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En médecine ambulatoire, les infections respiratoires sont dans la plupart des cas d’origine virale, mais beaucoup de patients reçoivent tout de même un antibiotique. Les cliniciens de première ligne ont besoin d’outils diagnostiques leur permettant de guider leurs prescriptions. Chez les patients COVID-19, la prévalence de surinfection bactérienne est très faible. Seulement un nombre limité de patients avec maladie COVID-19 sévère vont bénéficier de ces tests, puis d’antibiotiques. Dans cet article, nous discutons de la performance diagnostique des outils qui peuvent être utilisés.
Introduction
Les infections respiratoires sont la raison la plus importante de prescription inappropriée d’antibiotiques en médecine humaine, ce qui participe à l’augmentation mondiale de la résistance aux antibiotiques. La majorité de ces antibiothérapies est prescrite en médecine ambulatoire dans les cabinets de médecine générale et dans les centres d’urgences, où la plupart des infections sont d’origine virale et ne requièrent pas de traitement antibiotique [1–3]. Néanmoins, des pneumonies bactériennes sont aussi retrouvées chez ces patients et il est important de les identifier car ce sont eux qui vont bénéficier d’une antibiothérapie.
L’absence de signes et symptômes spécifiques permettant d’identifier les patients avec une infection bactérienne, ainsi que l’absence de test diagnostic performant, sont des raisons qui mènent à une prescription inappropriée d’antibiotiques. Les cliniciens de première ligne ont besoin d’outils leur permettant de guider leurs prescriptions. Ces outils doivent, de surcroit, être disponibles en «point-of-care» (POC), c’est à-dire pouvoir être réalisés au cabinet du praticien ou dans le centre d’urgences pendant la consultation afin d’être intégrés dans la prise de décision clinique.
Nous faisons face depuis quelques mois à un afflux de patients infectés par le nouveau Coronavirus, le SARS-CoV-2. La plupart des patients présentent une maladie (COVID-19) légère (pas de pneumonie) à modérée (pneumonie sans besoin de substitution en oxygène), alors que 16% vont être hospitalisés pour une pneumonie COVID-19 sévère (besoin de substitution en oxygène) et 5% auront une maladie COVID-19 critique (besoin de soins intensifs) [4, 5].
Chez ces patients avec pneumonie virale, se pose la question de la surinfection bactérienne et de la prescription d’antibiotiques. Sachant que la surinfection bactérienne des patients infectés par le SARS-CoV-2 est un facteur de mauvaise évolution, il est parfois difficile de ne pas prescrire d’antibiotiques à ces patients. Cependant, les données disponibles font part d’un faible taux de surinfection bactérienne chez les patients COVID-19. Deux méta-analyses montrent que seulement 7% des patients hospitalisés avec un SARS-CoV-2 ont aussi une infection bactérienne, alors que 70% d’entre eux reçoivent un antibiotique selon des données d’Espagne, Chine et Thaïlande [6, 7]. Le taux de surinfection bactérienne est un peu plus élevé, à 15%, chez les patients avec COVID-19 nécessitant une prise en charge aux soins intensifs. Ces données suggèrent que très peu de patients vont bénéficier d’une antibiothérapie alors que beaucoup en reçoivent. Il est donc primordial de pouvoir guider les cliniciens dans leur prescription d’antibiotiques afin d’éviter une augmentation de la résistance aux antibiotiques comme conséquence de cette épidémie.
Nous allons discuter dans cet article l’utilité de différents outils diagnostiques disponibles en POC pour guider la prescription d’antibiotiques chez les patients avec une infection à SARS-CoV-2, notamment l’utilisation de biomarqueurs de l’inflammation, de l’ultrason pulmonaire et de tests de microbiologie moléculaire.
Biomarqueurs inflammatoires de l’hôte
L’utilisation de biomarqueurs de l’inflammation pour guider les cliniciens dans leur prescription d’antibiotiques chez des patients avec une infection respiratoire basse a été évaluée dans plusieurs études. La protéine C réactive (CRP) et la procalcitonine (PCT) sont les biomarqueurs de l’hôte qui ont été le plus étudiés et de surcroit, ils sont disponibles en modalité POC. La CRP et la PCT sont sécrétées en réponse aux cytokines inflammatoires. La synthèse de la PCT est inhibée par l’interféron-gamma dont la concentration augmente dans les infections virales, ce qui la rend plus spécifique pour la détection d’infections bactériennes [8]. Autant la CRP que la PCT sont utiles pour optimiser la prescription d’antibiotiques chez les patients avec des infections respiratoires aiguës en médecine générale [9–12]. D’autres études conduites dans les centres d’urgences ont montré des résultats contradictoires quant à l’impact de la PCT sur la prescription d’antibiotiques chez les patients avec une infection respiratoire basse. Ces résultats discordants sont liés à une différence majeure d’adhésion des cliniciens à la guidance basée sur la PCT [13, 14].
Chez les patients infectés par le SARS-CoV-2, plusieurs études ont montrés une corrélation entre les valeurs de CRP et de PCT et la sévérité de la maladie [15, 16]. Une méta-analyse a montré que des valeurs élevées de PCT sont liées à une augmentation de 5 fois du risque de maladie critique à SARS-CoV-2 [17]. Hormis, la valeur pronostique de ces biomarqueurs, qu’en est-il de leur utilisation pour guider la prescription d’antibiotiques chez ces patients COVID-19? Les données existantes concernent les patients hospitalisés. La majorité de ces patients présentent une valeur de CRP élevée lors de leur première consultation aux urgences. Chez les patients hospitalisés au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) avec une infection à SARS-CoV-2, 55% (74/135) avaient une valeur de CRP >50 mg/l et 29% (39/135) une CRP >100 mg/l [18], rendant son utilisation difficile pour décider de la prescription d’antibiotiques. Parmi les patients ayant été intubé, la proportion de patients avec une valeur élevée de CRP était encore plus importante (CRP >50 mg/l: 78%; CRP >100 mg/l: 59%). Concernant la PCT, dans une cohorte chinoise de 1099 patients hospitalisés avec une maladie COVID-19, uniquement 5,5% présentaient une valeur de PCT ≥0,5 μg/l, suggérant que la PCT pourrait être utile pour guider les prescriptions d’antibiotiques. Parmi les patients ayant nécessité un séjour en soins intensifs ou étant décédés durant le séjour hospitalier, 24% avaient une PCT ≥0,5 μg/l [19]. Il faut cependant rester prudent dans l’interprétation de ces biomarqueurs chez les patients sous dexaméthasone, qui pourrait baisser leur valeur par son effet anti-inflammatoire [20].
Pour résumer, dans le contexte de la maladie COVID-19, les biomarqueurs de l’inflammation peuvent être élevés chez des patients avec une atteinte sévère ou critique, indépendamment de la présence d’une surinfection bactérienne. La PCT semble moins affectée que la CRP et pourrait être utilisée pour exclure une surinfection bactérienne, particulièrement chez les patients avec une COVID-19 non critique (en dehors des soins intensifs).
Ultrason pulmonaire
L’ultrason pulmonaire est non irradiant, réalisable durant la consultation en POC et utile dans l’évaluation des dyspnées aux urgences [21]. De plus, il est déjà utilisé de routine dans de nombreux centres d’urgences et est un examen peu coûteux. Plusieurs études ont montré une excellente performance de l’ultrason pulmonaire pour détecter un infiltrat afin de diagnostiquer la pneumonie en utilisant le CT scanner comme «gold standard» (sensibilité de 92% et une spécificité de 93%), ce qui est largement supérieur à la performance de la radiographie du thorax (sensibilité de 69% et spécificité de 85%) [22, 23]. Les recommandations suisses et allemandes de la prise en charge des patients avec suspicion de pneumonie proposent l’ultrason pulmonaire comme alternative à la radiographie du thorax si le personnel est formé [24, 25]. La pneumonie bactérienne se manifeste à l’ultrason par une image de consolidation dans un lobe ou par un infiltrat interstitiel localisé [26]. Aucune étude randomisée n’a été réalisée afin d’évaluer l’impact de l’ultrason pulmonaire sur la prescription d’antibiotiques.
Durant la pandémie à SARS-CoV-2, de nombreux articles ont décrit et proposé l’ultrason pulmonaire comme outil diagnostique et pronostic. L’ultrason est réalisable au chevet du patient, ce qui est un avantage majeur dans le contexte d’une maladie contagieuse car cela évite de déplacer le patient. Dans 91 à 100% des cas, les patients atteint d’une pneumonie à SARS-CoV-2 ont des anomalies ultrasonographiques [27, 28]. L’étendue ainsi que le type d’atteinte corrèle à la sévérité clinique de la maladie permettant l’utilisation de l’ultrason pour identifier les patients à risque de mauvaise évolution [28, 29]. La maladie COVID-19 provoque des atteintes pulmonaires bilatérales et multifocales; les images caractéristiques mais non spécifiques sont des infiltrats interstitiels, des épaississements/irrégularités pleurales ainsi que, dans les stades les plus sévères, des consolidations [28]. D’autres virus respiratoires (H1N1) peuvent produire des images semblables [30]. Dans ce contexte de pneumonie virale, l’identification des patients avec une surinfection bactérienne à l’ultrason est un défi. Cependant, en l’absence de consolidation à l’ultrason, une surinfection bactérienne est peu probable. Comme les consolidations pulmonaires sont rares chez les patients COVID-19, particulièrement chez les patients avec une atteinte légère à modérée (uniquement chez 6% des patients), l’ultrason pourrait être utile pour exclure une surinfection bactérienne [28].
Pour résumer, l’ultrason pulmonaire a une place dans le diagnostic de la pneumonie et le pronostic de la maladie COVID-19. Sa sensibilité pour détecter une surinfection pulmonaire bactérienne chez les patients COVID-19 semble conservée, mais sa spécificité est affectée par la pneumonie virale elle-même.
Biologie moléculaire
La microbiologie moléculaire permet l’identification d’un germe par la mise en évidence de son matériel génétique en utilisant la technique de réaction en chaîne par polymérase («polymerase chain reaction» [PCR] en anglais). Son avantage par rapport à la microbiologie standard (examen direct et cultures), est de permettre un diagnostic sans être affecté par la viabilité ou par les difficultés de mise en culture (intrinsèque à la bactérie ou suite à une antibiothérapie préalable). Dans les pathologies respiratoires, la microbiologie moléculaire est actuellement considérée comme le «gold standard» pour la mise en évidence des virus respiratoires et des bactéries atypiques (Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae, Legionella pneumoniae) [31, 32].
Le développement de PCR POC pour les infections respiratoires a rendu l’identification de certains pathogènes plus rapide (1 à 2 heures) et accessible (en dehors d’un laboratoire spécialisé). Les PCR POC pour Influenza A/B et SARS-CoV-2 permettent d’accélérer les décisions d’isolement respiratoire et l’instauration de traitement ciblé [31]. Ces méthodes diagnostiques moléculaires sont en plein essor et plusieurs POC multiplex (panel ou syndromique) sont actuellement disponible. Il en existe principalement deux types, (1.) le «panel respiratoire» destiné aux prélèvements naso-pharyngés (cible plusieurs virus respiratoires et les bactéries atypiques telles que Mycoplasma pneumoniae et Chlamydia pneumoniae) et (2.) le «panel pneumonie» pour des prélèvements respiratoires profonds (expectorations, aspiration bronchique ou lavage broncho-alvéolaire; cible plusieurs virus respiratoires, les bactéries atypiques et plusieurs bactéries causant des pneumonies communautaires et nosocomiales) [33, 34]. L’avantage des panels est de tester un plus grand nombre de pathogènes que ceux recherchés individuellement par des PCR spécifiques. Cependant, le grand nombre de pathogènes testés peut rendre l’interprétation d’un résultat positif difficile, soulevant la question du rôle de la bactérie identifiée dans l’épisode en cours (colonisant ou pathogène).
Deux études randomisées contrôlées ont évalué l’impact d’un «panel respiratoire» (ciblant des virus respiratoires et bactéries atypiques) dans des frottis naso-pharyngés sur la prescription d’antibiotique chez des patients avec infection respiratoire basse. Ces études n’ont pas montré de différence en terme de proportion de patients traités par antibiotiques [35, 36]. Ceci est probablement dû au fait que ces «panels respiratoires» ne permettent pas d’exclure une surinfection bactérienne car ils ne ciblent pas les bactéries généralement responsables. Les «panels pneumonie» qui ciblent des virus, mais également des bactéries respiratoires pourraient combler cette limite. Plusieurs études chez des patients avec infection respiratoire basse ont montré que les PCR retrouvent >90% des pathogènes identifiés par les méthodes diagnostiques de microbiologie standard tout en offrant une plus grande sensibilité. En effet, 15 à 50% de germes supplémentaires sont identifiés [33, 37, 38]. Cependant, une grande partie de ces infections reste d’étiologie indeterminée car la moitié des patients avec pneumonie communautaire ne produisent pas de sputum [39]. Dans ce contexte, la recherche des antigènes urinaires pneumocoques pourrait être utile, mais un résultat négatif ne permet pas d’exclure une infection par une autre bactérie et ne permet donc pas de retenir une antibiothérapie.
La possibilité d’établir de façon rapide et précise l’étiologie des infections respiratoires basses pourrait révolutionner la prise en charge de ces patients. L’objectif serait de définir en quelques heures l’indication ou non à une antibiothérapie tout en pouvant administrer une antibiothérapie ciblée.
Plusieurs études rétrospectives évoquent la possibilité de désescalade du traitement antibiotique (entre 50 et 70% et des patients) s’il était guidé par les résultats du «panel pneumonie» [37, 38, 40]. Cependant, l’utilité de ces résultats dans la prise en charge des infections respiratoires reste à démontrer, car à l’heure actuelle aucune étude randomisée contrôlée n’a été effectuée pour évaluer l’impact de ces «panels pneumonie» sur la prescription d’antibiotiques dans la pratique clinique.
Dans le cadre de l’infection à SARS-CoV-2, une étude observationnelle sur 32 patients avec pneumonie critique admis aux soins intensifs en Belgique a montré qu’un changement de l’antibiothérapie (introduction ou arrêt) était possible chez 47% des patients en se fiant aux résultat d’une PCR Multiplex «panel pneumonie» sur des prélèvements respiratoires inférieurs [41].
En résumé, en absence d’étude sur l’impact des «panels pneumonie» sur la prescription d’antibiotiques, leur utilisation ne peut actuellement pas être recommandée de façon systématique dans la prise en charge des infections respiratoires basses et dans les infections à SARS-CoV-2. De plus, leur coût élevé est un frein à une utilisation de routine.
Conclusion
Les outils diagnostics POC ont le potentiel d’optimiser la prescription d’antibiotiques chez les patients avec une infection respiratoire basse. Ceci est vrai pour les biomarqueurs de l’inflammation et reste à confirmer pour l’ultrason pulmonaire et les «panels moléculaires pneumonie».
Le manque d’évidence quant à l’utilisation de ces tests POC chez des patients COVID-19 ne permet pas de donner de recommandation claire. Cependant, chez les patients avec une maladie COVID-19 légère (absence de pneumonie), aucun test diagnostique supplémentaire n’est recommandé et une antibiothérapie n’est pas préconisée [5]. Chez les patients avec une maladie COVID-19 modérée à sévère, mais non critique (en dehors des soins intensifs), une CRP et/ou une PCT basses soutiennent la décision de ne pas prescrire d’antibiotiques. Dans les centres utilisant l’ultrason de routine, cet examen radiologique peu coûteux pourrait permettre de ne pas donner d’antibiotique en l’absence de consolidation. Il est aussi important de souligner que ces tests ont une spécificité diminuée dans ce contexte de pneumonie virale où l’augmentation de la PCT et la présence de consolidations à l’ultrason peuvent être liées à la sévérité de la maladie plutôt qu’à une surinfection bactérienne. Les panels moléculaires sont des examens coûteux qui n’ont actuellement pas de place dans le «stewardship» antibiotique chez les patients COVID-19.
En conclusion, la surinfection bactérienne est une problématique rare chez les patients COVID-19 et, en l’absence de sepsis, si la présentation clinique peut être expliquée par la maladie COVID-19, il n’y a pas de raison de débuter une antibiothérapie empirique.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
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PD Dr méd.
Noémie Boillat-Blanco
Service des maladies infectieuses
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