Syndrome d’Alport et affections apparentées
Maladie du collagène de type IV

Syndrome d’Alport et affections apparentées

Der besondere Fall
Édition
2021/0910
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08588
Forum Med Suisse. 2021;21(0910):168-170

Affiliations
Innere Medizin, Spital Zweisimmen, Spital STS (Simmental-Thun-Saanenland) AG

Publié le 02.03.2021

Une patiente de 42 ans est adressée par son médecin de famille pour un bilan néphrologique, car une microhématurie a été documentée à plusieurs reprises lors des contrôles gynécologiques.

Contexte

La microhématurie isolée asymptomatique représente toujours un défi diagnostique. L’âge, le sexe, l’exposition à la nicotine et l’anamnèse familiale constituent des critères majeurs pour l’orientation des patients vers une consultation urologique ou néphrologique. C’est avant tout la néphrologie qui détermine à quel point les investigations doivent être poussées. Environ 30% des patients faisant l’objet d’une biopsie rénale consécutive présentent une néphropathie à IgA qui, dans cette constellation avec une créatinine sérique normale et une absence de protéinurie, ne nécessite pas de traitement et ne fait généralement même pas l’objet d’une biopsie.

Présentation du cas

Une patiente de 42 ans avec des racines sud-européennes nous est adressée par son médecin de famille pour un bilan néphrologique, car une microhématurie a été documentée à plusieurs reprises lors des contrôles gynécologiques. Elle se trouvait sous traitement gynécologique en raison de menstruations irrégulières, de polypes et d’un myome utérin. Au préalable, un bilan urologique avec échographie, cystoscopie et cytologie par lavage vésical avait conclu au diagnostic de métaplasie trigonale. L’examen du sédiment urinaire avait montré une présence accrue d’acanthocytes, c.-à-d. d’érythrocytes glomérulaires. L’anamnèse familiale était longue, avec neuf frères et sœurs. Les deux parents étaient décédés d’un cancer. Au moment de l’anamnèse, deux frères étaient sous traitement de substitution rénale. L’un a développé une maladie aiguë à l’âge de 19 ans et a immédiatement été hémodialysé avant de bénéficier d’une transplantation rénale, qui lui a permis de se passer de dialyse durant 20 ans. Concernant l’autre frère, la patiente n’entretenait pas de bonnes relations avec lui. C’est récemment, à l’âge de 44 ans, qu’il a eu besoin d’être dialysé, mais les circonstances plus précises n’étaient pas connues. Une polykystose rénale était évoquée. Concernant la microhématurie, l’anamnèse familiale n’a comme d’habitude pas pu être complétée. Quoi qu’il en soit, aucune autre maladie rénale n’était connue. Un frère souffrait de la maladie de Crohn.
La patiente elle-même présentait des valeurs de pression artérielle plutôt hypotensives et une légère douleur à la pression dans la partie inférieure gauche de l’abdomen. Elle a indiqué présenter une acuité visuelle réduite au niveau de l’œil droit depuis l’enfance. Elle était sous suivi ophtalmologique, mais était incapable de citer un diagnostic. Elle était supplémentée en fer, en vitamine B12 et en magnésium, sans carence pertinente.
Nous sommes au moins parvenus à prendre contact avec la néphrologue traitante d’un frère. La biopsie rénale réalisée en 1991 chez le frère qui avait à l’époque 19 ans avait révélé une glomérulonéphrite avec prolifération extra- et endocapillaire en forme de croissant (plus de 40%), ainsi que nécrose fibrinoïde et dépôts d’IgA et de C3.
En raison de l’anamnèse familiale positive, un examen génétique a été réalisé directement après l’examen néphrologique de routine. Il a révélé une mutation c.3829G>A (p.Gly1277Ser) dans le gène codant pour la chaîne α3 du collagène de type IV (COL4A3), c.-à-d. une substitution de la guanine par l’adénosine en position 3829 de l’ADN, qui était responsable d’un changement des acides aminés dans la protéine de collagène en position 1277 (remplacement de la glycine par la sérine). Les résultats ainsi que la maladie des membranes basales minces, ou plutôt le syndrome d’Alport, ont été expliqués à la patiente. La patiente a alors signalé que son frère qui devait être dialysé depuis peu était malentendant depuis l’enfance.
Nous avons initialement postulé que dans cette famille avec mutation dans le gène COL4A3, chacun des trois membres touchés présentait une manifestation différente au sein de la gamme des manifestations actuellement connues. La patiente remplit les critères d’une maladie des membranes basales minces, tandis que le frère malentendant dialysé présente les signes d’un syndrome d’Alport classique avec toutefois un début tardif de la dialyse. Contrairement à ce que nous pensions, la biopsie rénale du frère normo-entendant a montré une glomérulonéphrite proliférative avec croissant et dépôts d’IgA, qui est en réalité compatible avec une néphropathie à IgA et non pas avec le tableau de glomérulosclérose segmentaire focale (GSSF), tout en gardant à l’esprit que la biopsie avait été réalisée il y a près de trois décennies. Le test génétique réalisé ultérieurement chez ce frère n’a pas montré de mutation dans le gène COL4A3.

Discussion

En mars 2018, la nouvelle classification du syndrome d’Alport a été publiée [1]. La classification se base uniquement encore sur des critères génétiques, et non plus sur des critères cliniques. Le syndrome d’Alport n’est plus défini par la triade classique associant insuffisance rénale, perte auditive et manifestations oculaires diverses (le lenticône étant typique), mais il englobe désormais toute maladie qui est associée à une mutation dans la chaîne α3, α4 ou α5 du collagène de type IV, car l’expression clinique peut être très hétérogène. Le diagnostic de maladie des membranes basales minces ne doit plus être posé en rapport avec ces mutations. Cela a pour objectif d’éviter que les contrôles soient négligés chez les patients ayant un diagnostic qui était autrefois considéré comme bénin. Lors de l’évaluation du risque de progression vers une insuffisance rénale nécessitant un traitement de substitution rénale, il est essentiel de tenir compte des facteurs de risque pour les différentes mutations, car en fonction de la constellation dans le cadre d’un diagnostic préalable de maladie des membranes basales minces, le risque de nécessité de dialyse peut atteindre jusqu’à 20%, alors que dans la situation la plus favorable, c.-à-d. en l’absence de facteurs de risque, le risque est estimé à <1%. Les facteurs de risque sont par exemple une hématurie, une protéinurie ou une perte auditive.
Le collagène de type IV est le principal composant de la membrane basale glomérulaire et il est également présent dans l’oreille et dans l’œil. Il est composé d’hélices hétérotrimériques α3, α4 et α5 (fig. 1) dans un rapport 1:1:1. Pour former une hélice, un acide aminé sur trois doit être très petit, en l’occurrence une glycine. Les connexions avec d’autres molécules, telles que la laminine-521, l’agrine ou le nidogène, donnent alors naissance à un réseau. Il est dès lors compréhensible que des mutations puissent agir comme un facteur perturbateur et influencer négativement la formation de ce réseau, même si un allèle sain est présent.
Figure 1: Le collagène de type IV est composé de trois différentes hélices α . Le syndrome d’Alport se caractérise par une mutation dans l’hélice α 3, α 4 ou α 5, ce qui empêche l’assemblage correct du collagène de type IV.
Le schéma de classification simplifié est présenté dans le tableau 1. Il convient de noter que sur les trois gènes touchés, le gène COL4A5 est situé sur le chromosome X et que les hommes sont touchés à 100% (syndrome d’Alport classique), tandis que les femmes, qui étaient autrefois seulement qualifiées de porteuses, développent une insuffisance rénale nécessitant une dialyse dans jusqu’à 25% des cas. Les gènes COL4A3 et COL4A4 sont situés tête à tête sur le chromosome 2 et se partagent la région promotrice. Que ce soit chez la femme ou chez l’homme, en présence de deux mutations identiques (homozygotes) ou différentes (hétérozygotes composites) dans le même gène, une maladie avec transmission sur un mode récessif survient dans 100% des cas, mais l’évolution dépend fortement de la mutation concernée. Certaines mutations associées à une évolution clinique souvent légère (membranes basales minces) se transmettent sur un mode autosomique dominant. C’est le cas chez notre patiente. Ce type de mutation peut avoir des manifestations cliniques très variables, comme dans la famille décrite dans cet article. Il peut aussi y avoir une transmission héréditaire de deux mutations. Si les deux mutations sont situées sur le même chromosome (configuration cis), le risque d’insuffisance rénale terminale est plus faible que si chaque mutation est située sur des chromosomes homologues différents (configuration trans) [2].
Tableau 1: Schéma de classification simplifié des maladies du collagène de type IV (simplifié d’après [1]). Avant tout en cas de mutation dans le gène COL4A3 et COL4A4, le risque d’insuffisance rénale terminale dépend du mode d’hérédité. En cas de mutation dans le gène COL4A5 situé sur le chromosome X, l’expressivité est de 100% chez les hommes.
Mode d'héréditéGèneGénotype/varianteRisque attendu d’insuffisance rénale terminale
Lié à l’XCOL4A5Hommes hétérozygotes100%
Femmes homozygotesPhénotype dépendant de la mutation (jusqu’à 25%)
AutosomiqueCOL4A3
COL4A4
Récessif (homozygote ou hétérozygote composite)100% en fonction de la mutation
Dominant20% avec facteurs de risque
<1% sans facteurs de risque
DigéniqueCOL4A3 + COL4A4TransJusqu’à 100%
COL4A3 + COL4A4CisJusqu’à 20%
COL4A5 + COL4A3 ou COL4A4Pas d’hérédité mendélienneJusqu’à 100% (chez les hommes)
La GSSF est une autre entité néphrologique qui s’inscrit dans le tableau clinique du syndrome d’Alport et elle est très semblable à la maladie des membranes basales minces et au syndrome d’Alport classique. La GSSF est un diagnostic histologique qui présente des manifestations cliniques et des causes hétérogènes. Les étiologies possibles incluent divers dommages génétiques dans les protéines de la membrane de filtration des podocytes, des infections ou encore une sollicitation glomérulaire excessive dans le cadre d’une hyperfiltration, d’une hypertrophie ou d’un nombre insuffisant de néphrons. Dans la publication de Groopman et al. [3], plus de 3 000 patients atteints de néphropathie ont été soumis à un séquençage de l’exome entier. Une cause génétique a été identifiée chez 9,3% des malades. Autrefois, 16% des patients atteints du syndrome d’Alport se voyaient attribuer le diagnostic de GSSF.
Le traitement du syndrome d’Alport est fonction des manifestations cliniques qui, comme indiqué ci-dessus, peuvent être très variées. Toutefois, quelle que soit la présentation, un traitement par inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine devrait être évalué en cas de protéinurie et d’hypertension artérielle.

L’essentiel pour la pratique

• Le diagnostic de la maladie des membranes basales minces est posé par microscopie électronique et il devrait être approfondi au moyen d’une analyse génétique.
• Une analyse génétique est nécessaire pour la classification correcte d’une maladie du collagène de type IV, et les données devraient être entrées dans un registre. L’exception est bien sûr le syndrome de Goodpasture, qui est d’origine auto-immune.
• Le syndrome d’Alport peut se manifester sous forme de glomérulosclérose segmentaire focale (GSSF).
Nous remercions le Prof. D. Fuster, Inselspital, Berne, pour sa relecture critique du ­manuscrit.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Friederike Hennoch,
médecin diplômée
Innere Medizin
Spital Zweisimmen, ­Spital STS AG
Karl Haueter Strasse
CH-3770 Zweisimmen
friederike.henoch[at]spitalstsag.ch
1 Kashtan CE, Ding J, Garosi G, Heidet L, Massella L, Nakanishi K, et al. Alport syndrome: a unified classification of genetic disorders of collagen IV α345: a position paper of the Alport Syndrome Classification Working Group Kidney Int. 2018;93(5):1045–51.
2 Heidet L, Arrondel C, Forestier L, Cohen-Solal L, Mollet G, Gutierrez B, et al. Structure of the Human Type IV Collagen Gene COL4A3 and Mutations in Autosomal Alport Syndrome. J Am Soc Nephrol. 2001;12(1):97–106.
3 Groopman EE, Marasa M, Cameron-Christie S, Petrovski S, Aggarwal VS, Milo-Rasouly H, et al. Diagnostic Utility of Exome Sequencing for Kidney Disease. N Engl J Med. 2019;380:142–51.