Situation d'urgence: violence domestique
Recommandations pratiques

Situation d'urgence: violence domestique

Übersichtsartikel
Édition
2020/1516
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08495
Forum Med Suisse. 2020;20(1516):250-255

Affiliations
a Notfallzentrum, Universitätsspital Basel, Basel; b Institut für Rechtsmedizin, Kanton Basel-Stadt, Basel; c S.I.G.N.A.L. e.V. Intervention im Gesundheits­bereich gegen häusliche und sexualisierte Gewalt, Berlin, Deutschland; d matthäuspraxis, Basel; e Abteilung Gyn. Sozialmedizin und Psychosomatik, Universitätsspital Basel, Basel
* Les deux auteures ont contribué à parts égales à l’article.

Publié le 07.04.2020

En Suisse, une personne décède toutes les deux semaines à la suite de violences domestiques. Comment faut-il s'y prendre non seulement pour détecter les personnes concernées, mais aussi pour leur dispenser les premiers soins médicaux?

Introduction

La violence domestique (VD) est une violation grave des droits de l’Homme et en Suisse également, il s’agit d’un délit fréquent avec un nombre élevé de cas non répertoriés. Les cabinets de médecine de famille ou les services des urgences, en tant qu’interlocuteurs pour les victimes de violences, sont des lieux où la prise en charge médicale occupe l’avant-plan. L’attitude correcte à adopter avec les victimes de violences soulève souvent des questions, car la communication et l’examen médical compétent divergent de la routine.
La Convention d’Istanbul, qui est la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, est entrée en vigueur en Suisse en avril 2018 et elle oblige les Etats contractants à prendre des mesures actives [1]. D’après le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, sa mise en œuvre requiert l’«engagement de la Confédération, des cantons et de la société civile» dans les domaines de la prévention de la violence, de la protection contre la violence et des poursuites pénales, ainsi qu’une action exhaustive et coordonnée dans le cadre de stratégies d’action intégrales [2]. Cet article illustre la forme que cela peut prendre dans les cabinets de médecine de famille et les services des urgences. Il peut servir à la formation initiale et post-graduée des professionnels de la santé. Appliqué concrètement à la situation d’urgence, ce guide apporte une aide pour la détection de la VD, propose des orientations pour la communication avec les victimes de violence et en cas d’incertitudes quant à la législation, explique la manière dont il faut s’y prendre pour documenter les résultats d’examen de sorte à ce qu’ils puissent être utilisés devant un tribunal et encourage la collaboration des différentes institutions.

Définition, survenue et causes de la ­violence domestique

Sont définis comme VD tous les actes de violence physique, sexuelle, psychique ou économique perpétrés au sein de la famille, du foyer ou du couple, que le couple soit marié ou non, que la relation soit en cours ou terminée et que l’auteur et la victime aient déjà vécu ou vivent ensemble ou non [2].
Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS) et la Statistique policière de la criminalité, 51 infractions du domaine des VD sont signalées chaque jour en Suisse, parmi lesquelles une tentative d’homicide par semaine et un homicide consommé toutes les deux semaines [3]. D’après les enquêtes réalisées par les organisations d’aide aux victimes, il y a tout lieu de penser qu’il existe un nombre élevé de cas non répertoriés, car seuls environ 20% de tous les évènements en lien avec des VD sont enregistrés par la police [4]. Des données rétrospectives de Berne ont montré que 94% des victimes de VD qui se sont présentées dans un service des urgences étaient des femmes [4]. La principale forme de violence était les coups portés avec les mains ou les pieds, la tête étant la partie du corps la plus fréquemment touchée. Une strangulation est survenue dans 16% des cas. Les victimes se sont le plus souvent présentées durant les services de soir ou de nuit, des moments auxquels la famille est à la maison. Dans plus de 50% des cas, des enfants vivaient dans le même foyer [4].
Les causes de la VD résident en première ligne dans l’inégalité de pouvoir entre les sexes dans notre société et dans l’image des rôles qui en découle. En principe, il est possible de faire la distinction entre, d’une part, le recours spontané à la violence pour gérer les conflits dans le cadre d’une situation où, lorsque les protagonistes se sentent dépassés, ils réagissent par une violence physique ou verbale et, d’autre part, le recours systématique à la violence pour exercer un contrôle sur l’autre. Dans ce dernier cas de figure, il s’agit d’un schéma récurrent qui se caractérise par différents types de comportements visant à contrôler la relation et à intimider et dévaloriser son vis-à-vis dans le but de le dominer. Sachant que plusieurs tentatives sont souvent nécessaires et que certaines personnes ne parviendront jamais à se séparer de leur partenaire violent, il est primordial dans la discussion de reconnaître et mettre en avant le courage des victimes à chercher de l’aide («re-empowerment» des victimes de violence).
La VD se rencontre dans tous les contextes sociaux, économiques et culturels, indépendamment de l’âge et du sexe, et elle s’observe ainsi aussi chez les hommes et dans les relations homosexuelles. Peu de données sont pour l’instant disponibles concernant la violence envers les hommes.
La situation spécifique de la VD à l’encontre des personnes âgées, dans laquelle des schémas relationnels dysfonctionnels de longue date et un surmenage par exemple en cas de nécessité de soins (avant tout démence) prédominent, n’est pas abordée plus en détails dans cet article.
Ci-après, nous présentons des recommandations pratiques concrètes et adaptées à la Suisse quant à la conduite à tenir devant la VD dans le domaine de la santé (fig. 1). L’acronyme S.I.G.N.A.L. correspond au guide de mesures pratiques développé par l’association allemande S.I.G.N.A.L. e.V. et ayant fait l’objet d’une évaluation scientifique [5, 6]. L’association S.I.G.N.A.L. e.V. s’engage déjà depuis l’an 2000 pour une intervention ciblée et délicate dans le domaine de la santé face à la VD et à la violence sexuelle. Ces recommandations pratiques sont conformes aux standards reconnus à l’échelle internationale et aux lignes directrices basées sur l’évidence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [7, 8].
Figure 1: Algorithme «Violence domestique», adapté d’après le guide pratique de l’association allemande S.I.G.N.A.L. e.V. [5] (standard interactif complet disponible sur www.medstandards.eu); * Les formulaires de documentation spécifiques pour la violence domestique favorisent une approche structurée et facilitent une documentation susceptible d’être utilisée devant un tribunal, mais il n’est pas impératif de les utiliser. En cas de besoin, ils peuvent être téléchargés [5, 12].

Recommandations pratiques

S comme «Signal»

Reconnaître et aborder représentent les premières difficultés lorsqu’il est question de VD. Les signes d’alerte évocateurs d’une VD sont présentés dans le tableau 1. En abordant le problème, vous signalez votre soutien à la victime et pouvez devenir la première personne extérieure à qui elle peut se confier. Lorsqu’un établissement médical affiche clairement une politique de tolérance zéro et reconnaît ouvertement l’importance du thème (par ex. en mettant à disposition du matériel d’information), cela peut envoyer un signal vers l’extérieur, en plus de l’effet pour la victime directement touchée.
Tableau 1: Signes d’alerte de violence domestique et facteurs de risque d’escalade de la violence (adapté d’après * [7, 8, 14] et ** [7, 8, 15, 16]).
Signes d’alerte de violence domestique*:
Lésions qui font sus­pecter une agression physiqueLésions au niveau de la tête, avant tout au-dessus de la «ligne du bord du chapeau», derrière les oreilles, au niveau des yeux, etc.
Lésions de défense au niveau de la face externe des avant-bras
Marques de strangulation au niveau du cou, éventuellement en association avec des saignements de congestion au ­niveau de la tête
Morsures
Blessures au niveau de la face interne des cuisses et de la poitrine
Explications fournies quant à la survenue des blessures, qui ne concordent pas avec le type de blessureDifférentes lésions à des stades de guérison différents
Délai entre la survenue de la blessure et la consultation médicale
Nombreuses consultations pour des traumatismes
Troubles chroniques n’ayant pas de cause ­évidentePar ex. côlon irritable, «chronic pelvic pain», fissures anales chroniques, vertiges
Souffrances psychiques inexplicablesProblèmes émotionnels continus, tels que stress, anxiété ou dépression
Comportements nocifs, tels qu’abus d’alcool, de drogues ou de médicaments (par ex. sédatifs, somnifères, antalgiques)
Pensées, plans ou tentatives d’automutilation ou de suicide
Problèmes gynécologiquesLésions physiques durant la grossesse
Initiation tardive des examens de dépistage
Survenue répétée d’infections sexuellement transmissibles
Grossesses non désirées
Facteurs de risque d’escalade de la violence**:
Violence physique au cours des 6 derniers mois, avant tout en cas de violence croissante ou durant la grossesse
Armes (en premier lieu armes à feu) dans le foyer
Consommation d’alcool ou de drogues
Menaces; plus elles sont concrètes, plus le danger est grand
Tentatives de strangulation
Peur de la victime d’une escalade de la violence
Forte jalousie
Problèmes sociaux, familiaux ou financiers
Motif pour commettre des actes de violence, comme par ex. séparation annoncée, risque de licenciement, expulsion imminente, etc.
Relation de dépendance psychique, physique ou sociale de la victime
Cas spécifique des personnes issues de l’immigration, entre autres:
– Structures patriarcales
– Légitimation de la violence
– Notion d’honneur
– Problèmes de langue
Lorsque la suspicion est activement abordée, certaines conditions-cadres doivent être respectées. Les proches et les accompagnants (y compris enfants de plus de deux ans) sont aimablement invités, si nécessaire en trouvant un prétexte, à quitter la salle d’examen. En cas de barrières linguistiques, il convient de faire appel à un service d’interprétation professionnel sensibilisé à la problématique de la violence, et non pas à un membre de la famille ou à un accompagnant, pour assurer la traduction.
Neuf femmes sur dix accueillent favorablement la thématisation de la violence lorsque les questions sont posées de façon appropriée [9]. Il convient de poser des questions ouvertes, comme par exemple: «De nombreuses femmes ont un époux ou un partenaire qui se comporte de manière irrespectueuse avec elles ou les blesse». Afin de donner de l’espace aux victimes afin qu’elles puissent s’exprimer, la communication doit être centrée sur le patient, par exemple en utilisant le modèle de communication «attendre – répéter – reformuler – résumer» [10].

I comme «Interview»

Si la suspicion de VD se confirme, il convient alors d’interroger la victime sur le déroulement des faits de violence en faisant preuve de tact et d’estime, de manière à la soulager. L’anamnèse a uniquement pour objectif de déterminer les faits (qui, quoi, comment, avec quoi, quand, où), en se limitant à des questions essentielles pour la prise en charge médicale. Les questions ne ­devraient pas être formulées sur un ton réprobateur, mais au contraire être teintées d’empathie en reprenant les formulations utilisées par les victimes de ­violence elles-mêmes. De nombreuses victimes ne ­parviennent pas à s’identifier avec des expressions abstraites telles que «violence domestique» et il vaut donc mieux poser des questions concrètes et adaptées au type de blessure, comme par exemple «Avez-vous été frappé(e), victime de coups de pied/bousculé(e)?». Lorsque les victimes souhaitent raconter les faits plus en détails, il convient d’écouter activement, sans les interrompre. Les déclarations sont relatées au discours indirect, ou sous forme de citation littérale entre guillemets. Lorsque des femmes font état de violences sexuelles, il convient, dépendant des lignes directrices internes, de faire réaliser l’examen par le service de gynécologie et/ou de médecine légale, afin qu’un seul examen soit réalisé par du personnel spécialisé et que les traces puissent être prélevées [11].
Il est essentiel d’expliquer aux victimes de violences que tous les éléments évoqués dans la discussion sont soumis au secret professionnel. Proposez ensuite votre aide en cas de dépôt de plainte, si la victime le souhaite.
Sur le plan juridique, la VD constitue depuis 2004 un délit poursuivi d’office et elle fait dès lors l’objet d’une enquête d’office. Toutefois, les victimes de violences ont la possibilité de demander la clôture de la procédure.
Depuis 2007, une norme de protection contre la violence est en vigueur dans le Code civil suisse, si bien que les personnes menacées peuvent demander une interdiction de contact. Avec des différences en fonction des cantons, les polices cantonales ont introduit des mesures de protection; par exemple dans le canton de Bâle-Ville, une expulsion pour une durée de douze jours peut être prononcée et les enfants présents doivent être signalés à l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) au sens d’un avis de détresse.
Il est essentiel de connaître les droits et les devoirs cantonaux en matière de signalement et de savoir avec qui il est possible de discuter de telles situations délicates. En théorie, les délits graves en lien avec la VD peuvent être signalés sans déliement du secret professionnel (droit de signalement du personnel médical). En dehors d’une situation urgente de mise en danger de l’intégrité corporelle ou de la vie de la victime elle-même ou de ses enfants vulnérables, nous recommandons cependant de toujours demander le consentement de la victime ou de se faire délier du secret professionnel par le médecin cantonal. La relation de confiance et la coopération de la victime sont ainsi préservées, et la probabilité de pouvoir mettre en place des mesures de soutien est augmentée.

G comme «gründliche Untersuchung» ­(examen ­approfondi)

En présence d’un deuxième professionnel de la santé, un examen approfondi de toutes les régions du corps est réalisé après l’information et le consentement de la personne concernée. Ce faisant, il convient toujours de ne dévêtir que la région à examiner et les victimes peuvent à tout moment refuser l’une ou l’autre étape de l’examen, ce qui est également consigné. Des examens d’imagerie sont également réalisés, en fonction de l’indication. Les lésions typiquement observées dans le cadre de la VD sont énumérées dans le tableau S1 de l’annexe joint à l’article en ligne.

N comme «Notieren» (documentation de tous les résultats)

Les documents médicaux dans les cas de VD ne servent pas uniquement à documenter et appuyer le traitement médical. En cas de plainte, ils servent de moyen de preuve et doivent répondre à des exigences spécifiques. La documentation médicale représente souvent la seule preuve de la violence subie. Elle donne du temps aux victimes pour penser calmement aux démarches ultérieures, car elle peut également être utilisée pour une procédure postérieure. Au besoin, des formulaires de documentation peuvent être utilisés comme aide. De tels formulaires peuvent par exemple être téléchargés sur le site internet de la Société suisse de gynécologie et d’obstétrique (SSGO) ou de l’association S.I.G.N.A.L. e.V. [5, 12].
Tous les résultats, y compris les blessures mineures, doivent être documentés de façon purement descriptive, sans interprétation. La documentation des résultats doit être réalisée en se conformant strictement aux instructions fournies dans le tableau 2. L’interprétation des résultats et la vérification de la «version des faits» sont des tâches qui incombent aux experts forensiques. Il convient d’éviter les termes vagues, tels que «marque de contusion», et d’utiliser des termes spécialisés (cf. le tableau 2 ansi que le tableau S2 dans l’annexe joint à l’article en ligne).
Tableau 2: Instructions pour la documentation des résultats en cas de violence domestique de façon à ce qu’elle puisse être utilisée devant un tribunal (adapté d’après [17]). Les étapes 1–3 sont réalisées par le personnel médical, tandis que l’étape 4 incombe aux experts forensiques. Il est essentiel d’utiliser des termes spécialisés clairs; les termes tels que «marques de contusion» doivent être évités, car ils ne peuvent pas être interprétés par la suite.
1. Inspection et évaluation des différentes lésions
Documentation
–Si possible: photoou croquis à la main
Description exacte ­des lésions
LocalisationTête, cou, tronc, extrémités
Droite, gauche, ventrale, latérale, dorsale; proximale, distale, apicale; face de flexion/d’extension, plan sagittal/coronal; ligne axillaire antérieure/­postérieure/médiane, régions du corps, etc.
TailleTaille en mm ou cm
Objet de comparaison (par ex. taille d’un grain de poivre, d’une pièce de cinq francs)
Références anatomiques (par ex. taille équivalente à une paume de main, ­circulairement 1/2 de la circonférence)
Forme/­délimitationRonde, allongée, ovale, forme de bande, forme de fer à cheval, apparence de carte, etc.
Délimitation nette, délimitation floue, extrémités imprécises, vive, bords lisses, avec des angles aigus/obtus, etc.
OrientationTransversale à l’axe longitudinal, trajet para-sagittal, évoluant de l’angle ­épigastrique vers la crête iliaque antérieure, etc.
PropriétésCouleur bleue/rouge/verte, bords verts-jaunes, couleur bleue-violette au centre, etc.
Ouverte, fermée, superficielle, profonde, perforante, ouverture de cavités corporelles, etc.
Sanglante, recouverte de croûte, bords secs, souillée, égratignée, avec des squames au niveau du bord supérieur de la plaie, ponts tissulaires dans le lit de la plaie, etc.
Si plusieurs ­lésionsParallèles, croisées, confluentes, indépendantes, distribution en voûte céleste, formant une forme/un motif/un outil ­(laquelle/lequel?), remontant au même moment ou à des ­moments différents
2. Pose du diagnosticClassification de la lésion (type de lésion [a])(a) Type de lésion:(b) Forme de violence:
Ecorchure (excoriation)Violence contondante
Saignement sous-cutané, hématome
3. Mode de survenueAttribution à la forme de violence (b) Contusion-lacération
Fracture osseuse
MorsureViolence semi-perforante
Coupure/piqûreViolence perforante
BrûlureViolence thermique
EtranglementStrangulation
4. InterprétationVérification de la version des faits indiquéeCette étape d’expertise incombe aux experts forensiques
En cas de consentement de la victime, il est vivement recommandé de procéder à une documentation photographique, avec à chaque fois une vue générale et une vue détaillée, en utilisant un instrument de mesure (règle d’angle). Face à des constatations complexes, il est possible de solliciter les conseils de l’institut de médecine légale ou de se tourner vers les services des urgences, où il y a de plus en plus de personnel formé à la médecine légale (CAS Forensic Nursing).

Cas spécial de la strangulation: étranglement

Les violences portées au cou, telles que l’étranglement (terme générique «strangulation») peuvent, d’un point de vue pénal, être considérées comme une tentative d’homicide [13]. Les lésions correspondantes sont présentées dans le tableau S1 dans l’annexe joint à l’article en ligne; dans le cadre de l’anamnèse, il convient d’interroger la victime quant à la présence de symptômes, tels que la perte de conscience, les troubles de la perception, les troubles fonctionnels vésicaux ou rectaux, les maux de gorge, la dysphagie, la dysphonie et une sensation de gêne.

A comme «Abklären» (évaluation)

Evaluation de la nécessité d’un traitement médical

La prise en charge des lésions, y compris une éventuelle prophylaxie post-expositionnelle (par ex. VIH, hépatite B ou tétanos), doit être assurée conformément aux lignes directrices en vigueur.

Evaluation du danger immédiat

Après la révélation de la VD ou lors des annonces de ­séparation, il peut se produire une escalade de la ­violence; des facteurs de risque supplémentaires sont présentés dans le tableau 1.
Les victimes parviennent le plus souvent à évaluer le danger imminent de façon réaliste et il est dès lors possible de réfléchir ensemble avec elles à la question de savoir si et comment un retour au domicile est possible ou souhaité. En cas de besoin, les victimes peuvent être adressées à un établissement de refuge, comme par exemple une maison d’accueil pour femmes, ou une hospitalisation à visée protectrice de courte durée (le cas échéant anonyme) peut être indiquée.
Les enfants vivant dans le même foyer sont toujours aussi touchés par la violence, de façon directe ou indirecte. Etre témoin de violences à l’encontre d’un parent correspond à une violence psychique et les enfants peuvent présenter des réactions de stress traumatique avec des conséquences négatives sur leur compétence sociale, ainsi que sur leur développement cognitif ou leur santé. La protection des enfants concernés doit être prise au sérieux, et il convient de déterminer s’il existe une mise en danger du bien de l’enfant. A cet égard, une prise de contact téléphonique avec le groupe de protection de l’enfant le plus proche s’avère utile. Les signalements à l’APEA sont recommandés. Des ­informations et conseils sont disponibles sur www.kinderschutz.ch.

L comme «Leitfaden» (mémento avec numéros d’urgence et offres de soutien)

La possibilité de soutenir le traitement des victimes de violence varie d’une personne à l’autre, dépendant de l’expérience, de la compétence, du contexte et du temps à disposition. Il peut être soulageant de savoir qu’informer activement sur l’offre de soutien, variable d’un canton à l’autre, proposée par les structures de conseil et les établissements de refuge représente déjà une première étape essentielle. La carte d’urgence multilingue disponible à l’échelle de toute la Suisse est suffisamment petite pour être cachée dans une poche de pantalon, et il est possible de se la procurer dans la plupart des services cantonaux de coordination et d’intervention et autres services spécialisés de lutte contre la VD (https://csvd.ch).
La situation de la sortie est complexe et il convient de tenir compte de nombreux détails. Nous recommandons dès lors d’utiliser une liste de contrôle (par exemple incluse dans l’algorithme «Violence domestique» ou dans les formulaires de documentation préalablement recommandés). Il faut notamment discuter d’un plan d’urgence concret dans l’éventualité d’une escalade de la violence.
Proposez à la victime des rendez-vous de suivi chez vous ou dans une autre structure de santé en vue d’assurer un contrôle médical. A cet égard, les cabinets de médecine de famille sont une grande ressource, car ils connaissent très bien l’ensemble de la famille et les antécédents; par ailleurs, dans les structures familiales très patriarcales, les femmes sont le plus souvent autorisées à consulter le médecin de famille de façon anodine. Dans la médecine de famille, il existe la possibilité d’élaborer des stratégies de résolution par petites étapes. Vérifiez si la victime a encore des questions ou des préoccupations et si elle a compris l’offre de soutien.
Dans la situation plutôt rare où les auteurs de violences se présentent en demandant de l’aide, il existe dans de nombreux cantons des offres de conseil et d’apprentissage destinées aux auteurs de violence, qui permettent d’inculquer des formes de résolution des conflits sans recours à la violence.

Remarque et perspectives

Prendre soin de soi-même est un aspect essentiel pour le personnel médical. Les conversations visant à apporter un soulagement et/ou la supervision peuvent permettre de prévenir un traumatisme secondaire chez les professionnels de santé confrontés à la VD.
En raison du lien entre la vision traditionnelle des rôles et la VD, la sphère politique et la société sont appelées à amorcer des changements durables pour parvenir à une égalité des sexes. Concernant l’attitude concrète à adopter face à la VD, les forums interdisciplinaires et interprofessionnels, tels que les tables rondes, améliorent la qualité du traitement et devraient être renforcés en impliquant toutes les interfaces. L’exigence minimale imposée par l’OMS est que des instructions écrites soient disponibles dans tous les hôpitaux, que le personnel soit formé et qu’un système d’orientation vers les interfaces appropriées soit en place.

L’essentiel pour la pratique

• Dans la pratique médicale quotidienne, nous sommes souvent confrontés à la violence domestique et à ses conséquences, et en cas de suspicion correspondante, il est impératif d’aborder le problème. Le personnel médical devrait être sensibilisé à la reconnaissance de la violence domestique et être formé à y faire face.
• En raison des exigences spécifiques que requiert une documentation susceptible d’être utilisée devant un tribunal, il est recommandé de recourir à des formulaires de documentation et de réaliser une documentation photographique avec graduation centimétrique.
• Lorsque des enfants vivent dans le foyer et sont potentiellement affectés par la violence domestique, il est recommandé de ne pas hésiter à effectuer des signalements de mise en danger auprès des autorités de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA).
• Fournir aux victimes de violence domestique des informations sur les offres d’aide et de soutien, variables en fonction des cantons, représente une mesure essentielle. Concrètement, il est par exemple possible de remettre discrètement la carte d’urgence au format pratique.
L’annexe est disponible en tant que document séparé joint à ­l’article en ligne sur https://doi.org/10.4414/fms.2020.08495.
Nous remercions chaleureusement Kathrin Tränkner, CAS Forensic Nursing, pour ses suggestions relatives à cet article.
CHN reports beeing one of the editors of medstandards. The other authors have reported no financial support and no other potential conflict of interest relevant to this article.
Dr méd. univ. (A)
Christiane Rosin
Notfallzentrum
Universitätsspital Basel
Petersgraben 4
CH-4031 Basel
christiane.rosin[at]usb.ch
 1 Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul). Conclue à Istanbul le 11 mai 2001, approuvée par l’Assemblée fédérale le 16 juin 2017, instrument de ratification déposé par la Suisse le 14 décembre 2017, entrée en vigueur en Suisse le 1er avril 2018.
 2 Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG). Prévention et lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Tâches et activités de la Confédération pour mettre en œuvre la convention du Conseil de l’Europe (Convention d’Istanbul). Situation en juillet 2018.
 3 Statistique policière de la criminalité (SPC). Rapport annuel 2018 des infractions enregistrées par la police. Neuchâtel: Office fédéral de la statistique (OFS); 2019.
 4 Hostettler-Blunier S, Raoussi A, Johann S, Ricklin M, Klukowska-Rotzler J, Utiger S, et al. Hausliche Gewalt am Universitaren Notfallzentrum Bern: eine retrospektive Analyse von 2006 bis 2016. Praxis (Bern 1994). 2018;107(16):886-92. Epub 2018/08/09. doi:10.1024/1661-8157/a003044. PubMed PMID: 30086689.
 5 S.I.G.N.A.L. e.V. Intervention im Gesundheitsbereich gegen häusliche und sexualisierte Gewalt. Sprengelstr. 15, 13353 Berlin. [cited 2019]. Available from: http://www.signal-intervention.de/.
 6 Brzank P, Hellbernd H, Maschewsky-Schneider U. Hausliche Gewalt gegen Frauen: Gesundheitsfolgen und Versorgungsbedarf – Ergebnisse einer Befragung von Erste-Hilfe-Patientinnen im Rahmen der S.I.G.N.A.L.-Begleitforschung. Gesundheitswesen. 2004;66(3):164-9. Epub 2004/04/17. doi:10.1055/s-2004-813029. PubMed PMID: 15088219.
 7 Lutter contre la violence entre partenaires intimes et la violence sexuelle à l’encontre des femmes: recommandations cliniques et politiques: Recommandations cliniques et politiques: Organisation mondiale de la santé (OMS); 2013. Version française disponible sur: https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/88186/WHO_RHR_13.10_fre.pdf;jsessionid=55F2232C576B714FF1440E4B0D0DB3F9?sequence=1.
 8 Organisation mondiale de la santé (OMS). Soins de santé pour les femmes victimes d’actes de violence commis par un partenaire intime ou d’actes de violence sexuelle: Manuel clinique. 2014. Version française disponible sur:
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/204236/WHO_RHR_14.26_fre.pdf?sequence=1
 9 Fachstelle für Gleichstellung FM, Verein Inselhof Triemli. Häusliche Gewalt erkennen und richtig reagieren: Handbuch für Medizin, Pflege und Beratung. 2. überarbeitete und erweiterte Auflage 2010.
10 Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM). La communication dans la médecine au quotidien. Un guide pratique. 2013.
11 Martinez RM, Kovacevic A, Dally AM, Thali MJ, Laberke PJ, Bartsch C. Violences sexuelles faites aux femmes. Forum Méd Suisse. 2015;15(23):551-5.
12 Société suisse de gynécologie et d’obstétrique. ­gynécologie suisse. Groupe de travail «Abus sexuels au cabinet médical» Violence domestique: guide pratique Juin 2009. Available from: https://www.sggg.ch/fr/informations-dexperts/guidelines/.
13 Blunier S, Galimanis A, Wagner DF. Dissection de la carotide après strangulation dans le cadre de violence domestique. Forum Méd Suisse. 2019;19(2728):460-3.
14 Hagemann-White C, Bohne S. Versorgungsbedarf und Anforderungen im Gesundheitswesen im Problembereich Gewalt gegen Frauen. Düsseldorf 2003.
15 Snider C, Webster D, O’Sullivan CS, Campbell J. Intimate partner violence: development of a brief risk assessment for the emergency department. Acad Emerg Med. 2009;16(11):1208-16. Epub 2010/01/08. doi:10.1111/j.1553-2712.2009.00457.x. PubMed PMID: 20053241.
16 Wanner J, Fischer R, Tschan W. Agression et violence dans le quotidien du médecin. 1re partie. Forum Méd Suisse. 2007;7(26):561–8.
17 Koordinierungsstelle S.I.G.N.A.L. e.V. (Hrsg) Berlin. Fachgruppe Gerichtsfeste Dokumentation. Gerichtsfeste Dokumentation und Spurensicherung nach häuslicher und sexueller Gewalt. 2. Auflage: Available from: http://www.signal-intervention.de/materialien-fuer-fachkraefte.