SG, Xian Y, Dale W, Fisher SG, Rodin M, Morrow GR, Neugut A, Hall W. Association of a cancer diagnosis with vulnerability and frailty in older Medicare beneficiaries. J Natl Cancer Inst. 2009 Sep 2;101(17):1206–15.
13 Beck S. Perioperative Risikostratifizierung geriatrischer Patienten bei nichtkardialen Eingriffen. Z Gerontol Geriat. 2014;47:90–4.
14 Beck S. Multidimensionales geriatrisches Assessment als klinischer Zugang zummultimorbiden Patienten im Spital. Praxis. 2012;101(25):1631–7.
15 Drach GW1, Griebling TL. Geriatric urology. J Am Geriatr Soc. 2003 Jul;51(7 Suppl):S355-8.
16 Schmid H-P, Münzer T. Urologische Eingriffe bei Hochbetagten: Warum nicht? Wann doch? Hausarzt Praxis, 11:1. 2016
17 Umbehr MH, Nardi M, Beck S, Grob D, Müntener M. Geriatrische Urologie. Der informiert Arzt_07_2016.
19 Prestmo A, Hagen G, Sletvold O, Helbostad JL, Thingstad P, Taraldsen K, Lydersen S, Halsteinli V, Saltnes T, Lamb SE, Johnsen LG, Saltvedt I. Comprehensive geriatric care for patients with hip fractures: a prospective, randomised, controlled trial. Lancet. 2015 Apr 25;385(9978):1623–33.