Prévention du cancer du col de l’utérus: dépistage HPV en­­ première intention versus cytologie
Une prise de position de la Société Suisse de Cytologie (SSC)

Prévention du cancer du col de l’utérus: dépistage HPV en­­ première intention versus cytologie

Aktuell
Édition
2019/3738
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2019.08375
Forum Med Suisse. 2019;19(3738):608-610

Affiliations
a Institut für Pathologie, medica, Zürich; b Institut Universitaire de Pathologie, CHUV Lausanne; c Institut für Pathologie und Molekularpathologie, ­UniversitätsSpital Zürich; d Institut für Medizinische Genetik und Pathologie, Universitätsspital Basel; e Institut für Pathologie, Kantonsspital Baselland; f Medizinische Fakultät, Universität Basel, g Gyno Obwegeser AG, Dysplasiesprechstunde, Zürich; h Institut für Pathologie, Universität Bern; i ­Institut für Pathologie, Kantons­spital Aarau

Publié le 11.09.2019

Une prise de position de la Société Suisse de Cytologie.

Introduction

La mise en place de la prévention du cancer du col de l’utérus au moyen du frottis de Papanicolaou (PAP test) a conduit à une diminution drastique des taux d’incidence et de mortalité du cancer du col de l’utérus [1]. ­Selon les statistiques de l’«International Agency for ­Research on Cancer» (IARC) de 2012, la Suisse affiche un des taux d’incidence (4,2 pour 100 000) et de mortalité (1,6 pour 100 000) les plus faibles à travers le monde. Ces valeurs sont comparables à celles de la Finlande, le pays qui dispose du programme organisé de dépistage du cancer du col de l’utérus le plus ancien [2]. Toute­fois, des femmes décèdent toujours du cancer du col de l’utérus en Suisse; entre 2011–2015, au total 389 décès liés à ce cancer ont été recensés [3]. Il se pose donc la question de savoir si l’introduction d’une méthode de test plus sensible peut réduire davantage le taux de mortalité.

Dépistage en Suisse

Contrairement à de nombreux pays, par exemple européens, dans lesquels des programmes de dépistage organisés existent, en Suisse, la prévention du cancer du col de l’utérus se fait sur une base opportuniste, c’est-à-dire que la réalisation régulière du PAP test relève de la responsabilité des femmes. Les données sur la réalisation du PAP test n’étant pas systématiquement recensées, les chiffres relatifs à l’observance reposent seulement sur des estimations. Selon l’Enquête suisse sur la santé de 2007 (Office fédéral de la statistique, www.bfs.admin.ch), 79,6% des femmes de plus de 20 ans ont indiqué avoir effectué au moins un PAP test. Compte-tenu de l’intervalle de 3 ans recommandé entre les dépistages, env. 33% des femmes devraient indiquer avoir effectué un PAP test au cours de l’année précédente. Toutefois, 51,4% des 34–44 ans et 51,4% des 45–54 ans ont indiqué avoir effectué un PAP test au cours de l’année précédente, ce qui renvoie indirectement à un dépistage trop fréquent (surdépistage). Par ailleurs, étant donné que 20% des femmes n’ont encore jamais été dépistées, il existe dans le même temps un sous-dépistage [4]. La non-participation au dépistage du cancer du col de l’utérus a été identifiée en tant que l’un des plus grands facteurs de risque de développement de cancer du col de l’utérus. Dans le cadre d’une étude alle­mande, 91% de tous les cancers du col de l’utérus inva­sifs ont été diagnostiqués chez des femmes qui n’avaient pas ou pas régulièrement participé au dépistage [5]. Le surdépistage doit toutefois également être évité car il entraîne des coûts inutiles pour le système de santé; aux Etats-Unis les estimations s’élèvent à 0,5–1,0 milliards par an [6]. En outre, chaque dépistage génère des résultats faux-positifs, ce qui peut conduire à des investigations inutiles et à un surtraitement, des effets qui se potentialisent dans un groupe de population trop souvent dépisté. Le surtraitement doit ­notamment être évité chez les patientes ayant un désir d’enfant en raison des potentielles répercussions négatives sur les grossesses ultérieures [7].

Dépistage des HPV de première intention versus test PAP

Diverses études ont montré que la mise en évidence directe des papillomavirus humains (HPV), par exemple au moyen d’une réaction en chaîne par polymérase (PCR), détecte davantage de cancers du col de l’utérus ou de stades précancéreux (néoplasie cervicale intra­épithéliale de grade 3+; CIN3+) que l’examen cytologique dans un premier cycle de dépistage. Toutefois, cette sensibilité plus élevée se fait au détriment d’une spécificité plus faible par rapport à l’examen cytologique, et donc d’un taux accru d’examens superflus [8]. Concernant la sensibilité, une méta-analyse de 4 grandes études européennes a montré un taux de cancer du col de l’utérus de 40% plus bas chez les femmes dépistées au moyen d’un test HPV par rapport aux femmes examinées au moyen d’un PAP test [9]. Au premier ­regard, ces données semblent impressionnantes. Il n’est toutefois pas fait mention du fait qu’au début de l’étude l’examen cytologique détectait plus de cancers que le test HPV. Cela nous renvoie à la problématique des cancers HPV-négatifs, pour lesquels le virus ne peut pas être détecté au moyen de la PCR, ce qui s’applique jusqu’à 10% de tous les cancers invasifs [10, 11]. De plus, dans deux des études incluses, l’efficacité du PAP test effectué à intervalles de 3 ans pour la détection des CIN3+ était similaire à celle de l’analyse HPV effectuée à intervalles de 5 ans [12, 13].
L’extension de l’intervalle de dépistage à 5 voire 10 ans, contre 3 ans pour le PAP test est également perçue comme un grand avantage. Cette approche correspond aux recommandations de l’«US Preventive Services Task Force Recommendation Statement». Pour le dépistage du HPV en première intention, il est déconseillé de réduire l’intervalle de dépistage car aucun bénéfice substantiel n’est à escompter, tandis que le nombre des examens inutiles s’accroit.

Perspectives pour la Suisse

Dans l’avis d’experts n°50 de la Société suisse de gynécologie et d’obstétrique (SSGO), il est désormais recommandé, pour les femmes à partir de 30 ans, de réaliser un dépistage cytologique ou un dépistage du HPV en première intention tous les trois ans, avec une mention indiquant que le dépistage du HPV en première intention n’est actuellement pas prise en charge par les caisses-maladie [14].
Du point de vue de la Société Suisse de Cytologie (SSC), nous considérons cette recommandation de façon critique:
1. L’ensemble des études qui ont montré un avantage du dépistage du HPV en première intention ont été conduites dans le cadre de programmes de dépistages bien organisés, un fait qui est reflété par les lignes directrices de l’Union européenne, qui ne ­recommandent le dépistage du HPV en première intention que dans la cadre de programmes organisés. Pour le dépistage du HPV en première intention, les patientes HPV-positives perdues de vue ont été identifiées comme un problème dans un système opportuniste [17].
2. Dans le contexte d’un dépistage opportuniste, il pourrait sembler logique de maintenir l’intervalle de dépistage à 3 ans, également pour le dépistage du HPV. Toutefois, comme mentionné plus haut, cela n’est pas conseillé en raison du nombre accru d’examens superflus et du risque de surtraitement. En outre, il convient de songer au fait qu’en Suisse, les femmes qui devraient passer un test HPV tous les 3 ans ont déjà tendance à être trop souvent dépistées.
3. Le dépistage du HPV est considéré comme rentable seulement en raison du prolongement de l’intervalle de dépistage à 5 ans. Si l’intervalle est maintenu à 3 ans, cet avantage est perdu. En Suisse, un test HPV est actuellement 10 fois plus coûteux qu’un PAP test normal dans le cadre de la prévention. De toute évidence, le dépistage du HPV en première intention va considérablement augmenter les coûts de la prévention du cancer du col de l’utérus, sans compter les dépenses supplémentaires engendrées par les taux accrus des examens inutiles relatives à des résultats faux-positifs.
4. Un test HPV permet seulement de confirmer la présence d’une infection, ce pourquoi chaque test ­HPV-positif doit obligatoirement faire l’objet d’une évaluation approfondie au moyen d’un examen cytologique, dont le résultat détermine la procédure ultérieure. D’un point de vue purement financier, pour nous, cytopathologistes, le dépistage du HPV en première intention serait avantageux, car les deux procédures d’examen sont la plupart du temps proposées par le même institut. Si l’on part du principe qu’environ 10% des tous les tests HPV auront un résultat positif et donneront lieu à un examen cytologique, le volume de travail des cytopathologistes ne changera pas.
5. Etant donné que la non-participation au dépistage représente le principal facteur de risque pour un diagnostic tardif du cancer du col de l’utérus, l’introduction du dépistage du HPV en première intention n’influencera pratiquement pas les taux d’incidence et de mortalité liés à ce cancer en Suisse, car il s’avère difficile d’atteindre les groupes de personnes avec un risque accru, particulièrement pour le dépistage du cancer du col de l’utérus [18]. Afin de réduire l’incidence du cancer du col de l’utérus, il serait au préalable nécessaire d’amener les femmes qui ne sont actuellement pas dépistées à se faire dépister. Les défenseurs du dépistage du HPV en première intention invoquent souvent le fait que le test HPV représenterait une offre «accessible», car des autotests peuvent être conduits sans visite chez un spécialiste [19]. Il est toutefois essentiel que les femmes concernées, en cas de résultat de test positif, se présentent pour une évaluation approfondie, ce qui est toutefois très incertain en dehors du cadre d’un programme de dépistage organisé.
Pour conclure, la SSC tiens à préciser qu’elle n’a pas en principe d’objection à un dépistage basé sur le HPV, surtout lorsque ce test a lieu dans le cadre d’un programme de dépistage organisé. La condition à cela est toutefois que ce dépistage du futur soit, en comparaison au système actuel hautement efficace de dépistage opportuniste basé sur la cytologie, tout aussi efficace et rentable.

En résumé

La Suisse présente un des plus faibles taux d’incidence et de mortalité du cancer du col de l’utérus. Afin de réduire davantage la fréquence du cancer du col de l’utérus, l’introduction du dépistage du HPV en première intention, soit la mise en évidence directe des papillomavirus humains, par ex. au moyen de la PCR, est promue. En comparaison à l’examen cytologique, cette méthode est plus sensible, mais toutefois également bien moins spécifique. En raison de sa sensibilité plus élevée, l’intervalle de dépistage peut être étendu à 5 voire 10 ans, tandis que l’examen cytologique doit être conduit tous les 3 ans. Selon l’avis d’experts n°50 de la SSGO, en Suisse, il est recommandé de conduire le dépistage du HPV en première intention, plus coûteux, exactement comme l’examen cytologique, plus rentable, tous les 3 ans chez les femmes de plus de 30 ans. Sans compter des coûts supplémentaires considérables, cette procédure peut conduire à des examens superflus, et potentiellement à un surtraitement. Les femmes non dépistées présentent le plus grand risque de développer un cancer du col de l’utérus. Etant donné que ces dernières ne seront pas non plus recensées par le dépistage à l’avenir, la fréquence du cancer du col de l’utérus ne sera pas considérablement influencée par le dépistage du HPV en première intention.
SS a déclaré des honoraires de conférencier de Roche. Les auteurs n’ont pas déclaré d’obligations financières ou personnelles en lien avec le présent article.
Dr méd. Ines Raineri
Fachärztin für Pathologie und Zytopathologie
Präsidentin Schweizerische Gesellschaft für Zytologie
Institut für Pathologie ­medica
Hottingerstr. 9
Postfach
CH-8024 Zürich
i.raineri[at]medica.ch
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