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L’équilibre sagittal est un critère décisif pour les opérations du rachis. Toutefois, cette thématique est parfois encore peu connue en dehors du domaine de la chirurgie du rachis.
Introduction
Les symptômes typiques suivants sont déplorés plusieurs fois par semaine en consultation: des lombalgies surviennent après quelques minutes en position debout ou après quelques minutes de marche et régressent dès que les patients prennent appui avec leurs mains sur une table, des cannes, un déambulateur ou un chariot de courses. De façon classique, les patients déclarent en revanche ne pas présenter de symptômes en position assise ou allongée. Ces maux de dos dépendant de la position et de l’effort sont évocateurs de douleurs de fatigue musculaire. La plupart du temps, un trouble de l’équilibre sagittal peut alors être décelé à l’examen clinique et à l’imagerie radiologique.
Equilibre sagittal
Un trouble de l’équilibre sagittal apparaît lorsque, suite à un traumatisme, à de précédentes opérations du dos, à une scoliose idiopathique préexistante, à une dégénérescence ou à des faiblesses musculaires, les courbures du rachis, qui sont précisément coordonnées entre elles (lordose du rachis lombaire et du rachis cervical, cyphose du rachis thoracique), sont modifiées de telle sorte que le rachis a tendance à être incliné vers l’avant. Dans cette situation, des mécanismes de compensation musculaires se jouant inconsciemment permettent la position debout et la marche: un déploiement en sens inverse des segments rachidiens de localisation crâniale et caudale, des rétrolisthésis, une rétroversion pelvienne et, à un stade avancé, un fléchissement des articulations de la hanche et du genou se produisent. Ces mécanismes aboutissent à une posture corporelle qui rompt le «cone of economy», cet équilibre favorable en termes d’énergie (fig. 1) [1].
Avec l’âge, cette posture peut causer les douleurs de fatigue musculaire mentionnées plus haut, et ce en raison de la fonte musculaire observée à partir de 60 ans et de la performance réduite des muscles restants [2, 3]. A la radiographie latérale du rachis lombaire en position debout, le trouble de l’équilibre sagittal est reconnaissable à la lordose aplatie du rachis lombaire ainsi qu’à la rétroversion pelvienne compensatrice: le promontoire prend ainsi une position dorsale par rapport à l’articulation de la hanche (fig. 2).
Chez les jeunes adultes, les courbures sagittales du rachis cervical, thoracique et surtout lombaire sont en étroite relation avec l’orientation du sacrum, fixée dans le bassin. Etant donné que l’orientation du sacrum reste stable à partir de l’âge adulte, il est possible de tirer des conclusions à vie quant à la lordose physiologique du rachis lombaire durant l’enfance [4].
Le concept d’équilibre sagittal a initialement été décrit par des auteurs français au début des années 1990, et cela fait maintenant 10-15 ans qu’il s’est établi dans le domaine de la chirurgie rachidienne pour le diagnostic et la planification thérapeutique [1, 5]. Dans les autres spécialités, l’équilibre sagittal n’a vraisemblablement jusqu’à présent pas été considéré dans la même mesure. L’approche chirurgicale consiste à ajuster le profil sagittal en fonction de la norme correspondant à l’âge du patient au moyen de techniques de correction et de stabilisation appropriées et ainsi à décharger les mécanismes de compensation douloureux. Comme les troubles de l’équilibre sagittal s’accompagnent de scolioses (dégénératives), c.-à-d. de déformations dans le plan coronal, dans environ 75% des cas, ces deux entités sont souvent regroupées et évaluées sous le terme générique «adult spinal deformity» (ASD) dans les études de cohorte [6]. Il est clairement avéré que les patients avec ASD jugent leur qualité de vie plus faible que les personnes en bonne santé et que les patients atteints de maladies chroniques [7, 8] et que la décompression chirurgicale et la stabilisation correctrice soulagent davantage les maux de dos et les douleurs dans les jambes qui en découlent que le traitement conservateur [9]. Toutefois, on remarque que les maux de dos ont tendance à persister davantage chez les patients qui présentent un trouble isolé de l’équilibre sagittal par rapport aux patients avec scolioses concomitantes [6]. Cependant, en particulier à un âge avancé, l’équilibre sagittal formellement positif n’est pas forcément douloureux et tous les cas d’équilibre sagittal positif douloureux ne doivent pas être soumis à une correction maximale. Ce principe est utile dans le cadre de la planification de l’opération pour les patients dont les symptômes dominants émanent d’une sténose du canal rachidien ou d’une sténose foraminale associée. Dans ce cas, plus les patients sont âgés, plus la restauration de la lordose disparue du rachis lombaire doit être partielle afin de garantir le meilleur bénéfice possible [10, 11]. L’équilibre sagittal est une interaction de l’ensemble du système musculo-squelettique, et notamment des chaînes musculaires à proximité du rachis. Si ces dernières ne parviennent pas à stabiliser une forme corrigée du rachis, par exemple en cas de sarcopénie ou de maladies neurodégénératives, des pseudarthroses, des cyphoses secondaires et des pertes de correction se produisent. Il en va de même lorsque les patients ne parviennent pas à se projeter mentalement dans leur nouvelle posture et retombent dans le schéma postural intériorisé, ou lorsque des contractures des muscles abdominaux ou des muscles ischio-jambiers ne permettent pas d’adopter une nouvelle posture. En vue de réduire les taux de complications et de révisions jusqu’à présent élevés de ces interventions rachidiennes parfois lourdes [12, 13], les nouveaux angles de mesure et calculs se basent sur des clichés radiographiques de l’ensemble du rachis et tiennent compte de la valeur théorique et de la répartition physiologique de la lordose du rachis lombaire pour la planification de l’opération. Il s’est en effet avéré que non seulement l’angle total de la lordose mais aussi la façon dont cet angle est fragmenté sur les différents segments jouent un rôle quant au résultat postopératoire. Par exemple, l’angle entre la L4 et la S1 devrait compter pour 50-80% de la lordose totale du rachis lombaire [14, 15].
En outre, la détermination d’un indice de fragilité préopératoire est proposée afin de pouvoir évaluer le risque du traitement sur la base de l’état général et des comorbidités du patient [16]. Les défis chirurgicaux et les obstacles relatifs aux patients n’enlèvent rien à la valeur qui incombe aujourd’hui au concept d’équilibre sagittal dans la chirurgie du rachis. Cela vaut également pour la planification de décompressions et de stabilisations de courts segments, pour lesquelles la restauration segmentaire de la lordose peut empêcher le développement d’un syndrome du dos plat iatrogène et peut réduire le risque de dégénérescences segmentaires secondaires [17, 18]. En effet, si l’angle de correction de courts segments est trop petit, les segments voisins encore mobiles se déploient de façon compensatoire et des rétrolisthésis surviennent, ce qui accélère la dégénérescence secondaire des segments voisins et accroît le risque d’opérations supplémentaires après quelques années.
Evaluation
Même si de nombreux patients âgés avec une indication «arithmétiquement» claire de correction ne sont plus éligibles pour une opération complexe, l’expérience tirée des consultations montre que pour les patients, il est tout de même utile de comprendre l’origine de leurs troubles et de réduire la charge des muscles érecteurs du rachis au moyen de cannes, d’un déambulateur ou de pauses assises fréquentes. Au regard de la sélection restrictive des patients, ceci constitue une recommandation courante, notamment pour les patients âgés. Ainsi, il est toujours indiqué de tenir compte de l’équilibre sagittal lors des conseils dispensés aux patients et de la planification thérapeutique, mais il n’en découle pas toujours une indication pour une opération du rachis.
Un article de revue sur l’équilibre sagittal et l’instabilité suivra dans l’un des prochains numéros du Forum Médical Suisse.
L’auteur n’a pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
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PD Dr méd. Gregory Jost
Chefarzt Spinale Chirurgie / Médecin-chef Chirurgie spinale
Spitalzentrum Biel /
Centre hospitalier Bienne
Vogelsang 84
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