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Déjà avant qu’une maladie psychotique ne se déclare véritablement, il existe des anomalies comportementales typiques. Lorsque celles-ci sont correctement évaluées, le diagnostic peut être posé à temps et le traitement peut être initié précocement. Cet article montre comment les professionnels qui ont le premier contact avec les personnes à risque de psychose peuvent améliorer concrètement l’évolution clinique et le pronostic.
Contexte
La schizophrénie et les autres troubles psychotiques comptent parmi les causes d’invalidité les plus fréquentes chez les jeunes adultes à l’échelle mondiale [1] et représentent environ un quart des nouvelles rentes chez les sujets âgés de 25 à 29 ans en Suisse [2]. Bien que l’évolution des symptômes soit jugée favorable dans env. 40% des cas, les patients présentent souvent des limitations fonctionnelles persistantes, y compris après un traitement pharmacologique réussi [3]; la rémission des symptômes s’accompagne uniquement d’un rétablissement suffisant du niveau fonctionnel psychosocial chez un patient sur sept [4].
Il est connu depuis longtemps qu’un traitement en temps opportun aux stades précoces améliore l’évolution clinique et fonctionnelle des troubles psychotiques, prévient les conséquences négatives, telles que l’isolement social, le chômage et le sans-abrisme, et réduit le risque de mise en danger de soi-même et d’autrui [5]. Dans les années 1990, le dépistage et le traitement précoces des psychoses ont été introduits dans des centres spécialisés à l’échelle mondiale grâce au développement de critères fiables pour l’identification des personnes à risque accru de psychose [6]. Cet article de revue résume les principaux concepts, notions et recommandations pour le dépistage et le traitement précoces des troubles psychotiques.
Prévention des psychoses
La notion de prévention englobe un vaste spectre d’approches différentes, allant de la prévention universelle (s’adressant à la population générale) à la prévention sélective (s’adressant aux personnes avec une prédisposition accrue à une maladie) et à la prévention indiquée (s’adressant aux personnes présentant déjà des signes précoces d’une maladie) [7]. A l’heure actuelle, les deux premières approches ne peuvent pas être utilisées efficacement dans la prévention des psychoses, car l’incidence d’un trouble psychotique dans la population générale est très faible et les connaissances au sujet des facteurs étiologiques sont encore insuffisantes [8].
Une prévention indiquée efficace des psychoses est devenue possible après avoir observé que la majorité des patients avec un premier épisode psychotique présentent déjà des symptômes psychiques ainsi que des limitations considérables de leur fonctionnement psychosocial plusieurs années avant que la psychose ne se déclare [6, 9], ce qui a suscité un intérêt croissant pour la description clinique des stades précoces d’une psychose. C’est ainsi qu’est née la notion de prodrome, également appelé état mental à risque («clinical high risk» [CHR] ou «at-risk mental state» [ARMS]) dans les pays anglophones, pour décrire la phase durant laquelle des symptômes prodromiques potentiels sont présents avant un premier épisode psychotique («first episode psychosis» [FEP]) [6]. Les efforts de recherche des deux dernières décennies ont permis de mettre au point un modèle de stadification théorique, qui reflète le consensus actuel concernant l’évolution précoce des psychoses [10, 11] (fig. 1). Les symptômes évocateurs d’un potentiel prodrome de psychose sont résumés dans le tableau 1.
Tableau 1: Indices devant amener à orienter le patient vers un centre spécialisé de dépistage précoce des psychoses. |
Modifications du comportement social sans raison identifiable, par ex. retrait social, comportements étranges, «changement de personnalité» |
Intérêt excessif pour des sujets inhabituels, surnaturels, ésotériques, philosophiques, religieux, etc. |
Changements au niveau de la perception, du cours et du contenu de la pensée ou des capacités cognitives, qui sont subjectivement perçus comme pénibles par la personne (voir aussi tableau 2, symptômes de base) |
Troubles de la pensée (par ex. méfiance, idées de persécution ou idées de grandeur) ou de la perception (illusions, hallucinations, troubles du moi), qui sur-viennent plus fréquemment et inquiètent la personne ou affectent son comportement (voir aussi tableau 3, symptômes d’ultra-haut risque) |
Troubles de la pensée formelle, subjectifs ou objectivables, de survenue nouvelle |
Baisse des performances chez des personnes ayant une prédisposition génétique à la schizophrénie |
Diagnostic du risque et du premier épisode psychotique – «best practice»
Afin de permettre une évaluation fiable du risque de manifestation psychotique ultérieure, deux approches ont été élaborées méthodiquement dans les années 1990 pour la définition et les critères de l’état mental à risque: le concept de symptômes de base et le concept d’ultra-haut risque («ultra-high-risk» [UHR]) [9].
Concept de symptômes de base
Le concept de symptômes de base se réfère aux altérations précoces («prodrome précoce») et perçues subjectivement en particulier de la cognition et de la perception, qui sont perçues par le patient lui-même en amont d’une psychose. L’évaluation des symptômes de base se fait au moyen des entretiens semi-structurés «Schizophrenia Proneness Instrument – Adult Version» (SPI-A) pour les adultes [12] et «Schizophrenia Proneness Instrument – Child and Adolescent Version» (SPI-CY) pour les enfants et les adolescents [13] (tab. 2).
Tableau 2: Symptômes pertinents pour la définition d’un état mental à risque avec symptômes de base, d’après les «Schizophrenia Proneness Instruments» (SPI-A et SPI-CY). L’identification au moyen de ces instruments de deux groupements («clusters») de symptômes est considérée comme prédictive d’une évolution psychotique ultérieure [69]: (a) symptômes de base cognitifs («cognitive disturbances» [COGDIS]): présence d’au minimum 2 des symptômes 1–9 au cours des 3 derniers mois; (b) symptômes de base cognitivo-perceptifs («cognitive-perceptive disturbances» [COPER]): au minimum 1 des symptômes 5–14 sur une durée de plus de 12 mois. |
Critères généraux |
Pour être qualifiés de symptômes de base, les symptômes doivent: • être vécus en pleine conscience comme une déviation par rapport à l’état normal et • être associés à une souffrance subjective. |
L’accent est mis sur le vécu subjectif; une observation par des tiers n’est pas nécessaire. |
Symptômes de base pertinents pour le diagnostic |
1. Incapacité à scinder l’attention entre deux tâches simples (par ex. noter quelque chose durant une conservation téléphonique ou écouter la radio durant la conduite automobile) |
2. Trouble de la perception des symboles: concrétisme |
3. Focalisation sur des détails optiques: l’attention est captée par des détails optiques, certains objets ou détails semblent sortir du lot |
4. Trouble du langage expressif: la personne a le sentiment de ne plus pouvoir s’exprimer de façon aussi précise qu’autrefois ou de ne plus trouver les bons mots |
5. Interférence des pensées: le cours des pensées ou la concentration sont interrompus par des pensées, qui (contrairement aux ruminations) sont futiles, insignifiantes et sans connotation émotionnelle |
6. Bousculement des pensées: irruption soudaine de nombreuses pensées sans liens entre elles ou désordonnées |
7. Blocage des pensées: sensation subjective soudaine de pensées vides ou d’interruption des pensées |
8. Trouble du langage réceptif: difficulté subjective à suivre des conservations ou textes simples |
9. Tendances à l’autoréférence: idées de référence fugaces, que la personne identifie comme irréalistes immédiatement après leur apparition |
10. Persévérance compulsive: absorption excessive et dérangeante par des pensées émotionnellement neutres auxquelles la personne ne parvient pas à mettre fin |
11. Trouble de la discrimination entre les représentations et les perceptions ou entre les contenus de l’imagination et de la mémoire |
12. Déréalisation |
13. Troubles de la perception optique, par ex. changements de la perception au niveau du visage ou de la silhouette d’autres personnes ou de son propre visage, modifications de la perception des couleurs, du mouvement, de l’éloignement, de la forme et de la taille des objets |
14. Troubles de la perception auditive: modifications de l’intensité ou de la qualité des perceptions auditives |
Concept d’ultra-haut risque (UHR)
Les critères d’UHR ont initialement été développés afin de déceler un risque psychotique imminent au cours des 12 mois suivants («prodrome tardif»). Ils comprennent (a) des symptômes psychotiques atténués (SPA), (b) des symptômes psychotiques limités intermittents et brefs («brief limited intermittent psychotic symptoms» [BLIPS]) et (c) le critère de risque génétique avec une chute de performances concomitante [14, 15] (tab. 3). Les instruments les plus connus et les plus répandus à l’échelle mondiale pour l’évaluation de l’état d’UHR sont le «Structured Interview of Prodromal Syndromes» (SIPS) [14] et le «Comprehensive Assessment of At-Risk Mental States» (CAARMS) [15]. Ces instruments emploient des opérationnalisations différentes mais néanmoins semblables des critères d’UHR.
Tableau 3: Critères pour la définition d’un état d’ultra-haut risque (UHR) et de la transition psychotique/première manifestation de psychose au moyen des instruments «Structured Interview of Prodromal Syndromes» (SIPS) et «Comprehensive Assessment of At-Risk Mental States» (CAARMS). | |
Critères généraux | Définition |
Symptômes pertinents pour le diagnostic | Contenus inhabituels des pensées: humeur perplexe et délirante, troubles du moi, télépathie, idées prévalentes (superstition, philosophie, religion, politique), idées somatiques, nihilistes ou de culpabilité, idées de référence |
Méfiance/idées de persécution, par ex. idée d’être exclu, observé ou poursuivi | |
Idées de grandeur, par ex. idée d’être particulièrement talentueux ou doué, plans et objectifs irréalistes | |
Déviations au niveau de la perception, illusions, hallucinations | |
Langage désorganisé, par ex. monologue, digressions, mode de pensée et de parole étrange, blocages des pensées, relâchement associatif ou distraction | |
Symptômes induits par des substances | Les symptômes présentant une forte corrélation temporelle avec la consommation de substances psychotropes ne sont pas pris en compte pour le diagnostic d’un état d’ultra-haut risque |
Etat d’ultra-haut risque | |
Symptômes psychotiques atténués (SPA): présence de symptômes pertinents pour le diagnostic sous forme atténuée. La sévérité est définie sur la base de la souffrance subjective, de la répercussion sur la vie quotidienne et de l’attribution d’une signification ou de l’ampleur de la perte du sens des réalités. | |
Exemples | Idées qui divergent clairement des normes culturelles (par ex. convictions superstitieuses ou philosophiques) mais qui influencent peu le comportement |
Idées (par ex. idées de persécution, de référence ou de grandeur) qui ne sont pas faciles à abandonner, mais toutefois encore avec un scepticisme intact ou une ouverture vis-à-vis des preuves ou avis contraires | |
Changements des perceptions qui inquiètent la personne, mais qui sont toutefois reconnues comme irréelles | |
Hallucinations qui sont perçues comme potentiellement réelles par la personne, qui peut toutefois encore être amenée à douter | |
Complexité du langage, monologues, stéréotypies verbales, etc. avec difficulté résultante à en venir aux faits, mais une structuration du dialogue par l’interviewer (par ex. par des questions courtes) est néanmoins possible. | |
Symptômes psychotiques limités intermittents et brefs («brief limited intermittent psychotic symptoms»): présence de symptômes pertinents pour le diagnostic avec une connotation psychotique complète (voir ci-dessous pour la définition et des exemples), qui disparaissent spontanément en l’espace d’au maximum 1 semaine. | |
Risque génétique avec baisse des performances: présence d’un trouble psychotique chez des apparentés du 1er degré ou critères de trouble de la personnalité schizotypique remplis par le patient lui-même et en plus baisse significative du niveau fonctionnel social ou professionnel au cours de la dernière année. | |
Transition psychotique / première manifestation de psychose | |
Présence de symptômes pertinents pour le diagnostic avec une connotation psychotique complète, qui sont présents sur une période de plus d’une semaine à une fréquence quasi-quotidienne et ne disparaissent pas spontanément. La connotation psychotique est principalement définie au moyen de la perte du sens des réalités, pour les troubles de la pensée formelle au moyen de la réaction à la structuration du dialogue. Dans le SIPS, les symptômes fortement désorganisés ou les symptômes avec une mise en danger de soi-même ou d’autrui sont considérés comme une transition psychotique/première manifestation de psychose indépendamment de leur durée. | |
Exemples | Convictions délirantes contre lesquelles il est impossible d’amener le sujet à douter et qui affectent en général fortement le niveau fonctionnel |
Hallucinations qui sont assurément vécues comme réelles par le sujet, sont interprétées comme délirantes ou affectent clairement le comportement | |
Langage décousu, qui ne répond pas à une structuration du dialogue |
Transition psychotique
La notion de transition désigne le développement pour la première fois d’un épisode psychotique franc chez des patients CHR. Les instruments diagnostiques mentionnés ci-dessus contiennent des critères «cut-off» pour la définition de la transition sur la base de la fréquence, de la durée et de l’intensité des symptômes (tab. 3).
Valeur du diagnostic d’un risque psychotique accru? Evolution et pronostic
D’après des méta-analyses récentes, la probabilité de transition s’élève à env. 36–37% en présence d’un état de CHR répondant aux critères décrits ci-dessus; la plupart des cas de transition se produisent au cours des 2 à 3 premières années après la constatation d’un risque psychotique accru [6, 9] et se soldent le plus souvent par le diagnostic d’un trouble du spectre schizophrénique [16].
Ainsi, d’après les chiffres ci-dessus, les patients CHR présentent certes un risque nettement accru de développer des troubles psychotiques par rapport à la population générale, mais la majorité de ces patients (environ les deux tiers) ne développeront pas un tel trouble. Les instruments de dépistage de l’état de CHR se caractérisent par une sensibilité élevée (96%), mais par une spécificité uniquement modérée (47%) [17], et leur intérêt réside dès lors davantage dans l’exclusion d’un développement psychotique futur que dans la prédiction d’une transition [18]. Par ailleurs, un déclin des taux de transition chez les patients CHR s’est esquissé au cours des dernières années [19] et il ne peut pas uniquement s’expliquer par le traitement précoce [20]. Il a été suggéré que le risque de transition en déclin représente un «effet de dilution» lié à une utilisation trop fréquente du concept de CHR chez des groupes de personnes inappropriés [19]. Ainsi, l’Association européenne de psychiatrie recommande dans ses lignes directrices sur le dépistage précoce des psychoses de déterminer le risque de psychose uniquement chez les personnes sollicitant de l’aide, qui se présentent avec des troubles psychiques ou souhaitent clarifier leur risque actuel en présence d’une prédisposition génétique ou autre [9].
Particularités du dépistage précoce chez les enfants et les adolescents
Chez les jeunes enfants, les symptômes psychotiques, tels que les hallucinations auditives, surviennent à une prévalence élevée (env. 9%), mais ces symptômes n’ont bien souvent pas la moindre pertinence clinique et disparaissent spontanément avec le temps [21]. Dans une étude récente sous forme d’enquête téléphonique, une prévalence ponctuelle élevée des SPA, de l’ordre de 13,8%, a été constatée chez les adolescents, mais dans la plupart des cas, la fréquence de ces symptômes n’atteignait pas le seuil diagnostique de risque accru de psychose [22]. Dans ce contexte, la prudence est de mise lors de la détermination du risque de psychose chez les patients mineurs. Il est recommandé que les résultats soient interprétés et communiqués par des spécialistes expérimentés dans le dépistage précoce des troubles psychotiques chez les adolescents [21]. Avec l’âge, les symptômes d’une psychose s’apparentent de plus en plus à ceux chez l’adulte, mais l’évolution peut toutefois être fluctuante chez les adolescents [23]. Au vu de la complexité de ce trouble et du diagnostic exigeant durant l’adolescence, les offres de dépistage précoce prévoyant une continuité thérapeutique jusqu’à l’âge de jeune adulte représentent une composante essentielle de la prise en charge psychiatrique.
Facteurs prédictifs d’une transition psychotique
Compte tenu des limitations mentionnées ci-dessus du dépistage du risque psychotique, les recherches se sont fortement concentrées au cours de la dernière décennie sur l’identification de variables ou de combinaisons de variables pouvant contribuer à l’amélioration de la prédiction d’une transition psychotique future ou de l’évolution clinique chez les patients individuels. De nombreuses études ont évalué dans quelle mesure certaines combinaisons de symptômes à haut risque sont associées à une probabilité particulièrement accrue de transition. Bien que les résultats disponibles présentent une certaine variabilité, il existe certaines concordances. Ainsi, on estime qu’il existe une probabilité accrue de transition en cas d’intensité accrue des symptômes de risque [24], ainsi que lorsqu’à la fois les critères d’UHR et de «cognitive disturbances»(COGDIS) [25] sont remplis.
Des variables supplémentaires provenant de différents domaines, comme par ex. les données sociodémographiques, les performances cognitives, l’imagerie et l’électrophysiologie [6, 26], peuvent contribuer à améliorer la prédiction. Plusieurs études actuelles se sont fixées pour objectif de permettre des évaluations individualisées de la probabilité de transition chez des individus à haut risque en analysant de grandes quantités de données multicentriques par le biais d’algorithmes d’apprentissage informatiques [27–29].
Transition: pas le seul paramètre pertinent
Autrefois, le suivi de l’évolution chez les patients à haut risque se focalisait sur la transition psychotique. Des études récentes ont néanmoins indiqué que d’autres paramètres étaient tout aussi judicieux et pertinents pour le traitement. Des études conduites chez des patients à haut risque n’ayant pas développé de trouble psychotique ont montré qu’au moins un tiers de ces patients présentaient à long terme des SPA persistants ou récidivants [30, 31] La plupart des patients sans transition psychotique souffraient en outre de troubles psychiques non psychotiques, notamment de troubles affectifs, de troubles anxieux ou de troubles de dépendance [31, 32], et présentaient à long terme des déficits fonctionnels par rapport aux contrôles sains [33]. Ces observations revêtent une grande pertinence pour le traitement: il a été suggéré que les SPA peuvent dans de nombreux cas constituer un signe de maladies psychiques très prononcées, telles que les troubles dépressifs et anxieux [34], dans quel cas le traitement de la maladie principale pourrait également aboutir à la rémission du risque accru de psychose.
Traitement en cas d’état mental à risque et de première manifestation de psychose
Comme déjà mentionné, les patients CHR présentent également d’autres problèmes psychiques et altérations psychosociales prononcés, indépendamment du fait qu’ils développent ou non une psychose par la suite. Par conséquent, l’intervention préventive indiquée à ce stade a pour but non seulement de prévenir ou retarder une transition psychotique, mais également de traiter les troubles psychiques comorbides, tels que la dépression, l’anxiété et l’abus de substances, et de prévenir ou d’améliorer les altérations fonctionnelles psychosociales [11, 35, 36].
Après la transition psychotique, les objectifs thérapeutiques sont tout aussi multiples: réduction de la durée de la psychose non traitée; optimisation des actions du traitement médicamenteux; amélioration du bien-être général, de la fonctionnalité et des compétences sociales; réduction du fardeau dans le cercle familial; traitement de l’abus de substances comorbide; prévention secondaire d’une évolution se détériorant [11].
Les programmes d’intervention précoce spécialisés poursuivent les objectifs mentionnés ci-dessus par le biais de leur approche multidisciplinaire et d’offres de traitement intégratives (liste des centres en Suisse disponible sur www.swepp.ch). En effet, une intervention spécialisée réduit de manière avérée le risque de transition chez les patients CHR [37]; en cas de FEP, les programmes d’intervention précoce spécialisés contribuent à la diminution de la durée de la psychose non traitée [5] et réduisent les taux de traitements stationnaires et de placements involontaires [38]. Dès lors, plusieurs lignes directrices nationales et internationales reconnaissent les centres d’intervention précoce spécialisés en tant que partie intégrante du traitement en cas de psychoses débutantes [35, 36, 39].
Question fondamentale: débat autour du bénéfice-risque
Le concept de dépistage et d’intervention précoces dans le cadre des psychoses soulève également des objections, notamment concernant les risques associés à un traitement inutile par antipsychotiques et à une stigmatisation accrue des patients, dont la majorité ne développera pas de trouble psychotique [40]. Les opposants à ce point de vue soulignent que (a) une (auto-)stigmatisation existe en général déjà avant la première présentation en psychiatrie et retarde effectivement la sollicitation d’une aide professionnelle [40, 41]; (b) environ 20% des patients CHR sont déjà traités par antipsychotiques au moment où ils sont adressés à un centre spécialisé, ce qui va à l’encontre des recommandations des lignes directrices [42]; (c) les patients CHR trouvent leurs symptômes plus stigmatisants que leur diagnostic [43]. Ils argumentent donc qu’à la fois la stigmatisation et le sur-traitement médicamenteux résultent davantage des préjugés et de la désinformation que de la communication des résultats et du traitement [40, 41]. Un dépistage et un traitement précoces spécialisés pourraient même réduire ces risques, à condition que les limites du diagnostic prédictif soient reconnues et que les éventuels traitements aient pour objectif non seulement la prévention de la transition, mais également un soulagement des symptômes et une amélioration de la fonctionnalité.
Interventions psychologiques
Les interventions psychologiques dans le cadre d’une première manifestation psychotique englobent divers éléments, qui peuvent être proposés individuellement ou en groupe. Outre une équipe avec un système de «case manager» composée de différents groupes professionnels, la coopération avec le patient, non seulement concernant la psychopathologie et la médication mais aussi concernant les thèmes quotidiens, financiers, professionnels et interpersonnels, revêt une grande importance [44]. Les thèmes d’un abus de substances et d’une possible suicidalité doivent également être traités. Font aussi partie intégrante de la démarche thérapeutique les offres de psychoéducation et l’implication intensive de la famille. Souvent, une thérapie cognitivo-comportementale, un entraînement des compétences sociales et des mesures de soutien professionnel sont proposés en plus [11, 44]. Dans l’esprit d’une aide de proximité, les contacts avec le patient ne sont parfois pas organisés à la clinique, mais plutôt dans son environnement personnel.
Les interventions psychologiques chez les patients CHR comprennent généralement les mêmes éléments d’une offre que ceux chez les patients présentant un premier épisode psychotique. Sur la base d’un modèle vulnérabilité-stress, un objectif central du traitement réside dans l’élaboration d’une compréhension cognitive des symptômes psychotiques ou pseudo-psychotiques existants [45]. Il est essentiel de communiquer sur le rôle des divers facteurs de stress ayant un impact aggravant sur les symptômes existants, y compris les troubles cognitifs de la pensée (par ex. troubles de la cognition sociale ou du traitement de l’information). Il en découle ainsi les aspects suivants en tant qu’axes essentiels du traitement des patients CHR: diminution des facteurs de stress et amélioration des ressources de «coping», ainsi que modification des croyances dysfonctionnelles au sujet de la survenue des symptômes, de soi-même et des autres personnes [46, 47].
Des offres d’intervention spécifiques, telles que les programmes de thérapie cognitive comportementale ou familiale pour les patients CHR, ont été utilisées avec succès dans le traitement des patients CHR; toutefois, d’après une méta-analyse actuelle [48], il n’est pas encore clair si ces interventions spécifiques sont plus efficaces en termes de rémission des symptômes qu’un traitement usuel axé sur les besoins.
Traitement pharmacologique
Patients CHR
Dans les études cliniques, différents antipsychotiques atypiques se sont avérés efficaces pour la réduction des taux de transition chez les patients CHR. Des méta-analyses actuelles montrent toutefois que les interventions psychologiques sont équivalentes au traitement médicamenteux par antipsychotiques à la fois concernant la prévention des transitions [36, 48], la réduction des SPA [49, 50] et l’amélioration du niveau fonctionnel [36]. Qui plus est, il convient de garder à l’esprit que les SPA présentent avec le temps des taux de rémission élevés (60–70%), et ce indépendamment du traitement [32, 51]. Les lignes directrices internationales [35, 36] recommandent dès lors comme traitement de premier choix l’approche la moins restrictive, à savoir les interventions psychologiques, chez les patients à risque psychotique accru. D’après les lignes directrices, un traitement par antipsychotiques devrait uniquement être envisagé après échec de l’intervention psychologique ou chez les patients avec symptômes CHR sévères ou progressifs [35, 36]. Dans ces cas également, les antipsychotiques doivent être utilisés sur une durée limitée dans une optique de stabilisation clinique et d’augmentation de l’efficacité des interventions psychologiques; une administration prophylactique à long terme d’antipsychotiques n’est pas recommandée [36].
Au-delà des antipsychotiques, d’autres médicaments ou neuroprotecteurs se sont révélés prometteurs pour le traitement des patients CHR. Les modulateurs des récepteurs NMDA D-sérine et glycine ont été employés avec succès dans le traitement des symptômes positifs et négatifs [52, 53]. Des études naturalistes ont en outre montré que les antidépresseurs pouvaient être efficaces dans la prévention des transitions psychotiques [54, 55]. Toutefois, les preuves disponibles pour ces approches ne sont pas encore suffisantes pour pouvoir émettre une recommandation fiable dans les lignes directrices. Les anciennes données positives publiées au sujet des acides gras oméga-3 [56, 57] n’ont malheureusement pas pu être confirmées dans une nouvelle étude randomisée et contrôlée [58, 59].
Patients avec une première manifestation de psychose
Contrairement aux patients CHR, les antipsychotiques représentent le traitement de premier choix chez les patients avec un premier épisode de psychose [60]. Au début, il est néanmoins possible d’envisager une période d’observation sans antipsychotiques d’une durée de quelques jours à des fins diagnostiques, tout en administrant des benzodiazépines pour soulager la souffrance [61].
Les patients avec une première manifestation de psychose se distinguent des patients chroniques avec schizophrénie à plusieurs égards, de sorte que des recommandations séparées pour la pratique clinique s’appliquent concernant le traitement médicamenteux de ces patients. Ainsi, les antipsychotiques atteignent une efficacité cliniquement pertinente chez env. 80% des patients avec première manifestation de psychose, ce qui est bien plus élevé que chez les patients chroniques [62]. D’un autre côté, les patients aux stades précoces de la maladie présentent une susceptibilité accrue vis-à-vis des effets indésirables par rapport aux patients chroniques [63]. En conséquence, la plupart des lignes directrices internationales recommandent, compte tenu de l’absence actuelle de données indiquant des différences d’efficacité sensibles entre les préparations, de tenir compte du profil d’effets indésirables et des souhaits du patient lors du choix de l’antipsychotique [60]. Les antipsychotiques atypiques sont privilégiés en raison de leur profil d’effets indésirables plus favorable [60]. Par ailleurs, il convient d’utiliser la dose minimale efficace; les lignes directrices de la «Deutsche Gesellschaft für Psychiatrie und Psychotherapie, Psychosomatik und Nervenheilkunde» (DGPPN) fournissent des recommandations concrètes pour le dosage des antipsychotiques en cas de FEP [64].
Bien qu’env. 20% des patients ne développent qu’un seul épisode psychotique au cours de leur vie, les preuves disponibles indiquent clairement que l’administration prophylactique d’antipsychotiques au cours des 2 premières années suivant un premier épisode psychotique confère une protection avérée contre la survenue de nouveaux épisodes [65, 66]. Ainsi, la poursuite du traitement antipsychotique durant 1 à 2 ans est recommandée après un premier épisode psychotique [60].
Problème de la consommation de cannabis
Bien qu’il n’existe pas encore de preuve univoque d’une causalité, des études épidémiologiques ont montré à plusieurs reprises un lien entre une consommation régulière ou importante de Δ9-tétrahydrocannabinol (THC) et un risque accru de psychose (y compris au-delà des effets de l’intoxication aiguë), en particulier en cas d’interaction avec des facteurs génétiques, de consommation de variétés de cannabis très puissantes et de début de consommation au début de l’adolescence [67, 68]. Au vu de ces preuves, les patients avec risque psychotique accru ou première manifestation de psychose devraient être encouragés à essayer d’atteindre une abstinence de cannabis ou du moins une réduction du THC.
Perspectives
Les 20 dernières années ont uniquement marqué la fin d’une phase initiale dans la recherche chez les patients à risque clinique élevé. Cette première phase a été exceptionnellement productive, a apporté de nombreuses nouvelles connaissances au sujet des mécanismes déclencheurs des psychoses et a contribué de manière déterminante à la naissance de centres d’intervention précoce clinique. La phase de recherche suivante dans ce domaine est actuellement caractérisée par de grandes études, qui incluent plusieurs centres et pas seulement des centres individuels et dans lesquelles des données des diverses modalités de recherche sont intégrées. De cette façon, des connaissances pour les patients individuels (et pas uniquement pour des groupes de patients) peuvent être générées au moyen d’algorithmes d’apprentissage informatiques, et des progrès supplémentaires peuvent être accomplis pour la prise en charge des patients.
Informations et ressources pour les médecins, les personnes touchées et les proches
– «Swiss Early Psychosis Project» – informations pour les professionnels et liens vers les centres de dépistage et traitement précoces en Suisse: www.swepp.ch (DE/FR/EN)
– «Basel Early Psychosis Service»« (BEATS) – informations générales sur les troubles psychotiques et sur leur dépistage et traitement précoces, ainsi que conseils pour les proches: https://beats.medizin.unibas.ch (DE/EN)
– «Programme Traitement et Intervention Précoce dans les troubles Psychotiques»» (TIPP) – matériel et brochures d’information pour les professionnels au sujet des troubles psychotiques et bipolaires débutants: www.chuv.ch/fr/psychiatrie/dp-home/en-bref/projets-de-developpement/programme-tipp/ (FR)
– Zürcher Impulsprogramm zur nachhaltigen Entwicklung in der Psychiatrie (ZINEP) – informations générales sur les troubles psychotiques et bipolaires et leur dépistage précoce, checklist de dépistage précoce
L’essentiel pour la pratique
Orientation des patients – diagnostic – interprétation des résultats – information des patients
• Un diagnostic du risque psychotique devrait uniquement être proposé aux personnes sollicitant de l’aide, qui présentent des symptômes psychiques ou un risque génétique.
• Le diagnostic d’un risque accru de psychose repose sur des critères concrets élaborés méthodiquement et requiert dès lors une évaluation par un professionnel expérimenté dans ce domaine.
• (Seul) environ un tiers des patients avec risque accru de psychose développent une psychose par la suite, en général en l’espace de 2–3 ans.
• Chez les enfants et les adolescents, la probabilité de développement psychotique est plus faible que chez les adultes.
Traitement
• Des interventions destinées à réduire les éventuels symptômes de dépression et d’anxiété et un abus de substance, ainsi qu’un soutien psychosocial, devraient être proposés à tous les patients.
• Chez les patients avec risque accru de psychose, les antipsychotiques devraient uniquement être envisagés après échec de l’intervention psychologique ou chez les patients avec symptômes sévères ou progressifs, conformément aux lignes directrices.
• Chez les patients avec un diagnostic avéré de première manifestation de psychose, les antipsychotiques (généralement atypiques) à faible dose représentent le traitement de premier choix.
• L’orientation rapide vers un centre d’intervention précoce spécialisé est indiquée, car ces centres sont capables d’améliorer le devenir clinique chez les patients avec risque accru ou première manifestation de psychose et sont recommandés dans les lignes directrices internationales.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
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Prof. Dr méd.
Stefan Borgwardt
Department of Psychiatry (UPK) Basel
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