L’état confusionnel aigu durant l’hospitalisation aiguë
Aperçu et algorithme pour la prévention et le traitement

L’état confusionnel aigu durant l’hospitalisation aiguë

Übersichtsartikel
Édition
2021/0102
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08626
Forum Med Suisse. 2021;21(0102):7-12

Affiliations
Universitätsklinik für Allgemeine Innere Medizin, Inselspital Bern
* Ces auteurs ont contribué à part égale à la réalisation de cet article.

Publié le 05.01.2021

Cet article propose un algorithme clinique pour la prévention, le dépistage et le traitement de l’état confusionnel aigu durant une hospitalisation aiguë, sur la base des preuves les plus récentes.

Introduction

L’état confusionnel aigu (ECA), ou delirium, est un syndrome clinique caractérisé par des troubles fluctuants de la conscience, qui survient généralement de façon aiguë. En médecine interne générale (MIG), 11–14% des patients développent un ECA durant l’hospitalisation et 18–35% présentent un ECA préexistant [1]. L’incidence est plus élevée dans les services de gériatrie (20–29%), dans les unités de soins intensifs (USI; 19–82%) et dans les unités de soins palliatifs (jusqu’à 47%), ainsi qu’en cas de démence préexistante (jusqu’à 56%) et après des interventions chirurgicales (11–51%) [1]. Il est fréquent que l’ECA ne soit pas repéré, et le diagnostic est uniquement posé dans 12–35% des cas [2]. En particulier l’ECA hypoactif n’est souvent pas détecté en raison de sa variabilité clinique et des symptômes négatifs [3].
Par rapport aux patients sans ECA, la survenue d’un ECA augmente la mortalité (d’1,5 fois dans les services de MIG, de jusqu’à 13 fois dans les USI [1]), double la ­durée d’hospitalisation et augmente le risque d’infections, de chute et d’institutionnalisation [2, 4, 5]. Les études conduites jusqu’à présent ont montré que les mesures préventives non-médicamenteuses réduisaient l’incidence de l’ECA [6, 7]. A l’inverse, hormis en cas d’ECA lié au sevrage alcoolique, les mesures médicamenteuses sont peu efficaces et sont associées à des effets indésirables pertinents [8, 9]. Dans cet article, nous proposons un algorithme clinique pour la prévention, le dépistage et le traitement de l’ECA durant une hospitalisation aiguë, sur la base des preuves les plus récentes.

Définition et diagnostic

Le diagnostic de l’ECA est clinique et il repose sur la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10) [10]. Dans la CIM-10, l’ECA est défini comme la présence de symptômes légers ou sévères dans chacun des domaines suivants: troubles de la conscience et de l’attention, troubles de la cognition, troubles psychomoteurs, troubles du rythme sommeil-veille et troubles affectifs (tab. 1).
Tableau 1: Critères diagnostiques selon la Classification internationale des maladies [10].
PsychopathologieSymptômes
Troubles de la conscience et de ­l’attentionQuantitatifs: troubles de la vigilance ­(somnolence, sopor, coma)
Qualitatifs: rétrécissement du champ de la conscience (focalisation sur certains contenus de vécu), baisse de l’attention, clarté réduite de la perception de l’environnement
Troubles de la cognition, de la ­perception et de l’orientationTroubles de la mémoire, troubles de la perception, comme par ex. hallucinations visuelles, désorientation dans la sphère temporelle, ­spatiale, personnelle ou situationnelle
Troubles psychomoteursHypo- ou hyperactivité et changement imprévisible entre les deux, allongement du temps de réaction, logorrhée ou diminution du débit ­verbal, réaction de frayeur renforcée
Troubles du rythme sommeil-veilleTroubles du sommeil (jusqu’à l’insomnie complète) avec ou sans somnolence diurne ou inversion du rythme sommeil-veille, aggravation nocturne des symptômes, cauchemars
Troubles affectifsDépression, anxiété, irritabilité, euphorie, ­apathie ou perplexité
Diagnostic de l’ECA = symptômes légers ou sévères dans chacun des domaines psychopathologiques mentionnés ci-dessus
L’évolution peut être très variable. En général, on observe un début aigu avec des manifestations cliniques fluctuantes au cours de la journée, et l’ECA régresse le plus souvent en l’espace de quatre semaines ou moins.
Sur le plan clinique, il convient de distinguer trois formes d’ECA: l’ECA hyperactif (1,6% des cas), l’ECA hypoactif (43,5% des cas) et l’ECA mixte (54,9% des cas). Dans l’ECA hyperactif, des symptômes tels que l’impatience, la motricité augmentée, l’agitation, l’agressivité, les fluctuations de l’humeur, les symptômes psychotiques et les troubles végétatifs prédominent [2]. Dans l’ECA hypoactif, l’attention et la motricité sont diminuées, et les patients sont fréquemment apathiques, raison pour laquelle le diagnostic n’est souvent pas posé [3]. L’ECA mixte est la forme la plus fréquente, avec une alternance des symptômes hyperactifs et ­hypoactifs mentionnés ci-dessus.
Il est essentiel de distinguer l’ECA d’autres maladies pouvant également s’accompagner d’une dysfonction cognitive. En particulier chez les patients souffrant de démence, la détection d’un ECA s’avère souvent difficile [11]. Les principales caractéristiques distinctives sont le mode de début de la symptomatologie, la durée, l’attention, la conscience, ainsi que le langage. Tandis que l’ECA débute le plus souvent de façon aiguë, est fluctuant et dure de quelques jours à quelques semaines, la démence se caractérise par une évolution lentement progressive sur plusieurs années [12]. Selon la définition de la CIM-10, les limitations cognitives doivent être présentes durant au minimum six mois pour poser le diagnostic d’une démence [1]. A la différence de la démence, dans laquelle le langage et l’attention sont préservés au début, le langage est le plus ­souvent incohérent et désorganisé et l’attention et la conscience sont réduites dans l’ECA [12]. D’autres diagnostics différentiels fréquents et leurs principales caractéristiques distinctives par rapport à l’ECA sont résumés dans le tableau 2.
Tableau 2: Diagnostics différentiels.
DiagnosticEléments diagnostiques de différenciation
DémenceDébut et évolution temporelle (aigu vs. chronique, fluctuation des symptômes)? Conscience? ­Attention? Langage?
Autres maladies du SNC(encéphalite, AVC, AIT, AGT, état de mal épileptique non convulsif)Déficits neurologiques focaux? Fièvre? EEG?
Delirium tremensConsommation d’alcool dans l’anamnèse?
Trouble affectifDysphorie? Manie? Fluctuation des symptômes?
SchizophrénieAnamnèse personnelle, schizophrénie connue? Trouble délirant? Hallucinations?
SNC: système nerveux central; AVC: accident vasculaire cérébral; AIT: accident ischémique transitoire; AGT: amnésie globale transitoire; EEG: électroencéphalogramme
L’hétéro-anamnèse réalisée auprès de membres de la famille, d’autres proches ou de soignants, en se concentrant tout particulièrement sur le début des symptômes, l’évolution temporelle, les possibles facteurs de risque et les déclencheurs, s’avère souvent décisive pour la pose du diagnostic [1]. Parfois, le diagnostic correct d’un ECA est uniquement posé après la disparition des symptômes [12]. En raison de la mortalité et morbidité accrues, il convient dans le doute de toujours partir du principe que le patient présente un ECA et de le traiter en conséquence [11].

Physiopathologie

La physiopathologie exacte de l’ECA est incertaine. Il est postulé que chez les personnes dont le cerveau est vulnérable, différents facteurs déclenchants peuvent conduire à un ECA [1]. Une interaction de plusieurs ­mécanismes, tels qu’une neurotransmission altérée, une inflammation, des altérations métaboliques, des troubles électrolytiques, un stress physiologique et des facteurs génétiques, est à l’origine d’altérations du réseau neuronal et d’une dysfonction cognitive aiguë [1]. Des indices suggèrent que toutes les altérations ne sont pas réversibles, car l’ECA est associé à une augmentation de 5,7 fois de l’incidence de la démence [5]. En outre, la durée de l’ECA constitue un facteur pronostique indépendant de développement d’une démence [13].

Facteurs de risque/déclencheurs

Les principaux facteurs de risque sont l’âge (≥65 ans), une démence préexistante, les limitations fonctionnelles, les comorbidités sévères, la multimorbidité et la polypharmacie [12]. Parmi les autres facteurs de risque figurent les antécédents d’ECA, les déficits sensoriels, la dépression, la malnutrition, ainsi que la consommation chronique d’alcool ou de drogues [1].
Les déclencheurs potentiels d’un ECA incluent les médicaments psychoactifs, les infections, les troubles métaboliques, les troubles électrolytiques, la déshydratation, la constipation, ainsi que les affections aiguës du cœur, des reins et du système nerveux central (SNC) [1, 13]. Le tableau 3 résume les principaux déclencheurs et les mesures préventives.
Tableau 3: Facteurs déclenchants et mesures non-pharmacologiques [1, 13].
Facteurs déclenchantsMesures
Privation sensorielle (acuité visuelle ­réduite, ­déficience auditive)S’assurer que des aides auditives et visuelles soient disponibles.
Fixations, installations, immobilisationEviter / retirer précocement les fixations, cathéters veineux et sondes urinaires. Mobilisation précoce.
Modifications de l’environnementEviter les transferts inutiles, équipe soignante constante, implication des proches, objets familiers.
Sommeil perturbéFavoriser le rythme jour-nuit. Amélioration de l’hygiène du sommeil.
Rétention urinaire, constipationNormaliser l’excrétion urinaire et le transit intestinal. Traitement de la constipation et de la rétention ­urinaire.
Déshydratation, troubles électrolytiques, troubles métaboliques et malnutritionStabilisation de l’alimentation et de la balance hydrique. Détection et traitement des troubles électrolytiques, des troubles métaboliques et de la malnutrition.
InfectionsDétection et traitement des infections, en particulier urinaires, pulmonaires et des tissus mous.
Maladies cardiaques et pulmonaires ­(hypoxémie, hypercapnie, hypotension)Surveillance des paramètres vitaux (SpO2, pression artérielle); en cas de suspicion d’hypercapnie, ­réaliser une gazométrie artérielle.
Maladies du SNCDétection et traitement des maladies du SNC, telles que la méningo-encéphalite et les hémorragies. ­Recherche de déficits neurologiques focaux.
DépressionDétection et traitement d’une dépression.
OpérationsPose prudente des indications opératoires.
Médicaments/polypharmacieEviter la polypharmacie. Utilisation avec retenue de médicaments psychoactifs (benzodiazépines, opiacés, antihistaminiques, anticholinergiques, antidépresseurs tricycliques, antagonistes des récepteurs H2, ­antiparkinsoniens), tenir compte des interactions médicamenteuses.
Sevrage de médicaments, drogues, alcoolBonne anamnèse des médicaments et drogues, y compris alcool; être attentif aux éventuels symptômes de sevrage et les traiter de façon adéquate.
SpO2: saturation périphérique en oxygène; SNC: système nerveux central.
Plus le nombre de facteurs de risque est élevé, moins il faudra de facteurs déclenchants pour qu’un ECA survienne. Cela explique pourquoi, à facteurs déclenchants équivalents, un ECA survient souvent chez les patients âgés multimorbides et pas chez les patients jeunes [13].

Dépistage

Les scores actuellement disponibles pour le dépistage de l’ECA n’ont pour l’instant que partiellement été validés dans la pratique clinique. Les meilleures données sont disponibles pour deux instruments: la «Confusion Assessment Method» (CAM) et le test 4A [1, 13, 14]. Les deux présentent des avantages et des inconvénients.
La CAM est très répandue, elle a été validée dans plusieurs études et dans une métaanalyse, elle a montré une sensibilité de 94% (intervalle de confiance [IC] à 95% 91–97%) et une spécificité de 89% (IC à 95% 85–94%) [15]. L’inconvénient est que son utilisation présuppose une formation et des connaissances cliniques. En outre, la CAM a initialement été développée pour la ­détection d’un ECA en association avec une évaluation cognitive («Mini Mental State Examination» [MMSE]). Lorsque la CAM est utilisée seule, il existe un risque de ne pas détecter un ECA hypoactif [16].
Le test 4A est simple et rapide (<2 minutes), et il ne nécessite pas de connaissances préalables ou de formation spécifique; en cas d’utilisation par le personnel infirmier (ou des proches), une formation peut néanmoins s’avérer pertinente, car la sensibilité s’en trouve augmentée [16–18]. Ce test évalue la vigilance («alertness»), l’orientation («Abbreviated Mental Test-4»: âge, date de naissance, lieu, année), l’attention («attention») et la modification aiguë ou la fluctuation des symptômes («acute change or fluctuating course»). Le score peut être compris entre 0 et 12 points, un score de 4 points étant indicateur d’un ECA avec ou sans altération cognitive [19]. L’étude de validation initiale du test 4A a porté sur 234 patients gériatriques (>70 ans) et les examinateurs n’avaient pas suivi de formation préalable. Dans cette étude, une sensibilité de 87–90% et une spécificité de 80–84% ont été atteintes, et ces valeurs ont été confirmées dans d’autres études [16, 17]. Le test 4A est en outre bien validé pour la détection d’un ECA en cas de démence et pour la détection d’un ECA hypoactif [16].
Les sociétés de discipline médicale suisses préconisent encore d’autres instruments de dépistage [20]. La «Delirium Observation Screening Scale» (DOSS), par exemple, a été spécifiquement développée pour une utilisation par le personnel infirmier, mais elle ne permet pas de distinguer clairement l’ECA de la démence et elle présente de surcroit une sensibilité réduite pour le diagnostic d’un ECA hypoactif [14]. D’autres instruments sont en partie plus mal validés ou trop compliqués, et ils conviennent dès lors plus pour la recherche que pour la pratique clinique quotidienne (par ex. «Delirium Rating Scale», révision 1998 [DSR-R-98]). L’article de Jayita et al. fournit un bon aperçu des instruments de dépistage de l’ECA les plus fréquemment utilisés [14].
En raison de son utilisation simple, nous avons choisi le test 4A pour le dépistage dans notre algorithme (fig. 1).
Figure 1: Prévention de l’état confusionnel aigu et traitement en cas d’hospitalisation.
Tableau 4: Traitement pharmacologique de l’état confusionnel aigu.
MédicamentPosologieEffets indésirablesRemarques
Quétiapine12,5–25 mg p.o. 2×/j;
en réserve, 12,5 mgtoutes les 2 h, dose ­journalière max. 50 mg
Forte sédation, faible risque de symptômes extrapyramidaux, ­hypotensionUtilisable en cas de maladie de Parkinson
Halopéridol

En l’absence d’amélioration malgré un traitement maximal par halopéridol: changement de substance
0,25–0,5 mg p.o. fixe 2×/j;
en réserve, 0,25–0,5 mg toutes les 30 min., dose journalière max. 2 mg (action max. après 3–6 h, t1/2 12–38 h)
Faible sédation, risque élevé de symptômes extrapyramidaux– Contre-indication: maladie de Parkinson
– Risque: torsades de pointes, ­syndromes extrapyramidaux
Alternative:
Rispéridone
0,25–0,5 mg p.o. fixe 2×/j;
en réserve, 0,25 mg toutes les 2 h, dose ­journalière max. 2 mg
Faible sédation, risque élevé de symptômes extrapyramidaux (en cas de doses faibles, plus faible risque qu’avec l’halopéridol)– Contre-indication: maladie de Parkinson
– Attention en cas de démence vasculaire
MélatoninePosologie individuelle 0,5–2 mg une fois par jour, 1–2 h avant le coucherSédationChez les patients à partir de 55 ans en cas d’insomnie
Lorazépam
En complément d’un traitement par neuroleptiques
0,5–1 mg p.o. jusqu’à 4 mg/j;
en réserve, 4×1 mg/j
Sédation, dépression respiratoire– Utilisable en cas de maladie de Parkinson
– Risque: réaction paradoxale
Lorazépam
En cas de sevrage alcoolique
4×2,5 mg/j p.o.;
en réserve, 4×2,5 mg/j p.o.;
neuroleptiques uniquement en complément en cas d’agitation persistante
Sédation, dépression respiratoireRisques: réaction paradoxale, ­dépression respiratoire
Mesures médicales ­d’urgence en situation aiguë (état ­d’excitation)1. Lorazépam2–4 mg i.m. ou midazolamen spray nasal (solution de 5 ml) 1 pulvérisation = 0,1 ml = 0,45 mg (0,2–0,4 mg/kg)
2. Halopéridol 0,5–3 mg i.m. (i.v. uniquement sous monitoring)
 Transfert vers une unité de ­surveillance

Prévention de l’ECA

Dans les établissements hospitaliers de soins aigus, la prévention de l’ECA devrait systématiquement être mise en œuvre. Des études ont montré que les stratégies de prévention non-pharmacologiques multimodales permettaient de réduire la fréquence de sur­venue d’un ECA [6, 7]: dans une métaanalyse, une réduction statistiquement significative de 31% du risque de développement d’un ECA a été montrée dans le groupe d’intervention [8]. Qui plus est, une diminution des chutes de 62% a été atteinte dans le groupe d’intervention [7].
La stratégie de prévention non-pharmacologique multimodale englobe l’identification des patients présentant un risque accru de développer un ECA et l’évitement des facteurs déclenchants (tab. 3) [20].
La mesure dans laquelle la prévention non-pharmacologique multimodale est également efficace chez les patients atteints de démence est incertaine, car des études à ce sujet font défaut [8]. Son effet sur la durée de l’ECA, la sévérité de l’ECA et la mortalité n’était certes pas statistiquement significatif dans des études avec de petits effectifs de patients, mais il existe néanmoins une tendance indiquant que les stratégies non-pharmacologiques multimodales de prévention de l’ECA pourraient également être efficaces dans cette population [7, 8].
Dans les études conduites jusqu’à présent, les stra­tégies pharmacologiques de prévention de l’ECA n’étaient pas efficaces. Des métaanalyses ne montrent pas d’efficacité de l’halopéridol et des antipsychotiques de 2e génération (par ex. olanzapine, rispéridone) pour la prévention de l’ECA [8, 21, 22]. Il existe uniquement des preuves limitées indiquant que l’incidence postopératoire de l’ECA pourrait être plus faible sous antipsychotiques de 2e génération; toutefois, les études ­disponibles sont très hétérogènes et des études supplémentaires sont nécessaires pour pouvoir tirer des conclusions catégoriques à ce sujet [8, 21]. En outre, dans certaines études, les antipsychotiques étaient associés à un taux accru d’évènements cardiaques par rapport au placebo [21]. De même, il n’a pas été prouvé que les inhibiteurs de la cholinestérase (par ex. donépézil) ont un effet préventif sur la survenue d’un ECA [8, 21].

Traitement de l’ECA

Le traitement repose sur trois axes majeurs: identifier et traiter les déclencheurs, éviter les complications, traiter les symptômes de l’ECA (fig. 1). Lorsqu’une suspicion d’ECA se confirme, il convient de rechercher et traiter les facteurs déclenchants mentionnés dans le tableau 3 [1, 13]. A cet effet, l’examen clinique et le passage en revue de la médication du patient jouent un rôle essentiel [13].
Afin d’éviter les complications de l’ECA, la collaboration interprofessionnelle est primordiale. Il convient notamment de veiller à ce que les patients s’alimentent et boivent correctement, de bien prendre soin de leur peau, de veiller à leur positionnement pour éviter les escarres et de les mobiliser précocement afin de prévenir les évènements thromboemboliques et les infections urinaires. De plus, il convient de prévenir les fausses routes, en particulier en cas de vigilance réduite, en positionnant les patients de façon adéquate [9].
Hormis le traitement des déclencheurs potentiels et la prévention des complications associées à l’ECA, un traitement direct de l’ECA s’avère compliqué. Les ­approches thérapeutiques non-pharmacologiques se sont avérées plus efficaces que les mesures pharmacologiques et elles ont réduit le risque de chute de plus de 60% (Odds Ratio 0,36–0,38; IC 0,22–0,61); une tendance positive en faveur d’un raccourcissement de la durée d’hospitalisation et d’une réduction du taux d’institutionnalisation a en outre été observée [7, 9]. Dans les études, plusieurs interventions non-pharmacologiques ont le plus souvent été combinées. En font ­partie la stimulation cognitive, l’orientation pluriquotidienne des patients (espace, temps, personne) et l’utilisation d’aides à l’orientation, comme le placement d’une horloge et d’un calendrier à la vue du patient, ainsi que des photos de famille du patient [20]. Afin que les patients puissent s’orienter, il est indispensable qu’ils portent des lunettes en cas de déficience visuelle et des aides auditives en cas de déficience auditive. Il convient de veiller à ce que les patients aient une personne de référence constante parmi le personnel soignant et d’éviter les changements de chambre inutiles. Le rythme jour-nuit doit être respecté et les perturbations, telles que le bruit et la lumière, doivent être évitées [12, 20]. Une mobilisation précoce est essentielle, et ce pas uniquement après des interventions chirurgicales. Les cathéters veineux et les sondes urinaires inutiles, qui restreignent la mobilisation et sont des sources d’infection potentielles, doivent être retirés [13]. Les membres de la famille et les proches sont si possible impliqués dans la prise en charge (par ex. pour donner le repas) et ils sont informés sur la maladie et sur la façon de s’y prendre avec les patients atteints d’ECA [13, 20]. Des outils, tels que la brochure «Les patients dans un état confusionnel transitoire» utilisée à l’Inselspital de Berne, peuvent aider à impliquer les proches dans le traitement de l’ECA [23].
Les données relatives aux options pharmacologiques pour le traitement de l’ECA sont décevantes. Des métaanalyses ont révélé que l’halopéridol et les antipsychotiques de 2e génération n’étaient pas plus efficaces que le placebo en ce qui concerne l’évolution de l’ECA, la morbidité et la mortalité [8, 9, 22]. Des données suggèrent même une mortalité plus élevée chez les patients âgés sous antipsychotiques par rapport au placebo [9, 20, 22]. Par conséquent, des médicaments devraient uniquement être utilisés pour traiter des symptômes non contrôlables par un autre moyen, tels que l’agitation et les états anxieux.
Le tableau 4 fournit un aperçu des médicaments pouvant être utilisés pour le traitement de ces symptômes incontrôlables. Diverses études n’ont pas montré de supériorité d’un antipsychotique en particulier, et donc pas de préférence pour une substance donnée [9, 22]. Le médicament doit être choisi en tenant compte des contre-indications respectives et des comorbidités [3].
Bien qu’il puisse y avoir un allongement de l’intervalle QT sous neuroleptiques, un électrocardiogramme (ECG) de routine n’est pas nécessairement recommandé avant l’initiation du traitement [24]. Font exception les patients à risque cardiovasculaire élevé. Une surveillance ECG est indiquée en cas d’administration intraveineuse d’halopéridol et en cas de dose cumulative >2 mg [24]. Chez les patients âgés, un traitement par neuroleptique devrait toujours être mis en œuvre à la dose la plus faible efficace. Lorsqu’un effet suffisant est atteint, la dose la plus faible efficace doit être poursuivie pendant deux jours, puis il convient de procéder à une réduction de la dose de l’ordre de 50% tous les deux jours [20].
Les benzodiazépines doivent être interrompues avant l’initiation d’un neuroleptique et qui plus est, elles ­devraient uniquement être utilisées en cas d’agitation incontrôlable [13]. Au lieu des benzodiazépines, il est possible de recourir à des mesures conservatrices favorisant le sommeil et à des préparations à base de mélatonine [8]. Un transfert en USI devrait être envisagé en cas de mise en danger de soi-même et/ou d’autrui.
Il est essentiel de distinguer l’ECA lié à un sevrage alcoolique (delirium tremens), pour lequel il existe des preuves en faveur d’un traitement médicamenteux [20]. Dans cette situation, l’administration de vitamine B1 et de benzodiazépines représente le traitement de choix. Dès lors qu’un ECA lié à un sevrage alcoolique n’est pas exclu, l’état confusionnel doit être traité en tant que tel.

Perspectives

L’algorithme clinique de l’ECA est approprié pour les patients hospitalisés dans des services de médecine aiguë. Une prévention systématique et une évaluation interprofessionnelle des facteurs de risque et déclencheurs doivent permettre de réduire le risque d’ECA et d’optimiser la prise en charge de l’ECA [6]. Une formation régulière et une sensibilisation du personnel soignant sont essentielles pour la mise en œuvre optimale des mesures.
Au vu de la morbidité, de la mortalité et des coûts élevés, une prévention et un traitement efficaces de l’ECA revêtent une grande importance. Actuellement, les meilleures approches préventives et thérapeutiques résident dans les stratégies non-pharmacologiques multimodales. D’après des études, elles permettraient d’éviter env. 30–40% de tous les cas d’ECA [1, 8, 14]. Il reste à démontrer dans quelle mesure ces chiffres sont transposables à la pratique.
A l’avenir, les chercheurs espèrent parvenir à mieux comprendre l’affection hétérogène qu’est l’ECA au moyen de l’imagerie cérébrale fonctionnelle afin de développer de nouvelles approches thérapeutiques plus efficaces [14].

L’essentiel pour la pratique

• L’état confusionnel aigu (ECA) survient de façon abrupte, dure quelques jours à semaines et a une évolution fluctuante. L’ECA est associé à un risque accru de limitation cognitive et de démence.
• Les mesures non-pharmacologiques multimodales sont efficaces pour prévenir l’ECA.
• Le traitement de l’ECA repose sur les axes suivants: identification des déclencheurs et optimisation des facteurs de risque, prévention des complications ainsi que traitement des symptômes.
• En cas d’ECA non lié au sevrage, un traitement pharmacologique est uniquement indiqué pour traiter des symptômes non contrôlables par d’autres moyens, tels que l’agitation ou les états anxieux.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dario Grob, médecin diplômé
Universitätsklinik für ­Allgemeine Innere Medizin Inselspital Bern (KAIM), Freiburgstrasse 18,
CH-3010 Bern
dario.grob[at]insel.ch
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