Diagnostic de l’embolie pulmonaire et de la thrombose veineuse profonde des membres inférieurs et supérieurs
Commentaire d’experts suisses: ASH 2018 Guidelines for Management of Venous Thromboembolism

Diagnostic de l’embolie pulmonaire et de la thrombose veineuse profonde des membres inférieurs et supérieurs

Aktuell
Édition
2021/3334
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08826
Forum Med Suisse. 2021;21(3334):566-571

Affiliations
a Angiologie, Kantonsspital Graubünden, Chur; b Angiologie,Universitätsspital Basel; c Universitätsklinik für Allgemeine Innere Medizin, Inselspital, ­Universitätsspital, Bern

Publié le 18.08.2021

Commentaire d’experts suisses sur les «American Society of Hematology (ASH) 2018 Guidelines for Management of Venous Thromboembolism».

Introduction

L’objectif de ces lignes directrices de la «American ­Society of Hematology» (ASH) est de fournir des recommandations basées sur l’évidence pour le diagnostic optimal des embolies pulmonaires (EP), des thromboses veineuses profondes (TVP) des membres inférieurs et supérieurs, ainsi que des récidives, et ainsi de minimiser le nombre de tests diagnostiques et l’exposition aux radiations pour les patients [1]. Elles ne s’appliquent pas aux personnes asymptomatiques, aux enfants, aux femmes enceintes ou aux thromboses veineuses superficielles. Elles s’adressent aux patients, aux cliniciens, aux décideurs et aux chercheurs.

Méthodologie pour le choix des ­principales recommandations

Les différentes recommandations se basent sur une ­recherche systématique de la littérature et sur une ­évaluation de la qualité des preuves disponibles selon la méthode GRADE1, qui a été élaborée par le «McMaster University GRADE Centre» [2, 3]. La précision et l’impact sur le résultat (outcome) clinique ont été évalués systématiquement pour chaque test diagnostique. Le Guideline-Panel était composé d’un groupe international d’experts (en hématologie, angiologie, médecine interne, médecine d’urgence, radiologie et méthodologie) et de représentants des patients. Les coûts liés à l’élaboration des lignes directrices ont été intégralement pris en charge par l’ASH. La majorité des membres du panel (y compris le président) n’avaient pas de conflits d’intérêts.
Sur la base de la qualité des preuves disponibles, le panel a défini deux forces de recommandation: 1. recommandation forte («strong recommendation» [SR]), qui définit le procédé diagnostique en question comme étant le bon pour la plupart des patients et cliniciens, et 2. recommandation conditionnelle («conditional ­recommendation» [CR]), qui encourage une prise de décision plus individuelle en fonction de la situation de chaque patient. Les recommandations visent à ­atteindre moins de 2% de résultats faussement négatifs pour les examens diagnostiques.
Les stratégies diagnostiques recommandées reposent respectivement sur trois et deux catégories de probabilité pré-test («pre-test probability» [PTP]) pour la présence d’une EP ou d’une TVP: catégories «faible» (PTP <5% à 10%), «intermédiaire» (PTP de 20–25%) et «élevée» (PTP >50%); catégories «improbable» («unlikely»; PTP ≤10%) et «probable» («likely»; PTP ≥40%).
Les catégories, quant à elles, sont dérivées de modèles prédictifs cliniques («clinical prediction rules») validés, tels que le score de Genève ou le score de Wells, qui, en fonction de la version du score, subdivisent la probabilité clinique chez les patients avec suspicion d’EP ou de TVP en trois groupes de risque (faible, intermédiaire, élevé) ou en deux groupes de risque (improbable, probable). Il convient de préciser que le score de Genève a uniquement été validé dans une population ambulatoire.
Concernant les tests des D-dimères, l’utilisation de tests hautement sensibles est généralement recommandée. Ces tests sont avant tout utiles chez les patients ambulatoires, car les tests des D-dimères se révèlent souvent faussement positifs chez les patients hospitalisés et chez d’autres groupes de patients (par ex. femmes enceintes, patients post-opératoires).

Recommandations de l’ASH relatives à la démarche diagnostique en cas de suspicion d’EP/de TVP

Suspicion d’une première EP (algorithme diagnostique, cf. fig. 1)

Figure 1: Algorithme diagnostique en cas de suspicion d’une première EP.
* Test hautement sensible.
En cas d’angio-TDM négative malgré une suspicion clinique élevée ou si une TDM est impossible envisager d’autres modalités d’imagerie (par ex. scintigraphie V/Q).
TDM: tomodensitométrie; EP: embolie pulmonaire; V/Q: ventilation/perfusion.

Probabilité pré-test faible ou intermédiaire (respectivement ≤5% et ≤20%) d’EP

Recommandations 1 et 2: En cas de suspicion d’EP, un dosage des D-dimères est en premier lieu recommandé (SR en cas de probabilité pré-test faible et CR en cas de probabilité pré-test intermédiaire), suivi d’une scintigraphie pulmonaire de ventilation/perfusion (V/Q) ou d’une angio-tomodensitométrie (angio-TDM) pulmonaire si les D-dimères se révèlent positifs (CR). L’utilisation exclusive d’un test des D-dimères positif pour confirmer une EP n’est pas recommandée.
Remarques:
– Pour les patients en situation d’urgence ayant une faible probabilité pré-test d’EP (≤5%), il est possible de déterminer au moyen des «pulmonary embolism rule-out criteria» (PERC) si une EP doit être recherchée.
– En cas de test des D-dimères négatif, des investigations diagnostiques supplémentaires ne sont pas nécessaires.
– Chez les patients âgés de plus de 50 ans, l’utilisation d’une valeur seuil de D-dimères adaptée à l’âge (âge × 10 μg/l) est considérée comme sûre.
– Pour les patients chez lesquels la probabilité d’un ­résultat diagnostique concluant de la scintigraphie pulmonaire V/Q est élevée (par ex. ceux avec une ­radiographie thoracique normale), la scintigraphie pulmonaire V/Q doit être privilégiée par rapport à l’angio-TDM pulmonaire en raison de la plus faible exposition aux radiations (tab. 1). En cas de scintigraphie pulmonaire V/Q non diagnostique, une échographie veineuse proximale des membres inférieurs ou une angio-TDM pulmonaire est recommandée en complément.
Tableau 1: Scintigraphie pulmonaire V/Q versus angio-TDM pulmonaire en cas de suspicion d’EP.
Critère clinique ou limitationScintigraphie V/QAngio- TDM
Réaction potentielle aux PC avec nécessité d’une prémédication+-*
Préoccupations en raison de l’exposition aux radiations du tissu mammaire chez la femme+-
Insuffisance rénale+-
Suspicion de récidive d’EP ou échec thérapeutique en cas de diagnostic initial par scintigraphie V/Q+-
Suspicion de récidive d’EP ou échec thérapeutique en cas de diagnostic initial par angio-TDM++/-
Préoccupations en raison de l’exposition aux radiations du fœtus, avant tout au cours du 1er trimestre+/-+/-
Minimisation du risque de découvrir en l’espace de 3 mois une EP initialement manquée après un examen d’imagerie négatif+/-+/-
Gain de temps, lorsque les deux modalités (scintigraphie V/Q et angio-TDM) sont disponibles-+
Diagnostics alternatifs ou concomitants activement recherchés-+
Altérations pathologiques à la radiographie thoracique (emphysème, épanchement pleural, etc.)-+
Disponibilité limitée d’examens de médecine nucléaire-+
* Il existe différentes recommandations thérapeutiques pour atténuer les réactions allergiques aux PC légères à modérées, mais toutes entraînent un retard dans la pose du diagnostic.
Angio-TDM: angio-tomodensitométrie; PC: produit de contraste; EP: embolie pulmonaire; V/Q: ventilation/perfusion.

Probabilité pré-test élevée (50%) d’EP

Recommandation 3: Dans ce groupe, une angio-TDM pulmonaire (sans test des D-dimères préalable) est en premier lieu recommandée (CR). L’utilisation exclusive d’un test des D-dimères positif pour mettre en évidence une EP n’est pas recommandée. De même, en cas d’angio-TDM pulmonaire négative, il convient de ne pas utiliser par la suite un test des D-dimères en tant que critère diagnostique supplémentaire.
Remarques:
– Si l’angio-TDM pulmonaire ne livre pas de résultat univoque, une répétition de l’examen doit être discutée.
– Lorsqu’une angio-TDM pulmonaire n’est pas réalisable (par ex. allergie aux produits de contraste, insuffisance rénale sévère), la scintigraphie pulmonaire V/Q représente une alternative acceptable, sachant que des examens supplémentaires seront nécessaires en cas de résultat non diagnostique.
– Si la suspicion clinique reste élevée malgré une angio-TDM pulmonaire négative, d’autres examens d’imagerie (scintigraphie pulmonaire V/Q ou échographie proximale des membres inférieurs) peuvent être envisagés.

Suspicion de récidive d’EP

Recommandation 4: En cas d’EP improbable («unlikely»), un test des D-dimères doit être réalisé. En cas de test positif ou en cas d’EP probable («likely»), une angio-TDM pulmonaire doit être réalisée (CR). L’utilisation exclusive d’un test des D-dimères positif pour confirmer une EP n’est pas recommandée.
Remarques:
– Dans les études ayant porté sur le diagnostic des ­récidives d’EP, le score de Genève ou le score de Wells ont été utilisés pour évaluer la probabilité pré-test clinique, même si ces scores n’ont pas été spécifiquement validés pour les récidives d’EP.
– En cas de test des D-dimères négatif, des investigations diagnostiques supplémentaires ne sont pas nécessaires.

Questions de recherche ouvertes soulevées par les auteurs de l’ASH au sujet du diagnostic de l’EP

Les scores de prédiction des récidives d’EP doivent être mieux validés. En outre, de nouvelles modalités diagnostiques, telles que la tomographie par émission monophotonique de ventilation/perfusion (TEMP V/Q), la tomographie par émission monophotonique couplée à la tomodensitométrie (TEMP/TDM) et l’imagerie par résonance magnétique (IRM), doivent être évaluées dans des études cliniques. Etant donné que la pertinence clinique de l’EP sous-segmentaire isolée est indéterminée, des études cliniques portant sur la prise en charge optimale sont nécessaires.

Suspicion d’une première TVP des membres inférieurs (algorithme diagnostique, cf. fig. 2)

Figure 2: Algorithme diagnostique en cas de suspicion d’une première TVP.
* Test hautement sensible.
En cas de probabilité pré-test élevée (échographie complète) ou non faible (échographie proximale), une répétition après 1 semaine est recommandée, en particulier lorsqu’aucun diagnostic alternatif n’est identifié.
TVP: thrombose veineuse profonde.

Faible probabilité pré-test (10%) de TVP

Recommandation 5: Un dosage des D-dimères est en premier lieu recommandé (SR); s’il se révèle positif, une échographie de compression veineuse proximale ou complète des membres inférieurs est recommandée (CR). L’utilisation exclusive d’un test des D-dimères positif pour mettre en évidence une TVP n’est pas ­recommandée.
Remarque:
En cas de test des D-dimères négatif, des investigations diagnostiques supplémentaires ne sont pas nécessaires.

Probabilité pré-test intermédiaire (env. 25%) de TVP

Recommandation 6: Une échographie de compression veineuse proximale ou complète des membres inférieurs doit en premier lieu être réalisée (CR). Si l’échographie de compression veineuse complète des membres inférieurs se révèle négative, des investigations diagnostiques supplémentaires ne sont pas recommandées; si l’échographie de compression veineuse proximale des membres inférieurs se révèle initialement négative, elle doit être répétée après une semaine. En cas de probabilité pré-test de ≤15%, une échographie veineuse proximale des membres inférieurs unique ou un test des D-dimères peut être envisagé(e) alternativement (CR), sachant qu’un résultat négatif exclut une TVP. En cas de D-dimères positifs, une échographie veineuse proximale ou complète des membres inférieurs doit être réalisée. L’utilisation exclusive d’un test des D-dimères positif pour confirmer une TVP n’est pas recommandée.

Probabilité pré-test élevée (50%) de TVP

Recommandation 7: Une échographie veineuse proximale ou complète des membres inférieurs (sans test des D-dimères préalable) est recommandée en premier lieu (CR). En cas d’échographie initialement ­négative, une répétition de l’examen est recommandée, en particulier si aucun diagnostic alternatif n’est trouvé. L’utilisation exclusive d’un test des D-­dimères positif pour confirmer une TVP n’est pas recommandée.

Suspicion de récidive de TVP

Recommandation 8: Un dosage des D-dimères est en premier lieu recommandé, notamment lorsqu’une récidive est improbable («unlikely») (CR). En cas de test des D-dimères positif ou lorsqu’une TVP est probable («likely»), une échographie veineuse proximale des membres inférieurs doit être réalisée (CR).
Remarques:
– Dans les études ayant porté sur le diagnostic des ­récidives de TVP, le score de Wells modifié a été utilisé pour évaluer la probabilité pré-test clinique.
– En cas de test des D-dimères négatif, des investigations diagnostiques supplémentaires ne sont pas nécessaires.
– Si la suspicion de récidive de TVP reste élevée malgré une échographie initialement négative, une ­répétition de l’échographie est recommandée.
– La comparaison avec une échographie préalable peut être utile pour déterminer s’il s’agit d’une nouvelle TVP (critère diagnostique: TVP dans un nouveau segment veineux ou augmentation de l’incompressibilité de >4 mm).

Questions de recherche ouvertes soulevées par les auteurs de l’ASH au sujet du diagnostic de la TVP des membres inférieurs

Les auteurs estiment qu’il est nécessaire d’évaluer des scores de prédiction pour les récidives de TVP et de ­valider des critères échographiques qui permettent de faire la distinction entre une TVP aiguë et une TVP déjà chronique en cas de suspicion de récidive de TVP.
Ils mentionnent de nouvelles études encore en cours portant sur le diagnostic par IRM et focalisées sur l’âge du thrombus (aigu vs. chronique).
D’après les auteurs, la pertinence clinique des TVP isolées de la jambe est incertaine et leur prise en charge optimale doit faire l’objet d’études supplémentaires.

Suspicion de TVP des membres supérieurs

TVP improbable («unlikely») (prévalence 10%)

Recommandation 9: Un dosage des D-dimères est en premier lieu recommandé (CR), suivi, en cas de résultat positif, d’une échographie duplex (CR). L’utilisation exclusive d’un test des D-dimères positif pour confirmer une TVP des membres supérieurs n’est pas recommandée.
Remarques:
– Dans les études, la forme dichotomisée du score de Constans a été utilisée pour déterminer la probabilité pré-test de TVP des membres supérieurs («unlikely» vs. «likely»).
– Un test des D-dimères négatif exclut une TVP, rendant des investigations diagnostiques supplémentaires inutiles.
– Si la suspicion clinique reste élevée malgré une échographie duplex veineuse initialement négative, une répétition de l’examen peut être envisagée.

TVP probable («likely») (prévalence40%)

Recommandation 10: Il est recommandé de réaliser soit un test des D-dimères suivi d’une échographie duplex veineuse (unique ou répétée) (CR) soit directement une échographie duplex (unique ou répétée) (CR).
L’utilisation exclusive d’un test des D-dimères positif pour confirmer une TVP des membres supérieurs est déconseillée.
Remarques:
– Dans les études, la forme dichotomisée du score de Constans a été utilisée pour déterminer la probabilité pré-test de TVP des membres supérieurs («unlikely» vs. «likely»).
– Un test des D-dimères négatif exclut une TVP, rendant des investigations diagnostiques supplémentaires inutiles.

Questions de recherche ouvertes soulevées par les auteurs de l’ASH au sujet du diagnostic de la TVP des membres supérieurs

Les auteurs recommandent de continuer à évaluer les règles de prédiction clinique pour le diagnostic de la TVP des bras.

Commentaires du groupe d’experts suisses au sujet des recommandations actuelles formulées dans les lignes directrices de l’ASH

La principale différence méthodologique par rapport aux lignes directrices du «American College of Chest Physicians» (ACCP) relatives au diagnostic de la TVP publiées en 2012 [4] et aux lignes directrices de la «European Society of Cardiology» (ESC) relatives au diagnostic de l’EP publiées en 2019 [5] réside dans la prise en compte plus systématique et plus conséquente de la probabilité pré-test clinique (prévalence) et de la précision diagnostique des tests, ainsi que de l’influence (impact) des tests diagnostiques sur le résultat clinique («outcome»).
Une autre nouveauté (réjouissante) est l’implication de représentants des patients dans le processus de développement des lignes directrices.
Dans l’ensemble, les lignes directrices actuelles de l’ASH sont assez formalistes et elles ne sont pas très faciles à lire. Cela pourrait être dû à la volonté d’obtenir une homogénéité, une transparence et une évidence élevées des énoncés par le biais de l’utilisation de la méthode GRADE.

Nouveau contenu médical

1. La mention des PERC en tant qu’option pour exclure une EP chez les patients ayant une faible (≤5%) probabilité pré-test. Les PERC doivent permettre d’identifier les personnes dont la probabilité d’EP est si faible qu’un bilan diagnostique (y compris test des D-dimères) ne devrait pas du tout être initié.
2. La mention de la possibilité d’utiliser une valeur seuil de D-dimères corrigée pour l’âge (âge en années ×10 μg/l) chez les patients de plus de 50 ans en cas de suspicion d’EP. Cette recommandation figure également dans les lignes directrices de l’ESC publiées un an plus tard.
3. La renaissance de la scintigraphie pulmonaire V/Q: Les lignes directrices de l’ASH recommandent de réaliser en premier lieu une scintigraphie pulmonaire V/Q, et non pas une angio-TDM pulmonaire, comme modalité d’imagerie chez les patients avec une suspicion faible/intermédiaire d’EP dont la probabilité d’obtenir une scintigraphie V/Q concluante sur le plan diagnostique est élevée (en règle générale, ­patients plus jeunes et en meilleure santé avec une radiographie thoracique normale). Cette recommandation est justifiée par la plus faible exposition aux radiations associée à la scintigraphie pulmonaire V/Q par rapport à l’angio-TDM pulmonaire (~2 vs. 3–10 mSv), en particulier au niveau du tissu mammaire des jeunes femmes [5].

Recommandations du groupe d’experts suisses divergeant des lignes directrices actuelles de l’ASH

«Pulmonary embolism rule-out criteria» (PERC)

Le groupe d’experts estime que l’utilisation exclusive des PERC pour exclure une EP en cas de faible probabilité pré-test (≤5%) est risquée. Contrairement aux Etats-Unis, où les PERC ont été développés, la prévalence de l’EP chez les patients avec suspicion d’EP est nettement plus élevée dans les pays européens, s’élevant à environ 20% [6, 7]. Ainsi, même chez les patients à faible risque, des PERC négatifs ne permettent pas d’exclure avec certitude une EP [8].

D-dimères

Les recommandations des lignes directrices de l’ASH reposent sur des tests quantitatifs des D-dimères hautement sensibles effectués en laboratoire, qui présentent une sensibilité de >95% [1]. Les tests des D-dimères du type tests rapides, au chevet du patient ou «point of care», qui sont par exemple utilisés dans les cabinets médicaux, sont moins sensibles (85–96%) et permettent d’exclure avec certitude une thromboembolie veineuse uniquement chez les patients ayant une faible probabilité pré-test [9].

Scintigraphie pulmonaire V/Q

La recommandation de réaliser préférentiellement une scintigraphie pulmonaire V/Q comme première modalité d’imagerie chez les patients ayant une suspicion faible/intermédiaire d’EP est tout particulièrement judicieuse chez les femmes jeunes et elle pourrait également réduire le nombre d’EP faussement positives ou non pertinentes sur le plan clinique, qui sont détectées avec l’angio-TDM pulmonaire haute résolution [10].
Toutefois, les scintigraphies pulmonaires ne sont généralement pas disponibles en dehors des hôpitaux centraux et des heures de travail normales. En outre, la probabilité d’un résultat diagnostique concluant de la scintigraphie pulmonaire V/Q diminue avec l’âge.
Ainsi, les patients âgés de ≥80 ans ont un résultat non diagnostique à la scintigraphie V/Q planaire dans 58% des cas, contre <32% chez les patients de <40 ans [11].
La TEMP V/Q, qui est une modalité d’imagerie plus récente, présente certes un taux de résultats d’examen non concluants de <5%, mais cette technique doit tout d’abord être validée dans des études cliniques [12].
Pour les raisons mentionnées et étant donné que l’angio-TDM pulmonaire offre la possibilité de détecter des diagnostics alternatifs, nous privilégions dans la plupart des cas l’angio-TDM pulmonaire par rapport à la scintigraphie pulmonaire V/Q dans la pratique clinique quotidienne.

Echographie proximale

En raison de la bonne couverture par les spécialistes et de la plus faible incidence post-test de thromboembolies veineuses trois mois après un résultat d’examen négatif, il est courant en Suisse de ne pas réaliser uniquement une échographie de compression veineuse proximale des membres inférieurs – échographie de compression en 2 points – (incidence post-test 2,3%), mais de réaliser une échographie veineuse complète des membres inférieurs – veines distales et proximales des jambes, y compris veines du bassin (incidence post-test 0,57%) [13].
De même, la répétition de l’échographie proximale recommandée dans les lignes directrices en cas de suspicion de TVP et de probabilité pré-test intermédiaire est plutôt inhabituelle en Suisse, car la préférence est donnée à l’échographie complète unique.
En cas de probabilité pré-test élevée et d’échographie de compression veineuse proximale des membres inférieurs négative, nous recommandons de répéter cet examen après une semaine.
Toutefois, lorsque l’échographie veineuse complète des membres inférieurs initiale se révèle négative, une TVP peut en général être exclue d’emblée (sans répétition de l’examen). En cas d’échographie veineuse complète des membres inférieurs négative non concluante, cet examen devrait cependant être répété après une semaine.
Pour le diagnostic d’une possible récidive de thrombose également, il peut s’avérer judicieux et utile de ­réaliser une échographie veineuse complète des membres inférieurs à la fois initialement et après l’arrêt de l’anticoagulation (par exemple après trois mois), permettant une description exacte de la situation initiale et de la situation résiduelle.

Commentaire au sujet des publications importantes publiées entre-temps

Une étude nord-américaine récemment publiée montre qu’en cas de faible probabilité pré-test (score de Wells), la valeur seuil de D-dimères pour exclure une EP peut être doublée, ce qui signifie qu’elle peut être fixée à 1000 μg/l pour les tests des D-dimères classiques [14].
Cette approche est de plus en plus adoptée. Au préalable, une étude de cohorte prospective réalisée en Europe avait montré que chez les patients avec suspicion d’EP ne présentant pas de signes cliniques spécifiques (présence concomitante d’une TVP, hémoptysie, EP comme diagnostic le plus probable), une valeur seuil de D-dimères de 1000 μg/l pouvait également être utilisée [15].
Vous trouverez l’éditorial relatif à cet article à la page 563 de ce numéro.
1 GRADE: «Grading of Recommendations, Assessment, Development and Evaluation»
Les commentaires des experts suisses ont bénéficié du soutien de Bayer (Suisse) SA, Pfizer et Sanofi-Aventis (Suisse) SA sous la forme d’une subvention à caractère éducatif sans restriction («unrestricted educational grant»).
Dr méd. Ulrich Frank
Kantonsspital Graubünden
Chefarzt, Angiologie
Loëstrasse 170
CH-7000 Chur
Ulrich.frank[at]ksgr.ch
1 Lim W, Le Gal G, Bates SM et al. American Society of Hematology 2018 guidelines for management of venous thromboembolism: diagnosis of venous thromboembolism. Blood Adv. 2018;2(22):3226–56.
2 Schuenemann HJ, Wiercioch W, Etxeandia I, et al. Guidelines 2.0: systematic development of a comprehensive checklist for a successful guideline enterprise. CMAJ. 2014;186(3):E123–E142.
3 Langer G, Meerpohl JJ, Perleth M, et al. GRADE guidelines: 1. Introduction – GRADE evidence profiles and summary of findings tables. Z Evid Fortbild Qual Gesundhwes. 2012;106(5):357–68.
4 Bates SM, Jaeschke R, Stevens SM, et al. Diagnosis of DVT: Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest. 2012;141(suppl 2):e351S–e418S.
5 Konstantinides SV, Meyer G, Becattini C et. Al. 2019 ESC Guidelines for the diagnosis and management of acute pulmonary embolism developed in collaboration with the European Respiratory Society (ERS). Eur Heart J. 2020;41(4):543–603.
6 Le Gal G, Bounameaux H. J Diagnosing pulmonary embolism: running after the decreasing prevalence of cases among suspected patients. Thromb Haemost. 2004;2(8):1244–6.
7 Righini M, Le Gal G, Aujesky D, et al. Diagnosis of pulmonary embolism by multidetector CT alone or combined with venous ultrasonography of the leg: a randomised non-inferiority trial. Lancet. 2008;371(9621):1343–52.
8 Hugli O, Righini M, Le Gal G, et al. The pulmonary embolism rule-out criteria (PERC) rule does not safely exclude pulmonary embolism. J Thromb Haemost. 2011;9(2):300–4.
9 Geersing GJ, Janssen KJ, Oudega R, et al. Excluding venous thromboembolism using point of care D-dimer tests in outpatients: a diagnostic meta-analysis. BMJ. 2009;339:b2990.
10 Anderson DR, Kahn SR, Rodger MA, et al. Computed tomographic pulmonary angiography vs ventilation-perfusion lung scanning in patients with suspected pulmonary embolism: a randomized controlled trial. JAMA. 2007;298(23):2743–53.
11 Righini M, Goehring C, Bounameaux H, Perrier A. Effects of age on the performance of common diagnostic tests for pulmonary embolism. Am J Med. 2000;109(5):357–61.
12 Bajc M, Olsson B, Palmer J, Jonson B. Ventilation/Perfusion SPECT for diagnostics of pulmonary embolism in clinical practice. J Intern Med. 2008;264(4):379–87.
13 Johnson SA, Stevens SM, Woller SC, et al. Risk of deep vein thrombosis following a single negative whole-leg compression ultrasound: a systematic review and meta-analysis. JAMA. 2010;303(5):438–45.
14 Kearon C, de Wit K, Parpia S, et al. Diagnosis of pulmonary embolism with D-dimer adjusted to clinical probability N Engl J Med. 2019;381(22):2125–34.
15 van der Hulle T, Cheung WY, Kooij S, et al. Simplified diagnostic management of suspected pulmonary embolism (the YEARS study): a prospective, multicentre, cohort study. Lancet. 2017;390(10091):289–97.