Les thèmes de la consultation d’éthique
Coup d’œil dans les coulisses

Les thèmes de la consultation d’éthique

Übersichtsartikel
Édition
2019/1112
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.08078
Forum Med Suisse. 2019;19(1112):187-191

Affiliations
Abteilung Klinische Ethik, Universitäre Psychiatrische Kliniken Basel, Universitätsspital Basel

Publié le 13.03.2019

Il est rare que l’on soit autorisé à jeter un œil dans les coulisses d’une consultation d’éthique: Pour la première fois en Suisse, le rideau est levé.

Contexte

Cette étude [1] se base sur deux hôpitaux universitaires de Bâle, l’hôpital universitaire de Bâle (Universitäts­spital Basel, USB) et les cliniques psychiatriques universitaires de Bâle (Universitäre Psychiatrische Kliniken Basel, UPK), qui disposent d’une structure commune de soutien éthique. La direction et l’équipe centrale du département d’éthique clinique sont identiques, tandis que les autres employés, les conditions-cadres institutionnelles et les conseils d’éthiques sont différents. La consultation d’éthique (CE), outre les autres formes de soutien éthique, est pratiquée de façon ­professionnelle dans les deux établissements. En règle générale, la CE est animée par un spécialiste expé­rimenté, et un autre spécialiste dresse le procès-verbal. Cette approche en petite équipe («small team approach») est, ­selon nous, la meilleure alternative à la CE conduite par un seul spécialiste ou au comité d’éthique. Elle évite le risque de limitation à la perspective éthique d’un individu, ainsi que la crainte de la personne ­recherchant des conseils de devoir se présenter devant une «commission» impersonnelle. Dans le même temps, elle permet l’implication d’autres spécialités, notamment de personnes issues du service ­juridique ou de spécialités cliniques ou de directeurs de conscience.
Par le biais de cette étude, il est possible de jeter un «coup d’œil dans les coulisses» de la pratique de la CE, dont l’expérience ne peut sinon être faite que par les participants directs. Elle vise à présenter de façon compréhensible les déclencheurs des demandes, les contenus centraux et les résultats sur la base d’une première évaluation quantitative de 100 cas de CE. L’USB est en charge des soins somatiques aigus des patients adultes (env. 700 lits, sorties 2017: 37 891), tandis que les UPK sont responsables de la prise en charge psychiatrique de tous les groupes d’âge (env. 300 lits, sorties 2017: 3 245).

Soutien éthique – l’approche

Pour analyser un service de soutien éthique, il convient en premier lieu d’aborder ses éléments centraux. Ainsi, procédons d’abord à une brève caractérisation de l’approche bâloise des CE, telles qu’elles sont pratiquées au sein des UPK et de l’USB [2].
En règle générale, la CE a lieu à la demande des professionnels des soins dans une des deux institutions. Les demandes peuvent également émaner des patients, de leurs proches ou de leurs représentants, mais l’implication de ces derniers passe toutefois la plupart du temps par l’équipe de traitement: les traitants informent ­régulièrement les patients de la tenue, des problématiques et des résultats des CE, ils font part de leurs opinions au cours de discussions et abordent également les résultats. Cette dernière étape, celle du résultat, est d’une importance primordiale afin de préparer ou d’autoriser les décisions.
Les CE se déroulent la plupart du temps dans l’unité ayant fait la demande, ou, dans le cas d’une demande externe, par ex. d’un proche d’un patient, dans une salle de réunion neutre. Bien que la plupart des CE sollicitées aient lieu sous forme de séance unique, elles peuvent toutefois également être tenues dans le cadre d’une série de six à dix réunions successives. En règle générale, une CE dure 60 minutes.
La CE est conduite de façon professionnelle par le département d’éthique clinique financé par les cliniques universitaires USB et UPK. Les objectifs de la consultation sont souvent liés à l’examen éthique d’une situation thérapeutique. Outre les demandes définies émanant des praticiens cliniques, des objectifs généraux correspondant aux «motifs» centraux des CE sont ­également formulés: orientation en cas d’incertitude concernant une question éthique; évaluations divergentes pouvant aller jusqu’à un désaccord explicite, par exemple concernant des objectifs thérapeutiques, au sens premier des conflits éthiques (par ex. devoirs incompatibles); ou défis éthiques résultant du comportement des patients (ou des personnes de référence), par ex. lorsque la réussite du traitement est mise en péril en raison d’un refus ou d’une incapacité de coopérer [3].
L’établissement d’un consensus explicite est une mission essentielle d’une CE. Dans les situations difficiles, le consensus n’est bien souvent pas simplement «trouvé», mais il est élaboré par les personnes présentes avec l’aide de la consultation d’éthique. Une CE n’aboutit pas à une recommandation d’experts, mais à un résultat qui est consigné dans un bilan. Dans ce cadre, aucune décision relative à un traitement (ou à une autre intervention, par ex. placement) n’est déléguée à une «autorité éthique». La responsabilité des décisions thérapeutiques reste dans le cadre de l’accord entre le médecin responsable et le patient ou son représentant («shared decision making»). Une coresponsabilité incombe également au conseiller éthique quant au caractère approprié de la décision thérapeutique du point de vue éthique.
Dans le cadre de l’approche bâloise, la documentation des résultats au moyen de l’établissement de procès-­verbaux joue un rôle crucial. En règle générale, le procès-verbal est rédigé par un assistant qualifié, révisé par la personne ayant animé la séance, et, suite à la ­procédure de consultation finale, finalisé par la partie requérante puis acté. Les requérants sont tenus de remplir un questionnaire d’évaluation joint au procès-verbal. La structure du procès-verbal est décrite en détails dans un autre article [4]. Elle aide le modérateur à ne pas perdre de vue les questions pertinentes et ­permet une documentation standardisée à des fins de recherches connexes.
Les bases de l’approche bâloise sont le modèle des quatre principes de l’éthique biomédicale [5], le concept d’un changement de perspective systématique [2, 6], un modèle à différents niveaux des attitudes et de l’approche à adopter (par le conseiller) pour aborder la dimension éthique normative [7], et des éléments de l’éthique de la discussion [8]. Alors que ces composantes aident à orienter la pratique de façon principalement rationnelle ou cognitive, il existe encore une autre dimension essentielle de la CE: la nécessité de se plonger dans les tragédies humaines ou les défis existentiels, tels que le doute ou la culpabilité, sans perdre des yeux la consolation et la réconciliation.
Notre credo est que la CE ne doit pas se restreindre à une aide décisionnelle organisationnelle ou psychologique. Elle est clairement ancrée dans un contexte normativo-ethique, même si le jugement moral ou la prise de sanctions juridiques ne relèvent pas des compétences de la CE. L’activité dans le cadre de la CE est soumise au cadre juridique en vigueur, ce qui peut également impliquer un devoir d’information quant aux normes juridiques applicables (ou directives et autres corpus de règles). Dans ce cadre, il est essentiel qu’il n’y ait pas de «dominance des experts»1 et que les thèmes éthiques complexes ne soient pas réduits à la perspective juridique, c’est-à-dire à la question «punissable ou pas?». La CE ne doit pas adopter une attitude défensive mais contribuer à ce que les personnes en quête de conseils trouvent l’orientation éthique nécessaire en empruntant un chemin constructif.

L’exemple de Bâle

Pour cette étude d’évaluation, 50 cas de CE de l’UPK et 50 cas de l’USB ont été analysés (2/2012–11/2015, enquête exhaustive des 50 premiers cas respectifs). Seules des CE documentées de façon complète, prospectivement ou rétrospectivement, ont été incluses; les autres formes de soutien étique, telles que les activités axées sur le travail d’équipe ou sur l’aspect éducatif, ont été exclues. Les CE de l’hôpital universitaire pédiatrique des deux Bâle n’ont pas non plus été incluses. La base principale de l’analyse des données est constituée par les procès-verbaux standardisés: la page 1 contient la problématique définie dans la demande, ainsi qu’un ­résumé des résultats (bilan) qui se trouve également à la fin du document. Ce dernier se base sur la compilation des faits, sur les perspectives pertinentes (avant tout: patient, proches, traitants, institutions, droit, lignes directrices), ainsi que sur une analyse et une argumentation éthiques approfondies (principes, valeurs, conflits). Les étapes supplémentaires, les accords ainsi que les questions ouvertes sont consignées. Chaque séance de CE se conclut avec ce document structuré, qui comprend environ cinq pages ou plus et est en règle générale enregistré dans le dossier électronique du patient. Un questionnaire de retour d’expérience, avec des questions fermées et ouvertes, sert à l’évaluation par la partie requérante. Des catégories adaptées correspondant à des caractéristiques pertinentes de la CE ont été conçues pour l’évaluation, telles que forme, unité/profession de la partie requérante, urgence, durée, direction, nombre des participants et composition professionnelle, présence du patient / des proches / des repré­sentants, situation médicale et problématique éthique présentée, caractéristiques du patient (âge, diagnostics, traitement, etc.), problématique principale «axe éthique», autres aspects éthiques, questions fondamentales, consensus et items du questionnaire de retour d’ex­périence. Cette documentation a été analysée et catégorisée de façon systématique par deux chercheurs pour cas chaque de CE.
La prestigieuse «Encyclopaedia of Bioethics» a été utilisée en tant que système de référence indépendant pour la catégorisation des contenus éthiques [9]. Contrairement aux autres études, celle-ci fait la distinction entre un thème éthique principal (singulier) et d’autres questions éthiques [10]. Cette approche s’appuie sur le concept méthodique de l’«axe éthique» formulé pendant le déroulement d’une CE afin structurer et diriger la discussion [7]. Elle permet ainsi une priorisation (organisation) des problèmes éthiques qui doivent être traités en vue d’atteindre un résultat dans le temps imparti. L’axe éthique peut se différencier des déclencheurs de la CE présentés; en règle générale, il est formulé plus précisément et aborde explicitement des contenus éthiques. Si la question de départ, par ex., se limite à «Comment continuer?», alors l’axe éthique comprendra par ex. la question: «Une interruption des mesures de maintien en vie peut-elle être justifiée sur la base du pronostic et de la volonté présumée du patient alors que certains proches souhaitent actuellement un traitement maximal qui n’est pas très prometteur sur le plan médical?».

Caractéristiques formelles de la consultation d’éthique

Les CE sont majoritairement prospectives dans les deux cliniques (79%), ce qui signifie qu’elles préparent une décision médicale. Dans l’échantillon de l’USB, les CE ont été demandées dans la même proportion par des départements de médecine interne et de chirurgie (30% dans les deux cas), suivis par la clinique de gynécologie (26% des demandes). Dans cet échantillon, les demandes du service d’urgence (6%) ou de l’unité de soins intensifs (4%) sont moins fréquentes; dans ces domaines, le soutien éthique prend différentes autres formes.2 Dans les UPK, près de 2⁄3 des cas étaient issus de la psychiatrie adulte (60%) et environ 1⁄3 de la pédopsychiatrie et de la psychiatrie forensique (36%). Cela ­correspond à peu près à la taille des trois domaines de spécialité.
Au sein de l’USB, les CE étaient la plupart du temps demandées par des médecins (70%), mais également de plus en plus par le personnel soignant (24%). Les demandes au sein des UPK provenaient dans 44% des cas des médecins, qui étaient suivis des thérapeutes, y compris psychologues et pédagogues (22%), et du personnel soignant (22%).3 Dans les deux cliniques, les ­patients ou proches ne demandaient que rarement des CE (3% au total).
En moyenne, environ 9 personnes participent à une CE. Les patients sont assez rarement présents en personne (14%). Au sein de l’USB, les proches sont un peu plus souvent présents lors des CE (12%) qu’au sein des UPK (2%), tout en restant à un faible niveau.
Au sein de l’USB, les CE sont plus souvent soumises à une contrainte de temps que dans la psychiatrie, c’est-à-dire qu’elles sont plus souvent évaluées en tant qu’urgentes ou très urgentes par les requérants (CE demandée dans un délai de 2 jours voire 1 jour). La durée moyenne d’une CE à l’USB est en conséquence plus courte (62 min) que dans les UPK (75 min).
Les caractéristiques formelles des CE analysées sont décrites dans le tableau S1 de l’annexe en ligne.

Caractéristiques des patients4

Au sein de l’USB, les patients dont il est question dans les CE sont en moyenne bien plus âgés (49,3 ans) que dans les UPK (37,2 ans), avec une légère majorité de patients de sexe féminin (57%).
La capacité de discernement des patients est plus souvent évaluée comme étant préservée à l’USB (35%*) que dans les UPK (11%).5 La capacité de discernement est également plus rarement évaluée comme étant réduite ou incertaine (37%*) au sein de l’USB que des UPK (66%*). Dans l’ensemble, la capacité de discernement des patients est évaluée comme étant incertaine, réduite ou nulle dans 77%* de toutes les CE.
Chez les patients des CE de l’USB, le pronostic est souvent évalué comme étant incertain, mauvais ou même terminal (63,4%*). Dans les CE des UPK, le pronostic des patients est incertain dans 50%* des cas. Leur pronostic n’est pas évalué comme «terminal», et mais il est deux fois plus fréquemment évalué comme étant mauvais (26%) que comme étant bon (13%*).
Les caractéristiques démographiques et cliniques des patients en question dans les CE sont décrites dans le tableau S2 de l’annexe en ligne.

Thèmes éthiques centraux

Dans les CE de l’USB, les thèmes éthiques principaux les plus fréquemment discutés étaient le traitement en fin de vie (25%), les conflits liés à la procréation ou à la grossesse (22%) et les mesures de contrainte (20%). Les thèmes moins fréquemment traités étaient: la limi­tation du traitement (8%), la gestion des soins (6%), la capacité de discernement et l’évaluation du plan thé­rapeutique (tous deux 4%), l’allocation de ressources, le suicide assisté, les soins de longue durée et les erreurs médicales (2% à chaque fois). Les thèmes éthiques connexes étaient: la capacité de discernement (12%), la gestion des soins (10%), l’allocation de ressources et la limitation du traitement (tous deux 6%), les soins palliatifs et l’hospice, l’évaluation du plan thérapeutique (tous deux 4%), l’accès aux soins de santé, la discrimination, le traitement en fin de vie ainsi que les conflits liés à la procréation et à la grossesse (2% à chaque fois).
Dans cet échantillon, les thèmes les plus fréquemment discutés au sein des CE des UPK étaient les potentielles mesures de contrainte (34%), suivies par la gestion des soins et l’évaluation du plan thérapeutique (tous deux 20%). Les thèmes principaux moins fréquents étaient: les abus (4%), les directives anticipées et ­l’«advance care planning», le suicide assisté, les traitements en fin de vie, l’information et le consentement ainsi que la limitation du traitement (2% à chaque fois). Les thèmes éthiques connexes discutés étaient: la gestion des soins (12%), la limitation du traitement (4%), les directives anticipées et l’«advance care planning», les mesures de contrainte, la capacité de jugement et la confidentialité (2% à chaque fois).
Dans la majorité de toutes les CE (78%) de l’USB et des UPK, il s’agissait de questions éthiques en lien avec l’un des cinq thèmes suivants:

1. Mesures de contrainte (27%)
2. Traitement en fin de vie (15%)
3. Gestion des soins (15%)
4. Conflits liés à la procréation et à la grossesse (11%)
5. Evaluation du plan thérapeutique (10%)
Les principaux thèmes éthiques discutés dans les CE sont listés dans le tableau S3 de l’annexe en ligne.

Résultats des consultations d’éthique

Dans toutes les CE de l’USB – tout comme dans celles des UPK – un résultat a pu être élaboré. Ce dernier était basé sur un consensus dans 100%* des cas et, d’après le questionnaire de retour d’expérience, ce résultat a ensuite été mis en pratique (100%*). D’après les questionnaires, les CE ont été jugées utiles par tous les requérants, sans exception (100%*). Ces derniers sont très similaires à ceux des CE en psychiatrie. Ainsi, la satisfaction des requérants dans cet échantillon ne diffère pas significativement selon le contexte clinique.
Les critères de résultat sont résumés dans le tableau S4 de l’annexe en ligne.

Des données jusqu’à présent limitées

Malgré une tendance générale en faveur d’une éthique médicale empirique, les publications comportant des données sur les contenus des CE dans la pratique sont difficiles à trouver en Europe, sans parler des études qui couvrent une période complète. Pour l’évaluation des CE, il existe jusqu’à présent plus de publications ou de travaux théoriques de groupes qui ne pratiquent pas de CE eux-mêmes. La présente étude figure parmi les rares travaux pionniers provenant de groupes à Amsterdam (approche du «moral case deliberation») ou Zurich (notamment néonatologie), sachant que Bielefeld, Oslo et Bâle appliquent des formes comparables de CE dans le cadre de la prise en charge psychiatrique et somatique des patients.
Les données provenant d’Amérique du Nord sont jusqu’ici également limitées: quelques études de centres avec des formes de CE différentes qui portent sur les principaux thèmes des CE; Swetz et al. (2007) ont mentionné la capacité de décision/de discernement des patients (82%), les désaccords de l’équipe clinique concernant le plan thérapeutique (76%) et la fin de vie (60%) [10]; chez Tapper et al. (2010), ce sont les ­limitations de traitement qui jouent un rôle central (décision relative à la réanimation 46%; curatif vs. palliatif 37%; renonciation au traitement 18%), suivies par les problèmes de communication équipe-représentant-­patient (22%) et le consentement éclairé (27%) [11]. L’étude la plus récente (2016) de Wasson a également utilisé le concept de question éthique centrale (de la même façon que l’«axe éthique» bâlois) et a identifié les problématiques principales suivantes: prise de ­décision (93,6%), objectifs du traitement / des soins (80,8%), ainsi que fin de vie (73,1%) [12]. Dans un hôpital universitaire somatique tel que l’USB, des résultats très similaires étaient à escompter. Pour la psychiatrie, pratiquement aucunes données comparables n’étaient disponibles; la pratique des CE au sein des UPK de Bâle était nouvelle.

Thème central: questions éthiques concernant les mesures de contrainte

L’analyse de l’échantillon de 100 CE couvre les thèmes principaux des deux établissements: les questions éthiques concernant la fin de vie venaient en tête dans les CE somatiques et dans les UPK, il s’agissait du thème «mesures de contrainte, oui ou non?». Dans l’ensemble, les considérations éthiques concernant les mesures de contrainte constituaient le thème principal le plus ­fréquent. La réflexion éthique sur la gestion des soins et celle sur l’évaluation du plan thérapeutique occupaient les deuxièmes et troisièmes places. Les questions éthiques concernant la grossesse et la procréation assistée n’étaient présentées que dans les CE de la clinique de gynécologie (USB), mais leur nombre était toutefois considérable. Les questions éthiques concernant les mesures de contrainte constituent donc le thème central qui revêt une importance cruciale pour les deux établissements.
La sensibilité éthique ainsi que le besoin d’être conseillé concernant de potentielles mesures de contrainte méritent une attention particulière. Dans les recherches connexes aux CE, presque aucun résultat n’a été rapporté à ce sujet [13]. Une raison pouvant expliquer que ce thème ne soit pas apparu clairement dans les études des Etats-Unis pourrait être une catégorisation différente: les auteurs américains mentionnent en tant que thèmes dominants l’autonomie du patient («patient autonomy») et la compétence/capacité du patient («patient competence / capacity»), qui intègrent peut-être la question d’éventuelles mesures de contrainte. Nous considérons que le thème des mesures de contrainte est trop important pour être traité implicitement et préférons en conséquence le nommer clairement.
Dans notre contexte clinique, les questions éthiques relatives à la fin de vie continuent d’être discutées, comme le montre le résultat de l’USB. Cependant, un autre point attire désormais l’attention: une position forte affirmant l’importance du respect de l’autonomie des patients. Les traitants rencontrent des difficultés lorsqu’ils doivent traiter des patients qui d’une part ne peuvent pas prendre de décisions, et de l’autre, expriment des souhaits qui ne semblent pas autonomes ou leur nuisent considérablement. Dans de telles situations, un traitement contre le souhait d’un patient peut, dans certaines circonstances, aider à recouvrer l’autonomie de ce patient. La survenue relativement fréquente de ce thème dans les CE montre que les traitants ne se positionnent pas pour ou contre l’autonomie du patient sans exercer leur sens critique, mais s’efforcent consciemment de trouver un équilibre éthiquement défendable entre l’autodétermination et la protection contre des préjudices. Lorsqu’ils demandent une CE, cela ne signifie pas qu’ils fuient devant leur responsabilité. Au contraire, ils accordent le plus grand soin au bien du patient et à la compétence d’équipe.
Notre étude a des forces et des faiblesses. Elle livre des données riches, qui offrent de nouveaux aperçus de la pratique des CE dans la médecine universitaire suisse et se basent sur une documentation consciencieuse, encore jamais publiées auparavant. L’échantillon analysé de n = 100 est trop petit pour une analyse statistique quantitative. L’analyse des 100 prochains cas est en préparation. Il serait souhaitable que davantage de centres de consultation d’éthique clinique publient leurs données afin de susciter une discussion plus vaste, et le cas échéant, une coopération.

Perspectives

A Bâle, où l’étude a été réalisée, les CE sont vivement demandées et sont très appréciées par ceux qui en font la demande. Les questions éthiques concernant «la fin de vie» et les «mesures de contrainte», les deux problématiques les plus fréquentes dans l’échantillon de CE analysé, devraient être abordées de façon ciblée dans les programmes des formations postgraduée et continu des professionnels de santé. Les trois autres thèmes de la CE les plus abordés devraient également bénéficier d’une plus grande attention ciblée à l’avenir: les questions éthiques en lien avec la gestion des soins, l’évaluation du plan thérapeutique ainsi que la médecine obstétrique et de la reproduction.
Compte tenu des retours positifs concernant les CE, il convient de se demander si une CE ne devrait pas avoir lieu de façon routinière lorsque des mesures de contrainte sont envisagées; cette proposition est également valable pour les décisions thérapeutiques de grande portée pour les patients dont la capacité de discernement est problématique.

L’essentiel pour la pratique

• Jusqu’à présent, peu d’études d’évaluation sur les consultations d’éthique (CE) sont disponibles.
• Les thèmes centraux des CE sont les mesures de contrainte et les traitements en fin de vie. Les conflits liés à la procréation ou à la grossesse, la gestion des soins ou l’évaluation des plans thérapeutiques sont également des questions pour lesquelles des CE sont souvent sollicitées.
• L’intégration ciblée de ces thèmes dans les programmes de formation postgraduée et continue des professionnels de santé serait souhaitable.
• Le respect de l’autonomie du patient est essentiel; un équilibre éthiquement défendable entre autodétermination et protection contre des préjudices devrait être trouvé.
L’annexe est disponible en tant que document séparé sur: https://doi.org/10.4414/fms.2019.08078.
Les deux institutions offrent d’excellentes conditions de coopération et nous leur en sommes très reconnaissants. Nous remercions tous les ­services et toutes les personnes qui ont posé des demandes de CE pour leur confiance et leur engagement. Le Dr Dagmar Meyer, MAS, et le Dr Sebastian Jähne, dipl. psych., nous ont donné des commentaires précieux quant à une précédente version.
Nous remercions la rédaction du Forum Médical Suisse pour l’occasion qu’elle nous a donnée de publier nos données dans ce cadre.
Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Correspondence:
Jan Schürmann, M.A.
Abteilung Klinische Ethik
Universitäre Psychiatrische Kliniken Basel
Universitätsspital Basel
Wilhelm Klein-Strasse 27
CH-4002 Basel
jan.schuermann[at]upkbs.ch
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