Prise en charge des patients sous traitement par agoniste opioïde
Questions fréquentes

Prise en charge des patients sous traitement par agoniste opioïde

Übersichtsartikel
Édition
2021/2324
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08752
Forum Med Suisse. 2021;21(2324):396-401

Affiliations
a Zentrum für Abhängigkeitserkrankungen, Universitäre Psychiatrische Kliniken Basel; b Bereich Abhängigkeitserkrankungen, Psychiatrische Dienste Thurgau

Publié le 08.06.2021

Dans la pratique, le traitement par agoniste opioïde soulève des questions, qui font paraître la prise en charge complexe. En règle générale, le traitement est toutefois simple à mettre en œuvre et hautement efficace, dès lors que certains principes et exigences sont respectés.

Introduction

La dépendance aux opioïdes est une maladie chronique d’origine multifactorielle à prendre au sérieux qui, non traitée, se caractérise par une envie irrépressible de consommer des opioïdes («craving»), des symptômes de sevrage souvent caractéristiques, des surdosages dangereux dans le cadre du développement variable d’une tolérance et la poursuite de la consommation d’opioïdes malgré des conséquences néfastes perceptibles. La prise en charge de choix fait appel au traitement par agoniste opioïde (TAO) qui, terminologiquement parlant, a remplacé le terme stigmatisant de «substitution». Il englobe à la fois la prescription d’un agoniste opioïde et les interventions psychosociales ou psychothérapeutiques d’accompagnement. Le traitement psychopharmacologique en soi est facile à mettre en œuvre, dès lors que certains principes et exigences sont respectés [1]. L’expérience montre cependant que ces principes et exigences sont mal connus, ce qui est fréquemment à l’origine d’incertitudes et de questions. Cet article aborde les principales questions.

Objectifs d’un TAO?

Le TAO a pour objectif de créer les conditions permettant aux patients de limiter ou, dans l’idéal, de cesser totalement la consommation incontrôlée et non ­prescrite d’opioïdes, qui est associée à d’importants risques pour la santé. Il est avéré que le TAO permet d’améliorer l’état de santé et de minimiser le risque de nouvelles maladies. A cet effet, une dose suffisamment élevée de l’agoniste opioïde choisi est nécessaire et, contrairement au traitement de la douleur par opioïdes, elle s’accompagne toujours du développement d’une tolérance aux opioïdes, qui est indispensable pour le traitement. Une tolérance suffisamment élevée empêche non seulement la survenue brutale de symptômes de sevrage, mais elle supprime aussi ­efficacement l’envie irrépressible de consommer des opioïdes («craving»). Elle est considérée comme la principale mesure préventive contre les surdosages potentiellement fatals en cas de poursuite de la consommation non prescrite d’opioïdes.

Le TAO est-il meilleur que le traitement de sevrage? Une question de stigmatisation

Il existe des preuves médicales solides indiquant que le TAO a des répercussions positives à long terme sur la dépendance en soi, sur la qualité de vie et sur les circonstances concomitantes des personnes touchées. Compte tenu de l’évolution chronique d’une dépendance aux opioïdes, les patients sous TAO doivent être informés à la fois de la nécessité de suivre le traitement sur le long terme et des risques pour la santé en cas d’interruption du traitement, qui s’accompagne d’un risque élevé de rechute, d’une perte de tolérance et d’un risque d’intoxication. L’aspect stigmatisant du traitement doit également être pris en compte. Notamment chez les patients souffrant de douleurs qui ont développé une dépendance aux opioïdes au cours de leur traitement, la stratégie thérapeutique variable, le fait d’aborder ouvertement les comportements typiques en lien avec la dépendance et le rattachement à des institutions spécialisées dans les dépendances sont souvent entachés de perceptions négatives et de préjugés. Outre les possibilités d’un TAO, la possibilité de mise en œuvre d’un traitement de sevrage devrait également être abordée. Toutefois, il convient d’informer le patient que les chances de succès à plus long terme sont nettement plus faibles sous traitement de sevrage par rapport au TAO.

Le TAO pour qui?

Le seul prérequis est la présence d’un syndrome de dépendance aux opioïdes d’après la CIM1-10 (ou le DSM2-V) (tab. 1).
Tableau 1: Critères diagnostiques abrégés pour la dépendance aux opioïdes d’après la CIM-10, OMS.
Fort désir de consommer ou sorte de compulsion à consommer
Capacité réduite à contrôler le début, la fin et la quantité de la consommation
Syndrome de sevrage physique
Mise en évidence du développement d’une tolérance
Négligence progressive des autres plaisirs et intérêts au profit de la consommation
Consommation persistante malgré les conséquences physiques, sociales ou psychiques néfastes
Le diagnostic doit uniquement être posé si 3 critères ou plus étaient simultanément présents au cours de la dernière année.
CIM: Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes; OMS: Organisation mondiale de la santé.
Ainsi, l’indication pour la mise en œuvre d’un TAO est simple à poser. L’âge, que le patient soit adolescent ou âgé, les tentatives de traitement préalables infructueuses, la grossesse ou les autres aspects relatifs à la santé ne constituent pas un obstacle. De même, l’étiologie n’a aucune importance. Une dépendance aux opioïdes qui tire son origine dans la consommation d’héroïne doit être traitée au même titre qu’un syndrome de dépendance qui s’est développé dans le contexte d’un traitement de la douleur. Par ailleurs, la présence de troubles comorbides ou d’autres facteurs compromettants ne justifie pas la remise en question de l’indication, mais souligne au mieux la nécessité du traitement. La mise en œuvre d’un TAO est soumise à autorisation et elle est surveillée via les différents cantons. Afin de prendre une décision individuelle quant à la mise en œuvre d’un TAO, une information au sujet des principaux effets indésirables médicamenteux et des interactions de l’opioïde utilisé est nécessaire.

Quelles substances sont autorisées?

En Suisse, plusieurs préparations sont disponibles pour le traitement [3]. Outre la méthadone (MTD), qui est la substance la plus prescrite et la plus utilisée à travers le monde, la morphine orale à libération prolongée, ou «slow release oral morphine» (SROM; Sevre-Long®), et l’agoniste opioïde partiel buprénorphine (BuP; Subutex®, Buprenorphin Mepha®) sont aussi de plus en plus utilisés aujourd’hui. Ces médicaments sont autorisés dans l’indication du TAO et ils sont disponibles dans différentes formes galéniques: Sevre-Long® en capsules à 30 mg/60 mg/120 mg/200 mg et Subutex® ou le générique Buprenorphin Mepha® en comprimés sublinguaux à 0,4 mg/2 mg/8 mg (tab. 2).
Tableau 2: Agonistes opioïdes autorisés en Suisse pour le traitement de substitution en cas de dépendance aux opioïdes, ou traitement par agoniste opioïde (TAO).
MédicamentNom commercialForme galénique
MéthadoneMethadon®, Ketalgine®Comprimés, solution, ­solution injectable, ­suppositoires, gouttes
LévométhadoneL-Polamidon®Solution
Morphine à libération prolongéeSevre-Long®Capsules
BuprénorphineSubutex®, Buprenorphin Mepha®Comprimés sublinguaux
Buprénorphine/naloxoneSuboxone®Comprimés sublinguaux
DiacétylmorphineDiaphin®Solution injectable, ­comprimés à libération ­immédiate, comprimés à libération prolongée
Pour les autres médicaments à base de SROM ou de BuP disponibles sur le marché, il convient de garder à l’esprit qu’il s’agit d’un traitement off-label, car ces préparations sont uniquement autorisées pour le traitement de la douleur. La prescription de MTD dans le cadre d’un TAO est réglementée par l’Ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins (OPAS), Annexe 1 (chiffre 8), car aucune mention du TAO n’est faite dans la réglementation d’autorisation de ce médicament. La MTD (Kétalgine®, Methadon Streuli®) est disponible sous forme de comprimés à avaler (à différents dosages compris entre 1 mg et 40 mg) et sous forme de solution buvable; en outre, des suppositoires à des dosages compris entre 5 mg et 150 mg et une solution injectable sont disponibles.
En plus des préparations susmentionnées, des opioïdes plus perfectionnés tels que la lévométhadone et la préparation combinée BuP/naloxone sont également autorisés. Tandis que la lévométhadone (L-Polamidon®) est uniquement disponible sous forme de solution buvable et est prescrite avec retenue par rapport aux comprimés de MTD nettement plus populaires, il n’y a pas de besoin clinique sérieux en Suisse s’agissant de la préparation combinée de BuP (Suboxone®) dans une optique de «protection contre les abus», qui est contestable sur le plan professionnel.
Enfin, il existe également en Suisse la possibilité de prescrire de l’héroïne pharmaceutique (Diaphin®). Le médicament est disponible à la fois sous forme injectable et sous forme de comprimés à libération immédiate et à libération prolongée, à un dosage de 200 mg, mais il est strictement réglementé et pour l’instant uniquement réservé aux centres spécialisés (tab. 2).

Quels agonistes opioïdes pour quels patients?

Le TAO se base sur la MTD, qui est l’agoniste opioïde de loin le mieux étudié et qui fait dès lors aussi office de traitement de référence. La MTD est efficace, elle a parfaitement fait ses preuves sur le plan clinique et elle est en outre bon marché. Par rapport aux autres agonistes opioïdes autorisés en Suisse, elle présente néanmoins un profil d’effets indésirables moins favorable. Dès lors que les interactions potentielles liées au CYP450 sont prises en compte et que le risque d’allongements dose-dépendants du QTc est surveillé par des contrôles électrocardiographiques, il n’y a cependant pas de raison de passer, d’une manière générale, de la MTD à d’autres agonistes opioïdes. Par contre, le potentiel d’interaction de la MTD devrait être pris en considération déjà lors de l’initiation d’un traitement et, le cas échéant, la SROM ou la BuP devrait être privilégiée. D’après les critères de la médecine basée sur l’évidence, tous les agonistes opioïdes envisageables pour le TAO ne présentent guère de différences en termes d’efficacité et de taux de succès. Le choix du meilleur agoniste opioïde possible est dès lors une décision clinique, qui doit être prise individuellement et en concertation avec le patient. L’entretien approfondi avec le patient revêt une importance particulière à cet égard. En fonction de la préférence, de l’expérience préalable, du risque cardiaque, des médicaments supplémentaires et du comportement de consommation du patient, le meilleur médicament possible peut être déterminé conjointement avec lui. Chez les patients ayant une préférence claire pour la MTD mais qui ont un risque cardiaque, il est possible d’opter pour la lévométhadone, car cette dernière n’est pas censée entraîner un allongement cliniquement pertinent du QTc. Les patients qui, malgré un TAO adéquat, signalent qu’ils continuent à consommer des opioïdes supplémentaires en raison d’une forte envie d’un afflux rapide dans le système nerveux central sont éligibles à un traitement à base d’héroïne. En raison de la réglementation stricte, ce dernier est toutefois bien souvent indisponible.

Plus la dose est faible, mieux c’est?

La dose d’entretien optimale doit être déterminée cliniquement. Cette dose est atteinte lorsque le patient ne ressent plus du tout, et ce 24 heures/24, de désagréments liés à la substance, c.-à-d. ni signes de surdosage, ni symptômes de sevrage, ni besoin irrépressible de consommer des opioïdes («craving»). En raison des grandes différences individuelles, il ne serait pas pertinent de spécifier une dose maximale. Des doses trop faibles sont toutefois responsables de résultats thérapeutiques nettement moins bons [2]. En particulier lorsque le patient fait état de craving et d’une consommation d’opioïdes supplémentaires, une augmentation de la dose est nécessaire. Les doses efficaces sont généralement supérieures à 80 mg de MTD par jour.

Passage sans problème d’un agoniste opioïde à un autre?

Lors du passage d’un agoniste opioïde à un autre, il convient de garder à l’esprit que les tableaux couramment utilisés dans les hôpitaux, qui mentionnent des équivalences de doses pour les opioïdes, s’appliquent à des doses relativement faibles dans le cadre du traitement de la douleur. Toutefois, étant donné que les équivalences de doses entre deux opioïdes ne sont pas corrélées linéairement pour des dosages différents et que les données relatives à la biodisponibilité des différentes substances fluctuent fortement en cas de prise orale, il est souvent impossible de fournir des facteurs de conversion fermes pour le TAO, qui se fait à des doses plus ou moins élevées. Le passage d’opioïdes typiquement utilisés pour le traitement de la douleur, comme par exemple l’oxycodone, l’hydromorphone ou la péthidine, aux opioïdes autorisés pour le TAO peut se faire avec un chevauchement des substances sur plusieurs jours, la dose adéquate du TAO dépendant alors des renseignements cliniques fournis par le patient.
Pour la conversion fréquente entre la MTD et la morphine à libération prolongée, l’information sur le médicament de Swissmedic mentionne un rapport de conversion de 1:6–1:8, sachant que dans la pratique clinique, il faut plutôt prévoir un rapport de 1:8 à 1:10 pour des dosages plus élevés (100 mg de MTD et plus), si bien qu’un ajustement de la dose est le plus souvent nécessaire une fois le changement de médicament effectué. Le passage d’un agoniste opioïde à un autre peut en principe se faire d’un jour à l’autre. Il convient cependant d’envisager la possibilité d’un «rapid metabolism» (polymorphisme CYP2D6), surtout spécifique de la MTD. En particulier en cas de doses élevées de MTD, il est par conséquent également possible de passer à l’autre substance en faisant se chevaucher les deux substances, avec une diminution progressive de la dose de MTD et en parallèle une augmentation progressive de la dose de SROM sur plusieurs jours. Une fois le changement de médicament effectué, la dose cible dépend toujours des indications cliniques fournies par le patient.
La conversion de dose entre la MTD (racémate) et la lévométhadone est simple, car le rapport de conversion 2:1 s’applique toujours en raison des propriétés identiques des substances. La dose doit exclusivement être indiquée en milligrammes, et non pas en millilitres, afin d’éviter les erreurs de dosage graves liées aux concentrations différentes des solutions disponibles dans le commerce.
Le passage d’un agoniste opioïde entier à l’agoniste partiel BuP s’avère plutôt complexe. En raison des propriétés agonistes partielles avec simultanément une affinité élevée pour le récepteur µ des opioïdes, de fortes manifestations de sevrage, avec un risque d’arrêt du traitement, peuvent survenir en cas de passage abrupt et irréfléchi entre ces substances. Les recommandations du fabricant relatives à l’induction du traitement stipulent spécifiquement que la première dose de BuP suivant la prise de la dernière dose de l’agoniste entier doit uniquement être administrée lorsque les premières manifestations de sevrage apparaissent. Malgré tout, ce type de changement de substance s’avère souvent compliqué même pour les thérapeutes expérimentés en raison des manifestations de sevrage prévisibles difficiles à contrôler durant un à trois jours. Dans la pratique clinique, un schéma bien plus simple d’augmentation de la dose avec chevauchement des substances a récemment fait ses preuves, consistant à débuter à des doses très faibles et à augmenter lentement la dose d’à chaque fois 20–30% de la dose précédente sur une période de 2–4 semaines («méthode bernoise») [4]. Ce mode de changement de substance est toutefois «off label» et nécessite de l’expérience clinique, raison pour laquelle une prise de contact préalable avec des institutions spécialisées est recommandée.
Lors du passage de la BuP à un agoniste opioïde entier, il convient également de tenir compte de l’affinité élevée de l’agoniste partiel pour le récepteur µ. Il est recommandé d’augmenter lentement la dose de l’agoniste entier avec une interruption parallèle de la BuP.

Traitement adéquat et efficace de la douleur?

La mise en œuvre d’un traitement adéquat de la douleur chez les patients sous TAO peut s’avérer très délicate sur le plan médical-pharmacologique, mais également psychiatrique. Des données scientifiques solides quant à la manière de mettre en œuvre un tel traitement chez les patients sous TAO font aujourd’hui encore défaut. En principe, les plaintes des patients signalant des douleurs intenses ou persistantes doivent être prises au sérieux et ne doivent pas être interprétées comme des tentatives de manipulation. Les patients sous TAO adéquate supervisée par un médecin ont l’habitude de parler ouvertement de leur besoin en opioïdes et de fixer individuellement une dose en concertation avec le médecin prescripteur. Il s’agit de reconnaître et d’éviter les erreurs de jugement préconçues. Par exemple, la supposition selon laquelle les patients sous TAO avec prescription d’opioïdes à dose élevée présentent déjà une analgésie suffisante est infondée. Les plaintes douloureuses ne doivent dès lors pas être interprétées comme un «comportement de recherche de drogues» mais comme un traitement insatisfaisant de la douleur et elles requièrent donc l’administration supplémentaire de substances antalgiques. Le risque d’intoxication aux opioïdes en cas d’administration supplémentaire d’opioïdes antalgiques est très faible sous TAO en raison du développement d’une tolérance élevée. Il convient également de garder à l’esprit qu’en cas d’analgésie insuffisante, le risque de rechute au sens d’une consommation incontrôlée d’opioïdes augmente, avec donc la possibilité d’une prise d’opioïdes supplémentaires non prescrits. En revanche, il ne faut pas passer à côté d’une hyperalgésie induite par les opioïdes.
Dans la pratique, l’approche consistant à, dans un premier temps, optimiser cliniquement la dose d’opioïde déjà prescrite a fait ses preuves. Cela peut passer par une adaptation et une répartition des moments de prise, mais également par une augmentation transitoire, si nécessaire considérable, de la dose. En fonction des symptômes, l’administration d’un agoniste opioïde supplémentaire ou le passage à un autre agoniste opioïde s’avèrent également profitables. Les patients dépendants aux opioïdes nécessitent une approche thérapeutique élargie avec un schéma posologique différent de celui appliqué pour une rotation des opioïdes, telle qu’elle est utilisée dans le traitement de la douleur. En outre, les espoirs placés dans le traitement sont souvent différents. Les patients dépendants recherchent un soulagement de la douleur également par d’autres effets thérapeutiques, tels que sédation, diminution de l’anxiété, amélioration du sommeil, mais aussi prévention des symptômes de sevrage. Le dialogue sans préjugés ni jugements de valeur avec les patients revêt dès lors une grande importance. Ce faisant, il convient de ne pas uniquement se focaliser sur le traitement de la douleur, mais aussi sur le TAO en place et sur l’impact possible d’autres comorbidités. Il est dans tous les cas recommandé de se concerter avec l’institution ayant prescrit le TAO. Au demeurant, le traitement de la douleur est mis en œuvre conformément aux lignes directrices actuelles de la médecine de la douleur, qui préconisent en premier lieu des formes thérapeutiques associées à un potentiel de dépendance faible ou nul. En particulier en cas de douleurs chroniques, une étroite collaboration et une bonne concertation entre les acteurs impliqués dans le traitement sont déterminantes pour le succès du traitement.

Hospitalisation en urgence en cas de sevrage aux opioïdes?

Le plus grand risque de développer des états potentiellement fatals n’émane pas en premier lieu de doses élevées, mais d’un manque de tolérance aux opioïdes. Chez les patients se présentant en urgence avec des signes cliniques évocateurs d’une dépendance aux opioïdes et une mise en évidence d’opioïdes dans l’urine ou le sang, il convient tout d’abord de déterminer s’il est nécessaire de continuer à administrer des opioïdes. En cas d’anamnèse positive pour un TAO ou une consommation journalière régulière d’opioïdes, la poursuite ou l’initiation d’un TAO est nécessaire pour le traitement ou la prévention de symptômes de sevrage. Pour autant que le patient soit suivi par une institution et que cela soit possible, il convient toujours de prendre contact avec l’institution traitante. Les renseignements relatifs à l’agoniste opioïde prescrit, à la dose journalière actuelle et au moment de la dernière délivrance du médicament s’avèrent utiles.
Dans les cas incertains sans possibilité de concertation, il faut garder à l’esprit que le niveau individuel de tolérance aux opioïdes ne peut pas être mesuré ou évalué avec fiabilité et que le patient ne présente peut-être pas une tolérance suffisante aux opioïdes. Afin d’éviter les intoxications graves, il faut par conséquent toujours procéder à une augmentation prudente de la dose dans les situations incertaines, même lorsque les patients sont mécontents. Pour les nouvelles initiations d’un agoniste opioïde, il convient donc aussi d’appliquer le principe «start low – go slow» (débuter par une faible dose – augmenter lentement la dose). Initialement, il est recommandé d’administrer une dose unitaire maximale de 30 mg de MTD ou une dose équivalente de 200 mg de SROM. En l’absence de signes d’intoxication, une augmentation de la dose journalière de 10 mg de MTD par jour s’avère sûre [1]. Si des symptômes de sevrage objectivables surviennent encore après l’administration de la première dose, une dose supplémentaire peut être administrée en cas de métabolisme normal, en tenant compte du pic plasmatique. Pour la MTD, une dose unitaire de 10 mg est recommandée; après 3–4 heures, il est à nouveau possible d’administrer 10 mg de MTD si des symptômes de sevrage persistent. Pour la SROM, la dose initiale de 200 mg peut être répétée le même jour, après 4–6 heures. Au cours des premiers jours, durant la phase d’augmentation de la dose, la prise des doses devrait si possible se faire sous surveillance.

Gestion des patients difficiles?

En cas de TAO, outre les comorbidités somatiques fréquentes, il faut également s’attendre à des troubles psychiques cliniquement pertinents. Ces derniers sont généralement fréquents et doivent être pris en compte dans leur ensemble. Il est déterminant de reconnaître qu’ils nécessitent souvent des interventions thérapeutiques supplémentaires et représentent fréquemment le véritable défi lors d’un TAO. Il convient d’être spécifiquement attentif aux troubles de la personnalité, qui sont relativement fréquents mais nettement sous-diagnostiqués. Les patients sous TAO concernés donnent souvent l’image stigmatisée prétendument typique de la personne dépendante aux drogues, qui paraît revendicatrice, sèche, récalcitrante et plutôt difficile à traiter. Des connaissances de base au sujet de la prise en charge thérapeutique de tels patients facilitent la collaboration thérapeutique et sont souvent le seul moyen de mettre en place un traitement approprié. La stigmatisation en tant que toxicomane non fiable et exigeant semble cependant influencer notre paysage thérapeutique. On constate du moins au cours des dernières années une regrettable tendance au niveau de la prise en charge, avec un report du TAO dans les centres et une proportion toujours plus basse de TAO dans la médecine de premier recours. Pourtant, des techniques simples à apprendre, comme par exemple l’entretien motivationnel, pourraient permettre une prise en charge plus efficace, y compris au-delà de cette patientèle. D’une manière générale, l’implication ciblée d’institutions spécialisées et de spécialistes est justement aussi recommandée pour la médecine de premier recours. En effet, les approches thérapeutiques intégratives, avec une compréhension individuelle du cas, sont le meilleur moyen d’aborder les troubles comorbides et de les gérer efficacement.

Consommation parallèle en tant qu’expression d’une mauvaise observance?

Le terme quelque peu malencontreux de «consommation parallèle» dans le cadre d’un TAO est souvent associé à un déroulement relativement plus mauvais du traitement. Il convient cependant de noter que la consommation de substances psychotropes supplémentaires ne conduit pas nécessairement à des atteintes à la santé supplémentaires. Par contre, une consommation parallèle cliniquement pertinente et problématique pour la santé représente souvent un trouble à part entière qui, à l’instar des autres troubles comorbides, nécessite un traitement supplémentaire. Ainsi, il ne s’agit pas d’un comportement non coopératif dans le cadre du traitement, mais d’une thématique qui doit être abordée de façon séparée et conformément au besoin du patient. Tant que la thématique est abordée sans préjugés et sans sanctions, des analyses toxicologiques urinaires sont généralement superflues, car on peut partir du principe que le patient fournit des renseignements valides.

L’essentiel pour la pratique

• Lorsque les connaissances de base pour un traitement par agoniste opioïde (TAO) sont connues, ce dernier est facile à mettre en œuvre et très efficace.
• L’agoniste opioïde approprié est déterminé cliniquement, en tenant compte du profil d’effets indésirables et de la préférence individuelle, sachant qu’il est généralement possible de passer sans problème d’un opioïde à un autre, à l’exception de la buprénorphine.
• Outre la prise en compte et le traitement supplémentaire indispensable des troubles comorbides, la détermination individuelle de la dose adéquate est décisive pour le succès d’un TAO.
• Des informations et des aides concrètes, y compris un service de conseil par email, sont disponibles sur la plateforme internet gratuite www.praxis-suchtmedizin.ch.
HS reports sponsoring experts’ meetings from Mundipharma Medical Company and Indivior pharmaceutical company.
Dr méd. Johannes Strasser
Zentrum für Abhängigkeits­erkrankungen
Universitäre Psychiatrische Kliniken Basel
Wilhelm Klein-Strasse 27
CH-4002 Basel
hannes.strasser[at]upk.ch
1 Société Suisse de Médecine de l’Addiction (SSAM). Recommandations médicales relatives au traitement agoniste opioïde (TAO) du syndrome de dépendance aux opioïdes 2020 [Internet]. Berne; 2020 [cited 2020 Sep 14]. p. 1–115. Available from: https://www.ssam.ch/fr/specialistes/recommandations/traitement-agoniste-opioide-tao/
2 Faggiano F, Vigna-Taglianti F, Versino E, Lemma P. Methadone maintenance at different dosages for opioid dependence. Cochrane Database Syst Rev [Internet]. 2003;(3):CD002208.
3 Nordt C, Vogel M, Dey M, Moldovanyi A, Beck T, Berthel T, et al. One size does not fit all-evolution of opioid agonist treatments in a naturalistic setting over 23 years. Addiction [Internet]. 2019 Jan 12 [cited 2018 Sep 13];114(1):103–11.
4 Hämmig R, Kemter A, Strasser J, von Bardeleben U, Gugger B, Walter M, et al. Use of microdoses for induction of buprenorphine treatment with overlapping full opioid agonist use: the Bernese method. Subst Abuse Rehabil [Internet]. 2016 Jul;7:99–105.