Un trouble de la conscience inhabituel
Une clarification rapide de la cause est décisive

Un trouble de la conscience inhabituel

Der besondere Fall
Édition
2022/2728
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.08915
Forum Med Suisse. 2022;22(2728):462-464

Affiliations
a Allgemeine Innere Medizin, Bürgerspital Solothurn, Solothurn; b Neurologie, Bürgerspital Solothurn, Solothurn; c Universitätsinstitut für Diagnostische und Interventionelle Neuroradiologie, Inselspital, Bern; d Institut für Medizinische Radiologie (IMR), Bürgerspital Solothurn, Solothurn; e Notfallzentrum, Bürger­spital Solothurn, Solothurn

Publié le 05.07.2022

Un patient de 77 ans a été hospitalisé en raison de petites ischémies aiguës du cortex cérébral des deux côtés et de la tête du noyau caudé à droite. Après cinq jours, il a signalé des vertiges aigus et des troubles visuels avec diplopie.

Contexte

Les baisses aiguës de la vigilance confrontent les équipes soignantes à une tâche difficile. La clarification rapide de l’étiologie est décisive pour le succès du traitement. Le cas présenté ci-dessous a pour objectif d’illustrer de manière exemplaire le diagnostic différentiel en cas de troubles de la conscience d’origine indéterminée.

Présentation du cas

Anamnèse

Un patient de 77 ans a été hospitalisé en raison de petites ischémies aiguës du cortex cérébral des deux côtés et de la tête du noyau caudé à droite. Sur le plan clinique, il souffrait de céphalées pulsatiles et de vertiges rotatoires passagers, dont il s’est complètement remis par la suite. Une fibrillation auriculaire a été nouvellement diagnostiquée comme étant la cause la plus probable des ischémies, à la suite de quoi une anticoagulation thérapeutique par héparine a été initiée. Le cinquième jour d’hospitalisation, tard dans la soirée, le patient a signalé au personnel soignant de nouveaux vertiges de survenue aiguë ainsi que des troubles visuels avec diplopie.

Examen clinique

Lors de l’examen initial, le patient était encore réactif avec un Glasgow Coma Score (GCS) de 13 points (yeux spontanément ouverts, communication verbale uniquement encore par «oui» et «non», réponse motrice sur ordre), avec des pupilles isocores et normalement réactives à la lumière. En l’espace de quelques minutes, la vigilance s’est nettement détériorée jusqu›à un GCS de 6 points (pas d’ouverture des yeux, pas de réponse verbale, mouvements non ciblés en réponse à un stimulus douloureux). Les pupilles sont restées isocores avec une réaction rapide à la lumière des deux côtés. Désormais, le réflexe de Babinski pouvait être déclenché des deux côtés.

Résultats

L’angiographie par tomodensitométrie (TDM) crânienne réalisée par la suite n’a révélé ni hémorragie, ni rupture de vaisseau, ni ischémie aiguë. Seule une artère cérébrale postérieure fœtale émanant de l’artère carotide interne, en tant que variante anatomique, a été constatée.

Diagnostic

Aucun diagnostic n’a pu être posé à ce moment-là. En cas de troubles de la conscience aigus persistants, les diagnostics différentiels incluent entre autres une cause métabolique ou toxique, une hémorragie intracérébrale ou sous-arachnoïdienne étendue, une thrombose basilaire, des infarctus ischémiques dans le territoire d’approvisionnement vertébro-basilaire (entre autres dans le thalamus), un état post-ictal ou un état de mal épileptique non convulsif (EMENC). La glycémie était normale et les analyses de sang régulières effectuées pendant l’hospitalisation n’ont pas révélé de troubles métaboliques. Nous avons également considéré qu’une cause toxique était peu probable, étant donné que le patient était hospitalisé depuis cinq jours et qu’aucune erreur d’administration de médicaments ou autre anomalie n’avait été documentée. Une hémorragie intracrânienne, en particulier sous anticoagulation thérapeutique confirmée par les analyses de laboratoire, a pu être exclue par TDM. De même, l’angiographie par TDM n’a pas montré d’occlusion aiguë au niveau des artères nourricières du cerveau. Malgré l’anticoagulation thérapeutique, une nouvelle ischémie vertébro-basilaire aiguë n’a pas pu être exclue, pas plus qu’un EMENC, même si aucun trouble épileptique n’était connu jusque-là.

Traitement

Une extension de l’anticoagulation n’était pas envisageable chez le patient déjà sous anticoagulation thérapeutique et toujours comateux. Etant donné qu’un EMENC ne pouvait être exclu, nous avons procédé à une administration intraveineuse de midazolam et de lévétiracétam qui n’a entraîné aucune amélioration de l’état clinique, ce qui rendait improbable une origine ictale.

Evolution

Après les investigations diagnostiques initiales, le GCS du patient a continué à se dégrader jusqu’à 4 points (pas d’ouverture des yeux, pas de réponse verbale, extensions stéréotypées symétriques des deux côtés en réponse à un stimulus douloureux), avec des paramètres vitaux toujours stables. Désormais, une aniso­corie avec une différence de pupille de 2 mm (plus grande à droite qu’à gauche) a été remarquée. Pour des raisons logistiques inhérentes à l’hôpital périphérique où il n’était pas possible d’accéder à des appareils diagnostiques plus poussés, le patient a été intubé et transféré dans un hôpital central. Par rapport à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) du crâne réalisé quatre jours plus tôt, une nouvelle IRM a permis de mettre en évidence de nouveaux infarctus ischémiques aigus bithalamiques et mésencéphaliques dans le cadre d’une occlusion de l’artère de Percheron (fig. 1 et 2).
Figure 1: Imagerie par résonance magnétique crânienne, séquence B1000 (à gauche) et ADC (à droite), coupes axiales: Les images du haut montrent des ischémies mésothalamiques aiguës bilatérales (flèches rouges). Les images du bas montrent des hyperintensités très faibles dans la région du mésencéphale (cercle rouge en pointillés), également en tant que signe de l’infarctus ischémique aigu. Ce profil d’ischémie correspond à un infarctus de type I dans le cadre d’une occlusion de l’artère de Percheron [4]. Il est également possible de visualiser l’ancien infarctus dans la tête du noyau caudé à droite ainsi qu’un ancien infarctus plus petit au niveau cortical à gauche (marqueurs verts).
Figure 2: Variantes de perfusion artérielle des thalamus. Type I: alimentation ipsilatérale par des branches du segment P1 correspondant de l’artère cérébrale postérieure (ACP). Type IIa: artères thalamo-perforantes unilatérales issues de l’ACP. Type IIb: alimentation unilatérale à partir de l’artère de Percheron. Type III: artères thalamo-perforantes naissant d’une artère de jonction qui relie les deux segments P1 de l’ACP [2].
A côté, représentation exemplaire d’une artère de Percheron (flèche rouge) avec les branches d’alimentation des thalamus des deux côtés (flèches vertes) chez une patiente de 41 ans dans la reconstruction 3D d’un examen d’angiographie par imagerie par résonance magnétique au moyen d’un appareil avec une intensité de champ magnétique de 7 T.
L’évolution ultérieure a été réjouissante, le patient a pu être rapidement extubé et s’est remis de l’évènement ischémique sans séquelles motrices. Au moment de rentrer chez lui, il ne se plaignait plus que d’une fatigue accrue et de difficultés de concentration.

Discussion

Les thalamus et le mésencéphale sont irrigués par les branches de l’artère cérébrale postérieure (ACP) et de l’artère communicante postérieure (Pcom) [1, 2]. La perfusion sanguine mésothalamique se fait le plus souvent ipsilatéralement par les branches du segment P1 correspondant de l’ACP. La variante la plus fréquente est le type I, où la perfusion thalamique se fait via l’artère thalamo-perforante à partir de l’ACP ipsilatérale correspondante (fig. 2). Dans le type IIa, les artères thalamo-perforantes naissent de l’ACP de manière unilatérale. Dans le type IIb, l’artère de Percheron irrigue unilatéralement les deux thalamus à partir d’une ACP et, selon la variante, également le mésencéphale, de sorte qu’une occlusion de cette artère entraîne un infarctus bithalamique et éventuellement mésencéphalique. Dans la variante III, les artères thalamo-perforantes naissent d’une artère de jonction qui relie les deux segments P1 de l’ACP [2].
L’artère de Percheron a été décrite pour la première fois en 1973 par le Dr Gérard Percheron, neurologue et neuroanatomiste français, qui lui a donné son nom [3]. L’artère en question est une variante anatomique rare, détectable chez 4–12% de la population [1]. Une occlusion de l’artère de Percheron impaire se traduit typiquement à l’IRM par des infarctus thalamiques paramédians bilatéraux, avec ou sans atteinte du mésencéphale, selon la variante de perfusion artérielle [4]. On distingue quatre profils de perfusion différents, les thalamus paramédians bilatéraux étant toujours perfusés. Le type 1 alimente en plus le mésencéphale, le type 2 alimente exclusivement les thalamus paramédians, le type 3 alimente en plus les thalamus antérieurs avec le mésencéphale, et le type 4 alimente en plus les thalamus antérieurs sans le mésencéphale [4].
Dans le cas présent, il s’agissait d’un infarctus de type 1 (43% de toutes les occlusions de l’artère de Percheron [4]), car l’IRM montrait de faibles hyperintensités au niveau du bord supérieur du mésencéphale. Les ischémies de ce vaisseau ne représentent qu’environ 0,1%–0,6% de tous les accidents vasculaires cérébraux et le tableau clinique est très variable. Les symptômes comprennent entre autres des troubles de la conscience pouvant aller jusqu’au coma, des troubles du comportement, une aphasie ou une dysarthrie, des troubles de la motilité oculaire, divers déficits moteurs, des symptômes cérébelleux ou des symptômes non spécifiques, tels qu’une hypersomnie, des tremblements ou encore des convulsions [2].
Une occlusion de l’artère basilaire peut également se présenter de manière très variable sur le plan clinique. Le spectre des manifestations possibles va d’une parésie/paraplégie isolée des nerfs crâniens jusqu’à une tétraplégie, un «locked-in» syndrome ou un coma [5]. La similitude des deux syndromes décrits peut rendre impossible une différenciation clinique. Dans le cas présent, une occlusion de l’artère basilaire a toutefois pu être exclue radiologiquement au moyen d’une angiographie par TDM. Il s’agissait d’un examen de routine (intensité de champ de 1,5 tesla [T]), raison pour laquelle l’artère de Percheron n’était pas visualisable à l’angiographie par temps de vol. Pour permettre une visualisation de l’artère de Percheron, il faudrait une intensité de champ d’au moins 3 T.
Sur le plan thérapeutique, une thrombolyse intraveineuse avec un activateur tissulaire recombinant du plasminogène («recombinant tissue plasminogen activator» [rTPA]) est indiquée dans les 4,5 heures à la fois en cas d’occlusion aiguë de l’artère basilaire et d’occlusion aiguë de l’artère de Percheron lorsque l’affection est sévère, ce qui n’entrait pas en ligne de compte dans le cas présent en raison de l’anticoagulation thérapeutique existante. Une thrombectomie mécanique constitue une option thérapeutique uniquement en cas d’occlusion supplémentaire de l’ACP, l’artère de Percheron elle-même n’étant pas accessible dans ce cadre.
Compte tenu de la fibrillation auriculaire nouvellement diagnostiquée ainsi que des multiples petites ischémies cérébrales préexistantes et d’une anticoagulation suffisante de seulement 48 heures (perfusion d’héparine), nous avons estimé qu’un nouvel évènement cardio-embolique était le plus probable sur le plan étiologique. En principe, une microangiopathie ou une cause artério-embolique seraient également envisageables dans le cadre du diagnostic différentiel. Toutefois, en l’absence de signes de microangiopathie à la séquence Flair de l’IRM et de signes d’artériosclérose pertinents à l’angiographie par TDM, cela semble plutôt improbable.

L’essentiel pour la pratique

• Les baisses aiguës de la vigilance constituent un défi dans la médecine d’urgence, et il faut toujours envisager un large diagnostic différentiel (causes métaboliques, toxiques et traumatiques, grandes hémorragies intracrâniennes aiguës, thrombose basilaire, état de mal épileptique non convulsif).
• L’infarctus bithalamique dû à une occlusion de l’artère de Percheron est une cause très rare de diminution aiguë de la vigilance. Ce diagnostic différentiel doit être pris en compte si aucune cause évidente n’est trouvée malgré une anamnèse adéquate, un examen et une angiographie par TDM. En conséquence, il convient de procéder rapidement à une évaluation diagnostique au moyen de l’imagerie par résonance magnétique.
Les auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts potentiels.
Dr méd. Sonja Guglielmetti
Klinik für Allgemeine Innere und Notfallmedizin
Bürgerspital Solothurn
Schöngrünstrasse 42
CH-4500 Solothurn
sonja.guglielmetti[at]gmail.com
1 Kichloo A, Jamal SM, Zain EA, Wani F, Vipparala N. Artery of Percheron Infarction: A Short Review. J Investig Med High Impact Case Reports. 2019;7:1–6.
2 Lin PC, Lee CW, Liu HM, Xiao FR. Acute Infarction in the Artery of Percheron Distribution during Cerebral Angiography: A Case Report and Literature Review. J Radiol Case Rep. 2018;12(7):1–9.
3 Percheron G. The Anatomy of the Arterial Aupply of the Human Thalamus and Its Use for the Interpretation of the Thalamic Vascular Pathology. Z Neurol. 1973;205(1):1–13.
4 Lazzaro NA, Wright B, Castillo M, Fischbein NJ, Glastonbury CM, Hildenbrand PG, et al. Artery of percheron infarction: Imaging patterns and clinical spectrum. Am J Neuroradiol. 2010;31(7):1283–9.
5 Demel SL, Broderick JP. Basilar Occlusion Syndromes: An Update. The Neurohospitalist. 2015;5(3):142–50.