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Lors de discussions informelles, il découle souvent que la lettre de sortie est perçue par les médecins hospitaliers (en formation) comme un fardeau administratif responsable d’un grand nombre d’heures supplémentaires tant d’un point de vue médical qu’administratif. Pour les médecins installés, elle semble être perçue comme un fourre-tout d’information rarement pertinent. De ces éléments souvent soulevés et discutés, nous avons voulu déterminer quelle en est la part de vérité.
Introduction
Depuis des décennies, la lettre de sortie (LS) est un document clé du dossier du patient. Elle fournit toutes les informations pertinentes pour le médecin installé. Elle assure la continuité et la qualité des soins ainsi que la juste utilisation des ressources [1, 2].
Nos voisins français ont une régulation nationale concernant le format et le contenu [3, 4], qui doit être court (maximum deux pages), incluant motif de recours, diagnostic principal et suivi. Le délai entre la sortie du patient et l’envoi de la LS au médecin installé est fixé à huit jours, mais seuls un tiers des LS sont effectivement envoyées dans le temps imparti [1].
Des études ont démontré que passé un délai de 30 jours, la LS devient inutile [5, 6]. Elle perd même rapidement de sa pertinence si elle est élaborée à distance de quelques jours de la sortie, par perte de certaines informations. Or, c’est dans ce laps de temps qu’ont lieu les deux-tiers des premières consultations chez le médecin traitant [7–9]. De l’avis de 41% des médecins traitants, il en résulte des effets secondaires pour au moins un de leurs patients [10].
La lettre de sortie – un outil de facturation?
En Suisse, chaque institution a ses propres règles et canevas. A l’origine, la LS était un document médical de transmission destiné à fournir au médecin installé les informations nécessaires à la bonne prise en charge du patient. Elle est devenue un outil de facturation du financement des séjours stationnaires par pathologie. La base commune repose sur les anciennes APDRG («All Patients Diagnosis Related Groups», financement par forfaits journaliers) qui ont été remplacées le 1er janvier 2012 par les Swiss DRG («Diagnosis related Groups», financement par pathologie) [11] qui servent de base à la facturation, un point essentiel au financement des institutions de santé, qu’elles soient publiques ou privées. La LS permet également d’obtenir des statistiques médicales utilisées à but de recherche. Elle a aussi un but didactique pour les internes en formation, leur offrant l’opportunité de structurer et synthétiser une hospitalisation parfois complexe.
Au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), la LS comprend 14 points officiels définis par l’institution (fig. 1) et le délai d’envoi ne devrait pas excéder huit jours.
En raison de l’évolution rapide du monde médical et de la numérisation, les LS ont pris des formes très variables en fonction des départements et des expectatives individuelles. La qualité qui en résulte est très disparate, mais souvent sous-optimale et son élaboration est chronophage, tant au niveau médical qu’administratif [1–7]. Afin de confirmer ces observations et d’obtenir les points de vue des 952 médecins installés dans le canton de Vaud, un questionnaire leur a été adressé.
Notre enquête
Un questionnaire couvrant trois domaines distinctifs a été créé après lecture d’articles récents et consultation interne au sein de l’équipe médicale. Les domaines étudiés sont les éléments démographiques et les caractéristiques des médecins installés, leurs modes de communication (outils et circuits de transmission) et le contenu de la communication (type de l’information transmise; utilisation des 14 points du document officiel, fig. 1).
Le questionnaire a été envoyé aux 952 médecins traitants du canton de Vaud et directement en contact avec le service de chirurgie viscérale. Le questionnaire a été envoyé par la poste et par courrier électronique. Les MT avaient l’opportunité de renvoyer le questionnaire en utilisant le courrier postal, électronique ou le fax. Aucun rappel n’a été effectué et aucune date limite n’a été imposée. Il n’y a pas eu de contrepartie financière à la complétion du questionnaire et les coûts inhérents à l’obtention des adresses et des envois ont été entièrement assumés par le service de chirurgie viscérale du CHUV.
Les questionnaires ont été collectés et analysés. Une description statistique standard et des tests appropriés ont été utilisés.
Un tiers des médecins a répondu au questionnaire. Plus de 80% sont des internistes-généralistes. Les autres spécialistes sont issus de la chirurgie, de l’endocrinologie, de la gastro-entérologie et de l’oncologie.
Les informations concernant la gestion hebdomadaire des lettres de sortie montre que la moitié des médecins installés utilise des dossiers électroniques et qu’ils reçoivent moins de dix lettres par semaine dans plus de 50% des cas. Les lettres sont lues dans leur entier dans le deux-tiers des cas. A la question des 14 points de la LS du CHUV (fig. 1), les médecins installés n’en lisent que sept dans plus de 50% des cas. En y regardant de plus près, on constate que les éléments importants du début de séjour (motif de consultation, anamnèse actuelle) deviennent des paramètres obsolètes à la sortie. Ils sont repris et résumés par le diagnostic principal, qui se suffit à lui-même. Concernant les comorbidités passives et les antécédents, ils proviennent souvent d’un fax ou d’un mail envoyé par ce même médecin, ils ne sont donc d’aucune utilité, sauf pour l’exactitude des dossiers informatisés des hôpitaux. Le reclassement d’hospitalisation de la phase aiguë à la phase chronique n’est d’aucune pertinence pour nos collègues installés, cette information étant purement financière. Pour ce qui est de la synthèse du cas (évolution/discussion), elle reste essentielle mais s’est vu très critiquée, en raison de sa mauvaise qualité. Les médecins installés ont ajouté un nombre considérable de commentaires dans les marges du questionnaire, pour exprimer leur mécontentement concernant la piètre qualité de certaines synthèses, dont les éléments principaux sont listés dans la figure 2. Il ressort de ce tableau, que dans un tiers des cas, c’est le manque de temps qui justifie cette lecture partielle. Dans les deux tiers restant, cette lecture incomplète découle de la mauvaise qualité du document de sortie.
Perspectives
Ce court questionnaire a mis en évidence la discrépance majeure entre les prescriptions internes du CHUV et les attentes des médecins installés. Cette rupture dans la chaîne de soins prétérite la sécurité et le devenir des patients. Quand on sait que durant la période suivant le retour à domicile, appelée aussi période de transition, 20% des patients sont victimes d’un événement indésirable, dont les deux tiers sont des effets médicamenteux qui auraient souvent pu être évités [12], il est urgent d’améliorer la structure, le contenu et le délai d’envoi de la LS.
Au vu de la charge administrative toujours plus importante et du peu d’utilité des LS sous leur forme actuelle, la réduction des 14 points officiels aux 7 points lus dans plus de 50% des cas par les médecins traitants (diagnostic principal, diagnostics secondaires et comorbidités, interventions, complications, évolution/discussion, traitement à la sortie et suivi) est un élément essentiel. En ce qui concerne l’implémentation des avis de sortie, cette option ne fait que majorer la charge de travail et fournit une fausse sécurité avec des informations provisoires potentiellement inexactes. Cette solution n’est pas souhaitable. Si la lettre de sortie définitive pouvait mieux répondre aux exigences des médecins traitants et être disponible le jour de sortie, l’élaboration des avis de sortie n’aurait plus de pertinence. Il s’agit non seulement d’allier efficacité et efficience. Concernant la synthèse de cas, des cours spécifiquement dédiés à l’écriture d’une synthèse de cas de qualité devraient être une priorité dans la formation des médecins, et faire partie intégrante du curriculum post-gradué. Ces deux éléments permettraient d’améliorer non seulement la qualité de la lettre mais aussi sa vitesse d’élaboration. La limite hebdomadaire du travail des médecins en formation et les potentiels effets délétères des délais de réception des LS devraient être des arguments de poids permettant de modifier rapidement et en profondeur le système d’élaboration des LS dans les institutions hospitalières.
La réduction des délais de réception, des potentiels effets secondaires et la réduction des heures supplémentaires engendrées par la rédaction des LS auraient un impact positif sur les coûts de la santé. En ces temps de pressions financières, ces points sont à prendre en considération.
L’essentiel pour la pratique
• La lettre de sortie (LS) ne doit pas uniquement être un outil de facturation, elle doit se réinventer. Les prérogatives administratives, dont les SwissDRG, ne doivent plus servir de base à son élaboration.
• Le délai de réception de la LS est une priorité, non seulement pour des questions financières mais avant tout pour assurer la sécurité des patients.
• L’amélioration de la sécurité des patients après le retour à domicile (période de transition) permettraient des économies substantielles en évitant des effets secondaires surtout médicamenteux (changements de traitements non-transmis).
• Comme le dit le proverbe «Mieux vaut moins mais mieux», il faut réduire la quantité d’information transmise dans la LS et s’assurer de sa qualité ainsi que de sa pertinence pour le médecin installé.
• La qualité de la synthèse d’un cas est un point essentiel et dont la complexité est sous-estimée. Son apprentissage mériterait une formation spécifique, tout comme la lecture d’un article ou l’utilisation de dispositifs médicaux.
Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
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Dr méd. Géraldine Paratte
Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
Rue du Bugnon 21
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