Les enjeux de la recherche durant la pandémie de COVID-19
Perspectives hospitalières

Les enjeux de la recherche durant la pandémie de COVID-19

Aktuell
Édition
2020/2730
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2020.08556
Forum Med Suisse. 2020;20(2730):428-431

Affiliations
a Départment de médecine, Service de médecine interne, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne, et Université de Lausanne

Publié le 01.07.2020

Bien que la faisabilité de la recherche en situation de crise ait pu se vérifier, la première vague d’infections nous a rappelé l’importance de la rigueur scientifique.

La pandémie

En décembre 2019, de multiples cas de pneumonies atypiques furent objectivés à Wuhan en Chine. Un nouveau coronavirus nommé SARS-CoV-2 fut rapidement identifié comme agent causal et la maladie associée fut dénommée COVID-19 («coronavirus disease 2019»). S’en suivit une rapide propagation à travers tout le globe et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclara la situation comme pandémique dès le 11 mars 2020. En Suisse, la situation devint préoccupante à la mi-février lorsque le nord de l’Italie se révéla être l’un des premiers et plus importants foyers de COVID-19 en dehors de l’Asie. Le premier cas de COVID-19 en Suisse remonte au 25 février 2020 à Lugano. Dans le service de médecine interne du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne, le premier cas de COVID-19 fut admis le 7 mars 2020. Le nombre d’admissions pour COVID-19 au CHUV et au sein du service de médecine interne augmenta de manière exponentielle, avec un pic de patients hospitalisés à fin mars / début avril 2020. Depuis lors, comme dans le reste du pays, les hospitalisations pour COVID-19 sont à la baisse (fig. 1).
Figure 1: Evolution du nombre de nouveaux cas de patients COVID-19 hospitalisés dans le canton Vaud et du nombre de ­nouveaux projets de recherche COVID-19 soumis au groupe de travail «recherche» du CHUV.

Projets de recherche en période de ­COVID-19

Même après plusieurs mois d’expérience clinique, il faut reconnaître que de nombreuses questions sur la maladie restent encore ouvertes.
Le début de la pandémie a été caractérisé par un climat d’incertitude et d’urgence sanitaire rarement vécu auparavant. Les incertitudes furent multiples: (1) physiopathologiques (maladie avec tempête cytokinique, rôle des récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 [ACE2]), (2) diagnostiques (performances des PCR [«polymerase chain reaction»] sur frottis naso-pharyngés), (3) cliniques (multiples manifestations atypiques), (4) épidémiologiques (groupes à risque et rôles des comorbidités), (5) thérapeutiques (efficacité des médicaments comme l’hydroxychloroquine, les antiviraux) et (6) aspects d’hygiène hospitalière (types d’isolements et masques de protection, durée du confinement en cas de retour à domicile) et dans l’urgence de la situation ont amené à des réponses pas toujours fondées sur l’évidence scientifique. La reconnaissance de ces limitations a induit la mise en route précoce de nombreux projets de recherche ciblées sur le SARS-CoV-2 et sa ­maladie associée, la COVID-19.
Néanmoins, dans l’effervescence du questionnement scientifique en période pandémique, plusieurs défis se sont révélés.

Des réponses urgentes peu vérifiées

Cette situation d’urgence inédite a rendu manifeste le conflit existant entre le besoin d’apporter des réponses rapides aux incertitudes (notamment thérapeutiques) et la nécessité de garantir la sûreté et qualité de ces réponses par une méthodologie et un design d’étude strict, requérant nécessairement plus de temps [1].
Ainsi, durant les premières semaines de la pandémie, l’utilisation de traitements «off-label» en dehors d’essais cliniques contrôlés randomisés a été une pratique commune dans de nombreux centres de soins dans le monde entier.
La publication très rapide de nombreux «case-report», «pre-print» et/ou non reviewés, quasi immédiatement relayés par les médias, s’est multipliée.
Ainsi, des hypothèses personnelles de divers experts ou des résultats d’études préliminaires ont pu bénéficier de la même considération que des conclusions d’études rigoureuses et ont pu jouer un rôle important dans les premières décisions de prise en charge ­clinique. En sont témoins l’engouement pour l’utilisation d’hydroxychloroquine, ou la confusion autour de ­l’utilisation d’inhibiteurs du système rénine-angio­tensine-aldostérone (inhibiteurs de l’enzyme de conversion [IEC] et antagonistes des récepteurs de ­l’angiotensine II [ARA II]) ou d’ibuprofène et leurs potentiels dangers respectifs dans le cadre de la COVID-19 [2].
Malgré la subséquente volonté générale de prioriser l’utilisation de nouveaux médicaments uniquement dans le cadre d’études randomisées [3, 4], l’utilisation préalable de médicaments «off-label» et leur médiatisation, a induit une autre question éthique inusuelle: la demande des patients et la possibilité accordée aux soignants d’administrer une traitement non-validés même en cas de refus du patient de participer à une étude randomisée en cours visant à en étudier la sureté et les bénéfices potentiels.
Ces exemples illustrent bien l’équilibre délicat qu’il existe entre recherche et pratique clinique en situation de crise pandémique.

Des réponses retardées mais validées

Outre le délai important existant entre la conception d’un projet de recherche randomisé, la rédaction du protocole d’étude, l’approbation par la commission d’éthique, et le début du recrutement des patients, l’obtention des consentements de la part des patients à participer aux études a représenté un défi en soi.
D’une part, il a fallu faire face à l’impossibilité de récolter prospectivement ces consentements chez des patients admis en urgence en situation d’instabilité clinique ou sans capacité de discernement (en relation avec l’épidémiologie de la COVID-19 qui affecte particulièrement les personnes âgées) et aux difficultés de ­récolter rétrospectivement les consentements pour l’utilisation de données cliniques existantes chez des patients décédés ou avec des séquelles neuro-psychiques importantes.
D’autre part, les demandes de consentement associées aux nombreux projets de recherche impliquant des mesures et/ou des critères d’inclusion très similaires, mais des plans de recherche non compatibles les uns avec les autres, se sont multipliées.
De plus, toujours en lien avec l’utilisation de traitements «off-label», la «compétition» entre groupes et projets de recherche a également révélé un manifeste manque de coordination institutionnelle, nationale et internationale. Plusieurs conséquences découlent de ce manque de coordination: (1) ralentissement du ­recrutement des patients dans des protocoles d’études coordonnés, (2) retard dans les analyses, (3) réduction des opportunités de tester d’autres hypothèses cliniques et, pour finir, (4) limitation des potentielles ­options thérapeutiques [1, 5].
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’intérêt et les ressources (par exemple en personnel qualifié, matériel et locaux) alloués à la recherche sur la COVID-19 se sont faits en grande partie au détriment des autres domaines de recherche [6, 7]. Compte tenu des mesures d’hygiène et distanciation sociale, la majorité des études cliniques en cours non relatives à la COVID-19 ont en effet dû s’interrompre et les animaleries ont dû fermer, avec les conséquences négatives que l’on peut aisément imaginer pour des études en cours parfois depuis longue date.

Ce qu’il s’est passé au CHUV concernant la recherche

Les points positifs

Cette pandémie a mis en exergue plusieurs éléments positifs concernant la recherche dans notre institution en temps de crise. En effet, au CHUV comme dans tout le monde académique, la COVID-19 a suscité un engouement scientifique extraordinaire et l’engagement très rapide de moyens et de chercheurs impliqués dans différentes spécialités médico-chirurgicales et soignantes. Dans le vif de la pandémie, malgré la surcharge de travail clinique, de nombreux projets de recherche ont été imaginés et de nombreuses publications rédigées, témoignant d’un dynamisme remarquable de notre communauté scientifique universitaire (fig. 1 et tab. 1).
Tableau 1: Thématiques des protocoles de recherche COVID-19 soumis au CHUV.
PhysiopathologieProfil inflammatoire et cytokinique
DiagnosticQualité des tests de dépistage
Performance de l’US pulmonaire et ­bronchoscope versus CT thorax
Sérologies
CliniquePrésentations inusuelles
Complications vasculaires et hémato­logiques
Complications neurologiques
Co-infections et surinfections pulmonaires
Bien-être des soignants
EpidémiologiePopulation à risque et morbi-mortalité
Géolocalisation
Facteurs prédictifs
Enfants
Grossesse
Patients oncologiques
Patients psychiatriques
ThérapiesSOLIDARITY
CORON-ACT
Neuro-réhabilitation
CHUV: Centre hospitalier universitaire vaudois; US: ultrasonographie; CT: tomodensitrométrie; SOLIDARITY, CORON-ACT: cf. figure 2.
Dans cet élan, les chercheurs ont été soutenus financièrement par des nouveaux fonds alloués rapidement. En plus du Fond National Suisse de la Recherche Scientifique avec un programme national de recherche (PNR) dédié à la COVID-19, la Fondation CHUV, en collaboration avec la Direction générale du CHUV et le Décanat de la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’Université de Lausanne (UNIL) a alloué des «Fonds pour la recherche COVID-19».

Les points négatifs

Comme partout dans le monde, au CHUV aussi la prise en charge initiale des patients en termes de traitements médicamenteux s’est basée sur l’utilisation «off-label» d’hydroxychloroquine, lopinavir/ritonavir et remdesivir, avant que des études randomisées, d’abord institutionnelles puis internationales, prennent lentement le relais.
Rapidement, avec le nombre croissant de projets de recherche, les problèmes de coordination, priorisation, recrutement et faisabilité décrits précédemment se sont également manifestés dans notre institution.
Face à ces multiples défis, des réponses ont été progressivement mises en place dans notre institution.

Les réponses de la FBM-CHUV

Un groupe de travail institutionnel «recherche» pour le CHUV et la FBM a été créé. Celui-ci assure désormais l’évaluation des aspects scientifiques et méthodologiques, la coordination et la priorisation des projets de recherche institutionnels. Son rôle n’est pas de se substituer à la Commission d’éthique (CER-VD), mais d’offrir un soutien aux chercheurs en s’assurant de la faisabilité des différents projets en cours [8]. Ce groupe est constitué d’experts indépendants et collaborateurs des services de médecine interne, des maladies infectieuses, des soins intensifs et des urgences ainsi que d’experts de services ne traitant pas des patients COVID-19. La contribution du groupe de travail insti­tutionnel «recherche» et de la commission d’éthique a été fondamentale dans la sélection et priorisation des études cliniques jugées cliniquement relevantes (fig. 2).
Figure 2: Aperçu des projets de recherche COVID-19 soumis au groupe de travail ­«recherche» du CHUV-FBM de l’Université de Lausanne.
CHUV: Centre hospitalier universitaire vaudois; FBM: Faculté de biologie et de médecine.
D’autre part, afin d’en faciliter son obtention, un nouveau formulaire de consentement général (déjà en élaboration avant la pandémie de COVID-19) pour l’utilisation rétrospective à des fins de recherche de données médicales de routine et d’échantillons biologiques collectés durant les soins a été déployé au CHUV. Ce simple formulaire d’une page est à compléter par le patient ou son représentant thérapeutique. Une équipe d’étudiants en médecine a été formée par l’Unité du consentement à la recherche et chargée d’identifier les nouveaux patients COVID-19 admis au CHUV et potentiellement éligibles. Ces mêmes étudiants transmettent le formulaire aux patients, en expliquent les modalités, puis centralisent la récolte.
Compte tenu de l’urgence sanitaire, certains chercheurs ont eu la possibilité de demander à la CER-VD l’application de l’Art. 34, alinéa C, de la loi relative à la recherche sur l’être humain qui stipule que le consentement peut faire défaut à titre exceptionnel à des fins de recherche si «l’intérêt de la science prime celui de la personne concernée à décider de la réutilisation de son matériel biologique ou de ses données».
Cependant, malgré toutes ces mesures, la plupart des projets de recherche qui ont vu le jour au CHUV n’ont pu être initiés que lorsque l’incidence des cas de COVID-19 était déjà à la baisse (fig. 1).

En conclusion

Cette situation pandémique inédite a été instructive et encourageante à bien des égards du point de vue de la recherche dans notre institution. Bien que la faisabilité de la recherche en situation de crise ait pu se vérifier, la première vague d’infections nous a rappelé l’importance de la rigueur scientifique malgré notre envie à tous d’apporter une réponse rapide aux patients atteints par cette pandémie [3, 5]. La perspective d’une ­seconde vague de cas de COVID-19 nous impose davantage d’anticipation et coordination, tant au niveau institutionnel que national et international.
Des réflexions pour entretenir et améliorer notre capacité d’anticipation et réactivité sont déjà en cours.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Daryoush Samim
Départment de médecine, Service de médecine interne, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)
Rue du Bugnon 46
CH-1011 Lausanne
Daryoush.Samim[at]chuv.ch
1 Bauchner H, Fontanarosa PB. Randomized Clinical Trials and COVID-19: Managing Expectations. JAMA. 2020 May 4. doi:10.1001/jama.2020.8115. Online ahead of print.
2 Mogensen JF. Science Has an Ugly, Complicated Dark Side. And the Coronavirus Is Bringing It Out. motherjonescom [Internet]. c2020 [published 2020 April 28; cited 2020 May 17]:Available from: https://www.motherjones.com/politics/2020/04/coronavirus-science-rush-to-publish-retractions/.
3 Kalil AC. Treating COVID-19-Off-Label Drug Use, Compassionate Use, and Randomized Clinical Trials During Pandemics. JAMA. 2020 Mar 24. doi: 10.1001/jama.2020.4742. Online ahead of print.
4 London AJ, Omotade OO, Mello MM, Keusch GT. Ethics of randomized trials in a public health emergency. PLoS Negl Trop Dis. 2018;12(5):e0006313.
5 London AJ, Kimmelman J. Against pandemic research exceptionalism. Science. 2020;368(6490):476–7.
6 Byrd JB, Bello N, Meyer MN. Pandemic Pandemonium: Pausing Clinical Research During the COVID-19 Outbreak. Circulation. 2020 Apr 22. doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.120.047347. Online ahead of print.
7 Padala PR, Jendro AM, Padala KP. Conducting Clinical Research During the COVID-19 Pandemic: Investigator and Participant Perspectives. JMIR Public Health Surveill. 2020;6(2):e18887.
8 Lakens D. Pandemic researchers – recruit your own best critics. Nature. 2020;581(7807):121.