L’embolisation lymphatique ascendante intra-ganglionnaire comme option thérapeutique mini-invasive
Chylothorax chez les nouveau-nés et les enfants

L’embolisation lymphatique ascendante intra-ganglionnaire comme option thérapeutique mini-invasive

Der besondere Fall
Édition
2022/0910
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.08893
Forum Med Suisse. 2022;22(0910):173-176

Affiliations
a Abteilung für Allgemeine Pädiatrie, Universitäts-Kinderspital Zürich, Zürich; b Abteilung für Intensivmedizin und Neonatologie, Universitäts-Kinderspital Zürich, Zürich; c Abteilung Bilddiagnostik & Intervention, Universitäts-Kinderspital Zürich, Zürich; d Abteilung für Neonatologie und pädiatrische Intensivmedizin, Kinderspital, Luzerner Kantonsspital, Luzern

Publié le 01.03.2022

Le chylothorax correspond à une forme particulière d’épanchement pleural. Outre les options thérapeutiques conservatrices, l’hormonothérapie et la pleurodèse chirurgicale, des procédés mini-invasifs sont également disponibles.

Contexte

Le chylothorax correspond à une forme particulière d’épanchement pleural, avec une accumulation de lymphe dans la cavité pleurale. Il est défini par la présence de ≥80% de lymphocytes (numération leucocytaire totale ≥1000/μl) et par un taux de triglycérides ≥1,1 mmol/l dans la ponction pleurale chez des patients alimentés normalement par voie entérale sans leucopénie. Concernant la pathogenèse, la distinction peut être faite entre les causes non traumatiques (malignes, non malignes, idiopathiques) et les causes traumatiques (opérations chirurgicales thoraciques, iatrogènes). Tout chylothorax peut être à l’origine d’une morbidité accrue en raison de troubles respiratoires, d’une malnutrition, d’une tendance aux thromboses et d’une immunodéficience [1].
En premier lieu, la mise en place d’une alimentation entérale pauvre en lipides sans triglycérides à chaîne longue (TCL) est une option thérapeutique reconnue. Par ailleurs, une alimentation parentérale exclusive peut être instaurée, permettant d’obtenir une diminution de la quantité d’épanchement dans les ⅔ des cas. Si tel n’est pas le cas, une hormonothérapie par somatostatine peut être envisagée.
Outre la pleurodèse chirurgicale, des procédés thérapeutiques mini-invasifs sont disponibles.

Présentation du cas 1

Anamnèse et examen clinique

Une fillette âgée de 22 mois (poids 7,6 kg [<3e percentile]) a été amenée au service des urgences en raison d’une diminution de l’état général persistant depuis deux semaines et d’une fièvre atteignant jusqu’à 40,0 °C présente depuis deux jours. Parmi les antécédents médicaux de la patiente figuraient une trisomie 6q partielle avec un retard de développement global ainsi que plusieurs comorbidités cardiaques et orthopédiques.

Résultats

Les analyses de laboratoire ont révélé des paramètres inflammatoires élevés (leucocytes 18,05 G/l, protéine C réactive [CRP] 300 mg/l). Des leucocytes, des nitrites et des bactéries ont été mis en évidence dans les urines. L’échographie abdominale était sans particularités. La radiographie thoracique a montré un épanchement pleural massif du côté gauche. Une ponction pleurale à visée diagnostique a révélé un tableau de chylothorax avec 86% de lymphocytes (numération leucocytaire totale 36 442/μl) et un taux de triglycérides de 6,5 mmol/l dans le liquide de ponction laiteux-trouble.

Evolution, diagnostic et traitement

Après la pose du diagnostic, un drainage pleural a été mis en place et une alimentation au moyen d’un lait spécial extrêmement pauvre en lipides a été initiée (Milupa® basic-f [<0,1 g / 100 ml]). La quantité d’épanchement n’a cependant pas diminué, raison pour laquelle nous sommes passés à une alimentation parentérale exclusive. En raison d’une persistance de la quantité d’épanchement et d’une instabilité respiratoire, une lymphangiographie par résonance magnétique avec produit de contraste («dynamic contrast magnetic resonance lymphangiography» [DCMRL]) a été réalisée sous anesthésie; cet examen a montré des flux lymphatiques rétrogrades aberrants au niveau du côté gauche du thorax. Au cours de la même anesthésie, une quantité totale de 1,4 ml de Lipiodol® (produit de contraste iodé lipophile) a été injectée dans le système lymphatique via les mêmes accès inguinaux sous contrôle fluoroscopique. Après la mise en évidence du produit dans la partie gauche du thorax, une diminution continue de l’épanchement pleural a été constatée au cours des jours suivants et une stabilisation respiratoire a été obtenue par la suite, si bien qu’une lente reprise de l’alimentation entérale via une gastrostomie a pu avoir lieu. Deux mois après l’embolisation par Lipiodol®, la patiente a pu rentrer chez elle avec une alimentation normale.

Présentation du cas 2

Anamnèse et examen clinique

Au cours de la 36e semaine de grossesse (SG; 35 + 6) d’une femme enceinte de jumeaux, le diagnostic initial d’épanchement pleural droit a été posé à l’échographie prénatale chez le fœtus B. Immédiatement après l’accouchement à la 38e SG (37 + 1), le nouveau-né présentait des bruits respiratoires atténués du côté droit à l’examen clinique. Le poids de naissance était de 2720 g (28e percentile), la taille était de 50 cm (71e percentile) et le périmètre crânien était de 35 cm (83e percentile). En post-natal, le jumeau B a été transféré en unité de soins intensifs pour la pose d’un drainage thoracique et le traitement ultérieur. Malgré le recours à toutes les mesures conservatrices possibles, l’épanchement suspecté être un chylothorax a persisté, raison pour laquelle le nouveau-né a été transféré à l’hôpital universitaire pédiatrique de Zurich en vue d’un diagnostic invasif complémentaire.

Résultats

Lors du premier jour de vie, une ponction écho-guidée à visée diagnostique et thérapeutique a été réalisée. Elle a révélé un liquide de ponction jaune-trouble, qui présentait un nombre accru de cellules de 6811/μl, avec 100% de cellules mononucléaires, et un taux de triglycérides de 0,18 mmol/l, qui a été confirmé cytologiquement comme correspondant à un chylothorax congénital dans la mesure où l’alimentation entérale n’avait pas encore été initiée.

Evolution, diagnostic et traitement

Après la pose du drainage thoracique, une alimentation entérale au moyen d’une formule de lait pauvre en lipides a été initiée. Comme le chyle n’a pas diminué, nous sommes passés à une alimentation parentérale totale pour sept jours. Une nouvelle tentative d’alimentation entérale au moyen d’un lait spécial extrêmement pauvre en lipides (<0,1 g / 100 ml) a à nouveau entraîné une augmentation de la quantité de chyle d’un côté. Sous alimentation parentérale totale combinée à une administration intraveineuse de somatostatine, nous avons constaté un chylothorax à haut débit (>50 ml / kg de poids corporel / jour) avec un besoin intermittent d’assistance respiratoire non invasive. La lymphangiographie par résonance magnétique a révélé un «pulmonary lymphatic perfusion syndrome» (PLPS) avec flux lymphatique pulmonaire rétrograde bilatéral (fig. 1 et 2).
Figure 1: «Dynamic contrast magnetic resonance lymphangiography» (DCMRL) avec le tableau typique d’un «pulmonary lymphatic perfusion syndrom» (PLPS), qui est éligible à une embolisation par Lipiodo au vu du profil du flux.
Figure 2: Babygramme 24 heures après l’injection de Lipiodol ® via un ganglion lymphatique inguinal. Du produit de contraste iodé est visible dans les vaisseaux lymphatiques iliaques des deux côtés, ainsi qu’au niveau pulmonaire des deux côtés. Epanchement pleural persistant à droite.
Après embolisation ascendante des voies lymphatiques sous contrôle fluoroscopique par Lipiodol® (1,5 ml) administré par voie inguinale (fig. 3), la quantité drainée a continuellement diminué. Le drainage a donc pu être retiré au 14e jour après l’intervention et une alimentation au moyen d’un lait spécial extrêmement pauvre en lipides (<0,1 g / 100 ml) a pu être initiée, sans signes de récidive par la suite (fig. 4).
Figure 3: Ponction écho-guidée d’un ganglion lymphatique inguinal avec un diamètre typique chez un nouveau-né. Le placement correct de l’aiguille peut être vérifié soit avec un peu de chlorure de sodium (NaCl) soit avec une échographie avec produit de contraste.
Figure 4 : Radiographie du thorax 14 jours après l’embolisation des voies lymphatiques aberrantes. Le produit de contraste iodé résiduel est visible des deux côtés du poumon. Enfant en respiration spontanée, régression complète du chylothorax des deux côtés.

Discussion

Le chylothorax est une cause rare d’épanchement pleural durant l’enfance. Dans le premier cas présenté, le chylothorax est le plus vraisemblablement survenu dans le cadre d’une maladie de base syndromique. Ainsi, un chylothorax peut survenir dans le cadre de divers syndromes, tels que le syndrome de Noonan ou le syndrome de Down. La trisomie 6q partielle décrite dans le premier exemple de cas est une anomalie chromosomique très rare, avec à peine plus de 30 cas décrits à ce jour. Une association avec un chylothorax n’a pour l’instant pas encore été décrite. En raison de la présentation clinique semblable à celle du syndrome de Noonan, cela est toutefois parfaitement concevable.
Un chylothorax congénital, quant à lui, peut survenir en raison de diverses anomalies vasculaires lymphatiques ou de divers défauts de la cage thoracique. Du fait de la possibilité d’une malformation pulmonaire consécutive durant la période embryonnaire, il peut y avoir une mortalité accrue [2]. Le PLPS (fig. 1) dans l’exemple de cas 2 correspond à un flux lymphatique pulmonaire anormal du conduit thoracique vers le parenchyme pulmonaire, qui est causé par un réseau vasculaire lymphatique anormal dans le thorax (variante anatomique congénitale) [3]. Les facteurs de risque de chylothorax résistant au traitement incluent le chylothorax à haut débit, le chylothorax dans ≥2 cavités corporelles pleurales, péricardiques ou péritonéales («central lymphatic flow disorder» [CLFD]), l’insuffisance cardiaque et un lymphœdème dermique persistant [4].
Une prise en charge thérapeutique optimale présuppose de disposer de connaissances au sujet de la dynamique du flux lymphatique et de classifier le chylothorax. La lymphangiographie par résonance magnétique dynamique, en tant qu’instrument purement diagnostique, sert à comprendre et à catégoriser la dynamique du flux lymphatique afin d’en déduire les étapes thérapeutiques ultérieures. Ce faisant, un ganglion lymphatique est ponctionné par voie inguinale sous contrôle échographique chez l’enfant anesthésié. Après l’acquisition des clichés natifs, des clichés angiographiques par soustraction sont acquis durant l’injection lente de produit de contraste d’imagerie par résonance magnétique (au maximum 0,5 ml/min) et ils sont assemblés en film afin que la dynamique du flux lymphatique puisse finalement être étudiée. Sur la base des différents profils du flux, il est possible de faire la distinction entre un PLPS, qui peut être traité par injection de Lipiodol®, et le CLFD extrêmement résistant au traitement, dans lequel plus d’une cavité corporelle est par définition touchée. Une pleurodèse serait dans la plupart des cas inefficace et un traitement par Lipiodol® est contre-indiqué.
Ainsi, la classification lymphangiographique du trouble du drainage lymphatique revêt une grande importance pour le choix des options thérapeutiques ainsi que pour la détermination du pronostic. Les interventions lymphatiques et les traitements mini-invasifs sont certes loin d’être des nouveautés, mais ils ont connu une renaissance au cours des dernières années, avant tout chez les nouveau-nés et les enfants, en raison de l’introduction de la lymphangiographie par résonance magnétique. La meilleure compréhension des troubles du drainage lymphatique néonataux et des possibilités thérapeutiques qui en découlent constituent un changement de paradigme et peuvent conduire à une meilleure survie de ces patients [5].
L’indication d’une embolisation des voies lymphatiques aberrantes peut être posée par DCMRL. D’après certaines publications, le PLPS, comme dans le deuxième cas que nous avons décrit, représente une bonne indication pour l’embolisation transganglionnaire des voies lymphatiques aberrantes par Lipiodol®. A cet effet, un ganglion lymphatique est ponctionné par voie inguinale sous contrôle échographique, également chez l’enfant anesthésié. Ensuite, l’injection du produit de contraste iodé Lipiodol® est cependant réalisée sous contrôle fluoroscopique. Ainsi, le produit peut être visualisé et le flux passif peut être prédit au moyen de la lymphangiographie par résonance magnétique préalablement réalisée. Le Lipiodol®, en tant que produit de contraste iodé huileux (et donc très visqueux), déclenche une inflammation dans les vaisseaux lymphatiques périphériques. Il en résulte une fermeture des voies lymphatiques aberrantes en l’espace de 14 jours. Chez les nouveau-nés, les méthodes telles que l’embolisation transabdominale directe du conduit thoracique sont non seulement délicates sur le plan technique, mais elles sont aussi controversées dans la littérature [3].
Nos deux cas montrent que la lymphangiographie par résonance magnétique représente un nouvel outil diagnostique pour l’évaluation du chylothorax. Il en ressort également que l’embolisation lymphatique basée sur la DCMRL et induite par Lipiodol® constitue une option thérapeutique mini-invasive prometteuse, l’embolisation des vaisseaux lymphatiques pouvant apporter un bénéfice thérapeutique en cas de chylothorax.

L’essentiel pour la pratique

• Le diagnostic du chylothorax englobe la confirmation de laboratoire d’un liquide de ponction pleurale avec ≥80% de lymphocytes (pour une numération leucocytaire totale ≥1000/μl) et un taux de triglycérides de ≥1,1 mmol/l. Le dernier augmente après l’introduction de l’alimentation entérale riche en lipides.
• Outre l’alimentation (entérale ou parentérale) pauvre en lipides, les options thérapeutiques englobent un traitement hormonal par somatostatine, ainsi que des approches interventionnelles et chirurgicales (lymphangiographie au Lipiodol® et pleurodèse).
• Pour la prise en charge des patients présentant un chylothorax, une collaboration interdisciplinaire entre la pédiatrie générale, la médecine intensive et la radiologie interventionnelle dans un hôpital central équipé pour la réalisation de lymphangiographies par résonance magnétique revêt une importance majeure.
• Les pertes via le chyle (vitamines liposolubles, immunoglobulines, antithrombine III, albumine) doivent être contrôlées et si nécessaire substituées.
• La lymphangiographie par résonance magnétique en association avec une embolisation induite par Lipiodol® des vaisseaux lymphatiques représente une option thérapeutique mini-invasive en cas de chylothorax et peut réduire la durée d’une alimentation pauvre en lipides avec ses complications éventuelles.
Un informed consent écrit pour la publication est disponible.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
PD Dr méd. Ralph Gnannt
Abteilung Bilddiagnostik & Intervention
Universitäts-Kinderspital Zürich
Vascular Anomalies Board Zurich
Steinwiesstrasse 75
CH-8032 Zürich
ralph.gnannt[at]kispi.uzh.ch
1 Tutor JD. Chylothorax in infants and children. Pediatrics. 2014;133(4):722–33.
2 Attar MA, Donn SM. Congenital chylothorax. Semin Fetal Neonatal Med. 2017;22(4):234–9.
3 Dori Y, Keller MS, Rome JJ, Gillespie MJ, Glatz AC, Dodds K, et al. Percutaneous lymphatic embolization of abnormal pulmonary lymphatic flow as treatment of plastic bronchitis in patients with congenital heart disease. Circulation. 2016;133(12):1160–70.
4 Church JT, Antunez AG, Dean A, Matusko N, Deatrick KB, Attar MA, Gadepalli SK. Evidence-based management of chylothorax in infants. J Pediatr Surg. 2017;52(6):907–12.
5 Pinto E, Dori Y, Smith C, DeWitt A, Williams C, Griffis H, et al. Neonatal lymphatic flow disorders: impact of lymphatic imaging and interventions on outcomes. J Perinatol. 2021;41(3):494–501.