«Smarter Medicine» – au cœur des préoccupations sur l’adéquation des soins
Highlight anniversaire: médecine interne générale

«Smarter Medicine» – au cœur des préoccupations sur l’adéquation des soins

Medizinische Schlaglichter
Édition
2021/5152
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2021.08932
Forum Med Suisse. 2021;21(5152):867-868

Affiliations
Hirslanden Clinique de Grangettes, Chêne-Bougeries

Publié le 21.12.2021

«Smarter Medicine» vise à réduire les pratiques médicales sans valeur ajoutée, soit résultant de prescriptions non basées sur les évidences scientifiques, soit relevant du sur-diagnostic ou du sur-traitement.

Contexte

Il est difficile de dire quand émergea le concept selon lequel certaines pratiques médicales pourraient n’avoir aucune valeur ajoutée pour les patients, mais leur être préjudiciable et gaspiller les ressources médicales. Un éditorial publié en 2002 dans le British ­Medical Journal par le journaliste Ray Moynihan et l’éditeur Richard Smith, intitulé «Too much medicine? Almost certainly» [1], représente une étape déterminante de ce nouveau paradigme. Il faut encore mentionner la stratégie de «désinvestissement» lancée en 1999 au Royaume Uni par le «National Institute for Health and Clinical Excellence» (NICE), afin d’abandonner des activités sans valeur ajoutée.
En 2009, lorsqu’elle luttait pour l’adoption du «Patient Affordable Care Act», l’administration Obama demanda le soutien des industries en lien avec les soins (assurances, pharma, fabricants de matériel) et des médecins. Ces derniers le lui refusèrent. Dans un éditorial légendaire, l’éthicien Howard Brody écrivit «Une profession qui fait vœu de placer les intérêts des patients en premier ne peut justifier son absence de soutien à une législation qui vise à étendre l’accès aux soins à tous les américains. Au moins pourrait-elle identifier les pratiques médicales inutiles et les abandonner» [2]. La balle fut saisie au vol par la «National Physicians Alliance», fondée par l’»American Board of Internal Medicine». Cette Alliance développa des «Top-5 lists» de 5 pratiques sans valeur ajoutée pour les patients, à l’intention des médecins de premier recours afin, qu’à terme, il en soit de même par et pour les médecins d’autres spécialités. Le mouvement «Less is more» fut lancé et la campagne «Choosing Wisely» prit le relai en 2012 soutenue, depuis, par l’«American College of Physicians» (http://www.choosingwisely.org). A ce jour, 72 listes «Top-5» ont été publiées.

Initiatives en Suisse

En Suisse, l’Académie Suisse des Sciences médicales ­publia, en 2012, un document intitulé «Médecine ­durable – Feuille de route de l’Académie Suisse des Sciences médicales». En 2014, la Société Suisse de Médecine Interne se lança en pionnière en publiant, sous le slogan «smarter medicine», la première liste Top-5 de Suisse, dans le domaine de la médecine interne générale ambulatoire [3]. La nouvelle Société Suisse de ­Médecine Interne Générale poursuivit cette action en 2016, en publiant une listeTop-5 dans le domaine hospitalier. En 2017, fut créée l’Association faitière «smarter medicine» par la Société Suisse de Médecine Interne Générale, l’Académie Suisse des Sciences Médicales, la Fédération Suisse des Associations professionnelles dans le domaine de la santé, l’Association des physiothérapeutes, les deux organisations suisses des patients, ainsi que les associations des consommateurs des trois régions linguistiques du pays. L’Association fait partie de «Choosing Wisely International».

Mise en oeuvre

Toutes les initiatives mentionnées plus haut, qu’elles soient en Suisse ou à l’étranger, poursuivent un but commun: réduire voire abolir les pratiques médicales sans valeur ajoutée pour les patients, soit résultant de prescriptions non basées sur les évidences scientifiques, soit relevant du sur-diagnostic ou du sur-traitement.
Certains ont assimilé les objectifs de l’Association (encadré) à un rationnement. Or, l’accent est mis sur l’optimalisation de la qualité et la rationalisation des soins; les économies financières ne sont qu’un effet secondaire bienvenu, lorsqu’elles surviennent.
Une partie de ces objectifs furent réalisés. A ce jour, 18 listes Top-5 ont été rédigées par des sociétés de discipline médicales suisses et d’autres sont en cours. Bientôt, plus de la moitié des sociétés de discipline médicale ­auront rédigé des listes Top-5.
Les médecins ont reçu les premières listes Top-5 avec des conseils portant sur la manière d’aborder ces thèmes avec leurs patients; ces conseils figurent sur le site www.smartermedicine.ch. Concernant les patients, une première campagne publique fut réalisée en 2018 et une prochaine est programmée pour 2022; les groupes cibles incluent également les professionnels de la santé, le public en général et les autorités, avec interventions dans la presse, à la télévision, interviews aux radios, diffusion de messages sur google et vidéos, afin de rendre conscient, qu’en médecine, «plus n’est pas toujours mieux». Sur le site de l’Association sont proposées aux patients des questions qu’ils peuvent poser à leur médecins, nécessaires à une décision partagée lors de choix importants concernant des investigations ou des traitements; ils y trouvent aussi des informations détaillées sur les thèmes des listes Top-5 rédigées par les sociétés de disciplines médicales. Afin d’assurer son soutien, «smarter medicine» a constitué un réseau de partenaires (sociétés de disciplines médicales, FMH, ­réseaux de soins tel que Medix, etc); afin de faire le lien avec les lieux de formation pré- et post-graduées, un groupe de travail «smarter hospitals» a été formé, constitué d’hôpitaux universitaires et non-universitaires, de sorte qu’ils puissent échanger sur leurs expériences de mise en œuvre d’initiatives «smarter medicine» dans leurs institutions respectives et effectuer des travaux de recherche sur les effets de ces dernières.

Effets

L’impact des listes Top-5 sur la prescription, voire sur les coûts de la santé, est difficilement mesurable: le manque de banques de données centralisées permettant d’identifier la consommation médicale en Suisse rendent ces analyses complexes, mais elles sont planifiées. Une étude effectuée en 2014 par la Policlinique Universitaire de Lausanne [4] a montré que, parmi un échantillonnage de 277 internistes généralistes en pratique ambulatoire, 60% d’entre eux avaient connaissance de la liste Top-5 en médecine interne générale ambulatoire; dans un collectif similaire, la connaissance de la campagne «Choosing Wisely» était de 38% aux USA.L’accord des médecins suisses avec les recommandations de cette liste Top-5 était élevé, avec des scores de 8,9–9,1 sur 10. Les pourcentages indiquant que leur pratique divergeait rarement des recommandations était de 68 à 74 %, sauf pour les inhibiteurs de la pompe à protons (34%).

Perspectives

L’intérêt pour les initiatives de «smarter medicine» augmente et les recommandations de la FMH imposant aux médecins une démarche qualité dans leurs cabinets conduit de nombreuses sociétés de disciplines médicales à rédiger des listes Top-5, dont leurs membres pourront se prévaloir. De même, l’intérêt porté par les autorités fédérales et cantonales à la qualité et l’adéquation des soins va croissant.
Ainsi, l’impact de la démarche «smarter medicine» sur la qualité et l’efficience des soins portera ses fruits à long terme.Les médecins devront repenser leurs pratiques et les politiciens soutenir une large réflexion intégrant de nombreux acteurs (soignants, patients, assureurs, hôpitaux et médias), afin que les patients reçoivent «the right care, at the right time, in the right way» [5].

L’Association suisse poursuit les objectifs suivants:

– encourager la rédaction et la publication de listes Top-5 par les sociétés de disciplines médicales; 
– impliquer d’autres professions dans le domaine de la santé et discuter d’approches interprofessionnelles permettant d’atteindre ces buts;
– sensibiliser et développer les compétences des patients sur ces questions; 
– instaurer et ancrer ces préoccupations dans les formations médicales pré- et post-graduées; 
– initier un débat public sur ces sujets; 
– obtenir le soutien des autorités.
Prof. Gaspoz a reçu des rémunérations ou honoraires d’Astra Zeneca (webinaire de formation 2021) et de Vifor Pharma, Alexion, Braun, Doetsch Grether, Sysmex (Iron Academy 2021).
Hon.-Prof. Dr méd.
Jean-Michel Gaspoz
Hirslanden Clinique des Grangettes
7, chemin des Grangettes
CH-1224 Chêne-Bougeries
Jean-Michel.Gaspoz[at]grangettes.ch
1 Moynihan R, Smith R. Too much medicine? Almost certainly. BMJ. 2002; 324:859–60.
2 Brody H. Medicine’s ethical responsibility for health care reform – The top five list. N Engl J Med. 2010;362(4):283–85.
3 Selby K, Cornuz J, Neuner-Jehle S, et al. «Smarter Medicine»: 5 interventions à éviter en médecine interne générale ambulatoire. Bull Med Suisses. 2014;95(20):769–70.
4 Selby K, Cornuz J, Cohidon C, Gaspoz J-M, Senn N. How do swiss general practitioners agree with and report adhering to a top-five list of unnecessary tests and treatments? Results of a cross-sectional survey. European Journal of General Practice 2017:DOI 10.1080/13814788.2017.1395018.
5 Gaspoz J-M. Smarter Medicine: do physicians need political pressure to eliminate useless interventions? Swiss Med Wkly 2015:145:w14125..