Urgences neurologiques
Prévenir les handicaps grâce à un diagnostic rapide et un traitement ciblé!

Urgences neurologiques

Übersichtsartikel
Édition
2020/3940
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08376
Forum Med Suisse. 2020;20(3940):524-531

Affiliations
a Service de neurologie, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne; b Universitätsklinik für Neurologie, Universitätsspital, Basel; c Neurologie RehaClinic, Akutnahe Rehabilitation Baden & Universität Zürich; d Universitätsklinik für Neurologie, Inselspital, Bern

Publié le 22.09.2020

Au cours des dernières années, la neurologie a évolué d’une discipline diagnostique vers une discipline thérapeutique. De nombreuses maladies neurologiques peuvent déjà être diagnostiquées et traitées correctement au service des urgences.

Introduction

Dans la prise en charge des urgences neurologiques, les aspects essentiels sont d’une part l’intervalle de temps entre le début des symptômes et l’initiation du traitement et d’autre part, le raisonnement étiologique: les céphalées, les crises d’épilepsie, les vertiges, etc. sont des symptômes de maladies neurologiques potentiellement dangereuses et ne sont pas des maladies en soi; par conséquent, un diagnostic immédiat et correct s’avère déterminant. Ainsi, dans de nombreux hôpitaux, des neurologues sont activement impliqués dans la prise en charge interdisciplinaire des patients admis aux urgences; toutefois, il est également décisif que les médecins urgentistes, les intensivistes, les internistes et les chirurgiens détectent immédiatement les urgences neurologiques afin que les patients touchés puissent bénéficier sans délai d’un traitement adéquat. A cet égard, la collaboration interdisciplinaire des généralistes et spécialistes dans les services d’urgences revêt une importance centrale. Les urgences neurologiques sont fréquentes et d’après les estimations, au moins 10–20% de toutes les consultations d’urgence sont liées à des urgences neurologiques. La détection rapide des situations d’urgence neurologique est primordiale non seulement pour les neurologues, mais également pour les médecins de famille, les médecins urgentistes et les internistes. L’imagerie cérébrale joue un rôle déterminant dans le bilan de nombreuses urgences neurologiques.
Cet article est consacré aux urgences neurologiques les plus fréquentes, avec un accent particulier sur les maladies où le temps est compté et où un diagnostic rapide et correct a des conséquences thérapeutiques. Pour des questions de place, nous nous limiterons dans cet article aux crises épileptiques, aux urgences cérébro-vasculaires et aux céphalées, bien que d’autres symptômes et affections, tels que le vertige, les méningites et encéphalites, les maladies inflammatoires et néoplasiques du système nerveux, les myélopathies, les polyradiculoneuropathies aiguës, les troubles moteurs aigus etc., constituent également des urgences neurologiques et nécessitent un diagnostic et un traitement immédiats. Les principales situations d’urgence neurologique, classées par syndromes et étiologies, sont résumées dans le tableau 1.
Tableau 1: Urgences neurologiques (adapté d’après [31]).
Symptôme principal, phénoménologie ­cliniqueCauses potentielles*
Diminution aiguë de la vigilance avec/sans déficits neurologiques focauxMaladies du système nerveux central
Lésions structurelles du système nerveux central
• Ischémie (par ex. lésion du tronc cérébral/thalamus, etc.)
• Hémorragie (par ex. hémorragie sous-arachnoïdienne, etc.)
• Thrombose étendue des sinus veineux/veines cérébrales (avant tout profonde)
• Embolies ischémiques multiples
• Hypoxie cérébrale
• Processus expansif (par ex. hématome sous-dural, tumeur/métastase)
• (Méningo-)encéphalite
• etc.
Maladies épileptiques
• Etat de mal épileptique
• Etat post-ictal
Traumatisme crânio-cérébral
etc.
Maladies systémiques
Troubles circulatoires (par ex. choc hypovolémique, etc.)
Infections aiguës (par ex. sepsis, etc.)
Intoxications
Troubles métaboliques
• Hypoglycémie
• Coma diabétique hyperosmolaire
• Trouble électrolytique (hyponatrémie, hypomagnésémie, etc.)
• Urémie
• Coma hépatique
Hypothermie sévère
etc.
Trouble de la conscience paroxystiqueCrises épileptiques
Syncopes
Trouble dissociatif
Troubles du rythme veille/sommeil (narcolepsie, etc.)
etc.
Trouble aigu de la mémoireAmnésie globale transitoire
Crises épileptiques
Trouble vasculaire du système limbique
• Ischémie
• Hémorragie
• Thrombose profonde des sinus veineux
• etc.
Encéphalopathie toxico-métabolique
• Hypoglycémie
• Intoxication
• Encéphalopathie de Wernicke-Korsakoff
• etc.
Encéphalite (infectieuse, limbique)
Origine traumatique/post-traumatique
Origine fonctionnelle
etc.
Céphalées et douleurs faciales aiguësCéphalées et douleurs faciales primaires
Migraine
Céphalées de tension
Névralgie du trijumeau
Céphalées en grappes, hémicrânie paroxystique, syndrome SUNCT1
Autres céphalées primaires
Céphalées et douleurs faciales secondaires
Origine vasculaire
• Hémorragie (sous-arachnoïdienne, intracérébrale, sous-durale, etc.)
• Dissection des vaisseaux irrigant le cerveau
• Thrombose des sinus veineux/veines cérébrales
Artérite temporale
Origine inflammatoire (par ex. sinusite, etc.)
Syndrome d’hypopression/hyperpression du liquide céphalo-rachidien
Abus de médicaments/substances
Crise hypertensive
Origine ophtalmologique (crise de glaucome aigu, etc.)
Traumatisme
etc.
Vertige aiguTrouble vestibulaire périphérique
Vertige positionnel paroxystique bénin
Névrite vestibulaire
Maladie de Menière
etc.
Trouble vestibulaire central
Ischémie/hémorragie
Maladie inflammatoire/infectieuse (par ex. sclérose en plaques)
Migraine avec aura vertigineuse
etc.
MéningismeMéningite/encéphalite (infectieuse ou non infectieuse)
Hémorragie sous-arachnoïdienne
Méningite carcinomateuse
Syndrome d'hypoliquorrhée
etc.
Trouble visuel aigu avec/sans douleursTroubles de l’œil (par ex. glaucome, kératite, iritis, décollement de rétine, etc.)
Trouble du nerf optique (par ex. névrite optique, occlusion de l’artère centrale, thrombose veineuse centrale, neuropathie optique ischémique antérieure [NOIA], etc.)
Artérite temporale
Thrombose du sinus caverneux
Apoplexie hypophysaire
Hémorragies ou infarctus temporaux, pariétaux ou occipitaux
Syndrome d'encéphalopathie postérieure réversible (PRES)
Syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible (SVCR)
Intoxication (par ex. méthanol)
etc.
Aphasie aiguëIschémie ou hémorragie cérébrale
Evènement épileptique
Traumatisme crânio-cérébral
Migraine avec aura
Hypoglycémie
Encéphalite
Trouble fonctionnel
etc.
Trouble oculomoteur aiguIschémie/hémorragie du tronc cérébral
Traumatisme crânio-cérébral
Affection du tronc cérébral d’origine infectieuse (méningite/encéphalite)
Affection du tronc cérébral d’origine inflammatoire (sclérose en plaques)
Myasthénie grave
Syndrome de Tolosa-Hunt
Thrombose du sinus caverneux
Encéphalopathie de Wernicke
(Poly-)radiculite crânienne
Déficits des nerfs crâniens d’origine ischémique
Intoxications
etc.
Paralysie aiguë des extrémitésIschémie/hémorragie cérébrale et/ou spinale
Myélite aiguë (non infectieuse, infectieuse, para-infectieuse, compressive, etc.)
Polyradiculonévrite (par ex. syndrome de Guillain-Barré)
Trouble de la transmission neuromusculaire (myasthénie grave, syndrome de Lambert Eaton, etc.)
Myopathie/myosite aiguë
Traumatisme (lésion nerveuse/tendineuse/musculaire)
Paralysies paroxystiques (canalopathies musculaires)
etc.
Paralysie faciale aiguëIschémie/hémorragie du tronc cérébral
Affection du tronc cérébral d’origine inflammatoire (sclérose en plaques)
Parésie faciale idiopathique
(Poly-)radiculite crânienne
Neuroborréliose
Syndrome de Ramsay Hunt (virus varicelle-zona)
Origine traumatique/post-opératoire (fracture du rocher, chirurgie parotidienne, etc.)
etc.
Syndrome transverse aiguIschémie/hémorragie/malformation vasculaire spinale
Myélite aiguë (non infectieuse, infectieuse, para-infectieuse)
Compression de la moelle épinière
• Traumatisme
• Métastase, méningiome
• Hémorragies épidurales
• Hernie discale massive
• Sténose du canal rachidien
* Les maladies mentionnées ne constituent qu’une sélection et cette liste ne prétend pas à l’exhaustivité.
1 Syndrome SUNCT = Short-lasting Unilateral Neuralgiform headache attacks with Conjunctival injection and Tearing.

Crises épileptiques au service des urgences

Les crises épileptiques représentent une situation d’urgence relativement fréquente. Aux Etats-Unis, environ 1 million de patients sont traités pour des crises aiguës chaque année, ce qui correspond à environ 2% de toutes les admissions aux urgences [1]; 150 000 adultes sont victimes de leur premier épisode [2]; transposé à la Suisse, cela correspond à environ 25 000 contacts avec environ 3700 nouvelles crises par an. Chez les enfants, les chiffres sont encore plus élevés: des crises convulsives fébriles surviennent chez jusqu’à 4% de tous les enfants en bas âge. Chaque hôpital suisse peut se voir confronté chaque semaine à l’admission en urgence de plusieurs patients avec des crises convulsives. Les crises symptomatiques aiguës, par ex. en cas d’intoxications ou de sevrage médicamenteux ou alcoolique, représentent la cause la plus fréquente des crises chez les jeunes adultes, devant les traumatismes cérébraux, tandis que chez les sujets âgés, l’accident vasculaire cérébral (AVC; aigu ou chronique) et les tumeurs constituent les causes prédominantes [2, 3]. Chez environ 50% des patients qui sont amenés au service des urgences en raison d’une crise convulsive, des épisodes préalables sont connus [1]. Par rapport à la population générale, le taux de mortalité est accru après une première crise épileptique (14–18% après 6–12 mois), le plus souvent en raison de la cause sous-jacente [3, 4].
Le principal aspect dans la pose du diagnostic est l’anamnèse: comme pour d’autres évènements neurologiques transitoires, l’observation directe de l’épisode au service des urgences représente l’exception. Il est dès lors indispensable de se mettre immédiatement en relation avec les proches et les secouristes: les renseignements pouvant être collectés rapidement après l’évènement valent de l’or et évitent des examens complémentaires onéreux et longs; en outre, le traitement précoce est plus adéquat en cas de diagnostic correct [5]. Le diagnostic différentiel des crises est très vaste [6]. Lorsque le tableau clinique n’est pas dominé par un trouble de la conscience, il convient de songer à une migraine avec aura ou à des troubles moteurs (par ex. «limb shaking», ballisme, myoclonie sous-corticale); en cas de trouble de la conscience, il convient entre autres d’envisager des syncopes (beaucoup plus fréquentes que les crises épileptiques! [7, 8]), des encéphalopathies toxico-métaboliques ou des évènements psychogènes. Ces derniers doivent être évalués minutieusement afin d’éviter une escalade thérapeutique potentiellement dangereuse.
L’examen clinique et neurologique ciblé est fonction des circonstances potentiellement fatales (par ex. raideur de la nuque) et il renseigne quant à la présence d’un éventuel foyer épileptogène (parésie de Todd controlatérale). Chez les adultes, les examens complémentaires devraient inclure un électroencéphalogramme (EEG) et au minimum une tomodensitométrie (TDM) avec produit de contraste (de nombreux grands centres suisses ont aujourd’hui accès en urgence à l’imagerie par résonance magnétique [IRM], qui devrait si possible toujours être privilégiée), tandis que chez les enfants avec des crises non fébriles et un examen neurologique normal en phase aiguë, seul un EEG est recommandé [9]. Lorsqu’une crise dure plus de cinq minutes (ou lorsque les crises récidivent sans que les patients ne reprennent conscience), il s’agit d’un état de mal épileptique, une forme potentiellement fatale de crises prolongées qui nécessite un transfert rapide dans un hôpital de soins aigus et un traitement selon un protocole prédéterminé.
Le risque de récidive après une première crise non provoquée atteint jusqu’à 45% après 2 ans et jusqu’à 60% après >5 ans [10]; étant donné qu’un risque >60% durant jusqu’à 10 ans correspond à la définition de l’épilepsie [11], une évaluation plus précise s’avère essentielle. Un AVC préalable, un EEG avec des potentiels spécifiques de l’épilepsie idéalement enregistré peu après l’évènement [12], des anomalies significatives à l’imagerie cérébrale et une crise survenant durant le sommeil sont autant de facteurs qui augmentent chacun le risque de récidive d’un facteur 2 [10]. Les anticonvulsivants sont indiqués lors du diagnostic d’une épilepsie; il est cependant démontré qu’un traitement précoce après la première crise réduit uniquement le risque de récidive au cours des deux premières années, mais n’a pas d’influence sur l’absence de crises à long terme [10]: dans les situations confuses, une observation attentive est dès lors judicieuse. D’une manière générale, il est très important d’évaluer la situation de chaque patient individuel de manière interdisciplinaire avec les collègues de l’équipe d’urgence et d’adapter en conséquence les examens complémentaires (par ex. signes de lésions traumatiques lors de la crise, etc.). Des dosages sanguins supplémentaires, par ex. de la créatine kinase (après 6–12 heures), du lactate (au cours de la première heure) ou de la prolactine, peuvent être prescrits au cas par cas afin de restreindre le diagnostic différentiel. D’un autre côté, les examens diagnostiques complexes et onéreux ne sont pas indiqués chez les patients avec une épilepsie connue et une cause identifiée des récidives (par ex. sevrage médicamenteux ou privation de sommeil). En cas d’anamnèse confuse, une détermination de la concentration sanguine de l’anticonvulsivant administré peut éventuellement renseigner sur l’observance thérapeutique.
La pratique relativement répandue consistant à administrer même avant l’admission aux urgences des benzodiazépines aux patients après une crise isolée ne devrait pas être encouragée [13]: il n’existe pas de preuves en ce sens et cette pratique induit un état post-ictal prolongé qui complique l’évaluation du patient. Les benzodiazépines, en particulier le midazolam intramusculaire [14] ou le clonazépam/lorazépam intraveineux [2, 15], sont en revanche clairement indiquées chez les patients avec un état de mal épileptique, qui est responsable de jusqu’à 7% des admissions aux urgences dans le cadre de crises épileptiques et est associé à une morbidité et une mortalité considérables [16, 17]. La prise en charge ultérieure en cas de diagnostic d’épilepsie ou d’état de mal épileptique devrait se dérouler en étroite collaboration interdisciplinaire entre le médecin urgentiste, le neurologue et éventuellement l’intensiviste.

Céphalées au service des urgences

Les céphalées, qui concernent environ 2% des patients, représentent un motif fréquent de présentation au service des urgences. Environ 9/10 de ces patients se rendent aux urgences en raison de l’exacerbation d’un syndrome céphalalgique primaire, par ex. d’une migraine réfractaire aux traitements ou de céphalées en grappes. Une cause secondaire des céphalées est rarement retrouvée dans le cadre du diagnostic; toutefois, les céphalées secondaires sont le plus souvent associées à une morbidité et une mortalité élevées et elles ne doivent dès lors pas être manquées. Une difficulté diagnostique particulière est que les céphalées ne sont souvent pas spécifiques en tant que symptôme et qu’elles surviennent en tant que manifestation concomitante dans une multitude de situations médicales. En outre, des céphalées secondaires peuvent venir s’ajouter à des syndromes céphalalgiques primaires connus et difficilement traitables, ce qui signifie en d’autres termes: «Attention, la migraine ne protège pas contre l’hémorragie cérébrale». Il existe des «red flags», ou signes d’alerte, qui aident à faire la distinction entre une cause secondaire et une crise accablante de céphalées primaires. Les céphalées très intenses («céphalées en coup de tonnerre»), les signes d’infection ou les anomalies neurologiques focales en sont des exemples. Les connaître est important aussi bien pour les jeunes médecins assistants que pour les médecins expérimentés. Des investigations supplémentaires doivent toujours être menées en présence d’«anomalies» à l’anamnèse et/ou à l’examen clinique (y compris examens complémentaires), c.-à-d. lorsque des aspects des céphalées dépassent les critères diagnostiques d’un syndrome céphalalgique primaire. Il convient alors de partir du principe qu’il s’agit d’un syndrome céphalalgique secondaire jusqu’à preuve du contraire.
Les étiologies possibles sont multiples: néoplasies, infections, pathologies vasculaires et différentes autres causes. Concernant les pathologies vasculaires, les hémorragies de diverses natures entrent avant tout en ligne de compte en tant que cause des céphalées. Des «céphalées en coup de tonnerre» («thunderclap head­ache») sont évocatrices d’une hémorragie sous-arachnoïdienne. Les céphalées en coup de tonnerre récidivantes sont désormais conceptualisées dans le cadre d’un syndrome, qui est considéré comme une entité nosologique et est appelé «syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible» (SVCR) [18].
Le diagnostic repose sur une anamnèse minutieuse, sur un examen neurologique et clinique approfondi et sur les résultats de laboratoire ou autres. Un examen d’imagerie n’est pas indiqué si l’anamnèse révèle qu’il s’agit de céphalées primaires avec un examen d’imagerie déjà réalisé dans le passé et si la nature et la fréquence des céphalées n’ont pas changé. Lorsque des signes indiquant des céphalées nouvelles sont retrouvés à l’anamnèse, une imagerie cérébrale est indiquée. Une TDM est uniquement pertinente pour exclure une hémorragie et/ou une thrombose des sinus veineux cérébraux (TDM avec produit de contraste). Face à des céphalées, il convient dans la mesure du possible de réaliser une IRM crânienne avec produit de contraste en raison de sa sensibilité et spécificité plus élevées, avec, si cela est indiqué sur la base de l’anamnèse, représentation des vaisseaux extra-crâniens irrigant le cerveau (y compris éventuellement séquences de dissection en cas de suspicion de dissection de l’artère carotide et/ou vertébrale). De nos jours, des appareils d’IRM sont disponibles dans la plupart des services d’urgences. Pour les céphalées, la pose du diagnostic est réalisée selon la «Classification internationale des céphalées» [19].
Dans le contexte d’urgence, le traitement devrait déjà être initié pendant que les investigations diagnostiques sont en cours. Les exemples mentionnés dans le tableau 2 s’inspirent des recommandations thérapeutiques de la Société suisse pour l’étude des céphalées [20] et des lignes directrices de la Société allemande de neurologie [21].
Tableau 2: Situations thérapeutiques typiques pour les céphalées au service des urgences, avec option de traitement.
DiagnosticOption thérapeutiqueRemarques
Etat de mal migraineux (crise de ­migraine qui dure plus de 72 heures)Administration par voie intraveineuse d’un traitement d’association composé de métamizole 1 g et de métoclopramide 20 mg, éventuellement combiné avec un triptan administré par voie nasale ou sous-cutanée.Evaluer une prophylaxie.
Céphalées en grappesOxygénothérapie via un masque facial sans réinspiration à un débit de 12 l/min, éventuellement combinée avec un triptan administré par voie nasale ou sous-cutanée. Eventuellement, initiation d’une corticothérapie (par ex. prednisone 1 mg/kg de poids corporel durant au max. 4 semaines) et/ou de vérapamil (après exclusion d’un trouble de la conduction cardiaque).Chez les patients avec céphalées en grappes connues, les crises fréquentes ou prolongées sont problématiques.
Céphalées secondairesAprès la mise en évidence d’une cause secondaire, un traitement intraveineux au moyen d’antalgiques d’action aiguë est indiqué. En cas de présence phénotypique d’une crise de migraine déclenchée par la cause secondaire, le traitement peut se dérouler de façon analogue, mais sans utiliser de triptans en cas de pathologie vasculaire.Les céphalées en grappes sont très rarement déclenchées par une cause secondaire, mais elles peuvent déclencher des crises de migraine surajoutées chez 10–20% des patients.
Afin d’obtenir un début d’action rapide et de mieux pouvoir gérer le traitement, la voie intraveineuse s’avère particulièrement appropriée. Une pharmacothérapie combinée, composée de substances de diverses classes mais ayant une action similaire, peut être utilisée au besoin. Une pathologie vasculaire (par ex. hémorragie cérébrale) doit être exclue avant l’utilisation de substances vasoconstrictrices. Des références bibliographiques supplémentaires sur le thème des céphalées sont disponibles dans l’article cité [22].

Maladies cérébro-vasculaires

Dans les pays industrialisés, l’AVC représente la principale cause de handicap prématuré à l’âge adulte et la maladie neurologique potentiellement fatale la plus fréquente. Les coûts générés par les AVC sont colossaux. Un diagnostic et un traitement immédiats permettent dans une large mesure d’éviter un handicap pertinent au patient.

Marche à suivre en cas de suspicion d’AVC aigu

En cas de survenue aiguë de l’un des symptômes suivants, il convient de suspecter un AVC et d’appeler immédiatement le numéro d’urgence 144:
– paralysie ou trouble de la sensibilité de survenue soudaine, le plus souvent unilatéral(e);
– cécité soudaine (touchant un ou les deux yeux) ou diplopie;
– troubles du langage et difficultés à comprendre;
– vertige soudain, notamment avec incapacité de marcher;
– céphalées intenses soudaines et inhabituelles.
Les mesures suivantes ne sont pas indiquées en cas de suspicion d’AVC aigu:
– administration de boissons, de sucre ou de nourriture (risque de fausse route);
– administration d’Aspirine® ou d’autres antithrombotiques (car hémorragie cérébrale potentielle);
– abaissement de la pression artérielle en-dessous de 220/115 mm Hg (sauf en cas de problèmes cardiaques aigus concomitants).
Environ un quart des AVC débutent durant le sommeil et les symptômes sont uniquement remarqués au réveil. Dans ce cas de figure également, il convient d’appeler le numéro d’urgence 144, car pour ces patients aussi, il existe depuis peu des preuves en faveur de méthodes de recanalisation en cas de situation favorable à l’imagerie (voir ci-dessous).

L’accident ischémique transitoire (AIT) ­constitue-t-il une urgence?

Les symptômes et les causes de l’AIT sont identiques à ceux de l’AVC (voir ci-dessus), mais les symptômes régressent totalement en l’espace de 24 heures. Dans la nouvelle définition de l’OMS figurant dans la CIM-11, l’AIT avec une lésion ischémique aiguë à l’imagerie (en particulier IRM) est également désigné en tant qu’AVC («stroke»; «tissue-based definition of stroke and TIA»). Une anamnèse détaillée visant à faire la distinction avec l’AIT s’avère essentielle (voir «Imitateurs de l’AVC» ci-dessous). En cas d’AIT, une orientation immédiate vers un hôpital, si possible avec une «Stroke Unit», est également recommandée. A l’hôpital, il convient alors de réaliser une TDM ou, mieux encore, une IRM, car cette dernière présente une sensibilité nettement plus élevée pour les lésions ischémiques et pour les imitateurs de l’AVC. Les artères irrigant le cerveau devraient être visualisées à cette occasion; en outre, il convient de réaliser un électrocardiogramme (ECG) de routine et des analyses de laboratoire de routine (y compris profil lipidique, CRP, TSH). Sur la base de ces examens et du ABCD3-I-Score, il est possible d’évaluer le risque d’AVC à court terme après un AIT [23]. Chez les patients avec un ABCD3-I-Score bas sans sténose vasculaire symptomatique pertinente et sans nouvelles anomalies ECG ou fibrillation auriculaire, une prise en charge ambulatoire de l’AIT peut être envisagée.

Phase pré-hospitalisation: où transférer quel patient?

En Suisse, les concepts pré-hospitalisation prévoient que les patients avec suspicion d’AVC aigu soient immédiatement évalués par un neurologue. Par conséquence, les patients avec un déficit neurologique aigu survenu dans les dernières 24 heures ou lors du réveil devraient être amenés immédiatement dans la prochaine «Stroke Unit» ou le prochain «Stroke Center» par l’ambulance (fig. 1). Un transport direct dans un «Stroke Center» avec thrombectomie est recommandé si les délais de transport sont inférieurs à 20 minutes. Alternativement, un patient avec une probable occlusion d’un grand vaisseau (i.e. RACE Score ≥5, ou G-FAST Score ≥3) dans les dernières 24 heures peut être transporté directement dans un «Stroke Center», indépendamment du délai de transport ou de la présence d’une «Stroke Unit» en proximité [24, 32].
Figure 1: Parcours pré-hospitalisation chez les patients avec suspicion d’accident vasculaire cérébral (AVC) aigu. En cas de critères cliniques de thrombolyse, le patient est directement acheminé en ambulance vers un hôpital pratiquant la thrombolyse (parcours B ou parcours C, adapté d’après [24]).

Diagnostic différentiel: imitateurs de l’AVC, AVC manqués

Des déficits neurologiques de survenue aiguë dus à une autre cause peuvent imiter un AVC («imitateurs»). En raison des délais très restreints impartis pour le traitement, il est parfois inévitable qu’un tel patient soit thrombolysé. A l’inverse, il arrive également qu’un AVC aigu soit manqué en raison de symptômes atypiques («AVC caméléon»). Ce dernier cas de figure peut être évité lorsque les symptômes suivants, en particulier lorsqu’ils surviennent de façon isolée, sont également évalués en tant qu’AVC (ou AIT) potentiel: vertige aigu, trouble du langage aigu, trouble de la conscience aigu, changement de comportement ou état confusionnel sans explication courante (métabolique, infectieuse, médicamenteuse). Dans le cas contraire, le traitement correct n’est pas mis en œuvre et le pronostic se détériore [25].
Les maladies suivantes peuvent survenir à la fois en tant qu’imitateurs de l’AVC et en tant qu’AVC caméléon:
– Migraine avec aura
– Crise épileptique, en particulier avec déficit post-épileptique
– Amnésie globale transitoire
– Vertige aigu d’origine périphérique
– Encéphalopathie hypertensive
– Hypoglycémie sévère
– Méningo-encéphalite
– Décompensation de lésions cérébrales préexistantes par des maladies métaboliques ou infectieuses
– Syndrome de conversion
Une évaluation par un spécialiste et un recours plus fréquent à l’IRM en tant que modalité d’imagerie de première intention devraient permettre de réduire ces diagnostics.

Diagnostic aigu en situation d’urgence

Seule la TDM et l’IRM permettent de distinguer avec fiabilité l’infarctus cérébral, qui est plus fréquent, et l’hémorragie intracérébrale. L’IRM présente une sensibilité plus élevée pour les lésions ischémiques et pour les imitateurs de l’AVC. A cette occasion, les artères irrigant le cerveau devraient également être visualisées en urgence, car il est ainsi possible d’initier un traitement aigu (thrombectomie) et une prophylaxie secondaire ciblée.

Traitement aigu en situation d’urgence

La thrombolyse systémique (intraveineuse) par rt-PA devrait être mise en œuvre au plus tard jusqu’à 4,5 heures après le début des symptômes, mais une initiation plus précoce du traitement est nettement plus efficace (fig. 2) [26]. La récente étude «WAKE-UP» a montré que les patients avec moment de début des symptômes inconnu profitent d’une thrombolyse lorsqu’ils sont sélectionnés par une IRM aiguë [27].
Figure 2: Efficacité de la revascularisation en fonction du temps en cas d’accident vasculaire cérébral ischémique aigu.
En cas d’occlusion avérée d’artères intracrâniennes proximales, le patient doit faire l’objet d’un traitement endovasculaire par thrombectomie dans un «Stroke Center» le plus rapidement possible, dans une fenêtre temporelle d’environ 8 heures [28]. Par ailleurs, l’efficacité de la thrombectomie jusqu’à 24 heures après le début des symptômes est démontrée depuis peu (fig. 2) [29, 30], mais uniquement si les critères suivants sont remplis: 1) occlusion d’artères intracrâniennes proximales, 2) petit volume de l’infarctus déjà établi et 3) volume significatif du tissu cérébral en situation d’hypoperfusion réversible («pénombre») [33].
Lorsque l’imagerie aiguë révèle une hémorragie aiguë en tant que cause de l’AVC, la pression artérielle devrait être rapidement abaissée en-dessous de 140/90 mm Hg. Une anticoagulation établie doit immédiatement être antagonisée. Une évaluation neurochirurgicale aiguë est nécessaire en cas d’hémorragies superficielles avec ­effet de masse et de saignement dans le système ventriculaire.

Neurologie générale et collaboration interdisciplinaire

La spécialisation de la médecine a augmenté rapidement au cours des dernières années et des connaissances spécialisées hors pair sont requises pour le traitement de certaines affections. Toutefois, la spécialisation croissante comporte également des dangers: les médecins spécialistes sont certes parfaitement familiarisés avec les maladies relevant de leur domaine de spécialité, mais bien souvent, ils n’ont plus les connaissances étendues qui sont nécessaires pour gérer des situations d’urgence complexes, comme par ex. le sepsis, le polytraumatisme ou les patients hémodynamiquement instables. Dès lors, une étroite collaboration interdisciplinaire et interprofessionnelle s’avère décisive. Agir en faisant preuve d’autocritique et reconnaître ses propres limites sont d’une importance déterminante à la fois pour les spécialistes et pour les généralistes.
La spécialisation a également fait son entrée dans la neurologie et en particulier la neurologie universitaire englobe des unités spéciales dédiées à l’épileptologie, aux troubles moteurs, aux maladies cérébro-vasculaires, etc. La neurologie aiguë est dès lors une des rares disciplines au sein de la neurologie où des patients avec des affections des plus diverses sont traités. Par conséquent, la neurologie aiguë revêt une importance centrale pour la formation en neurologie, car elle confronte les jeunes neurologues qui exerceront plus tard en cabinet ou en tant que neurologues hospitaliers à un vaste spectre de maladies neurologiques.

L’essentiel pour la pratique

• Les urgences neurologiques sont fréquentes et elles représentent environ 10–20% de toutes les consultations d’urgence.
• Les urgences neurologiques sont potentiellement fatales et elles sont associées à une morbidité et une mortalité élevées.
• Un diagnostic immédiat est déterminant: outre l’anamnèse et l’examen clinique, des examens supplémentaires, en particulier l’imagerie cérébrale, s’avèrent décisifs.
• Grâce à un diagnostic rapide et à un traitement ciblé, un handicap pertinent peut être évité aux patients.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. Dr méd. Urs Fischer
Universitätsklinik für
Neurologie
Inselspital
Freiburgstrasse 10
CH-3010 Bern
urs.fischer[at]insel.ch