Que se cache-t-il derrière la grippe?
Le diagnostic clinique peut être difficile

Que se cache-t-il derrière la grippe?

Übersichtsartikel AIM
Édition
2019/1112
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.08066
Forum Med Suisse. 2019;19(1112):181-186
Data Supplement
08066_fr_Appendix.pdf

Affiliations
a Centre National de Référence de l’Influenza, Hôpitaux Universitaires de Genève; b Laboratoire de Virologie, Hôpitaux Universitaires de Genève;
c Faculté de médecine de l’Université de Genève.
Les deux auteurs ont contribué à part égale à la réalisation de cet article.

Publié le 13.03.2019

Cette revue a pour but d’aider à mieux comprendre la biologie des virus de la grippe et d’illustrer le besoin impératif de meilleurs vaccins et antiviraux.

Introduction

L’influenza, ou grippe, est une maladie virale aiguë des voies respiratoires survenant par vagues épidémiques hivernales. Dans plus d’un cas sur trois, l’infection est pauci-symptomatique ou se traduit par un syndrome respiratoire sans toutes les caractéristiques de la grippe classique. En cas de présentation typique, celle-ci se caractérise par l’apparition soudaine d’une constellation de symptômes comprenant de la fièvre, une toux sèche, des myalgies, des arthralgies, des céphalées, des frissons, une anorexie, une asthénie, une pharyngite et/ou une rhinite [1]. Ces symptômes traduisent l’atteinte ­respiratoire supérieure et la présence d’une éventuelle trachéobronchite. S’associent parfois des signes moins typiques comme des troubles gastro-intestinaux tels des diarrhées et des nausées avec ou sans vomissements, plus fréquents chez les enfants [1, 2]. Les patients âgés peuvent ne présenter qu’un état confusionnel et/ou une asthénie sans autres symptômes. Le type de symptômes ainsi que leur intensité peut varier consi­dérablement suivant l’hôte (âge, statut immunitaire, immunité préalable naturelle ou vaccinale, comorbi­dités, polymorphismes génétiques) et la souche d’influenza. Les symptômes surviennent après une phase d’incubation de deux jours en moyenne et s’estompent dans les cinq jours qui suivent sans nécessiter de traitement spécifique. Toutefois une toux irritative ainsi que l’asthénie peuvent persister pendant plus de 10 jours même en l’absence de surinfection bactérienne. A noter que d’autres virus infectant les voies respiratoires peuvent évoquer un état grippal (e.g. virus respiratoire syncytial, adénovirus, rhinovirus). Il convient donc d’en tenir compte dans le diagnostic différentiel.
On estime que les individus infectés sont contagieux 24 heures avant l’apparition des premiers symptômes et le restent tant qu’ils excrètent du virus infectieux; soit entre 5 et 7 jours après le début des symptômes. La phase d’excrétion virale peut être allongée (>15 jours) chez les enfants, les personnes âgées et les patients ­immunodéprimés, ceci même en présence d’un traitement antiviral. Bien que plus fréquentes chez les in­dividus dits à risque, telles les personnes âgées de ≥65 ans, les patients immunosupprimés, les femmes enceintes ou accouchées, les malades chroniques (e.g. diabète, insuffisance rénale chronique) les nourrissons et les prématurés jusqu’à l’âge de deux ans, des complications liées à l’influenza peuvent également survenir chez des personnes en bonne santé [3]. Parmi les complications les plus fréquentes, on note les surinfections bactériennes (principalement Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae, ou Staphylococcus aureus) et l’exacerbation d’une pathologie pulmonaire sous-jacente telle que l’asthme, la bronchite chronique et l’insuffisance cardiaque. Les pneumonies bactériennes sont considérées comme une des principales causes de mortalité associée à la grippe [1]. Une trachéobronchite peut également se manifester chez l’enfant [1]. La pneumonie virale avec invasion du parenchyme est une complication rare mais grave. Les atteintes cardiaques et musculaires ainsi que le syndrome de Guillain-Barré sont des complications secondaires en partie liées à la réponse immunitaire [3].

Les virus

Les virus de la grippe se divisent en quatre types, respectivement nommés A, B, C et D (voir tableau S1 de l’annexe en ligne). Ce sont des virus enveloppés appartenant à la famille des Ortho­myxoviridæ. Les épidémies de grippe saisonnière sont dues aux virus de l’influenza A et B.
Les virus influenza A sont classés en sous-types suivant les caractéristiques génétiques et antigéniques de leurs protéines majeures de surface, nommées hémagglu­tinine et neuraminidase. L’hémagglutinine permet l’attachement du virus au récepteur présent sur les cellules hôtes, l’acide sialique (i.e. la clé d’entrée). La liaison au récepteur provoque l’internalisation de la particule ­virale dans des vésicules intracellulaires, nommées ­endosomes. L’acidification progressive de ces derniers déclenche une modification structurelle de l’hémagglutinine permettant la fusion de l’enveloppe virale avec la membrane endosomale, conduisant à la libé­ration du génome viral dans le cytoplasme. La neuraminidase, grâce à son activité enzymatique, permet le détachement des virus ayant bourgeonné à la surface de la cellule hôte (i.e. la voie de sortie). Il existe 16 ­hémagglutinines et 9 neuraminidases présentes chez les oiseaux sauvages, le réservoir des virus influenza A, mais seuls quelques sous-types ont franchi la barrière des espèces engendrant des épidémies/pandémies chez l’homme, parmi lesquels A/H1N1, A/H1N2, A/H2N2 et A/H3N2. Depuis 1977, les sous-types A/H1N1 et A/H3N2 co-circulent pendant les épidémies de grippe. Les virus de l’influenza B sont, quant à eux, classés en deux lignées nommées B/Victoria/2/87 et B/Yama­gata/16/88.

Transmission

Les virus de l’influenza pénètrent dans l’hôte via les muqueuses des voies respiratoires supérieures. Des infections des muqueuses oculaires sont également possibles pour certaines souches [4]. La transmission se fait par les gouttelettes et les aérosols produits par une personne infectée lors de toux et d’éternuements; ainsi que par contact avec des surfaces contaminées, notamment via les mains. La transmission des virus de l’influenza est un processus multifactoriel, impliquant des facteurs environnementaux (hygrométrie et température), liés à l’hôte (statut immunitaire, comportement individuel et sociétal) et liés à la souche de virus et l’origine de celle-ci (animale versus humaine). Ceux-ci sont distincts et particuliers à chaque foyer épidémique [1].

Epidémiologie: impact de la maladie

Bien que présente tout au long de l’année dans les régions tropicales et subtropicales, la grippe survient chaque année par vagues épidémiques dans les hé­misphères nord et sud. En Suisse, l’épidémie de grippe débute généralement au mois de janvier pour atteindre son pic mi-février et finalement se terminer vers la fin du mois de mars. Le nombre de personnes touchées, les taux d’hospitalisation et de mortalité dus à la grippe varient de saison en saison en fonction de la population susceptible, la nature des virus circulants, ainsi que de l’adéquation des souches vaccinales par rapport à ces derniers. Une morbidité plus élevée est souvent observé lors d’épidémies à A/H3N2. 5–10% des adultes et 20–30% des enfants, en particuliers ceux en âge scolaire, contractent une infection grippale chaque année. Selon l’Office Fédéral la Santé Publique (OFSP), entre 1,4 et 3,4% de la population suisse consulte un médecin de premier recours pour une suspicion d’influenza. En Suisse, 1000 à 5000 séjours hospitaliers annuels sont imputables à des complications dues à la grippe, mais ce sont des chiffres dérivés d’estimations car il n’existe pas de surveillance directe dans les hôpitaux. Une issue fatale est à déplorer chez 291 000 à 646 000 personnes dans le monde chaque année [5]. Selon une étude de modélisation récente, en Suisse, on déplorerait un taux annuel de mortalité excédentaire due à la grippe de 0,3, 4,8 et 33,4 pour 100 000 habitants chez les <65 ans, 65–74 ans et ≥75 ans respectivement [5]. Une étude canadienne récente met également en évidence une association entre l’infection à influenza et la survenue d’infarctus du myocarde [6].

Risque épidémique: virus humains et aviaires

Les virus de l’influenza évoluent très rapidement par émergence de mutations. L’accumulation de ces mu­tations (dérive antigénique) dans les gènes de l’hémagglutinine et de la neuraminidase, les deux protéines majeures ciblées par les anticorps neutralisants produits par le système immunitaire, est responsable de l’évolution annuelle du virus (fig. 1A). Cette dérive impose la nécessité d’adapter chaque année les souches vaccinales d’influenza utilisées pour la fabrication du vaccin saisonnier (fig. 2).
Figure 1: Processus évolutifs des virus de l’influenza. A) Dérive antigénique. Accumulation au fil du temps de mutations dans le génome du virus, en particulier dans les segments codant pour les protéines de surface, engendrant une variation mineure de l’antigénicité de celles-ci. B) Cassure antigénique. Echange (réassortiment) d’un ou plusieurs gènes d’une souche virale par un ou plusieurs gènes équivalents provenant d’une autre souche virale d’origine non humaine. PB1: protéine basique 1. PB2: protéine basique 2. PA: protéine acide. PB1, PB2 et PA sous les sous-unités de la polymérase virale ARN-­dépendante. ARN: acide ribonucléique. NP: nucléoprotéine. RNP: ribonucléoprotéine correspondant au complexe NP-ARN. HA: hémagglutinine. NA: neuraminidase. M1; ­protéine de matrice qui forme la capside virale. M2: canal ionique. NEP: protéine d’export nucléaire.
Figure 2: Adaptation des souches vaccinales au fil du temps. Au cours des 15 dernières années la dérive antigénique des 4 souches d’influenza saisonnières a abouti à la nécessité d’adapter presque annuellement les souches vaccinales. Etoile rouge: émergence de la souche pandémique A/H1N1pdm09 suite au réassortiment de souches humaines, porcines et aviaires dans l’hôte intermédiaire porcin. La souche A/H1N1pdm09 (carré jaune) a totalement remplacé la souche A/H1N1 dite saisonnière (losange orange). Jusqu’en 2012 seuls les vaccins trivalents étaient disponibles, la souche d’influenza B contenue dans ceux-ci appartenant tantôt à la lignée B/Yamagata/16/88 (cercle bleu), tantôt à la lignée B/Victoria/2/87 (cercle violet).
Outre les épidémies de grippe saisonnière annuelles, le risque inhérent à cette famille de virus est l’avènement d’une pandémie (voir tableau S2 de l’annexe en ligne) qui peut être particulièrement dévastatrice en termes de morbidité, de mortalité et d’impact socio-économique. Par définition une pandémie de grippe est la conséquence d’un nouveau sous-type d’influenza A, provenant du monde animal, ayant acquis une capacité de transmission interhumaine efficace. Les segments génomiques des sous-types d’influenza A sont connus pour être capables de «réarrangements». Cet échange et assemblage de novo de génomes d’origines différentes peut engendrer des souches virales infectant l’humain mais pour lesquelles la population est immunologiquement naïve. Ce processus évolutif des virus de l’influenza A est nommé la cassure antigénique (fig. 1B) [1].
Plusieurs sous-types d’influenza A aviaire sont des ­candidats potentiels à une pandémie. En 2018, les virus aviaires des sous-types A/H5N1 et A/H7N9, responsables de multiples infections sporadiques chez l’homme, font l’objet d’une surveillance particulière. Ces virus, tout comme d’autres grippes dites zoonotiques, nécessitent un contact étroit et prolongé avec les animaux infectés, le plus souvent la volaille, et se transmettent de manière inefficace entre individus. Bien que les infections par le virus A/H5N1 soient ­majoritairement originaires de Chine, plusieurs autres pays d’Asie ainsi que l’Egypte et le Nigéria ont également été touchés. Malgré leur restriction géographique et leur transmission peu efficiente, ces virus sont des ­candidats pandémiques sérieux nécessitant une surveillance constante afin d’identifier au plus tôt une éventuelle transmission interhumaine efficace et ainsi éviter l’émergence d’une pandémie[1].

Surveillance

De part le fardeau humain et économique que représente chaque année la grippe saisonnière, l’OMS édicte régulièrement, en collaboration avec d’autres institutions internationales et nationales, des recommandations pour la surveillance des virus influenza humains et zoonotiques circulant dans le monde. La surveillance mondiale se caractérise par le recueil et l’analyse de données concernant les souches virales circulantes provenant de Centres Nationaux pour l’Influenza localisés dans divers pays du monde, ceci dans le but de déterminer lesquelles seront le plus à même de circuler la saison à venir et qui devraient de ce fait être inclues dans le vaccin antigrippe saisonnier.
Pendant la saison de grippe les pays participant au ­recensement des cas présentant des symptômes grippaux et/ou une infection à influenza confirmée communiquent leurs données épidémiologiques et viro­logiques de manière hebdomadaire à l’OMS. En Suisse cette tâche est assurée depuis 1986 par le système de déclaration Sentinella (sentinella.ch). Celui-ci est composé de plus de cent cabinets médicaux répartis dans tout le pays qui participent volontairement à la dé­claration des patients consultant pour une suspicion d’influenza définie comme une fièvre d’apparition ­soudaine (≥38 °C) accompagnée de toux ou/et de maux de gorge, en l’absence d’un autre diagnostic; le système se concentre donc sur une définition classique de la grippe qui ne représente qu’une partie de la réalité. Une partie des médecins déclarants envoient également des échantillons nasopharyngés prélevés chez leurs patients avec suspicion de grippe au Centre National de Référence de l’Influenza pour confirmation, ­caractérisation génétique et phénotypique des souches d’influenza circulant dans la popu­lation. A noter qu’en Suisse, les laboratoires privés et hospitaliers ont l’obligation de déclarer toutes les infections par influenza détectées.

Diagnostic

Le diagnostic d’une infection à influenza peut se faire par examen des symptômes et signes cliniques en période épidémique. Il s’agit encore souvent du seul «outil» diagnostic utilisé en cabinet; bien que sa sensibilité et sa spécificité soient variables et peu optimales, en particulier chez les très jeunes enfants, les personnes âgées ou les sujets avec des comorbidités (tab. 1) [1, 7, 8]. Un diagnostic de certitude requiert donc des tests plus sensibles et plus spécifiques reposant sur l’identification du virus ou de ses composants par diverses méthodes (tab. 2). Les tests moléculaires reposant sur la détection du génome viral, tels la réaction de polymérase en chaîne (PCR), sont très sensibles et spécifiques mais sont couteux, requièrent des instruments sophistiqués et du personnel qualifié. Ceux-ci sont indiqués pour des laboratoires mais inadaptés pour des cabinets privés, bien que les technologies se simplifient. Pour ces derniers des alternatives plus abordables et faciles d’utilisation existent, notamment les tests rapides de type «point of care» (POCT) pouvant reposer sur la détection de l’antigène, ou, pour les plus récents, également sur la détection du génome viral (tab. 2).
Tableau 1: Pouvoir prédictif des symptômes «types» de l’influenza en période de haute prévalence de la maladie (adapté de [23]).
SymptômesSensibilité (%)Spécificité (%)
Fièvre68–86;(34)25–73;(91)
Toux84–98;(53-66)7–29;(56–77)
Myalgies60–94;(45-46)6–38;(81–83)
Céphalées70–91;(44-68)11–43;(57–79)
Frissons83;(46)25;(82)
Malaise73;(57)26;(78)
Maux de gorge75–84;(40-58)16–33;(36–81)
Rhinite68–91;(47)19–41;(50)
Entre parenthèses: pourcentage pour les patients de ≥60 ans uniquement.
Tableau 2: Différentes méthodes pour le diagnostic de la grippe.
MéthodesSensibilité/
spécificité (%)1Remarques
Culture virale conventionnelle ou rapideEnv. 80/100Peu utilisée en diagnostic car demande du temps et des compétences spécifiques.
Détection du 
génome viral (PCR)2>95/>99Test de référence; coût élevé.
Test rapide 
antigénique350–80/99Peu coûteux, mais moins sensible que la PCR («polymerase chain reaction»), surtout chez l’adulte. Meilleure sensibilité chez les enfants.
1 Diverses variantes commerciales ou semi-commerciales existent pour chaque méthode, les ­sensibilités et spécificités peuvent varier en conséquence.
2 A noter qu’une nouvelle génération de test PCR, dit rapides, offrent des avantages en termes de ­sensibilité et spécificité comparables à celles des tests PCR «d’ancienne génération» mais à moindre coût. Ceux-ci sont une bonne alternative aux tests rapides antigéniques lorsque le volume d’échantillons à analyser est faible. Ils sont considérés comme POCT («Point-of-care testing»).
3 POCT
Les sites de prélèvement de prédilection pour la recherche des virus influenza sont les voies respiratoires, notamment le frottis nasopharyngé. La procédure pour la collecte d’un échantillon nasopharyngé de bonne qualité est disponible sur le site web: www.hug-ge.ch/laboratoire-virologie/realisation-frottis-nasopharynge. En général le virus est restreint au système respiratoire; il n’y a pas de dissémination dans l’organisme. Dans l’idéal les échantillons respiratoires devraient être prélevés dans les trois à sept jours suivant le début des symptômes. En cas de pneumonie virale le virus influenza peut être détecté plus longtemps dans les voies respiratoires inférieures que dans les voies respiratoires supérieures.

Prévention et traitement

Des informations importantes en matière de pré­vention de la grippe sont disponibles sur le site: www.sevaccinercontrelagrippe.ch.

Hygiène et isolement [9]

Les mesures d’hygiène classiques telles que de limiter les contacts avec autrui au strict nécessaire lorsque l’on est malade, se couvrir le nez et la bouche lors que l’on éternue ou tousse, se laver au savon ou se désinfecter régulièrement les mains sont une première barrière à la transmission des infections virales respiratoires. Ces mesures font partie intégrante des messages diffusés lors de campagnes de prévention de la grippe dans la communauté. Dans le contexte d’un établissement de soins (i.e. hôpitaux, établissement medico-sociaux [EMS]) des mesures additionnelles telles que le port d’un masque médical adapté [10] et, lorsque possible, l’isolement des personnes symptomatiques ont également démontré leur efficacité.

Vaccination

Outre les mesures d’hygiène, la vaccination annuelle contre la grippe reste le moyen le plus efficace de se prémunir contre cette maladie; pour autant que la composition du vaccin soit concordante avec les souches circulantes. En effet, le vaccin contre la grippe saisonnière ne protège pas contre les virus antigéniquement distincts des souches vaccinales. L’efficience vaccinale est variable suivant la population et les types/sous-types d’influenza circulant pendant la saison [11, 12]. La vaccination offre une protection directe à l’individu vacciné mais aussi indirecte à son entourage privé et professionnel. Celle-ci est recommandée aux personnes ayant un risque accru de complications ainsi qu’aux personnes qui sont régulièrement en contact avec ces dernières, à savoir le personnel médical, soignant et paramédical mais également le personnel des crèches, des centres de jour et des EMS [3]. Certaines composantes de l’immunité conférée par le vaccin étant limitées dans le temps, et le seuil épi­démique étant ­généralement atteint fin-décembre ­début-janvier, la période idéale de vaccination se situe entre la fin-octobre et la mi-novembre. Il faut compter une quinzaine de jours post-vaccination pour que la protection soit effective. A noter que la vaccination ­devrait être reconduite chaque année afin de garantir une bonne protection. Certaines études suggèrent qu’une vaccination répétée pourrait engendrer une baisse de l’efficience vaccinale, notamment chez les adolescents [13], alors que cela ne serait pas le cas chez les personnes âgées de plus de 65 ans [14]. Ce sujet est débattu et mérite donc des investigations attentives.
Le taux de vaccination contre la grippe dans la population suisse est faible (14% pour 2017/18). Celui-ci est plus élevé chez les individus pour qui la vaccination est recommandée tels les personnes âgés de plus de 64 ans (32%), les individus souffrant de maladies chroniques (25%) et le personnel de santé (20%) mais reste bien en dessous de 75% recommandés par l’OMS. Parmi les personnes travaillant régulièrement avec des personnes appartenant à un groupe à risque, seules 7% sont vaccinées contre la grippe (OFSP-Bulletin 32, 06.08.18).
Il existe différents types de vaccins disponibles en Suisse (tab. 3) mais tous contiennent une souche A/H1N1, A/H3N2 et B (fig. 2). Ceux-ci sont recommandés pour les adultes et les enfants dès 6 mois. Seuls les vaccins ­tétravalents possèdent une souche pour chacune des deux lignées d’influenza B. Ce dernier ne peut être administré que dès 36 mois. Un seul vaccin adjuvanté est disponible actuellement en Suisse, le Fluad®. Celui-ci est spécifiquement destiné aux adultes de plus de 65 ans. Contrairement au vaccin contre la grippe pandémique de 2009 (Pandemrix®), le Fluad® ne contient pas l’ad­juvant AS03 mais le MF59C. Ce dernier n’a jamais été associé avec des cas de narcolepsie [15]. Les effets secondaires réactogéniques attribués aux vaccins contre la grippe sont similaires à la plupart des vaccins admi­nistrés par voie intramusculaire ou sous-cutanée profonde [3]. La grossesse et l’allaitement ne constituent pas de contre-indications à la vaccination. De plus le risque de développer une maladie sévère et des complications consécutivement à une infection grippale sont fortement accrues chez la femme enceinte et le nouveau-né. Une seule étude, parmi les nombreux articles et le deux revues systématiques traitant de ce sujet, montre une corrélation entre la vaccination avec un vaccin contenant l’antigène A/H1N1 qui circule depuis 2009 et un risque d’avortement spontané au cours des 28 jours suivant la vaccination, ceci lorsque la femme enceinte a été vaccinée avec ce même antigène au cours de la saison précédente [16]. Plusieurs études mettent en évidence la protection du nouveau-né par les anticorps maternels produits suite à la vaccination de la mère pendant la grossesse. Cette protection peut atteindre 85% pendant les deux premiers mois de vie puis diminue progressivement à 30% à six mois [17].
Tableau 3: Vaccins contre la grippe disponibles en Suisse.
Type de vaccin+Nom du produitRemarques
Vaccins sous-unitaires1Influvac® 
Fluad®Avec adjuvant MF59C, ≥65 ans
Vaccins dits «fragmentés»2Mutagrip® 
Vaxigrip Tetra®Dès 6 mois• ­Vaccins tétravalents
• ­Contiennent une deuxième souche du type B
Fluarix Tetra®Dès 36 mois
Tous les vaccins disponibles en Suisse sont inactivés.
1 Vaccins purifiés, contiennent uniquement l’hémagglutinine et/ou la neuraminidase virales comme antigènes, exempts de protéines virales internes.
2 Vaccins composés des particules virales fragmentées, les protéines de surface et internes présentes.
+ Production dans les œufs de poule fécondés.
A noter que la disponibilité des différents vaccins peut varier chaque saison, consulter le site: 
https://www.infovac.ch/ pour de plus amples informations.

Antiviraux

Seules deux classes d’antiviraux sont disponibles en Suisse pour le traitement spécifique de l’influenza, (1.) les inhibiteurs de la neuraminidase (oseltamivir et zanamivir: seuls licenciés en Suisse; peramivir et laninamivir), (2.) les inhibiteurs de la protéine de matrice 2 (adamantanes), voir tableau 4.
Tableau 4: Utilisation des antiviraux actifs sur les virus influenza A et B chez l’adulte [1].
+AntiviralVoiePosologieIntentionDisponibilité
OseltamivirPer os#2 × 75 mg/jour ­pendant 5 joursTraitementDisponible en Suisse
#75 mg pendant 7–10 jours et peut-être prolongé jusqu’à 12 semainesProphylaxie
ZanamivirPer os
(poudre à inhaler)
20 mg/jour pendant 5 joursTraitementDisponible en Suisse
10 mg/jour pendant 7–10 jours pouvant être prolongée jusqu’à 28 joursProphylaxie
Intraveineuse2 × 600 mg/jour pendant 5 joursTraitementPlus ­disponible en Suisse
PeramivirIntraveineuse600 mg en dose uniqueTraitementJapon, Chine, Corée du Sud, USA, Europe; pas ­disponible en Suisse
LaninamivirPer os
(poudre à inhaler)
2 × 20 mg/20 mg, prise uniqueTraitementJapon; 
pas ­disponible en Suisse
20 mg/jour pendant 2 joursProphylaxie
Baloxavir 
marboxilPer os80 mg en dose unique, 40 mg entre 40–<80 kgTraitementJapon, USA, Canada; 
pas ­disponible en Suisse
$AdamantanesPer os#200 mg/jour pendant 5 jours, jusqu’à 6 semaines si prophylaxieTraitement et prophylaxieAmantadine disponible en Suisse
+ A réserver aux personnes à risque ou en cas de complications.
# Adapter au taux de clairance de la créatinine.
$ Uniquement actif sur influenza A. Utilisation limitée et non-recommandée car >99% des virus ­circulants résistants suivant les régions.
Bien que couramment utilisés pour le traitement de l’influenza A et B, les bénéfices des inhibiteurs de la neuraminidase pour prévenir les complications sont ­limités. D’un côté plusieurs revues systématiques récentes ne tenant souvent compte que des résultats d’essais cliniques contrôlés et randomisés, suggèrent qu’un traitement à l’oseltamivir et/ou au zanamivir réduit de quelques heures le temps de résolution des symptômes, mais a un impact limité sur le nombre d’hospitalisations et ne réduit pas la mortalité due à une infection avec l’influenza A/H1N1pdm09 [18]. Il est important de mentionner, que la plupart de ces études ont été conduites chez des adultes en bonne santé et peu chez les enfants, personnes âgées et individus à risque de complications suite à une infection à influenza. De l’autre côté, un nombre non négligeable d’études observationnelles, de cohorte ou rétrospectives, menées sur des patients hospitalisés suggèrent un bénéfice d’un traitement aux inhibiteurs de la neuraminidase non seulement en termes de résolution des symptômes mais également dans la réduction de la durée d’hospitalisation, du taux d’admission aux soins intensifs, du risque de complications et de décès [19, 20]. Un aspect sur lequel tous les experts s’accordent est que le trai­tement devrait être initié le plus tôt possible suivant l’apparition des premiers symptômes. En conclusion, l’oseltamivir est un antiviral imparfait qui n’a pas été testé de manière contrôlée chez des patients hospita­lisés avec une complication. Son utilisation doit être ­réservée aux personnes à risque.
De nombreuses mutations de résistance aux inhibiteurs de la neuraminidase peuvent être observées chez les virus de l’influenza A et B. Une des mieux décrites étant la mutation H275Y chez les virus A/H1N1 et A/H5N1. L’émergence de résistances aux inhi­biteurs de la neuraminidase est variable suivant les types et sous-types de virus mais également suivant les régions géographiques et les «époques». Bien que la plupart des virus influenza A et B circulant actuellement soient sensibles au inhibiteurs de la neuraminidase, quelques virus présentant une sensibilité réduite sont mis en évidence chaque saison, en général sélectionnées chez des individus traités et souvent immunsupprimés.
En 2018, le Ministère de la Santé publique japonaise ainsi que la «Food and Drug Administration» ont approuvé l’utilisation du baloxavir marboxil, un inhibiteur de l’endonucléase (PA) de l’influenza A et B (tab. 4). Selon les données disponibles, ce dernier offrirait des bénéfices cliniques comparables à ceux de l’oselta­mivir. L’efficacité du baloxavir marboxil n’a pas encore été démontrée chez les sujets hospitalisés. A noter que des mutations de résistance on également été mises en évidence pour cet antiviral [21].
De nombreuses autres molécules ciblant soit le virion (anticorps monoclonaux), des facteurs de l’hôte, une des sous-unités de la polymérase virale sont en cours de développement et/ou d’expérimentation clinique pour le traitement de l’influenza. Parmi les plus prometteuses actuellement on trouve le favipiravir (in­hibiteur de la polymérase virale, déjà homologué au ­Japon depuis 2014 pour le traitement de la grippe), le ­pimodivir (inhibiteur de PB2) et l’umifenovir (inhibiteur de fusion) [22].

L’essentiel pour la pratique

• La grippe se présente souvent avec un syndrome respiratoire en l’absence des tous les signes classiques d’une «vraie» grippe. De ce fait, le diagnostic clinique peut être difficile.
• La sensibilité et spécificité limitées des tests rapides basés sur la détection de l’antigène limitent leur usage chez l’adulte; la détection des acides nucléiques est la méthode de référence.
• Exceptionnellement, la grippe peut sévir en dehors de sa période de circulation habituelle. Ces infections estivales sont le plus souvent importées par des voyageurs et n’engendrent pas ou peu de cas secondaires.
• Les virus de la grippe mutent rapidement et la protection induite par la vaccination est limitée dans le temps, d’où la nécessité d’une vaccination annuelle même si les souches vaccinales restent inchangées.
• Le vaccin reste à ce jour le meilleur moyen de prévention. Si un traitement antiviral est considéré, il doit être institué rapidement et réservé aux sujets à haut risque de complication ou avec présentation sévère.
L’annexe est disponible en tant que document séparé sur https://doi.org/10.4414/fms.2019.08066.
Nous tenons à remercier chaleureusement le Dr Guy Boivin, professeur titulaire au Département de microbiologie-immunologie et infec­tiologie de la Faculté de médecine de l’Université Laval, ainsi que le Dr ­Samuel Cordey, chercheur en virologie fondamentale et trans­lationnelle au Laboratoire de Virologie des Hôpitaux Universitaires ­Genevois, pour leurs conseils et suggestions lors de la rédaction de la présente revue.
Les auteurs auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr Ana Rita Gonçalves,
PhD,
directrice technique et opérationnelle
Centre National de
Référence de l’influenza
Rue Gabrielle-Perret-Gentil 4
CH-1211 Genève
agnv[at]hcuge.ch
 1 Paules C, Subbarao K. Influenza. The Lancet. 2017;390(10095):697–708.
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