Une infection liée au voyage, rare en Suisse
Lorsque pluie et tempête rendent malade

Une infection liée au voyage, rare en Suisse

Der besondere Fall
Édition
2021/5152
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08704
Forum Med Suisse. 2021;21(5152):895-897

Affiliations
a Universitätsklinik für Allgemeine Innere Medizin, Inselspital, Universitätsspital Bern, Universität Bern; b Universitätsklinik für Infektiologie, Inselspital, Universitätsspital Bern, Universität Bern; c Universitätsklinik für Pneumologie, Inselspital, Universitätsspital Bern, Universität Bern; d Institut für Infektionskrankheiten, Universität Bern, Schweiz

Publié le 21.12.2021

Un patient de 48 ans s’est présenté pour la première fois en raison d’une toux sèche persistante, d’une baisse de l’état général, d’une perte de poids et d’une transpiration nocturne. Il a signalé des séjours tropicaux à l’étranger.

Contexte

En raison de la mobilité mondiale croissante, il y a lieu de s’attendre à une incidence accrue de maladies liées aux voyages. Parmi tous les voyageurs originaires de pays industrialisés et se rendant dans des pays en développement, 8% consult+ent un médecin durant ou après le séjour à l’étranger en raison de symptômes de maladie [1]. La pose du diagnostic peut cependant s’avérer complexe du fait de la rareté de ces maladies dans nos régions. Dans cet article, nous décrivons le cas d’un patient présentant une toux chronique, une perte de poids, des lésions pulmonaires et une lymphadénopathie médiastinale, chez lequel une mélioïdose a été diagnostiquée.

Présentation du cas

Anamnèse et examen clinique

Un patient de 48 ans s’est présenté pour la première fois en raison d’une toux sèche persistante, d’une baisse de l’état général, d’une perte de poids progressive de 25 kg (30%) en l’espace de six mois et d’une transpiration nocturne persistante. A l’exception d’un tabagisme actif, avec une consommation cumulée de 42 paquets-années, le patient ne présentait pas d’autres antécédents médicaux. À l’anamnèse de voyage, le patient a signalé avoir fait plusieurs séjours dans des pays tropicaux; le dernier remontait à six mois avant la première consultation et à cette occasion, le patient s’était rendu en Thaïlande, où une tempête avait sévi durant quelques jours. Le patient a rapporté avoir fréquemment pratiqué des activités sportives telles que le rafting, le surf et les ballades en quad sur des chemins de terre mouillés lors de ce séjour.
Hormis une tachycardie sinusale (104/min), l’examen physique n’a pas révélé d’anomalies chez le patient afébrile et normoxémique.

Résultats et investigations diagnostiques

Les analyses de laboratoire ont révélé une CRP élevée à 105 mg/l et une leucocytose de 13,8 G/l (11 G/l de neutrophiles). Accessoirement, une HbA1c de 13% a amené à poser le diagnostic de diabète sucré. Une infection par le VIH a été exclue. La suspicion d’infiltrats pulmonaires et de formation de caverne du côté droit à la radiographie thoracique a été confirmée à la tomodensitométrie (TDM), qui a montré des infiltrats nodulaires bilatéraux et des ganglions lymphatiques médiastinaux nécrotiques hypertrophiques (fig. 1A et 1C).
Face à une suspicion de tuberculose dans le contexte d’une toux non productive mais également d’une néoplasie non exclue, une bronchoscopie avec lavage bronchoalvéolaire (LBA) ainsi qu’une biopsie ganglionnaire sous contrôle échographique endobronchique ont été réalisées. Des agents pathogènes n’ont pu être mis en évidence ni dans les cultures ni à la PCR (Mycobacterium tuberculosis) et l’examen histologique n’a pas révélé de cellules malignes. En raison du tableau endobronchique de bronchite purulente et de la suspicion d’une pneumonie abcédée, une antibiothérapie empirique par amoxicilline / acide clavulanique a été initiée, suite à quoi une nette amélioration clinique et une régression des paramètres inflammatoires ont été obtenues.
Lors du contrôle de suivi réalisé après un mois, les infiltrats bilatéraux et la caverne avaient régressé, mais les adénopathies médiastinales avaient progressé avec une sensation subjective de maladie persistante et une élévation des paramètres inflammatoires. Suite à une nouvelle biopsie des ganglions médiastinaux sous contrôle échographique endobronchique, l’examen histologique a montré des altérations nécrotiques non malignes. Les cultures étaient négatives pour les ­mycobactéries, les nocardias, les actinomycètes et les ­champignons. Les analyses sérologiques ont permis d’exclure une tularémie.

Diagnostic

Malgré une amélioration clinique avec des paramètres inflammatoires en diminution, les adénopathies médiastinales continuaient à progresser à la TDM. Une médiastinoscopie avec drainage des ganglions lymphatiques suppurés a été réalisée. A la culture microbiologique, la bactérie Burkholderia pseudomallei a à notre grande surprise été mise en évidence. Nous avons ainsi diagnostiqué une mélioïdose pulmonaire chronique, qui était rétrospectivement bien compatible avec la présentation clinique et l’anamnèse d’exposition. Des abcès dans l’abdomen et la prostate, qui sont souvent présents de façon asymptomatique, ont été exclus par échographie. Nous partons du principe que l’amélioration clinique observée sous antibiothérapie s’explique par la sensibilité de l’isolat à l’amoxicilline / acide clavulanique (traitement d’entretien de deuxième ligne).

Traitement et évolution

Après la mise en évidence microbiologique de l’agent pathogène, nous avons instauré une antibiothérapie adaptée au profil de résistances par ceftazidime par voie intraveineuse [2]. Une «outpatient parenteral antibiotic therapy» (OPAT) a été discutée, mais la ceftazidime n’est pas suffisamment stable dans nos pompes élastomériques. Après un traitement intraveineux de deux semaines, un traitement d’éradication par cotrimoxazole (sulfaméthoxazole/triméthoprime) a été mis en place pour une durée de six mois. Compte tenu de l’état oligosymptomatique au moment de la pose du diagnostic, une amélioration pertinente des symptômes perçus subjectivement par le patient n’a certes pas pu être obtenue, mais la lymphadénopathie médiastinale avait nettement régressé quatre mois après l’initiation du traitement (fig. 1B et 1D).
Figure 1: A (coupe axiale) et C (coupe coronale): Tomodensitométrie (TDM) avec produit de contraste lors de la première présentation, montrant des infiltrats bilatéraux et des ganglions lymphatiques médiastinaux nécrotiques (flèche). B (coupe axiale) et D (coupe coronale): TDM sans produit de contraste après le traitement, montrant des infiltrats régressifs et une lymphadénopathie régressive (flèche).

Discussion

La mélioïdose est une maladie infectieuse causée par le bacille à Gram négatif Burkholderia pseudomallei, qui est rarement diagnostiqué en tant que cause d’une infection liée au voyage en Europe (77 cas publiés entre 2000 et 2018) [3, 4]. Elle est principalement répandue en Asie du Sud-Est, sur le sous-continent indien ainsi que dans les Territoires du Nord australiens, même si des zones endémiques ont également été rapportées en Afrique et en Amérique du Sud (fig. 2). L’incidence mondiale exacte est indéterminée. Dans la mesure où les modalités diagnostiques sont souvent indisponibles dans les zones géographiques concernées, il y a certainement un nombre élevé de cas non répertoriés. Des études conduites en Australie et en Thaïlande ont révélé une incidence de 50 cas pour 100 000 personnes. En Thaïlande, la mélioïdose représente la troisième cause de décès par infection après le VIH/SIDA et la tuberculose [5].
Figure 2: Répartition mondiale de la mélioïdose (de [6]: Wiersinga WJ, Virk HS, Torres AG, et al. Melioidosis. Nat Rev Dis Primers. 2018;4:17107. https://doi.org/10.1038/nrdp.2017.107 . © 2018. Reproduction avec l’aimable autorisation de Springer Nature et CCC).
L’infection à Burkholderia pseudomallei se produit le plus souvent par inhalation ou inoculation (plaie ouverte ou blessure pénétrante) de terre ou d’eau contaminée, dans la plupart des cas suite à une aérosolisation durant de fortes précipitations ou des tempêtes. La maladie infectieuse présente un caractère saisonnier, jusqu’à 81% des cas survenant durant la saison des pluies [5]. La plupart des personnes infectées ont un facteur de risque, tel que le diabète sucré, l’alcoolisme, ainsi que les maladies pulmonaires ou rénales chroniques [4, 5].
La période d’incubation est le plus souvent comprise entre 1 et 21 jours, mais elle peut également être de plusieurs années dans des cas isolés. La majorité des infections sont asymptomatiques. Les évolutions cliniques vont d’une forme aiguë souvent fulminante associée à une mortalité élevée jusqu’à des états cliniques chroniques subaigus, qui font évoquer une tuberculose ou une affection maligne dans le cadre du diagnostic différentiel. Les symptômes dépendent de la voie d’inoculation. Pneumonies, infection urogénitales, infections de plaies ou bactériémies sont le plus souvent observées. La maladie se manifeste fréquemment par une encéphalomyélite en Australie du Nord. Dans la forme chronique, les abcès intra-abdominaux ou prostatiques asymptomatiques et les infections articulaires occupent l’avant-plan [4, 5].
En cas de présentation radiologique sous forme de pneumonie, des adénopathies médiastinales et une formation de caverne s’observent fréquemment [4, 5]. La mise en évidence de l’agent pathogène par hémocultures ou cultures d’autres fluides corporels représente la méthode diagnostique de référence à ce jour. La sensibilité des cultures n’est cependant pas optimale, si bien qu’il est fréquent que le diagnostic puisse uniquement être posé après des prélèvements d’échantillons répétés, comme dans notre cas [4, 5]. Comme il s’agit d’un agent pathogène de niveau de biosécurité 3, le laboratoire devrait être préalablement informé en cas de suspicion clinique.
En raison d’une séropositivité d’environ 50% au sein de la population en bonne santé dans les zones endémiques, la sérologie à elle seule est insuffisante dans ces régions [5].
Un retard dans la pose du diagnostic peut avoir une issue fatale en raison de l’évolution souvent sévère de l’affection, car l’antibiothérapie empirique ne traite le plus souvent pas de façon adéquate Burkholderia pseudomallei (résistance inhérente à la pénicilline, à l’ampicilline, aux céphalosporines de 1ère et 2e génération et aux aminoglycosides). Actuellement, le traitement fait le plus souvent appel à la ceftazidime (céphalosporine de 3e génération) par voie intraveineuse, ou de manière alternative à une carbapénème. En raison de l’évolution notoirement prolongée de la maladie, une guérison peut uniquement être espérée sous antibiothérapie à long terme. L’antibiothérapie intraveineuse d’une durée généralement comprise entre 10 et 14 jours est suivie d’un traitement d’éradication par cotrimoxazole pour trois à six mois [7]. En cas d’abcès, il convient de réaliser un drainage et en cas d’arthrites septiques, il convient de ­réaliser un lavage. Pour la prévention, les mesures ­d’hygiène standards devraient être appliquées de façon rigoureuse et les activités en plein air devraient être évitées durant les tempêtes ou les fortes pluies dans les zones endémiques [5].

L’essentiel pour la pratique

• Il convient de recueillir l’anamnèse de voyage pour l’évaluation d’un tableau symptomatique associant toux, transpiration nocturne et perte de poids.
• La bactérie Burkholderia pseudomallei est présente dans le sol et l’eau; l’infection se produit le plus souvent par inhalation ou inoculation après aérosolisation durant les fortes précipitations ou les tempêtes (en particulier pendant la saison des pluies).
• L’Asie du Sud et du Sud-Est et l’Australie du Nord comptent parmi les principales zones endémiques.
• En Europe, la présentation clinique la plus fréquente chez les personnes rentrant de voyage est une pneumonie (subaiguë), suivie d’une infection des tissus mous.
• La tuberculose représente le diagnostic différentiel infectieux le plus fréquent.
• Outre l’antibiothérapie adaptée au profil de résistances et le drainage des abcès, un traitement d’éradication de plusieurs mois est recommandé.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
Alexander D. Bott,
médecin diplômé
­Allgemeine Innere Medizin
Spital Tiefenau,
Insel Gruppe AG
Tiefenaustrasse 112
CH-3004 Bern
alexander.bott[at]insel.ch
1 Harvey K, Esposito DH, Han P, et al. Surveillance for travel-related disease – GeoSentinel Surveillance System, United States, 1997–2011. MMWR Surveill Summ. 2013;62:1–23.
2 White NJ, Dance DA, Chaowagul W, Wattanagoon Y, Wuthiekanun V, Pitakwatchara N. Halving of mortality of severe melioidosis by ceftazidime. Lancet (London, England). 1989;2(8665):697–701.
3 Birnie E, Savelkoel J, Reubsaet F, et al. Melioidosis in travelers: An analysis of Dutch melioidosis registry data 1985-2018. Travel Med Infect Dis. 2019:101461.
4 Le Tohic S, Montana M, Koch L, Curti C, Vanelle P. A review of melioidosis cases imported into Europe. Eur J Clin Microbiol Infect Dis. 2019;38(8):1395–408.
5 Wiersinga WJ, Currie BJ, Peacock SJ. Melioidosis. N Engl J Med. 2012;367(11):1035–44.
6 Wiersinga WJ, Virk HS, Torres AG, et al. Melioidosis. Nat Rev Dis Primers. 2018;4:17107.
7 Chetchotisakd P, Chierakul W, Chaowagul W, et al. Trimethoprim-sulfamethoxazole versus trimethoprim-sulfamethoxazole plus doxycycline as oral eradicative treatment for melioidosis (MERTH): a multicentre, double-blind, non-inferiority, randomised controlled trial. Lancet (London, England). 2014;383(9919):807–14.