Contenu principal
Les blocs atrio-ventriculaires se voient chez des patients de tous âges qui parfois se présentent au cabinet avec une symptomatologie bâtarde (fatigue, lassitude), ce qui peut en retarder le diagnostic et la prise en charge. La corrélation entre symptômes et ECG est essentielle pour poser le diagnostic, mais elle peut être longue à établir et nécessiter des ECG répétés ou de longue durée.
Introduction
Les troubles de la conduction atrio-ventriculaire (AV) sont les troubles conductifs (retard, interruption momentanée ou complète de la conduction) entre les oreillettes et les ventricules consécutifs à un obstacle anatomique ou fonctionnel. Ils sont transitoires, intermittents ou permanents, symptomatiques ou non. Ils peuvent se rencontrer sur un cœur apparemment sain, sur une cardiopathie sous-jacente ou lors d’autres pathologies. Ils peuvent enfin être provoqués ou aggravés par la prise de certains médicaments. Le praticien est fréquemment confronté dans son activité clinique à des patients souffrant de troubles de la conduction AV; si le diagnostic électrocardiographique et la prise en charge thérapeutique en sont généralement aisés, ils peuvent néanmoins parfois poser quelques difficultés.
Les blocs AV
On distingue les blocs AV du 1er, du 2e et du 3e degré (ou bloc complet), les blocs 2:1 et les blocs de haut degré.
Bloc AV du 1er degré
A proprement parler, il ne s’agit pas d’un bloc mais d’un ralentissement de la conduction puisque toutes les ondes P sinusales sont conduites aux ventricules. Il se reconnaît à l’électrocardiogramme (ECG) à un intervalle PR supérieur à 200 ms (norme: 120 à 200 ms) (fig. 1). Si l’intervalle PR est rarement prolongé chez l’adulte jeune, la prévalence du bloc AV (BAV) du 1er degré est de 5% au-delà de 70 ans. L’intervalle PR comprend le passage de la conduction électrique à travers les oreillettes, le nœud atrio-ventriculaire, le tronc du faisceau de His et ses branches et les fibres de Purkinje. Contrairement à une idée très répandue, il n’est pas uniquement le reflet de la conduction à travers le nœud AV qui, il est vrai, représente la part la plus importante de l’intervalle PR. Si dans le bloc AV du 1er degré, le retard de conduction est le plus souvent intra-nodal, il peut également siéger dans les oreillettes ou le système de His-Purkinje. Physiologiquement l’intervalle PR se raccourcit à l’effort et s’allonge lors de stimulations vagales (sommeil, repos, patient sportif).
Le BAV du 1er degré est le plus souvent asymptomatique. Toutefois, lorsque l’intervalle PR s’allonge massivement, la contraction atriale survient de façon synchrone à la contraction ventriculaire initiée par le complexe QRS précédent [1]. Cette altération de la séquence physiologique de la contraction des chambres cardiaques peut provoquer des symptômes semblables à ceux du syndrome du pacemaker (malaise, dyspnée, hypotension …).
Si l’ECG montre un PR ≥ à 300 ms suivi d’un QRS fin, le bloc est le plus souvent situé dans le nœud AV [2]. Si le bloc de 1er degré est associé à un QRS large, il peut être secondaire à un trouble de conduction infra-nodal (tab. 1).
Tableau 1: Site du bloc selon l'ECG. | ||
Bloc AV | QRS fin | QRS large |
1er degré | Le plus souvent nodal | Nodal et/ou infra-nodal |
2e degré type I (Wenckebach) | Rarement infra-nodal | Nodal plus souvent qu’infra-nodal |
2e degré type II (Mobitz) | Infra-nodal bien plus souvent que nodal | Rarement nodal |
≥2:1 | Nodal ou infra-nodal | Rarement nodal |
3e degré | Le plus souvent nodal | Le plus souvent infra-nodal |
Quant au pronostic du BAV du 1er degré, il diverge en fonction des études qui ont souvent inclus des collectifs variés: certaines d’entre-elles montrent une augmentation de mortalité ou de morbidité cardiovasculaire, d’autres non. Enfin, un sur-risque de fibrillation atriale (FA) et d’implantation de stimulateur définitif associés au BAV du 1er degré a également été rapporté [3, 4].
Bloc AV du 2e degré
Le bloc AV du 2e degré est caractérisé par le bloc occasionnel d’une onde P sinusale [2, 5].
On en distingue 2 types: le bloc AV de type I (Wenckebach), forme la plus fréquente, et le bloc de type II (Mobitz) beaucoup plus rare.
Dans sa forme typique, le Wenckebach est caractérisé par l’allongement progressif des intervalles PR avant qu’une onde P soit bloquée; l’intervalle PR qui suit l’onde P bloquée est plus court que celui qui la précède. La durée de la pause ainsi provoquée est inférieure au double de l’intervalle PP de base. Cette séquence qui se répète confère à l’ECG un aspect dit «en battements groupés» des QRS (fig. 2). Dans une grande proportion de cas, les critères décrits ci-dessus ne sont en réalité pas tous présents; on parle alors de Wenckebach atypique [2, 5]. Le Wenckebach se rencontre dans 1 à 2% des patients jeunes en bonne santé, souvent durant le sommeil.
Le bloc AV 2e degré type II (Mobitz) quant à lui, est caractérisé par l’interruption subite de la conduction AV: une onde P est bloquée sans allongement préalable de l’intervalle PR qui – contrairement au Wenckebach – reste le même après chaque onde P conduite (fig. 3). La pause incluant l’onde P bloquée équivaut à 2 intervalles PP de base. L’intervalle PR qui est fixe peut être normal ou prolongé. S’il est prolongé, le complexe QRS est souvent élargi [2, 5].
Dans le bloc AV 2e degré de type I, si les complexes QRS sont fins, le siège du bloc est le plus souvent intra-nodal. Dans le type II, le bloc est le plus souvent infra-nodal: il peut être intra-hisien si le complexe QRS est fin ou infra-hisien si le QRS est large (tab. 1). La présence d’un élargissement du complexe QRS, d’un bloc de branche ou d’une anomalie de l’axe QRS (p.ex. présence d’un hémibloc) est signe d’une atteinte infra-nodale des voies de conduction; ces altérations électrocardiographiques associées sont à prendre en compte car elles sont utiles pour déterminer le site du bloc AV (tab. 1).
Le bloc AV intra-hisien est rare; il se signale généralement par un QRS fin et une transition brusque d’une conduction 1:1 à un bloc 2:1 en tachycardie sinusale. Il est rencontré parfois lors d’une épreuve d’effort caractérisé par une cadence ventriculaire chutant brutalement de moitié. Le BAV 2e degré de type II peut évoluer vers le BAV complet.
Pour mieux situer le niveau du BAV (nodal vs infra-nodal) on utilisera également les manœuvres vagales: elles vont ralentir la conduction intra-nodale (augmentation des ondes P bloquées) mais améliorer la conduction dans les voies hisiennes car la fréquence sinusale sera ralentie (diminution des ondes P bloquées). A l’inverse, l’exercice et l’atropine vont améliorer la conduction à travers le nœud AV mais aggraver les troubles de conduction infra-nodaux.
Le BAV du 2e degré est souvent peu symptomatique et l’importance des symptômes peut varier. Le patient peut parfois noter un pouls irrégulier. Il peut se plaindre de fatigue, de dyspnée, d’angor voire de syncope si le BAV progresse subitement.
BAV 2:1
Il est défini par une onde P sinusale sur 2 bloquée (fig. 4).
En présence de complexes QRS fins, si l’intervalle PR est ≥ à 300 ms le siège du bloc est très probablement nodal mais si le PR est normal (en particulier ≤160 ms) le bloc est très probablement infra-nodal. Si les complexes QRS sont larges (en présence d’un bloc de branche par exemple), le siège du bloc est le plus vraisemblablement infra-nodal (tab. 1). Pour mieux le préciser, il faut parvenir à modifier la relation entre les ondes P et les complexes QRS pour obtenir au moins 2 ondes P successives conduites. Un ECG de longue durée peut permettre d’observer un changement spontané de la conduction. Mais parfois pour obtenir au moins 2 ondes P successives conduites et transformer la conduction 2:1 en 3:2, 4:3, on s’aidera des manœuvres vagales pour le BAV du 2e degré; l’allongement de l’intervalle PR suggère un bloc situé dans le NAV alors qu’un PR fixe suggère un bloc infra-nodal [2, 5].
L’atropine est contre-indiquée lorsque la probabilité d’un bloc infra-nodal est élevée (BAV 2:1 à QRS large; BAV 2:1 de durée prolongée, bloc AV 2e degré type I à QRS large) car elle risque d’aggraver le bloc.
BAV de haut degré
Dans le BAV de haut degré (parfois dit «du 2e degré avancé»), ≥2 ondes P sinusales successives sont bloquées mais la conduction n’est pas complétement interrompue car certaines ondes P sont conduites. La relation P: QRS peut être par exemple 3:1, 4:1.
Le niveau anatomique du bloc peut être nodal (les complexes QRS sont généralement fins) ou infra-nodal (les complexes QRS sont généralement larges) (tab. 1) [2, 5]. Dans le bloc de haut degré, l’injection d’atropine est contre-indiquée car elle peut aggraver le trouble de conduction sous-jacent; si le bloc de haut degré est mal toléré hémodynamiquement on utilisera une perfusion de dopamine (2–20 µg/kg/min) ou d’isoprénaline en attendant la mise en place d’une stimulation cardiaque transcutanée, d’une sonde de stimulation provisoire ou l’implantation d’un stimulateur définitif.
BAV du 3e degré ou complet
Il est défini par l’interruption totale de la conduction entre oreillettes et ventricules. Aucune onde P n’est conduite et il y a dissociation entre les activités sinusale et ventriculaire. Les ondes P et les QRS ont leur propre fréquence – sans rapport entre elles – et la fréquence ventriculaire (= rythme d’échappement) est inférieure à la fréquence sinusale (fig. 5). Le bloc peut être intra-nodal (le rythme d’échappement est le plus souvent à QRS fins) ou infra-nodal (le rythme d’échappement est le plus souvent à QRS larges) (tab. 1) [2]. Une fibrillation atriale à cadence ventriculaire fixe doit faire suspecter un BAV complet sous-jacent.
Le patient en BAV complet est généralement symptomatique: fatigue, dyspnée, angor, syncope.
La BAV complet est souvent mal toléré hémodynamiquement; une perfusion de dopamine ou d’isoprénaline permet en général de rétablir la situation avant l’implantation d’une sonde de stimulation provisoire ou celle d’un stimulateur cardiaque définitif.
Enfin, le bloc AV congénital est présent dans 1/10 000–15 000 naissances; il est lié à la présence d’anticorps maternels consécutifs à un lupus ou une maladie de Sjögren et le plus souvent situé dans le NAV.
Etiologie des blocs AV
L’hypertonie vagale telle qu’on la rencontre chez les grands sportifs, durant le sommeil ou lors de douleurs violentes est responsable de blocs AV du 1er degré et du 2e degré de type I physiologiques et réversibles. La fibrose/sclérose du tissu de conduction est la cause la plus fréquente dite idiopathique des troubles de conduction AV. Parmi les atteintes cardiaques responsables de troubles de la conduction AV citons: la cardiopathie ischémique, la myocardite (sarcoïdose, maladie de Lyme, lupus …), les cardiomyopathies dilatées, infiltratives (amyloïdose), les endocardites et les cardiopathies congénitales. Des formes familiales de blocs AV transmises sur un mode autosomal dominant sont également rencontrées. D’autres causes connues sont l’hyperkaliémie, les dysthyroïdies, les maladies neuromusculaires hérédo-dégénératives (maladie de Duchenne, Emery-Dreyfuss, de Becker, etc.) et les dermatomyosites.
Enfin, la prise de médicaments altérant la conduction AV doit être activement recherchée: bétabloquants, anticalciques non hydropyridiniques, digoxine, sotalol, amiodarone.
Les thérapies cardiologiques invasives peuvent avoir comme complications ou conséquences indésirables des troubles de la conduction AV: chirurgie valvulaire, remplacement valvulaire percutané, ablation de substrat arythmogène proche des voies de conduction nodo-hisienne (tachycardie nodale, faisceau accessoire, tachycardie atriale …), alcoolisation septale pour cardiomyopathie hypertrophique. Enfin, l’ablation de la jonction AV suivie de l’implantation d’un stimulateur cardiaque définitif est le traitement de dernier recours en cas de tachyarythmie atriale à cadence ventriculaire non contrôlée sous médicaments.
Exploration électrophysiologique
Lorsque l’ECG se révèle insuffisant, une exploration électrophysiologique peut être indiquée lorsque le BAV est suspecté être la cause d’une syncope ou pour déterminer le site anatomique du BAV.
Pronostic
Le pronostic du BAV est directement lié à son degré et à la pathologie sous-jacente. Les patients avec BAV avancés qui ne sont pas traités par la mise en place d’un stimulateur cardiaque définitif sont à risque de syncope et de mort subite, d’autant plus s’il existe une cardiopathie sous-jacente [1].
Prise en charge et traitement
La mauvaise tolérance hémodynamique (hypotension, état confusionnel, malaise, syncope) impose une prise en charge urgente. L’atropine 0,5 mg–1 mg i-v en est le premier traitement; elle n’est pas indiquée en cas de suspicion de bloc infra-hisien. Dans ces cas, une perfusion de dopamine (en cas d’hypotension), de dobutamine (en cas d’insuffisance cardiaque) ou d’isoprénaline sera débutée. Ces médicaments sont toutefois à manipuler avec prudence chez les patients avec ischémie aiguë ou maladie coronaire instable puisqu’ils peuvent aggraver l’ischémie sous-jacente ou provoquer des arythmies ventriculaires potentiellement malignes. Enfin, des patches de stimulation transcutanée sont appliqués et prêts à être utilisés jusqu’à la mise en place, dans les plus brefs délais, d’une stimulation ventriculaire endocavitaire efficace.
Le BAV pouvant être l’expression d’une pathologie cardiaque ou non cardiaque sous-jacente, le bilan complémentaire sera orienté par l’anamnèse et le status cardiovasculaire. Les pathologies inflammatoires, infectieuses ou métaboliques seront recherchées par des examens de laboratoire (p.ex.: maladie de Lyme, sarcoïdose, dysthyroïdies, etc.) et le patient sera adressé au spécialiste pour la recherche d’une cardiopathie. Il faut penser à une cause génétique dans les cas de BAV inexpliqués chez des patients jeunes (<40 ans) en gardant à l’esprit que le BAV du 1er degré et le BAV du 2e degré de type I sont physiologiques chez les sportifs; dans ces cas les troubles de conduction sont asymptomatiques et réversibles et ne justifient pas un bilan complémentaire en l’absence de symptômes et d’anomalie au status. Chez le patient plus âgé, le BAV du 1er degré peut être un marqueur de morbi-mortalité cardiovasculaire et de FA. Pour le BAV du 1er degré, aucun traitement n’est requis sauf si l’intervalle est très prolongé provoquant l’équivalent d’un syndrome du pacemaker [1].
La démarche importante est d’établir la corrélation entre les symptômes et la présence du bloc AV à l’ECG. Si l’on n’y parvient pas par le simple ECG, un test d’effort, un enregistrement Holter – qu’il faut parfois répéter – voire l’implantation d’un enregistreur d’événements sous-cutané peuvent être nécessaires pour prouver que les symptômes sont bien la conséquence du BAV.
Dans tous les cas de figure, il faut exclure par une anamnèse complète et précise, une cause réversible (par exemple un effet médicamenteux, une ischémie) à l’origine du BAV. On attendra donc la disparition de l’effet des médicaments freinateurs de la conduction ou la correction de l’ischémie avant d’envisager l’implantation d’un stimulateur cardiaque définitif dont les indications sont résumées dans le tableau 2 [1].
Tableau 2: Indications à l'implantation d'un stimulateur cardiaque définitif. | |
Bloc atrio-ventriculaire (BAV) | Classe |
BAV du 3e degré et du 2e degré type II (Mobitz), symptomatique on non | I |
BAV du 2e degré type I (Wenckebach), symptomatique, ou de localisation infra-nodale à l’exploration électrophysiologique | lla |
BAV du 1er degré avec syndrome du pacemaker (PR >300 ms). | lIa |
Pas d’indication en présence d’un BAV réversible | III |
L’essentiel pour la pratique
• Les blocs atrio-ventriculaires (BAV) peuvent être asymptomatiques, s’exprimer de manière insidieuse (fatigue, adynamie) mais aussi mener à la syncope.
• Le diagnostic électrocardiographique est le plus souvent aisé mais peut parfois poser problème. Il est primordial d’établir la corrélation entre le BAV et les plaintes du patient, donc d’obtenir un enregistrement du rythme cardiaque au moment des symptômes. Cela peut nécessiter des enregistrements de longue durée, des manœuvres de provocation voire des investigations complémentaires pour obtenir le diagnostic, préciser le type du bloc et sa localisation.
• Le BAV peut être un simple marqueur de morbi-mortalité cardiovasculaire ou l’expression d’une pathologie sous-jacente – cardiaque ou non – qu’il s’agira de rechercher systématiquement, d’autant plus si le patient est jeune.
• Le traitement de la pathologie sous-jacente peut permettre la régression voire la disparition du BAV (maladie de Lyme p.ex.).
• L’implantation d’un stimulateur cardiaque est réservée aux BAV non réversibles, symptomatiques ou d’un degré avancé.
Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
PD Dr méd. Jürg Schläpfer
Service de cardiologie, Centre Hospitalier
Universitaire Vaudois
Rue du Bugnon 46
CH-1005 Lausanne
jurg.schlaepfer[at]chuv.ch
Published under the copyright license
“Attribution – Non-Commercial – NoDerivatives 4.0”.
No commercial reuse without permission.