Les troubles somatiques fonctionnels au cabinet et à l’hôpital
Importance et approche dans la pratique clinique quotidienne

Les troubles somatiques fonctionnels au cabinet et à l’hôpital

Übersichtsartikel
Édition
2022/0304
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.08884
Forum Med Suisse. 2022;22(0304):67-71

Affiliations
a Medizinische Klinik, Spital Emmental, Langnau und Burgdorf; b Medizinische Fakultät, Universität Bern, Bern

Publié le 19.01.2022

Cet article a pour objectif de fournir un cadre d’orientation pour pouvoir mieux classifier et aborder la multitude de troubles somatiques d’origine fonctionnelle.

Introduction

Dans la médecine de premier recours, 20–50% des symptômes somatiques signalés par les patients sont de nature fonctionnelle, c’est-à-dire non corrélables avec une anomalie biomorphologique au niveau organique [1]. Les hôpitaux centraux sont souvent confrontés à de multiples cas avec une combinaison de symptômes pour lesquels une composante somatique est certes présente mais ne constitue pas une explication totalement plausible du tableau symptomatique global. Seule l’intégration des composantes fonctionnelles additionnelles permet de tirer des conclusions cohérentes.
Cet article a pour objectif de fournir un cadre d’orientation pour pouvoir mieux classifier et aborder la multitude de troubles somatiques d’origine fonctionnelle.

Définition

Dans leur définition négative, les troubles fonctionnels se caractérisent par des symptômes somatiques qui ne s’expliquent pas (ou pas totalement) par une lésion ­organique. La définition positive, quant à elle, explique la survenue des troubles somatiques fonctionnels comme le résultat de processus perceptifs, régulateurs ou neuroprédictifs de l’organisme global, qui est sensible [2, 3]. Il convient de noter que cette définition ­positive se défait résolument de l’ancienne logique cartésienne du «tout noir ou tout blanc», qui qualifiait sans distinction supplémentaire de «psychogènes» les symptômes somatiques pour lesquels il n’y avait pas d’explication organique.
Les troubles fonctionnels légers incluent par exemple les symptômes somatiques d’origine végétative, comme par exemple l’hypertension situationnelle, les troubles digestifs associés au stress, ainsi que la grande majorité des insomnies. Les formes plus complexes de troubles somatiques fonctionnels se manifestent souvent dans le cadre de maladies douloureuses chroniques ou de déficits neurofonctionnels.
La fréquence élevée des symptômes somatiques fonctionnels indique que ces troubles, tout comme les symptômes somatiques organiques, font partie du spectre usuel de troubles de la nature humaine.
Dans le monde médical, les troubles fonctionnels ont déjà été décrits précisément au début du 20e siècle [4]. Pourtant, une façon routinière de les appréhender ne semble pas encore s’être établie. Au vu de leur fréquence, de bonnes connaissances de base quant à la gestion des troubles fonctionnels semblent impératives pour le cabinet et l’hôpital et contribuent fortement à l’amélioration de la satisfaction des patients. Depuis peu, des sites internet tentent aussi de plus en plus de véhiculer une meilleure compréhension des troubles fonctionnels (par ex. www.neurosymptoms.org).

Défi diagnostique

Le fait que les symptômes somatiques organiques ne se distinguent souvent que faiblement des symptômes somatiques fonctionnels sur le plan clinique-phénoménologique est un défi clinique quotidien bien connu: ainsi, les symptômes d’une dyspepsie fonctionnelle ne sont par exemple guère différents de ceux d’une gastrite chimique-toxique. Et pour un profane, les convulsions d’origine neurofonctionnelle ressemblent fortement à une épilepsie organique cérébrale. Autrement dit, le spectre des troubles somatiques fonctionnels se recoupe fortement avec celui des troubles somatiques organiques sur le plan phénoménologique (fig. 1).
Figure 1: Symptômes somatiques d’origine fonctionnelle typiques (de: Egloff N. Grund­formen Psychosomatischer Störungen. Schlusskurs 1, Medizinische Fakultät, Universität Bern. Wintersemester 2018/2019. Traduction et reproduction avec l’aimable autorisation de N. Egloff.).
Il convient de noter que les troubles somatiques fonctionnels ne se distinguent souvent que faiblement des troubles somatiques organiques sur le plan clinique-phénoménologique. Il est également fréquent que les symptômes somatiques fonctionnels se développent simultanément ou consécutivement à des symptômes initialement organiques. La liste ne prétend pas à l’exhaustivité.
La discipline de la médecine psychosomatique définit aujourd’hui de nombreux «critères positifs», qui caractérisent les troubles fonctionnels et apportent ainsi une contribution essentielle pour la discussion autour du diagnostic différentiel à l’hôpital, au cabinet et dans le contexte des expertises [2, 3].

Un aspect déterminant: la formulation

En présence d’un trouble fonctionnel, adopter une ­démarche diagnostique purement orientée sur l’exclusion de causes organiques mène bien souvent dans une impasse. Elle plonge aussi bien le médecin que le ­patient dans une sorte d’état de quête de preuves. Lorsque ni le médecin ni le patient ne possèdent des connaissances de base quant aux caractéristiques des troubles fonctionnels, il y a un risque que le médecin prescrive des examens complémentaires bien souvent non concluants et que le patient change de médecin et sombre dans le nomadisme médical.
Par conséquent, les experts recommandent aujourd’hui d’adopter d’emblée une approche «à double voie», c’est-à-dire de garder à l’esprit à la fois l’étiopathologie organique et l’étiopathologie fonctionnelle face à tout symptôme somatique. A titre d’illustration: la diarrhée peut survenir dans le cadre d’une maladie inflammatoire-infectieuse du côlon ou alors, elle peut tout aussi bien être d’origine fonctionnelle dans le cadre d’un trouble colique lié à un dérèglement végétatif-endocrinien sous l’effet du stress.
Un aspect déterminant réside bien souvent dans l’utilisation de la bonne «formulation» quant à cette approche à double voie. Des indications concrètes quant à la manière d’appréhender les troubles fonctionnels sont fournies dans les lignes directrices allemandes S3 [2]. En cas de suspicion correspondante, des formulations comme par exemple «il faut en principe aussi toujours penser à un symptôme de stress somatique» peuvent laisser la porte ouverte à une cause fonctionnelle dans le cadre du diagnostic différentiel. La compétence personnelle en matière d’identification d’une pathologie d’origine fonctionnelle et le fait de nommer cette pathologie comme «une variante fréquente et bien connue» représentent la première étape en vue du recadrage et de la déstigmatisation des patients. Les principales informations que les patients souffrant de symptômes fonctionnels doivent connaître sont présentées dans le tableau 1.
Tableau 1: Informations de base pour les patients souffrant de troubles fonctionnels (de: Egloff N. Grundformen Psychosomatischer Störungen. Schlusskurs 1, Medizinische Fakultät, Universität Bern. Wintersemester 2018/2019. Traduction et reproduction avec l’aimable autorisation de N. Egloff.).
Les informations de base suivantes aident les patients atteints de troubles fonctionnels à mieux faire face à leurs troubles. Notamment en raison de la vaste médiatisation des maladies liées au stress, l’évolution de la société est aujourd’hui telle que la population dispose de plus en plus d’une compréhension biopsychosociale de base de l’impact des troubles fonctionnels sur la santé. L’évaluation somatique minutieuse (paliers 1 et 2) reste intégrée en tant que composante. Au vu de la fréquence des troubles fonctionnels, l’approfondissement commun d’un modèle de maladie biopsychosocial individualisé (par ex. en prenant exemple sur les symptômes de stress) est opportun. La conception dualiste désuète des symptômes («soit somatogènes soit psychogènes») est ainsi remplacée par une attitude plus nuancée, qui reconnaît comme physiologiquement réels les symptômes somatiques à la fois organiques et fonctionnels et peut sans contrainte mettre en rapport les deux causes de symptômes somatiques avec différents processus psychiques et différentes conditions sociales. La mesure dans laquelle une alliance thérapeutique solide parvient à être établie dans ce contexte est déterminante sur le plan pronostique.
Fréquence Les symptômes somatiques sans lésion organique objectivable sont très fréquents. Toute personne présente de temps à autre de tels symptômes. Dans la médecine de premier recours, environ un patient sur quatre se plaint de tels symptômes.
Localisation Les symptômes peuvent en principe toucher n’importe quel système d’organes. Le système cardiovasculaire et le système digestif sont très fréquemment touchés. Mais de très nombreuses affections douloureuses chroniques comportent également des composantes fonctionnelles.
Survenue De nombreux symptômes fonctionnels peuvent être interprétés comme résultant de processus de contrôle physiques (préalablement végétatifs) et/ou d’une transmission accrue de stimuli dans le système nerveux (par ex. en cas d’intestin irritable, de dyspepsie fonctionnelle, de vessie irritable et de syndrome de fibromyalgie). Cela signifie que les symptômes sont absolument réels. Certains syndromes fonctionnels surviennent à une fréquence accrue au sein de certaines familles, ce qui suggère une prédisposition génétique.
Causes Les symptômes sont souvent liés aux répercussions de problèmes de santé préalables (par mémorisation de leurs symptômes et chronicisation) ou ils surviennent en lien avec une sollicitation excessive (par sensibilisation au stress de l’organisme).
TraitementLes symptômes de stress et les symptômes douloureux se répercutent toujours sur l’être humain dans son ensemble. Les approches thérapeutiques holistiques, c.-à-d. qui tiennent compte des aspects physiques et psychiques, sont les plus efficaces. De nombreux patients profitent par ex. d’une association combinant thérapie par le mouvement, procédés de relaxation et meilleure gestion du stress.
Evolution De nombreux symptômes somatiques fonctionnels présentent un caractère «on/off», c.-à-d. qu’ils vont et viennent en fonction de circonstances situationnelles. Etant donné que les troubles peuvent être caractérisés non pas de problèmes de «hardware» mais de problèmes de «software», il n’en résulte pas de lésions organiques. Cela signifie que d’un point de vue médical, les troubles fonctionnels sont «bénins».

Déstigmatisation par le savoir

Les connaissances médicales au sujet des troubles fonctionnels n’ont cessé de s’affiner au cours des dernières décennies. Les modèles psychodynamiques initiaux ont déjà été étendus dans les années 1980 au profit du modèle biopsychosocial.
Les progrès en matière de technique et de biologie moléculaire accomplis au cours des deux dernières décennies ont en outre apporté beaucoup de nouvelles connaissances au sujet de la physiologie des troubles fonctionnels, qui remplissent aujourd’hui les manuels [5].
Pour le formuler de façon explicite: les symptômes fonctionnels ont une base physiologique et ne sont pas imaginaires. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une simulation délibérée de symptômes. Et une comorbidité psychiatrique n’est pas une condition sine qua non pour la survenue d’un trouble fonctionnel. En d’autres termes: tout organisme «supérieur» peut être touché.

Physiopathologie

Comme mentionné, les symptômes somatiques fonctionnels sont par définition dépourvus d’une cause ­pathologique structurelle au niveau organique. Les symptômes somatiques fonctionnels surviennent à un niveau supérieur de contrôle organique altéré ou de perception organique altérée. Le contrôle organique et la perception organique sont au final tous deux des fonctions dynamiques du système nerveux. Le contrôle ­organique se manifeste avant tout dans l’organisme par le biais du système autonome et neuroendocrinien. La perception organique repose entre autres sur les voies proprioceptives, nociceptives, intéroceptives et sensorielles (fig. 2).
Figure 2: Physiopathologie (de: Egloff N. Grundformen Psychosomatischer Störungen. Schlusskurs 1, Medizinische Fakultät, Universität Bern. Wintersemester 2018/2019. Traduction et reproduction avec l’aimable autorisation de N. Egloff.).
Les symptômes somatiques fonctionnels sont par définition dépourvus d’une cause biormophologique objectivable au niveau organique, car ils surviennent dans le cadre de processus supérieurs de perception et de contrôle. Tout organisme supérieur régulé végétativement est en proie à des symptômes fonctionnels lorsqu’il est soumis au stress. Les processus neuroendocriniens, neuroimmunologiques, neurométaboliques et neuroperceptifs concomitants parviennent de plus en plus à être rationalisés.
PAG: substance grise périaqueducale («periaqueductal gray»); S1: cortex somatosensoriel primaire; S2: cortex somatosensoriel secondaire; SNA: système nerveux autonome; SNP: système nerveux périphérique.
Par ailleurs, le cerveau doit être considéré comme un «organe générateur d’hypothèses» fonctionnant de manière autonome (en anglais «predictive brain»), qui fait en permanence des recoupements entre les ­attentes et les stimuli sensoriels réels et qui peut également former lui-même des processus perceptifs et ainsi déclencher et amplifier des symptômes [6].
Lorsque l’homéostasie interne du sujet est fortement irritée, l’organisme réagit par des processus d’adaptation au stress. Cette réaction vis-à-vis des influences externes et internes s’accompagne dans l’organisme de processus neuroendocriniens, neuroimmunologiques, neuroviscéraux, neurométaboliques, neuroperceptifs et comportementaux supra-organiques [7].
Les influences externes et internes sur le vécu du sujet ainsi que ses expériences médicales préalables impactent la fonctionnalité du contrôle organique et de la perception organique, au même titre que les facteurs constitutionnels, héréditaires et acquis.
La recherche est également parvenue à rationnaliser bon nombre de ces symptômes fonctionnels adaptatifs sur le plan physiologique du stress, épigénétique, neuroplastique, ainsi que psychologique-comportemental [5].
Tandis que la psychologie du développement de ces dernières décennies avait déjà mis en lumière les conséquences déficitaires de conditions de vie négatives, des approches plus récentes de la recherche sur la résilience soulignent en plus les performances adaptatives énormes qui sont demandées à l’individu lorsqu’il se trouve dans des situations de vie difficiles et qui mettent au défi ses potentiels de développement, mais peuvent aussi les surmener («hidden talents in harsh environments») [8].

Paliers de modulation et d’intervention

Le schéma d’orientation présenté dans le tableau 2 montre les principaux paliers de modulation qui peuvent déterminer la phénoménologie d’un symptôme somatique complexe.
Tableau 2: Schéma par paliers pour la rationalisation des symptômes somatiques fonctionnels (de: Egloff N. Grundformen Psychosomatischer Störungen. Schlusskurs 1, Medizinische Fakultät, Universität Bern. Wintersemester 2018/2019. Traduction et reproduction avec l’aimable autorisation de N. Egloff).
Les relations et interactions des paliers présentés ici sont l’objet principal de la recherche psychosomatique. Sur le plan phénoménologique, les symptômes somatiques fonctionnels peuvent en majorité être affectés aux paliers 4 et 5. Il n’est pas rare qu’il existe une combinaison avec des symptômes des paliers 1–3. Tout symptôme somatique (quelle que soit la cause) peut être fortement modulé au niveau nerveux central par les paliers 6–10.
PalierModulation des ­symptômes par …Commentaire
11Facteurs contextuelsInfluences environnementales situationnelles (travail, logement, loisirs, famille, société), qui conduisent à un stress, des comportements inadéquats et des symptômes (paliers 1–11) (par ex. travail posté, nuisances sonores, manque d’activité physique, absence de possibilité de se réfugier, surcharge professionnelle, déracinement social, environnement violent).
10Stresseurs intrapsychiquesFacteurs stressants psychogènes en tant qu’amplificateurs des symptômes (par ex. absence de perspectives d’avenir, de sécurité, d’utilité, de reconnaissance, d’appartenance, d’attache, de compensation par la détente, de capacité à apprécier les choses).
9Aspects communicationnelsPrésentation atypique des symptômes en raison de conceptions différentes de la santé, d’une langue différente, d’un manque de capacité à s’exprimer verbalement (enfants, personnes avec handicaps, démence) ou de difficultés interactionnelles (par ex. en cas d’autisme, de troubles de la personnalité ou de problèmes d’attachement).
8Interprétation cognitiveVécu des symptômes pathologiquement amplifié par des cognitions dysfonctionnelles, un catastrophisme, des interprétations erronnées ou des «recherches sur internet». (D’un autre côté, gain personnel lorsqu’un symptôme personnel est par ex. interprété comme un signe de stress et accepté comme une occasion de changer les choses.)
7Connotation affectiveL’angoisse, les sentiments de honte, les sentiments de culpabilité, la dépressivité et le désespoir agissent comme des amplificateurs affectifs des symptômes et contribuent éventuellement à l’entretien des symptômes (par ex. en cas de syndromes douloureux somatoformes). Sur le plan physiopathologique, les états de déficit émotionnel, tels que l’alexithymie ou l’agnosie affective, jouent cependant aussi un rôle dans la survenue et l’entretien des symptômes fonctionnels.
6Mémorisation La fixation mnésique et le vécu répété de symptômes somatiques (et des circonstances situationnelles associées) représentent un processus de marquage physiologique, qui joue en particulier un rôle en cas de troubles consécutifs à un traumatisme (mais pas uniquement) et déclenche des altérations épigénétiques.
5Renforcement perceptif La manifestation quantitative des symptômes fonctionnels s’explique souvent par des stimuli somato-sensoriels amplifiés, s’accompagnant par ex. d’une hyperalgésie, d’une allodynie, d’une phonophobie, d’une photophobie, d’intolérances non-­allergiques et non-enzymatiques, d’une fatigue accrue, etc. La réalisation d’un bilan algométrique est impérative en cas de syndromes douloureux avec suspicion d’hyperalgésie. Attention: Réactions hyposensorielles dans le cadre de dissociations.
4Symptômes végétatifsPar ex. troubles digestifs, troubles du sommeil, intolérance à l’effort d’origine situationnelle. Signes cliniques de dérèglement végétatif: extrémités froides, tonus musculaire accru, sueurs froides, dermographisme rouge, variabilité réduite de la fréquence cardiaque, altération de la conductance cutanée, etc.
3Réactions musculairesPar ex. contractures musculaires, myogéloses, extensions myofasciales, «tendinopathies des chaînes». Ces altérations myogènes peuvent être associées de façon réactionnelle aux paliers 1 et 2 ou être déclenchées en rapport avec les paliers 4–12.
2InflammationProcessus immunologiques-inflammatoires en plus du palier 1. L’inflammation a souvent un effet général de renforcement des symptômes («bottom-up»). Des effets de renforcement des symptômes neuro-inflammatoires en lien avec le palier 5 (éventuellement aussi 6–8) sont de plus en plus décrits (entre autres médiés par les interleukines).
Attention: Interférences «top-down» psycho-neuroimmunologiques et psycho-neuroendocriniennes des paliers 4–11 en cas d’allergies et de troubles auto-immuns.
1Lésion organiqueSurvenue de symptômes («bottom-up») dans le cadre d’une lésion organique. Par ex. mise en évidence sérologique, cytologique, histologique, par imagerie ou anatomo-clinique.
Le schéma intègre les influences sur les symptômes organiques et fonctionnels, car les deux coexistent généralement (cf. vignette de cas). Les paliers 1 et 2 de la santé organique sont le domaine sur lequel la médecine se focalise conventionnellement en priorité. Nous disposons ici de nombreuses méthodes d’objectivation. Le diagnostic à partir du palier 3 comporte nettement moins de possibilités instrumentales. Ici, la confirmation du diagnostic repose sur des preuves indirectes, en recherchant des symptômes concomitants typiques et des circonstances concomitantes typiques. Dans les lignes directrices suisses pour l’évaluation des troubles somatoformes-fonctionnels, des listes d’indicateurs correspondantes ont été élaborées [3].

Vignette de cas 1

Une patiente de 21 ans avec asthme bronchique connu se présente aux urgences en raison de crises de dyspnée récidivantes. Elle est sous traitement par Symbicort®. Il y a quelques années, la patiente a été victime d’une réaction allergique de grade 2 après avoir consommé un aliment non toléré (paliers 1 et 2). A ce moment-là, la dyspnée s’est accompagnée d’une peur de mourir par étouffement (palier 7). La dyspnée à l’époque perçue comme une menace vitale a été mémorisée (palier 6) et a abouti à une hypervigilance vis-à-vis de l’apparition de nouveaux troubles respiratoires. C’est ainsi que de légers symptômes d’obstruction respiratoire ultérieurs et une tachypnée bénigne lors d’efforts physiques ont été interprétés en tant que troubles potentiellement fatals (palier 8), ce qui a à chaque fois déclenché une réaction sympathicotonique avec une dynamique semblable à des crises de panique, se manifestant cliniquement par une tachypnée, une hyperventilation, une tachycardie, des sueurs froides (palier 4) et des sentiments de déréalisation (palier 7).
Aux urgences, la patiente n’a à aucun moment présenté de signes d’obstruction pulmonaire pertinente (palier 1) et une tentative d’inhalations humides n’a pas entraîné d’amélioration. Toutefois, une instruction concernant la surveillance du débit de pointe a entraîné une première amélioration du contrôle des symptômes. Une instruction thérapeutique comportementale supplémentaire focalisée sur les techniques d’intervention en cas de crises de panique (palier 8) a finalement conduit à l’avancée thérapeutique visée. En particulier la pratique d’un meilleur autocontrôle végétatif (palier 4) au moyen d’une application de biofeedback a abouti à un gain de sécurité durable et à l’arrêt des crises de dyspnée.
Les domaines supérieurs du schéma explorent les facteurs de modulation des symptômes en rapport avec la personnalité globale. Cette exploration anamnestique exploite également le modèle pathologique du patient, sur lequel devront éventuellement se baser plus tard l’éducation du patient et la plausibilisation du traitement. L’examen clinique minutieux et l’exploration anamnestique compétente favorisent tous deux le développement d’une alliance thérapeutique solide. Cet aspect est essentiel dans la mesure où les patients souffrant de symptômes fonctionnels (pour autant qu’on les ait approchés en se limitant aux paliers 1 et 2) ont souvent connu une grande irritation au préalable.

Plan thérapeutique individualisé

En cas de constellations symptomatiques complexes, le profil du patient devrait être exploré de façon systématique en passant par tous les paliers cités. En fonction du résultat du profil, il est possible de formuler les interventions thérapeutiques correspondantes spécifiques aux différents paliers. Sur cette base, un plan thérapeutique individualisé peut être établi. Le plus souvent, il existe simultanément des points d’attaque à différents niveaux, auxquels il est possible de s’atteler tour à tour ou, dans l’idéal, concurremment (approche multimodale). A cet effet, il existe également des lignes directrices systématisées [9]. Les interventions sont priorisées entre autres sur la base de l’ampleur du soulagement attendu et du profil de ressources actuel du patient. Le spectre d’interventions englobe une multitude d’offres physiothérapeutiques, psychothérapeutiques et pharmacologiques spécifiques [9]. Outre l’information (éducation du patient), un facteur thérapeutique essentiel réside dans la fiabilité de l’accompagnement du patient. Tous ces éléments aident à contrecarrer la «perte de contrôle» bien souvent vécue au préalable.

L’essentiel pour la pratique

• Les troubles somatiques fonctionnels ont aujourd’hui un fondement physiologique.
• Le modèle psychosomatique intégratif par paliers présenté ici sert d’instrument diagnostique et thérapeutique en vue d’une meilleure rationalisation thérapeutique de ces troubles.
• Il est essentiel que la médecine prenne en compte tous les paliers du schéma d’orientation et révise l’ancienne conception dichotomique de la maladie (somatogène versus psychogène) au profit d’une conception nettement plus différenciée des symptômes.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
Dr méd. Verena Merki
Medizinische Klinik
Spital Emmental Langnau
CH-3550 Langnau
verena.merki[at]spital-emmental.ch
1 Haller H, Cramer H, Lauche R, Dobos G. Somatoforme Störungen und medizinisch unerklärbare Symptome in der Primärversorgung. Dtsch Arztebl Int. 2015;112:279–87.
2 Arbeitsgemeinschaft der Wissenschaftlichen Medizinischen Fachgesellschaften e.V. (AWMF). S3 Leitlinie «Funktionelle Körperbeschwerden». https://www.awmf.org/leitlinien/detail/ll/051-001.html.
3 Schweizerische Akademie für Psychosomatische und Psychosoziale Medizin (SAPPM). Leitlinien Psychosomatische Medizin – ­Begutachtung somatoform-funktioneller Schmerzstörungen (ICD-10), respektive chronischer Primärschmerzen (ICD-11 draft) sowie analoger funktioneller Körpersymptomstörungen. https://www.sappm.ch/ueber-uns/begutachtung.
4 Dubois P. Les psychonévroses et leur traitement moral: Leçons faites à l’université de Berne. Paris: Masson; 1904. Deutsche Übersetzung: Die Psychoneurosen und ihre psychische Behandlung: Vorlesungen gehalten an der Universität Bern. Bern: Francke;1905.
5 Egle UT, Heim C, Strauss B, von Känel R. Psychosomatik-­neurobiologisch fundiert und evidenzbasiert. Stuttgart: Kohlhammer;2020.
6 Henningsen P, Gündel H, Kop WJ, Löwe B, Martin A, Rief W, Rosmalen JGM, Schröder A, van der Feltz-Cornelis C, Van den Bergh O. Persistent Physical Symptoms as Perceptual Dysregulation: A Neuropsychobehavioral Model and Its Clinical Implications. Psychosom Med. 2018;80(5):422–31.
7 Chrousos GP. Stress and disorders of the stress system. Nat Rev Endocrinol 2009;5(7):374–81.
8 Ellis BJ, Abrams LS ,Masten AS, Sternberg RJ, Tottenham N, Frankenhuis WE. Hidden talents in harsh environments. Dev Psychopathol 2020; 16:1–19.
9 Grolimund J, Grolimund S, grosse Holtforth M, Egloff N. Wegleitung zur Planung einer personalisierten, interdisziplinären multimodalen Schmerztherapie. Der Schmerz 2019;33(6):514–22.