Diagnostic et traitement de l’embolie pulmonaire aiguë – partie 2: Traitement et suivi
Commentaire d’expertes et experts suisses sur les recommandations de l’ESC 2019

Diagnostic et traitement de l’embolie pulmonaire aiguë – partie 2: Traitement et suivi

Aktuell
Édition
2022/0304
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.08931
Forum Med Suisse. 2022;22(0304):60-66

Affiliations
a Abteilung für Angiologie, Kantonsspital Fribourg; b Universitätsinstitut für Klinische Chemie, Zentrum für Labormedizin, Inselspital Bern; c Regionalspital Locarno; d Klinik für Angiologie, Universitätsspital Zürich; e Division d’Angiologie et d’Hémostase, Hôpital Universitaire de Genève
*Co-premiers auteurs

Publié le 19.01.2022

Commentaire d’experts suisses sur les recommandations de la «European Society of Cardiology» 2019.

Vous trouverez l’éditorial relatif à cette série d’articles dans le numéro 33–34/2021 du Forum Médical Suisse aux pages 563–5.
La partie 1 de cet article a été publiée dans le dernier numéro (1–2/2022).

Introduction

Alors que la première partie des commentaires d’experts suisses sur les recommandations de la «European Society of Cardiology» (ESC) parues en 2020 était consacrée au diagnostic et à la stratification du risque de l’embolie pulmonaire (EP) aiguë [1], cette deuxième partie se concentre sur le traitement à proprement parler et sur le suivi des patientes et patients atteints d’EP [2]. Depuis la publication des recommandations de l’ESC relatives à l’EP, les dernières recommandations de la «American Society of Hematology» (ASH)1 portant sur divers thèmes en lien avec le diagnostic et le traitement de la thromboembolie veineuse (TEV) sont également parues récemment [3, 4] et elles ont en grande partie remplacé les recommandations du «American College of Chest Physicians» (ACCP), qui avaient été ­­actualisées pour la dernière fois en 2016 [5]. Par souci d’exhaustivité, nous avons intégré les recommandations plus complètes de l’ASH sur le thème de l’anticoagulation dans cet article principalement consacré aux recommandations de l’ESC.
1 Les diverses recommandations des lignes directrices de l’ESC sont indiquées avec un grade de recommandation (grade I: est recommandé ou indiqué; grade II: doit [grade IIa] ou peut [grade IIb] être envisagé; grade III: n’est pas recommandé) et le niveau de preuve (niveau A: données issues de plusieurs études cliniques randomisées/méta-analyse; niveau B: données issues d’une étude randomisée ou de grandes études non randomisées; niveau C: avis d’experts et/ou petites études [rétrospectives] ou registres). Les recommandations des ignes directrices de l’ASH sont classifiées comme «strong» (fortes) ou «conditional» (conditionnelles). Pour davantage de précisions, nous renvoyons les lecteurs à l’éditorial relatif aux présents commentaires du groupe d’experts suisses [3].

Sélection des principales recommandations de l’ESC et de l’ASH pour le traitement et le suivi

1. Une oxygénothérapie est recommandée en cas de saturation en oxygène de ≤90%, mais une ventilation invasive devrait si possible être évitée. Une ­expansion volémique prudente devrait uniquement être mise en œuvre chez les patientes et ­patients hypotendus sans pression veineuse centrale augmentée.
2. Un traitement de reperfusion immédiat par thrombolyse systémique est uniquement recommandé chez les patientes et patients avec EP à haut risque. Chez les patientes et patients avec EP à risque intermédiaire-haut, un traitement de reperfusion est uniquement recommandé en cas de détérioration hémodynamique sous anticoagulation thérapeutique. Dans la mesure du possible, les expertes et experts suisses privilégient le traitement de reperfusion par cathéter par rapport au traitement de ­reperfusion systémique.
3. Chez les patientes et patients avec EP à haut risque et collapsus hémodynamique réfractaire, une oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO) peut être envisagée temporairement jusqu’au traitement de reperfusion chirurgical ou endovasculaire.
4. La pose d’un filtre de veine cave (de préférence temporaire) est uniquement indiquée chez les patientes et patients avec EP aiguë et contre-indication absolue à une anticoagulation.
5. Pour le traitement anticoagulant initial, les anticoagulants oraux directs (AOD) sont préférentiellement recommandés (le cas échéant, suite à un bref traitement parentéral), aucune des médicaments disponibles n’étant privilégiée par rapport aux autres.
6. Un traitement ambulatoire ou une sortie précoce de l’hôpital est recommandé(e) chez les patientes et ­patients avec EP à bas risque, pour autant qu’il n’y ait pas d’autres motifs justifiant une hospitalisation et qu’une anticoagulation efficace ainsi qu’un bon soutien social ou familial soient assurés.
7. Après le traitement anticoagulant initial d’une ­durée de 3–6 mois, il est recommandé de procéder à l’évaluation d’une éventuelle dyspnée résiduelle et d’altérations post-thrombotiques des veines des membres inférieurs chez tous les patientes et patients victimes d’une EP.
8. Dans l’optique d’une prévention secondaire, une évaluation du risque devrait être réalisée à la fin du traitement initial.
9. Chez les patientes et patients présentant un facteur de risque durable de TEV, un traitement anticoagulant prolongé est préférentiellement recommandé.
10. Chez les patientes et patients avec EP non provoquée, un traitement anticoagulant prolongé est préférentiellement recommandé, en particulier en cas d’évènements thromboemboliques multiples.
11. Chez les patientes et patients sous anticoagulation prolongée par AOD, une dose réduite ou une dose standard est recommandée.
Pour le traitement de l’EP, la distinction est faite entre le traitement aigu d’une part et le traitement à long terme et le suivi, y compris la prévention des récidives de TEV, d’autre part.

Traitement durant la phase aiguë

Contrairement aux versions préalables, les nouvelles recommandations de l’ESC contiennent un chapitre ­nettement plus détaillé sur le traitement de soutien hémodynamique et respiratoire. En cas d’hypoxémie, qui s’observe typiquement en cas d’EP sévère principalement en raison d’un décalage entre la perfusion ­pulmonaire et la ventilation, une oxygénothérapie, au besoin également par canule nasale à haut débit, est ­recommandée en présence d’une saturation en oxygène de ≤90%. Une ventilation mécanique (non invasive ou invasive) devrait être envisagée chez les ­patientes et patients avec troubles respiratoires sévères. Il convient néanmoins de garder à l’esprit que les ­patientes et patients avec surcharge cardiaque droite sont souvent hypotendus et peuvent développer une hypotension sévère lors de l’induction de l’anesthésie par intubation et de la ventilation en pression positive. Une intubation devrait uniquement être mise en œuvre chez les patientes et patients ne tolérant pas la ventilation non invasive ou chez lesquels la ventilation non invasive a échoué, et les paramètres de ventilation devraient être sélectionnés de sorte à ce que le retour veineux vers le cœur ne soit pas trop fortement diminué.
Une expansion volémique prudente (par ex. ≤500 ml de NaCl 0,9% sur 15–30 min) devrait uniquement être mise en œuvre chez les patientes et patients hypotendus avec pression veineuse centrale normale ou basse, évaluée par échographie de la veine cave inférieure ou mesure invasive de la pression veineuse centrale, faute de quoi l’expansion volémique pourrait distendre ­encore davantage un ventricule droit déjà surchargé et ainsi réduire le débit cardiaque.
Des vasopresseurs sont nécessaires en cas de choc cardiogénique aigu (ESC IIa C) et en particulier la noradrénaline (par ex. 0,2–1,0 µg/kg de poids corporel [PC]/min) est avantageuse dans ce contexte, car elle améliore l’inotropisme du ventricule droit, la pression artérielle systémique, l’interaction ventriculaire positive et le débit sanguin coronaire. D’après les recommandations actuelles de l’ESC, le recours temporaire à l’ECMO peut désormais aussi être envisagé chez les patientes et patients présentant une EP à haut risque avec collapsus hémodynamique réfractaire ou arrêt cardiaque, ­sachant que l’ECMO est probablement uniquement pertinente en cas de traitement de reperfusion chirurgical ou endovasculaire supplémentaire (ESC IIb C).

Traitement de reperfusion

L’objectif principal du traitement de reperfusion est de réduire rapidement l’obstruction thromboembolique de l’éjection du ventricule droit et donc d’améliorer l’hémodynamique et l’oxygénation des tissus. Cela peut être obtenu par embolectomie chirurgicale, par diverses techniques de reperfusion par cathéter (avec ou sans thrombolyse locale) ou par thrombolyse systémique [6]. Depuis la dernière édition des recommandations de l’ESC, de nouvelles grandes études randomisées sur ce thème n’ont pas été publiées et les preuves les plus nombreuses concernent toujours la thrombolyse systémique. Dans une méta-analyse de 15 études randomisées (2057 patientes et patients au total) publiée en 2015, il a pu être montré que la thrombolyse systémique supplémentaire réduisait significativement la mortalité globale et la mortalité liée à l’EP par rapport à l’anticoagulation seule, mais avec cependant un risque environ trois fois plus élevé de complications hémorragiques massives (y compris près de 2% d’hémorragies intracrâniennes) [7]. Par conséquent, les nouvelles recommandations de l’ESC et de l’ASH préconisent la thrombolyse systémique en tant que traitement primaire uniquement chez les patientes et patients avec une EP à haut risque (cf. stratification du risque dans la Partie 1 de cet article [1]; ESC I C, ASH «strong»). Chez ceux avec une EP à risque intermédiaire-haut, sur la base des résultats de la grande étude PEITHO,une thrombolyse systémique est uniquement recommandée en cas de détérioration hémodynamique sous anticoagulation (thrombolyse de «sauvetage»; ESC I B) [8]; chez tous les autres patientes et patients avec EP, un traitement de reperfusion est déconseillé (ESC III B). Pour cette raison, les patientes et patients avec EP à risque intermédiaire-haut devraient être surveillés dans une unité de surveillance durant 24–72 heures après l’initiation de l’anticoagulation. Lorsqu’un traitement de ­reperfusion est nécessaire mais que la thrombolyse systémique est contre-indiquée ou a échoué, les recommandations de l’ESC préconisent de réaliser une embolectomie chirurgicale (ESC I C en cas d’EP à haut risque et ESC IIa C en cas d’EP à risque intermédiaire-haut en tant que traitement de sauvetage) ou, alternativement, une thrombectomie par cathéter (ESC IIa C en cas d’EP à haut risque et ESC IIa C en cas d’EP à risque intermédiaire-haut en tant que traitement de sauvetage), à condition de disposer de l’expertise nécessaire. Malheureusement, aucune étude randomisée n’a à ce jour comparé directement les différents traitements de reperfusion entre eux. Plusieurs études de cohortes suggèrent néanmoins que le risque hémorragique est plus faible pour la thrombolyse par cathéter que pour la thrombolyse systémique [9, 10]. Pour cette raison, les expertes et experts suisses privilégient si possible un traitement par cathéter. Il n’a pas encore été définitivement prouvé que la thrombolyse par cathéter à ultrasons au moyen du système EKOS®, qui est populaire en Suisse, apporte un bénéfice clinique par rapport à la thrombolyse par cathéter usuelle [11]; des études randomisées à ce sujet sont en cours aux Etats-Unis. Des données récentes des Pays-Bas montrent en revanche que la thrombolyse par cathéter EKOS® est elle aussi associée à un risque hémorragique relativement élevé, en particulier chez les patientes et patients avec EP à haut risque [12]. Hormis quelques séries de cas, il n’existe pour l’instant malheureusement pas de données solides sur l’efficacité et la sécurité des nouveaux systèmes de cathéter, qui permettent une thromboaspiration sans administration de thrombolytiques [6, 13]. Une autre option pour réduire le risque hémorragique associé à la thrombolyse systémique réside dans la thrombolyse systémique à faible dose (par ex. ≤50 mg de Actilyse® au lieu de la dose usuelle de 100 mg sur 2 heures) [14]. Les recommandations actuelles de l’ESC n’émettent toutefois pas encore de recommandation à ce sujet en raison des données pour l’instant insuffisantes. Chez les patientes et patients avec arrêt cardiocirculatoire, un schéma thérapeutique raccourci (0,6 mg/kg de PC sur 15 min – max. 50 mg) devrait toutefois probablement être privilégié par rapport à la perfusion de deux heures en raison de la pharmacocinétique nettement altérée avec un volume de distribution diminué et une demi-vie prolongée, et de l’efficacité ­immédiatement requise [2, 15].
Compte tenu des décisions thérapeutiques souvent complexes et des multiples possibilités thérapeutiques chez les patientes et patients avec EP à haut risque et à risque intermédiaire, les recommandations de l’ESC préconisent, par analogie avec les Stroke Teams déjà courantes, de constituer une équipe multidisciplinaire adaptée aux ressources locales («Pulmonary Embolism Response Team» [PERT]) en vue du traitement rapide et coordonné de ces patientes et patients (ESC IIa C).
Il n’existe par ailleurs pas encore de données de qualité attestant qu’un traitement de reperfusion améliore le pronostic à long terme des patientes et patients victimes d’une EP [6].

Filtre de veine cave

Depuis l’étude PREPIC-2 datant de 2015, de nouvelles études randomisées sur le rôle du filtre de veine cave dans le traitement de l’EP aiguë n’ont plus été publiées [16]. En conséquence, les recommandations actuelles de l’ESC préconisent de façon inchangée la pose (de préférence temporaire) d’un filtre de veine cave chez les patientes et patients avec EP aiguë et contre-indication absolue à une anticoagulation thérapeutique (ESC IIa C), ainsi que chez ceux avec récidive d’EP malgré une anticoagulation thérapeutique (ESC IIa C). On ignore toujours si les patientes et patients avec EP à haut risque profitent de la pose supplémentaire d’un filtre de veine cave malgré l’anticoagulation [17]. Chez ces patientes et patients, les recommandations de l’ASH se prononcent plutôt contre une telle mesure, avec une recommandation faible (ASH «conditional»).

Anticoagulation

Traitement initial primaire

L’anticoagulation à dose thérapeutique représente la composante centrale du traitement de l’EP. Ce traitement anticoagulant devrait être initié avant même la réception des résultats des tests diagnostiques; il est uniquement possible d’attendre pour initier le traitement en cas de faible probabilité clinique (ESC I C). Les médicaments disponibles en Suisse pour le traitement aigu sont les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) en application sous-cutanée daltéparine (Fragmin®), énoxaparine (Clexane®), nadroparine (Fraxiparine®/forte®) et fondaparinux (Arixtra®), ainsi que les AOD rivaroxaban (Xarelto®) et apixaban (Eliquis®) (ESC I A, ASH). L’héparine non fractionnée (HNF) devrait uniquement encore être utilisée chez les patients ­hémodynamiquement instables avec nécessité d’un traitement de reperfusion, ainsi que chez les patientes et patients avec insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine ≤15–30 ml/min; ESC I A). Après un traitement initial par HBPM, il reste possible de passer à des antagonistes de la vitamine K (AVK) (chevauchement durant au minimum 5 jours; en Suisse, avant tout ­Marcoumar® et Sintrom®) ainsi que, au plus tôt après 5–10 jours, aux AOD édoxaban (Lixiana®) ou dabigatran (Pradaxa®; ESC, ASH). Pour les posologies et intervalles correspondants, nous renvoyons les lecteurs à l’information professionnelle des fabricants.

Choix des préparations

Depuis la dernière édition des recommandations, il y a principalement eu des études observationnelles, qui ont confirmé l’efficacité et la sécurité des AOD dans des contextes très divers («real life clinical practice»). De pair avec les études de phase III correspondantes, elles laissent conclure à une efficacité équivalente à celle des AVK («non-inferiority») et à une sécurité similaire voire supérieure, avec moins d’évènements hémorragiques sévères. Pour autant qu’il n’y ait pas de contre-indications, à la fois les recommandations de l’ESC (ESC I A) et celles de l’ASH privilégient les AOD par rapport aux AVK (ASH «conditional»). La préférence n’est donnée à aucun des AOD en particulier, indépendamment d’une prise une fois ou deux fois par jour (ASH «conditional»). En raison de la prise simple par voie orale des AOD sans surveillance de laboratoire, ils ont déjà largement remplacé les AVK dans de nombreux pays occidentaux.

Situations spécifiques

Il existe plusieurs situations spécifiques qui sont importantes, car elles influencent le choix de l’anticoagulant. Chez les patientes et patients atteints de cancers et d’EP, les AOD et les HBPM sont recommandés (ESC IIa A-C; ASH «conditional») [18]. Cette recommandation s’applique désormais aussi à l’apixaban, tandis que des preuves en ce sens étaient déjà disponibles préalablement pour le rivaroxaban et l’édoxaban [19]. Les médicaments de choix chez les femmes enceintes restent les HBPM (ESC I B, ASH «strong»); les AOD ne doivent pas être administrés.
La question des patientes et patients présentant un syndrome des anticorps antiphospholipides n’a été discutée spécifiquement ni dans les recommandations de l’ESC ni dans celles de l’ASH, mais les AVK devraient néanmoins être utilisés préférentiellement dans les­situations à haut risque [20]. Plusieurs études randomisées ont révélé au cours des dernières années une survenue accrue de thromboembolies sous AOD, en particulier en cas d’évènement thrombotique initialement artériel.
Si un traitement à long terme par AVK est mis en œuvre, il convient d’opter pour l’autocontrôle par les patients (ESC). Plusieurs études ont montré que la qualité de l’anticoagulation pouvait s’en trouver améliorée et le risque de complications diminué (ASH). Par ailleurs, les AOD sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine ≤15–30 ml/min) (ESC III C).

Durée du traitement initial

Le traitement initial devrait être mis en œuvre durant 3–6 mois; il n’y a pas eu de changements sur ce point par rapport à la dernière version des recommandations (ESC I A, ASH «conditional»). Les traitements initiaux plus longs n’ont pas montré d’avantages (ASH «conditional»).

Traitement ambulatoire vs. hospitalisation

La sortie précoce de l’hôpital voire le traitement totalement ambulatoire de patientes et patients sélectionnés se sont établis au cours des dernières années sur la base de plusieurs études interventionnelles et méta-analyses [21–24]. Les recommandations actuelles de l’ESC et de l’ASH préconisent d’envisager un traitement ambulatoire ou une sortie précoce de l’hôpital chez les patientes et patients avec EP à bas risque (cf. fig. 1 dans la Partie 1 de cet article [1]), mais uniquement à condition qu’il n’y ait pas d’autres motifs justifiant une hospitalisation, qu’une anticoagulation efficace soit possible et qu’un accès simple aux soins ambulatoires ainsi qu’un soutien social ou familial soient assurés (ESC IIa A; ASH «conditional»). Il convient ici de signaler que l’instrument fréquemment utilisé «Pulmonary Embolism Severity Index» (PESI), dans sa forme originale ou simplifiée (sPESI), n’est pas suffisant à lui seul pour la sélection des patients éligibles pour un traitement ambulatoire, tandis que les critères Hestia (cf. tab. 2 dans la Partie 1 de cet article [1]) ont été validés prospectivement pour la sélection des patients [23, 24]. Comme cela avait déjà été expliqué dans le chapitre consacré à la stratification du risque (cf. Partie 1 de cet article [1]), il reste pour l’heure à déterminer si l’intégration des valeurs de troponines ou des signes d’imagerie de surcharge du cœur droit apporte un bénéfice clinique supplémentaire chez les patientes et patients avec critères Hestia négatifs [25]. A ce sujet, il a au minimum été montré dans une grande étude multinationale portant sur la prise en charge de l’EP qu’une sortie précoce ou un traitement ambulatoire par rivaroxaban était très sûr(e) chez les patientes et patients victimes d’EP avec critères Hestia négatifs et absence de signes de surcharge du cœur droit et de thrombus dans l’oreillette droite ou le ventricule droit à l’imagerie (angio­scanner ou échocardiographie) [21]. D’après une enquête réalisée en France auprès de médecins de famille, la grande majorité d’entre eux sont favorables à un traitement ambulatoire des patientes et patients avec EP stables. Il leur paraît essentiel que les deux parties soient d’accord et que le rapport médical de sortie de l’hôpital soit disponible immédiatement. En outre, un concept thérapeutique ambulatoire formel devrait être établi (par ex. avec contrôles de suivi chez la/le spécialiste après 3–6 mois et lors de l’arrêt de l’anticoagulation) et les AOD sont également perçus comme un facteur facilitant pour le traitement ambulatoire [26].

Traitement à long terme et suivi

Prévention secondaire des embolies pulmonaires

Principes

L’objectif du traitement à long terme et du suivi est la prévention de nouveaux évènements thromboemboliques. A cet effet, deux mesures sont disponibles de ­façon inchangée: 1. l’évitement des (ou la prophylaxie dans les) situations à risque et 2. une anticoagulation prolongée («extended anticoagulation» [ESC/ASH]). L’évitement des situations à risque est efficace chez les patientes et patients avec un faible risque de récidive et une TEV associée à la grossesse ou aux œstrogènes, mais pas chez ceux avec un haut risque de récidive. Une anticoagulation prolongée est très efficace chez tous les patientes et patients, mais s’accompagne néanmoins d’un risque hémorragique pertinent. Dans la pratique quotidienne, deux mesures sont par conséquent incontournables: 1. une bonne évaluation du risque et 2. la prise en compte des préférences des ­patientes et patients (ESC, ASH).

Evaluation du risque

L’évaluation du risque individuel de récidive est difficile et aucun instrument n’a montré une bonne performance pronostique dans les études prospectives portant sur la prise en charge de l’EP (ESC, ASH). Le risque de récidive est le plus élevé chez les patientes et patients avec cancer actif, antécédents de TEV non provoquées supplémentaires ou syndrome des anticorps antiphospholipides (pour ce dernier, il existe parfois des incertitudes diagnostiques). Dans ces cas de figure, une anticoagulation prolongée est pratiquement toujours indiquée (ESC I B, ASH «strong»). En revanche, le risque de récidive est très faible chez les patientes et patients ayant présenté des facteurs de risque transitoires majeurs («major») peu avant l’évènement index (chirurgie majeure, hospitalisation avec alitement dans le cadre d’une affection médicale aiguë, traumatismes avec fractures) (ESC I B, ASH «conditional»). La situation est plus délicate en cas de facteurs de risque transitoires légers (par ex. chirurgie mineure, vols long-courriers), de ­facteurs de risque persistants (par ex. maladies inflammatoires chroniques de l’intestin) ou d’EP non provoquée. En cas d’évènements associés à la grossesse ou aux œstrogènes, le risque de récidive semble être plutôt faible d’après des études récentes [27]. Un risque systématiquement accru de récidive s’observe en cas d’évènements index non provoqués, et à la fois les recommandations de l’ESC et celles de l’ASH préconisent dès lors plutôt une anticoagulation prolongée chez ces patientes et ­patients (ESC IIa A, ASH «conditional»). Les deux recommandations accordent peu d’attention aux valeurs de laboratoire supplémentaires pour l’évaluation du risque (D-dimères, facteur VIII, thrombophilies).

Nouveaux développements

Trois nouveaux développements modifient la prévention secondaire des TEV. D’une part, l’anticoagulation prolongée par AOD est nettement plus simple et également plus sûre en termes d’évènements hémorragiques sévères par rapport à l’anticoagulation prolongée par AVK, ce qui facilite la décision en faveur d’une anticoagulation prolongée. D’autre part, plusieurs anticoagulants à dose réduite sont désormais disponibles (rivaroxaban 10 mg 1× par jour ou apixaban 2,5 mg 2× par jour). Ces schémas thérapeutiques sont associés à un risque hémorragique moindre. Tandis que les recommandations de l’ESC préconisent préférentiellement cette dose réduite (ESC IIa A), les recommandations de l’ASH ne se prononcent pas à ce sujet. La raison en est que le critère d’inclusion dans les études correspondantes était un risque de récidive «intermédiaire» («clinical equipose» étant le terme précis utilisé dans les études, ce qui pourrait par exemple être traduit par «indécision clinique» [28, 29]), et non pas un risque de récidive «élevé». Par ailleurs, différents modèles prédictifs ont été proposés et ils ont en partie aussi fait l’objet d’une validation externe. Toutefois, étant donné qu’ils se basent sur des cohortes traitées par AVK et que leur efficacité sur des critères d’évaluation cliniques n’a pas encore été démontrée, les recommandations de l’ASH ne préconisent pas leur utilisation (ASH «conditional»). De futures études pourraient potentiellement amener à une révision de cette recommandation.

Follow-up/suivi en cas d’EP

La version actuelle des recommandations de l’ESC comporte pour la première fois un chapitre consacré au suivi des patientes et patients victimes d’EP. Chez la grande majorité, l’ouverture des artères pulmonaires suite à une EP se rétablit au cours des premiers mois sous anticoagulation et la réalisation routinière d’un examen d’imagerie de suivi, par exemple d’un angio­scanner, n’est dès lors pas recommandée. Dans différentes études de cohortes, environ 50% des patientes et patients se plaignaient malgré tout d’une dyspnée persistante ou se détériorant ou de performances réduites encore plusieurs mois après l’EP aiguë [30]. Des études récentes suspectent qu’un déconditionnement musculaire en est responsable dans la plupart des cas, en particulier en présence de comorbidités cardiopulmonaires ou d’un surpoids [2]. Par contre, la complication à long terme la plus redoutée après une EP aiguë, à savoir l’hypertension pulmonaire thromboembolique chronique, est fort heureusement plutôt rare. Dans une étude de dépistage prospective conduite dans plusieurs centres suisses, après un suivi de deux ans, une incidence cumulée de 0,79% (IC à 95% 0,31–2,07%) en général et de 4,12% (IC à 95% 1,62–10,13) chez les patientes et patients avec dyspnée pertinente (NYHA stade ≥2) a été constatée [31]. Les recommandations actuelles de l’ESC préconisent un contrôle clinique de suivi après 3–6 mois chez tous les patientes et patients avec EP (ESC I B) afin d’évaluer la présence d’une dyspnée ou d’une baisse de performance et de rechercher d’éventuels signes d’une récidive de TEV, d’un cancer ou de complications hémorragiques. Chez les patientes et ­patients avec dyspnée ou baisse de performance, les recommandations de l’ESC préconisent de réaliser ensuite une échocardiographie transthoracique (fig. 1). Les signes échocardiographiques d’hypertension pulmonaire ou de dysfonction ventriculaire droite et leur probabilité échographique devraient être pris en compte. Bien entendu, ce contrôle de suivi à 3–6 mois sert également à décider de la suite à donner au traitement anticoagulant. Lorsqu’il est envisagé d’arrêter l’anticoagulation, les expertes et experts suisses ­recommandent en outre de réaliser une échographie des veines des membres inférieurs afin de documenter d’éventuels signes post-thrombotiques échographiques en tant que référence, ce qui est très utile en cas de suspicion d’une récidive de TEV [32, 33].
Figure 1: Algorithme relatif au suivi après une embolie pulmonaire (modifié selon [2]).
1 Facteurs de risque d’HPTEC et conditions prédisposant à une HPTEC:
a) Anomalies en lien avec l’EP aiguë:
– Episodes de TEV préalables
– Charge thrombotique artérielle pulmonaire élevée à l’angioscanner
– Signes de surcharge du cœur droit à l’imagerie
– Signes d’une maladie thromboembolique chronique préexistante à l’angioscanner
b) Comorbidités chroniques et autres facteurs prédisposants:
– Shunts ventriculo-auriculaires
– Cathéters i.v. chroniques infectées ou stimulateur cardiaque
– Antécédents de splénectomie
– Maladies thrombophiliques (avant tout syndrome des anticorps antiphospholipides et concentration élevée de facteur VIII)
– Groupe sanguin non-O
– Hypothyroïdie substituée
– Antécédents de cancer
– Maladies myéloprolifératives
– Maladie inflammatoire de l’intestin
– Ostéomyélite chronique
EP: embolie pulmonaire; HP: hypertension pulmonaire; HPTEC: hypertension pulmonaire thromboembolique chronique; TDM: tomodensitométrie; TEV: thromboembolie veineuse.
Les commentaires des expertes et experts suisses ont été soutenus par les entreprises Bayer (Suisse) AG, Pfizer et Sanofi-Aventis (Suisse) AG au moyen d’une subvention à caractère éducatif sans restriction («unrestricted educational grant»).
R.P. Engelberger a reçu des honoraires d’orateur ou des indemnités pour sa participation au conseil consultatif de Bayer HealthCare, Daiichi Sankyo et Sanofi-Aventis; M. Nagler a reçu des allocations de recherche de Bayer Healthcare et des honoraires de conférence de Bayer Healthcare et Daiichi Sankyo. H. Stricker a reçu des indemnités pour sa participation au conseil consultatif de Bayer HealthCare, Boehringer-Ingelheim, Bristol Myers Squibb, Daiichi Sankyo et Sanofi-Aventis. S. Barco a reçu des allocations de recherche et des honoraires d’orateur de Bayer HealthCare; allocations de recherche de Sanofi, Boston Scientific, Bentley et Concept Medical; honoraires d’orateur de LeoPharma et BTG, Boston Scientific et Concept Medical; honoraires de consultant de INARI et Boston Scientific; participation au Data Safety Monitoring Board ou Advisory Board (COBRRA trial [ITT]); soutien pour la participation à des conférences et/ou voyages de Daiichi Sankyo. M. Righini a reçu des allocations de recherche et des honoraires de conférence de Bayer HealthCare, Bristol Myers Squibb, Pfizer, Biomérieux, Daichi-Sankyo et Sanofi-Aventis. N. Kucher a reçu des allocations de recherche et honoraires d’orateur de Bayer HealthCare, Bristol Myers Squibb, Pfizer et Sanofi-Aventis.
PD Dr méd.
Rolf Peter ­Engelberger
HFR Fribourg - Hôpital Cantonal
Case postale
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