Avancées et problèmes du traitement psychiatrique
Highlight anniversaire: psychiatrie et psychothérapie

Avancées et problèmes du traitement psychiatrique

Medizinische Schlaglichter
Édition
2022/1112
DOI:
https://doi.org/10.4414/fms.2022.08945
Forum Med Suisse. 2022;22(1112):190-191

Affiliations
Privatklinik Hohenegg, Meilen

Publié le 15.03.2022

Dans la recherche et le traitement des maladies psychiques, il se profile une collaboration interdisciplinaire forcée afin de clarifier les interactions complexes des divers facteurs biologiques et psychosociaux individuels.

Des défis croissants

Commençons par la mauvaise nouvelle: ces vingt dernières années, les maladies psychiatriques n’ont pas régressé en Europe et aux Etats-Unis. En Suisse, la prévalence annuelle d’une symptomatique dépressive modérée à sévère se trouvait dans la moyenne européenne de 6,6% en 2012. En 2017, elle a augmenté encore plus que dans l’UE pour atteindre 8,1% [1]. Au cours de la pandémie de COVID-19, le pourcentage de personnes présentant des symptômes dépressifs sévères s’est ­encore accru. Une valeur maximale de 19% a été communiquée en novembre 2021.
Même si ces chiffres reposent en partie sur des enquêtes représentatives et non pas sur des études ­cliniques, ils indiquent une hausse de la problématique psychique en fonction de la charge. Ils mettent en évidence que la percée attendue lors de la «Decade of the Brain» dans le domaine de la prévention et du traitement des troubles dépressifs et autres troubles psychiques n’a pas encore eu lieu, même si des progrès sont certainement à mentionner. En effet, les antidépresseurs sélectifs développés durant la «décennie du cerveau» présentent significativement moins d’effets indésirables directement perceptibles que les antidépresseurs classiques, pour une efficacité semblable. La même chose vaut pour les neuroleptiques atypiques nouvellement développés, qui sont employés pour le traitement non seulement des psychoses, mais aussi des états dépressifs et anxieux. La bonne tolérance et l’effet de distanciation émotionnelle des nouveaux antidépresseurs ont contribué à leur large diffusion.
Pourtant, la nette augmentation des traitements par des antidépresseurs sélectifs n’est pas parvenue à ­empêcher suffisamment la survenue d’évolutions ­pathologiques défavorables. Selon des études de suivi sur plusieurs années, la rémission totale des épisodes dépressifs est jusqu’à présent restée relativement faible [2]. De même, l’hypothèse promue par le marketing depuis plus de 20 ans, selon laquelle les épisodes dépressifs sont dus à un manque isolé de neurotransmetteurs tels que la sérotonine, n’a pas été confirmée. Outre des pathologies physiques, les situations de perte, états d’épuisement, affections profondes et autres stress négatifs contribuent à la dépressivité [3]. Les antidépresseurs peuvent certes atténuer la souffrance dépressive – ainsi que les états anxieux, troubles compulsifs et douleurs chroniques –, mais ils ne peuvent souvent pas éliminer la cause de la maladie. Par ailleurs, des attentes positives et certains conditionnements pourraient renforcer la symptomatique, de sorte que la distinction entre l’effet antidépresseur de la substance active et celui du placebo est difficile en cas de dépression légère. La très forte hausse des taux d’invalidité due à des maladies dépressives ces dernières années en Suisse montre notamment que la problématique de la dépression n’est pas résolue [1].

Les directives thérapeutiques améliorées tiennent compte de la complexité des maladies psychiques

Les options thérapeutiques ciblées nécessitent de connaître les symptômes présents (phénoménologie) et leur rapport causal. Leur enregistrement parfois intense est facilité par une bonne relation médecin-­patient. Mais des directives reflétant l’état actuel des connaissances sont également utiles. Les recommandations en vigueur se basent encore peu sur les «données personnalisées», mais reposent tout de même sur des comparaisons différenciées de groupes. Cela a abouti à d’importantes innovations. Ainsi, les directives actuelles de l’Allemagne (Société allemande de psychiatrie et psychothérapie, psychosomatique et maladies nerveuses [DGPPN]) et, similairement, celles de la Suisse (Société suisse de psychiatrie et psychothérapie [SSPP]) prévoient désormais par exemple: «En cas d’épisode dépressif léger, il peut d’abord être renoncé à un traitement spécifique de la dépression en adoptant un accompagnement expectatif actif lorsqu’il est probable que la symptomatique disparaisse sans traitement actif» [4]. Le recours «reflexe» à un antidépresseur en présence d’une légère dépression a ainsi été relativisé au vu de l’état des données. En cas de dépression sévère ou aiguë, il convient en revanche de faire appel à la pharmacothérapie et la psychothérapie. Des méthodes psychothérapeutiques spécifiques sont actuellement disponibles à cet effet.
Autre nouveauté mise en place: «Lorsqu’un patient ne répond pas à un antidépresseur après une durée de traitement adéquate à un dosage adapté et pour une prise conforme, il convient de contrôler le taux plasmatique du médicament» [4]. Dans un avenir proche, un test pharmacogénomique pourrait également être recommandé pour pouvoir évaluer de manière individualisée le dosage efficace et le taux d’effets indésirables des antidépresseurs et neuroleptiques.
Les directives ont aussi récemment adopté la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (SMTr) pour les patientes et patients dépressifs qui n’ont, dans un premier temps, pas répondu à une pharmacothérapie antidépressive. A l’avenir, le traitement par kétamine pourrait aussi être introduit, au moins dans les situations d’urgence. L’effet antidépresseur de la kétamine agit très rapidement, mais ne dure pas longtemps.
En ce qui concerne le traitement des troubles paniques / de l’agoraphobie, la psychothérapie – et surtout la thérapie comportementale – occupent la première place dans les directives de la DGPPN, mais des antidépresseurs doivent aussi être proposés. Il en va de même pour les troubles compulsifs.
Les interventions psychosociales jouent également un rôle important dans le traitement des patients schizophrènes; le traitement à domicile faisant appel à une équipe multiconfessionnelle et impliquant les personnes concernées, notamment par le mouvement de réappropriation du pouvoir et de rétablissement («empowerment and recovery»), est une autre nouveauté. Du point de vue pharmacologique, l’introduction de neuroleptiques atypiques a considérablement amélioré le traitement des psychoses ces dernières années.

Développements actuels et potentiel futur

En psychiatrie, les phénomènes psychiques sont à associer avec des modifications physiques, ce qui implique un changement de perspective ou de catégorie. Malgré des difficultés méthodiques, la recherche psychiatrique n’a d’autre choix que de se consacrer à la pluridimensionnalité des troubles psychiques. Au cours des deux dernières décennies, l’approche neurobiologique était dominante. Cela ne va guère changer dans les années à venir. Pourtant, il convient d’élargir cette approche de manière interdisciplinaire, notamment pour étudier les mécanismes de feed-back entre les contraintes déclenchantes, les facteurs génétiques, les influences environnementales et l’attitude d’une personne marquée par son parcours de vie, qui sont susceptibles de rendre un trouble chronique.
Les sociétés spécialisées en psychiatrie insistent également sur la multiprofessionnalité de la recherche future. Les conditions requises se sont améliorées grâce aux progrès scientifiques. Par ailleurs, la numérisation permet désormais d’échanger de grands volumes de données, également «personnalisées» (recueillies par les applications mobiles) et facilite une étroite collaboration.
Enfin, la numérisation, plus précisément Internet, transforme de plus en plus la pratique psychiatrique et psychothérapeutique. Ainsi, la pandémie de COVID-19 a réduit les réticences de longue date face à la télépsychiatrie. Outre les inquiétudes encore légitimes concernant la protection des données, les avantages de Zoom,  Skype et des plates-formes d’autres fournisseurs ont été perçus comme des instruments thérapeutiques: pas de longs trajets, le contact plus facile en cas d’urgence, la poursuite d’un traitement en cas d’absence, etc. Des preuves qu’une relation stable et positive avec un thérapeute peut être établie lors d’une psychothérapie en ligne ont été apportées il y a longtemps [5]. Cela ne signifie toutefois pas que cette forme thérapeutique convienne à toutes les personnes concernées et tous les thérapeutes, car le contact direct et sensoriel fait défaut. La numérisation va certes progresser, mais elle doit promouvoir la multidimensionnalité et non pas la restreindre.
L’auteur a déclaré ne pas avoir d’obligations financières ou ­personnelles en rapport avec l’article soumis.
Prof. ém. Dr méd.
Daniel Hell
Zürichstrasse 66
CH-8700 Küsnacht
Daniel.hell[at]bluewin.ch
1 Schuler D, Tuch A, Peter C. Obsan Bericht 15/2020: Psychische Gesundheit in der Schweiz, Monitoring 2020. Neuchâtel: Schweizerisches Gesundheitsobservatorium (Obsan); 2020.
2 Verduijn J, Verhoeven JE, Milaneschi Y, Schoevers RA, van Hemert AM, Beekman ATF, et al. Reconsidering the prognosis of major depressive disorder across diagnostic boundaries: full recovery is the exception rather than the rule. BMC Med. 2017;15:215.
3 Hell D. Depression als Störung des Gleichgewichts. 2nd ed. Stuttgart: Kohlhammer; 2013.
4 Deutsche Gesellschaft für Psychiatrie und Psychotherapie, Psychosomatik und Nervenheilkunde (DGPPN) [Internet]. Berlin: Praxisleitlinien in Psychiatrie und Psychotherapie, c2021 [cited 2022 Jan 21]. Available from: https://www.dgppn.de/leitlinien-publikationen/leitlinien.html.
5 Eichenberg C. Psychotherapie in der Coronakrise: Trendwende in der Online-Psychotherapie. Dtsch Arztebl. 2020 Jun;PP6:255.