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Outre la psychothérapie et la pharmacothérapie, la thérapie médicale d’entraînement représente une option thérapeutique efficace en cas de maladies psychiques. Ce potentiel reste pourtant trop souvent méconnu. Un changement de mentalité est nécessaire afin d’établir l’activité physique en tant qu’option thérapeutique reconnue pour les personnes souffrant d’affections psychiques.
Introduction
La prise en charge des personnes atteintes de maladies psychiques représente un défi croissant en Suisse. En conséquence, il existe une forte demande de mesures préventives et thérapeutiques efficaces dans la médecine de premier recours. L’activité physique et l’entraînement physique représentent des mesures thérapeutiques prometteuses dont le potentiel est inexploité. L’efficacité de l’entraînement physique dans la prévention et le traitement des maladies psychiques les plus fréquentes est déjà bien avérée [1]. Pourtant, ce potentiel semble encore être peu connu dans le contexte de la santé psychique. Il est essentiel que les médecins de premier recours sachent qu’outre la psychothérapie et la pharmacothérapie, la thérapie médicale d’entraînement représente une option thérapeutique efficace.
Effets préventifs et thérapeutiques de l’activité physique
Les personnes ayant un mode de vie sédentaire présentent un risque accru de développer des maladies psychiques. L’effet préventif de l’activité physique est particulièrement prononcé pour la dépression. Les personnes qui suivent les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière d’activité physique pour la santé (150 minutes d’activité d’intensité modérée par semaine) ont un risque relatif de développer une dépression plus faible de 22% («adjusted odds ratio» [AOR] = 0,78, intervalle de confiance [IC] à 95% = 0,62, 0,99, p = 0,038) par rapport aux personnes ayant un faible niveau d’activité physique [2]. Le risque de développer un trouble anxieux est réduit de 28% (AOR = 0,72, IC à 95% = 0,54, 0,95, p = 0,02) [3]. En outre, l’entraînement physique a un effet antidépressif majeur chez les personnes présentant des symptômes («standardized mean difference» [SMD] = 1,11, IC à 95% = 0,79, 1,43, p <0,001; effet élevé) [4]. Une action anxiolytique modérée est également démontrée (SMD = -0,58, IC à 95% = -1,09, -0,08, p = 0,024; effet modéré) [5].
Mécanismes d’action de l’entraînement physique sur la santé psychique
Il existe différentes hypothèses quant aux mécanismes d’action de l’entraînement physique sur la santé psychique [1]. L’hypothèse psychosociale part en premier lieu du principe que l’activité physique renforce l’interaction sociale et que l’entraînement sert à se distraire. D’après l’hypothèse comportementale, l’entraînement physique améliore l’auto-efficacité et augmente le sentiment d’indépendance. On sait par ailleurs que l’activité physique a des répercussions positives sur la qualité du sommeil chez les personnes souffrant d’affections psychiques. Récemment, ce sont les hypothèses neurobiologiques qui ont bénéficié de la plus grande attention. Ces dernières accordent une place de premier plan à l’action anti-inflammatoire de l’entraînement physique, à la neuroplasticité renforcée et à la neurogenèse. Il s’est par exemple avéré que les patients atteints de dépression sévère présentaient des concentrations accrues de cytokines pro-inflammatoires par rapport aux personnes asymptomatiques. Ces substances neuromodulatrices sont associées à un manque d’entrain et à une fatigue. Une étude ayant évalué les effets de l’entraînement physique chez les patients atteints de dépression sévère a montré une corrélation positive entre le changement de la concentration de l’interleukine pro-inflammatoire 1β et le changement des symptômes dépressifs [6]. Un autre mécanisme neurobiologique intéressant est lié à la production du «brain-derived neurotrophic factor» (BDNF). Le BDNF est une neurotrophine qui régule des fonctions déterminantes du système nerveux central, comme par exemple le développement et le maintien des connexions synaptiques entre les neurones. Chez des hommes asymptomatiques, il a été montré qu’un entraînement d’endurance intensif conduisait à une augmentation de la concentration de BDNF [7]. Ce lien entre l’activité physique et la production de BDNF pourrait aussi en partie expliquer l’effet positif de l’entraînement physique sur la santé psychique chez les patients atteints de dépressions ou de troubles anxieux.
Evaluation du niveau d’activité physique au cabinet médical
Comme cela a été montré aux Etats-Unis, seul un tiers des patients sont encouragés à pratiquer une activité physique lorsqu’ils se rendent en consultation chez le médecin [1]. En Suisse, la situation est sans doute comparable. Il serait pourtant absolument nécessaire d’accorder une plus grande importance à l’activité physique dans le cadre du traitement des patients souffrant d’affections psychiques. Pour la médecine de premier recours, considérer l’activité physique comme un traitement et la prescrire en tant que tel représente une grande opportunité dans ce contexte. Une première étape diagnostique en ce sens peut consister à évaluer systématiquement le niveau d’activité physique en tant que «paramètre vital». Cette évaluation peut se faire au moyen de deux questions (tab. 1), qui peuvent être utilisées à la fois pour déterminer l’indication d’un entraînement physique et pour le suivi. Les patients qui n’atteignent pas le niveau d’activité physique recommandé (150 minutes par semaine) devraient être adressés à un professionnel (par ex. du domaine de la thérapie sportive ou de la physiothérapie).
Tableau 1: Deux questions pour l’évaluation de l’activité physique en tant que paramètre vital dans la pratique clinique chez les patients atteints de maladies psychiques. | |
1. Combien de jours par semaine en moyenne pratiquez-vous des activités physiques modérées à intenses (par ex. marche rapide)? | __jours |
2. Pendant combien de minutes en moyenne pratiquez-vous ces activités physiques à cette intensité? | __minutes |
Total d’activité physique en minutes (min.) par semaine (#1 x #2) | __min. par semaine |
Motivation à l’entraînement physique
Dans la pratique clinique quotidienne, de multiples défis surgissent lorsqu’il est question de motiver les personnes souffrant de maladies psychiques à pratiquer un entraînement physique. Parmi les barrières les plus fréquemment citées par les patients figurent l’humeur négative, le stress psychique et l’absence de soutien [1]. Dans la pratique clinique, il convient de tenir compte de ces défis potentiels et de les aborder directement.
Des études réalisées dans la pratique ambulatoire ont montré que les personnes souffrant de maladies psychiques avaient au début majoritairement une motivation extrinsèque (conditionnée par des facteurs externes) vis-à-vis de l’entraînement physique [1]. Ainsi, leur motivation se base en premier lieu sur la volonté de satisfaire des attentes externes. Les personnes atteintes de maladies psychiques ont le plus souvent besoin de soutien pour débuter l’entraînement physique. Dans le cadre du traitement, il convient d’identifier ensemble avec le patient les barrières qui s’opposent à l’entraînement. Des solutions individuelles peuvent contribuer à surmonter les défis. Au cours du processus visant à promouvoir des changements de comportement, il convient de tenir compte des processus relevant de la psychologie motivationnelle (par ex. modèle transthéorique du changement de comportement) [1]. Sur le plan de la psychologie motivationnelle, il faut en outre garder à l’esprit que d’autres mécanismes peuvent encore être utilisés pour augmenter le niveau d’activité physique, comme par exemple l’effet positif des cadres participatifs-ludiques des offres de groupe.
Objectifs individuels
Pour obtenir des effets thérapeutiques durables, il est essentiel de fixer des objectifs individuels. Dans la pratique quotidienne, il s’avère cependant que les patients éprouvent souvent des difficultés à formuler des objectifs de façon autonome. Il est utile de prendre du temps pour explorer ensemble avec eux les motifs potentiels susceptibles de les pousser à changer de comportement. Tout l’art consiste à structurer les situations de discussion de sorte à ce que les objectifs, les valeurs et les besoins des malades soient abordés. Ce faisant, ils devraient prendre (davantage) conscience du lien entre leurs motifs et les objectifs d’entraînement.
Entraînement physique et adhérence
Le respect des entraînements convenus (adhérence) varie considérablement. Environ un tiers de tous les patients atteints de maladies psychiques graves n’exécutent dans un premier temps pas l’entraînement physique tel qu’il a été convenu [1]. Il est indéniablement nécessaire d’accroître l’adhérence en motivant de façon répétée les patients afin de garantir durablement des effets positifs. Les technologies numériques (e-santé) pourraient ouvrir de nouvelles opportunités dans ce domaine. Plus de 80% des personnes atteintes de maladies psychiques graves admettent utiliser un smartphone. Selon les propres dires des patients, plus de la moitié d’entre eux souhaiteraient obtenir davantage d’informations sur les mesures de promotion de la santé. Ainsi, l’e-santé pourrait soutenir les personnes atteintes de maladies psychiques dans la réalisation des entraînements. A l’avenir, il serait par exemple possible de développer des applications qui permettraient aux patients de s’adresser à un expert par des fonctionnalités de chat en cas de questions ou d’angoisses, sans devoir se rendre dans une clinique ou un cabinet. Une autre approche prometteuse est le concept de «recovery by peers». Les «peers» sont par exemple des anciens patients ou des personnes ayant été confrontées à des crises similaires, qui soutiennent les patients dans différents domaines. Le grand potentiel des «peers» pourra aussi être mis à profit de l’activité physique à l’avenir.
Promotion de l’activité physique en tant qu’option thérapeutique
Un changement de mentalité est nécessaire afin d’établir l’activité physique en tant qu’option thérapeutique reconnue pour les personnes souffrant d’affections psychiques. Un groupe d’experts interprofessionnel international a publié des recommandations à ce sujet [8]. Elles sont résumées dans le tableau 2.
Tableau2: Facteurs clés qui améliorent l’accès aux programmes d’exercices physiques pour les personnes atteintes de maladies psychiques [8]. | |
Facteurs | Changements |
Culture | Passage à des approches holistiques afin d’accorder la priorité nécessaire à l’entraînement physique dans la prise en charge intégrée des maladies psychiques et physiques |
Passage du traitement symptomatique classique à des mesures préventives (y compris entraînements physiques) | |
Sensibilisation du public afin de réduire les stigmates et préjugés à l’égard des patients | |
Infrastructure | Accès facile à l’infrastructure d’entraînement |
Coopérations entre les médecins de premier recours, les organisations de patients, les groupes d’entraide et les organisations non gouvernementales pour promouvoir l’activité physique | |
Modèles d’assurance prévoyant un remboursement de l’entraînement physique en tant que traitement pour les patients atteints de maladies psychiques | |
Formation | Meilleur enseignement sur les liens entre activité, entraînement physique et santé psychique dans la formation de base de tous les professionnels de la santé |
Formations postgraduées interdisciplinaires sur les thèmes «activité» et «entraînement physique» | |
Formations postgraduées basées sur l’évidence pour les groupes professionnels chargés de l’entraînement physique (par ex. physiothérapeutes, thérapeutes sportifs, etc.) |
L’essentiel pour la pratique
• L’entraînement physique est un traitement basé sur l’évidence pour traiter les dépressions et les troubles anxieux.
• Les entraînements devraient faire partie intégrante d’un traitement multimodal des dépressions et des troubles anxieux.
• A l’avenir, il s’agira de simplifier l’accès des patients à l’activité physique et à l’entraînement physique.
Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis.
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Dr phil. Emanuel Brunner
physiothérapeute, PhD
OST – Ostschweizer Fachhochschule
Departement Gesundheit
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emanuel.brunner[at]ost.ch
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